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Les artistes et le jeu vidéo

Bruno SAMPER


Depuis un certain temps déjà, de nombreux artistes se revendiquent comme metteurs en scène d'échanges, créateurs de réseaux. Ils œuvrent sur les différents mécanismes (sociaux, esthétiques...) qu'implique une société de plus en plus axée sur les échanges d'informations.

Parallèlement, les jeux communautaires en ligne se développent à vitesse exponentielle, mais sont bien souvent basés sur des mécanismes de coopérations et d'affrontements, efficaces mais stéréotypés. Très vite, va se faire sentir le besoin d'évoluer dans des univers plus complexes, plus singuliers, mais surtout basés sur de nouveaux modes d'interactions et d'échanges.

Nous allons essayer de nous poser un certain nombre de questions au sujet des passerelles qui peuvent s’établir entre les problématiques de ce que l’on nomme encore, de ce terme trop étroit, jeu vidéo et celles de la création artistique.

Ces questions ont été à l’origine de l’élaboration du jeu Society.

Society est un essai qui a, pour nous, valeur de manifeste. C’est pourquoi nous n’en parlerons pas directement dans ce texte, mais nous vous invitons plutôt à l’expérimenter à cette adresse : http://www.villette-numerique.com/game qui nous l’espérons sera toujours valide le jour où vous lirez ceci.

 

 

I - la question métaphysique

Ce qui nous a d’abord intéressé dans la conception de Society était d’aborder l’idée que le jeu vidéo, comme toutes formes de création, est une exploration du sensible, un questionnement de la notion de réalité.

Toute démarche artistique découle quelque part d’une volonté de " percer le voile des apparences " pour regarder ce qu’il y a derrière, que ce soit l’idéal Platonicien -le vrai, le beau, le bon- ou l’effroi du néant.

Par exemple, le travail d’un jeune artiste comme Thibaut Pinsard interroge pertinemment cette idée. Il utilise un processus consistant à faire des captures d’écrans de jeux vidéos, mais ceci au-delà des limites du territoire définit par leurs concepteurs. Il utilise les erreurs de programmation pour, à l’instar de Garou-Garou dans Le passe muraille, traverser le décor et dévoiler derrière un néant absolu, un vide sidéral et sidérant, comme dans le film Dark City (Alex Proyas 1998).

De même, un jeu comme Resident Evil - mètre étalon d’un genre que l’on nomme le survival horror - est exemplaire, puisqu’on doit y trouver l’issue d’un manoir en ouvrant des portes. Malheureusement, ces portes peuvent dissimuler des morts-vivants. Outre le procédé qui tient du train fantôme – le joueur doit être horrifié, médusé – le mort vivant n’est-il pas lui-même un simulacre de vie, un être qui paraît vivant mais qui ne recèle que l’abyme de la mort.

 

Que cela soit l’exploration/conquête d’un espace, ou l’exploration/conquête d’une altérité – humaine ou non –nombre de jeux vidéos se font doublement échos d’une ambition métaphysique.

Dans un premier temps par la mise en scène d’une quête :

Le joueur veut progresser dans le jeu pour savoir ce qu’il y a au-delà du prochain niveau, que cela soit merveilleux ou terrifiant. La question " Qu’est ce qu’il y a au-delà du prochain niveau ? " est souvent l’équivalent de " Qu’est-ce qu’il y a au-delà des apparences ? ".

Dans un second temps, cette recherche s’effectue par un processus de représentation du sensible : comment révéler l'invisible, l’indicible ?

Tout d’abord, en " creux " ou négatif, on cherche à révéler l’invisible en imitant au mieux le visible, c’est la quête du réalisme. Dans les jeux vidéos, cela se traduit par la reproduction des halos de lumière sur l’objectif d’une caméra virtuelle lorsqu’on regarde le soleil, la modélisation des variations climatiques ou des gouttes de pluie qui viennent s’écraser sur l’écran. L’imitation du réel jusque dans l’infime, l’anecdotique, le contemplatif. On va même jusqu'à créer des simulateurs de vie quotidienne dans le cas du jeu Les Sims.

Mais aussi et surtout en " plein ".

On représente l’invisible en lui donnant une forme.

À l'instar de l’art fantastique ou visionnaire de Jérôme Bosch, de Francisco Goya ou plus récemment de Matthew Barney par exemple, le jeu vidéo développe depuis ses origines un bestiaire de créatures et de monstres. Ainsi, le jeu Silent Hill 2 fait directement référence au travail de Hans Bellmer en mettant en scène des êtres formés de membres humains désarticulés.

On peut citer aussi la fameuse " Warp zone " (zone secrète) du jeu Super Mario, qui est la métaphore d’un monde parallèle caché auquel le joueur peut accéder s’il est suffisamment opiniâtre.

Nous constatons qu’une prospection métaphysique trouve ses moyens dans le choix et l’élaboration de systèmes de représentation du monde. L’art et le jeu trouvent ici un point de tangente car ils se basent tous les deux sur l’apprentissage, la recréation ou la manipulation d’un système cohérent de signes et de codes.

 

 

II - la question esthétique

Nous allons voir comment, à l’heure de la globalisation, les systèmes de représentations choisies dans les créations vidéoludiques perpétuent et confrontent des problématiques issues de différentes cultures.

A ) la représentation de l’espace

La vision extrême orientale

Si nous observons des dessins ou des peintures traditionnels chinois et japonais, on remarque que le point de vue est quasi systématiquement un étagement vertical de plans vus de haut ; une sorte de perspective isométrique.

C’est une vision structurelle et pragmatique du monde, dénotant une volonté de représenter le réel comme un système de codes homogènes et interdépendants.

Le point de vue n’est pas humain, mais supra-humain. L’homme n’y est pas une entité isolée, mais une composante de ce système.

C’est exactement ce point de vue que l’on retrouve dans les jeux appelés " god games ", les jeux de gestions ou de stratégies. Des réalisations comme Civilization (où on doit développer une civilisation), Sim City (où l’on doit développer une ville), ou Les Sims (où l’on doit développer une famille), utilisent tous ce point de vue. Évacuant l’illusionnisme de la perspective cavalière, ils proposent sur le monde un regard analytique et objectif, le regard d’un entomologiste ou d’une divinité.

 

La vision occidentale, l’illusion de la perspective

En Occident, dès la Renaissance, la symbolique divine fait place à une symbolique humaine. Le développement théorique de la perspective cavalière dans les systèmes de représentation (déjà utilisée de manière empirique dans l’Antiquité) accompagne l’avènement du point de vue humaniste. L’homme est l’axe central, et le monde s’organise autour de lui. On construit l’image par rapport au spectateur.

Mais même si les compositions mathématiques de Piero della Francesca, influencé par la pensée de Platon, sont le fruit d’une recherche pour transcender le sensible, il y a une volonté paradoxale de tromper l’œil pour faire de l'objet représenté l'équivalent de l'objet perçu.

 

La majorité des jeux vidéos sont aujourd’hui conquis par cette technique de représentation. Même des jeux de stratégies (Warcraft 3…)qui, naturellement, utilisaient la vue isométrique, s’y convertissent, dénotant une volonté grandissante d’immerger le joueur dans une réalité alternative.

On pourrait penser que l’utilisation d’autres systèmes que la perspective cavalière découlait des limitations techniques des machines, plutôt que d’un véritable choix des développeurs de jeux. Mais on n’attendit pas que la puissance des ordinateurs permette le calcul d’une 3d temps réel pour utiliser la perspective fuyante. On la retrouve déjà présente dans les premiers jeux de rôles, comme AD&D sur console Atari, sous la forme d’écrans figés où quelques lignes de fuites, en pixels grossiers, esquissent une profondeur.

Petit à petit ces quelques lignes s’animèrent. En utilisant des astuces tout d’abord, avec des jeux comme Wolfenstein 3d, Doom ou Duke Nukem. Et puis la puissance des ordinateurs augmentant, selon la fameuse loi de Moore, on réussit à calculer un véritable déplacement en temps réel dans un espace fuyant, le jeu Quake fut ainsi l’un des premiers à l’utiliser.

Il est intéressant de remarquer que ces 3 jeux se classent dans la catégorie des " jeux de tirs à la première personne " (First Person Shooter ou FPS), qui utilisent la vue subjective. Ils se veulent l’extension directe de l’axe de perception du joueur derrière l’écran. À chaque fois qu’un nouveau moteur 3d est développé, il est utilisé en premier lieu pour un FPS ; c’est le genre qui utilise et fait le plus progresser techniquement ce type de représentation dans le jeu vidéo.

 

L’abstraction

Même si l’abstraction, dans le domaine des arts plastiques, fit son apparition conceptuelle en Occident au début du XXe siècle, elle était déjà le principe de représentation officiel de nombreuses traditions comme par exemple la culture islamique.

Le concept d’abstraction dans les arts plastiques, est éminemment délicat car protéiforme. On a cependant coutume, par commodité, de distinguer 2 types de tendance :

- La tendance lyrique

Son précurseur, Kandinsky, fut certainement influencé par la première exposition d’art islamique à Munich en 1910, puisqu’il n’est pas rare qu’il s’y réfère dans ses écrits théoriques.

Très proche de l’écriture musicale, la tendance lyrique ou expressionniste trouve une descendance directe dans les expériences d’un genre que l’on nomme les " rythm games " jeux de rythme ou jeux musicaux. On peut citer dans cette catégorie des réalisations comme Rez, Baby Univers ou Sub.

Rez est à ce titre exemplaire car c’est un hommage revendiqué au peintre russe, il faillit d’ailleurs dans un premier temps s’appeler Project K (pour Kandinsky).

Rez est également intéressant car il est un mix entre un jeu musical et un autre genre, lui aussi basé sur le rythme, que l’on appelle le " Shoot’em up ". Le principe du Shoot ‘em up est de progresser de manière linéaire à travers différents tableaux, comme sur une portée, en détruisant ou en interceptant tout ce qui se dirige vers vous. Chaque tir provoque une débauche d’effets pyrotechniques lumineux et sonores. Souvent, il y a tellement de figures en mouvement sur l’écran que cela devient totalement abstrait. Vaisseaux, tirs de laser, super missiles ou explosions deviennent de simples taches, lignes, plans, organisant l’espace et le temps selon une rythmique très précise.

On peut également considérer que les jeux de tirs en vue subjective (FPS), même s’ils utilisent l’espace illusionniste de la perspective cavalière, tendent de plus en plus vers une certaine abstraction. En effet si l’on observe les joueurs surentraînés d’un jeu comme Unreal tournement, on remarque une illustration parfaite du processus d’accélération que théorise Paul Virilio. Le jeu va tellement vite que l’on assiste à une dislocation de l’espace et des figures, à l’instar des visions de certains futuristes italiens. Dislocation au sens propre, puisqu’il faut littéralement désintégrer ses adversaires et le décor, mais aussi au figuré car le cerveau n’a presque plus le temps de recomposer l’espace perçu. L’espace devient alors une composition rythmique, créant presque une transe, projection du geste, si chère à Hans Hartung, transmis par la souris et le clavier.

- La tendance géométrique

On peut considérer, que l’abstraction géométrique est issue d’une rationalisation plus ou moins symbolique de l’espace que l’on peut rapprocher de certains jeux vidéos comme Tetris. Ces derniers sont les descendants de la grande famille des jeux stratégiques présents dans toutes les cultures. On peut citer en vrac le jeu de go, les échecs, les dames, mais aussi la marelle, le football ou le tennis qui a inspiré le premier jeu vidéo : Pong. Dans tous ces cas, l’espace y est une abstraction métaphorique et rationnelle.

On peut ainsi s’amuser à trouver des analogies formelles entre certaines œuvres de Piet Mondrian et certains tableaux du jeu Tetris.

 

Nous voyons donc que différents types de représentation de l’espace sont utilisés dans le jeu vidéo ; mais tout système ne peut prétendre au statut de création artistique s’il n’est pas transcendé par l’imagination de créateurs. Cette imagination se manifeste dans l’élaboration et l’utilisation de processus originaux inhérents au médium : c’est ce qu’on peut appeler le style. En peinture, cela peut se caractériser par le choix des couleurs, le sujet, la composition, la touche ; en photographie, par le cadrage, le choix de l’exposition ; en cinéma par le scénario, la mise en scène, les axes et mouvements de caméra, le montage etc...

Mais pour les techniques informatiques, c’est la possibilité de représenter et de manipuler des systèmes d’interactions entre les figures qui permet de constituer un style. En jeu vidéo, on appelle ça le gameplay ou la jouabilité.

 

 

B) La représentation des systèmes et des processus d’interactivité

Dés la première moitié du XXe siècle, le travail de Marcel Duchamp remet fondamentalement en cause la validité de l’acte même de représentation.
Il met en avant la vanité absolue de ce geste. Duchamp renonce dès 1923 à peindre préférant au jeu de l’art le jeu d’échec.

Après lui le processus de fusion entre l’objet et l’idée s’accentue un peu plus.

L’acte de création ne peut plus se faire dans la représentation, mais dans la chair même du réel, il faut désormais tailler dans ce corps fait d’êtres et de choses liés par des réseaux de signes et de codes.

Le travail du happening ou des performers, comme Allan Kaprow, dans les années 70 sera précurseur d’une création qui prend forme dans le processus même de communication, d’échange d’information, et d’interaction. L’œuvre d’art comme lien social ou du moins métaphore de lien social. L’artiste devient alors un "opérateur" (tel que le définit l’artiste Paul Devautour). L’artiste se retrouve dans la position de celui qui gère un réseau d’information : il la présente, l’organise, la compile, en cherchant parfois, mais pas toujours, à lui donner un sens. La forme de l’œuvre est donc ici dans un processus, une dynamique de correspondance.

Mais les problématiques de représentation sont loin d’avoir disparues. Le développement des technologies informatiques les remet à l’ordre du jour, mais elles seront désormais fondamentalement différentes. On assiste, en effet, à l’association d’outils de représentation du sensible – multimédia – et d’outils issus des sciences techniques et humaines servant à modéliser les réseaux d’interactions du réel – psychologie, éthologie, mécanique, urbanisme, économie etc.

Certains jeux vidéos sont certainement l’extension contemporaine la plus aboutie de ce processus.

Ceci nous fait tendre peu à peu vers l’élaboration de ce que Jean Baudrillard appelle une Hyper réalité. Selon lui, " l’hyper réalité correspond au stade où les modèles de simulation constituent l’univers et où la différence entre le réel et le non réel est imperceptible ou non valide". Dans l’Hyper réalité le monde est perçu par les signes du réel et non à partir du réel lui-même. Le processus nous immerge alors dans l’image, nous fait pénétrer et vivre dans le signe.

Mais une réalité n’existe réellement que si tous les codes et les signes qui la constituent sont partagés, hors de nombreux codes sont liés à une interaction physique et charnelle entre les êtres humains. Dans le jeu vidéo tel que nous le connaissons aujourd’hui, le toucher n’existe pas. Le joueur pourrait tout autant donner ses ordres mentalement, il ne s’en sentirait pas vraiment frustré. Si le joueur lambda joue chez lui, devant sa console, et qu’il manipule frénétiquement son contrôleur de jeu, ce n’est pas pour la sensation physique qu’il peut y éprouver – bien qu’il y ait un véritable effort, effectué par les constructeurs de consoles, pour faire du contact de la manette une expérience sensuelle, à l’instar du " POD " dans le film ExistenZ de David Cronenberg.

Si le joueur utilise ses mains, ce n’est que parce qu’il se projette dans l’action exécutée par son personnage à l’écran. Malgré certains contrôleurs vibrants qui relèvent du gadget, on attend aujourd’hui le développement de véritables interfaces " haptique ".

Nous voyons donc que ce que nous avons coutume d’appeler interactivité dans le cadre du multimédia, n’est en fait -comme le dit Jean-Louis Boissier-, que la représentation des véritables systèmes d’interactivité constitutifs du réel.

On peut identifier 2 types d’interactivité :

- L’interactivité objective

C’est le type d’interactivité qu’utilise le jeu vidéo depuis ses origines, en la scénarisant plus ou moins.

On peut y regrouper toutes les formes de simulation de modèles physiques ou mécaniques.

On trouve ainsi dans le jeu vidéo des simulations d’automobile, d’avion, de train, de camion, de jet ski, etc. mais aussi, plus singulièrement, des simulateurs de pêche (développé par Sega et vendu avec une manette originale en forme de moulinet vibrant), de cuisines dans lesquelles il faut virtuellement débiter des légumes en rondelles, ou même de moustique dont le but est de piquer toute une famille. On peut considérer que l’industrie vidéoludique japonaise a simulé tout ce qui pouvait l’être.

Mais ce genre de simulation peut s’élargir à des systèmes plus complexe comme une économie, une écologie ou un urbanisme dans le cas de jeux de gestions comme Sim City.

Le lien intangible qui pouvait traditionnellement exister entre l’œuvre et le spectateur, se concrétise aujourd’hui dans les œuvres informatiques et le jeu vidéo, à travers ce que l’on appelle l’interface. Le spectateur/joueur devient lui aussi, quelque part, créateur en faisant des choix, en actionnant des systèmes et des mécanismes préprogrammés.

- L’interactivité subjective

Nous entendons par interactivité subjective, la représentation des processus qui déterminent les échanges sociaux : lois, règles, morale, langage … Cette notion prend aujourd’hui de plus en plus d’importance dans le jeu vidéo avec le développement d’Internet. Une myriade de jeux " massivement multijoueurs ", dans lesquels plusieurs milliers de joueurs peuvent se connecter ensemble, commencent à apparaître.

On ne joue désormais plus seul contre l’ordinateur, mais en réseau avec d’autres êtres humains.

La partie continue lorsque vous éteignez votre ordinateur. De véritables sociétés parallèles, issues des premières Multi User Dimension – des cadavres exquis purement textuels, s’élaborant par le biais des IRC – se développent sur des serveurs dédiés, ce sont ce que l’on appelle des mondes persistants ou Mush -Multi User Shared Hallucination.

Un des premiers jeux à avoir introduit la notion de monde persistant est Ultima on line C’est un monde d’inspiration médiévale où des milliers d’internautes se retrouvent tous les jours pour créer des communautés par affinités de goûts ou de langues. Ils s’affrontent, s’associent, nouent des amitiés, tombent amoureux et inventent jusqu’à des embryons d’économie. On a récemment vu des joueurs revendre sur les sites d’enchères, des personnages du jeu Everquest, de Sony, ayant acquis une valeur réelle grâce à des points d’expériences très élevés. Des éleveurs d’avatars en quelque sorte.

On peut schématiquement identifier différents processus d’interaction subjective :

- L’affrontement

L’affrontement est sûrement la première chose à laquelle on pense lorsque l’on parle de jeu vidéo. Se mesurer aux autres ou à soi même, quand il s’agit de dépasser ses limites, est certainement une étape nécessaire à l’élaboration de toute personnalité.

On a très souvent tendance à stigmatiser la violence véhiculée dans les jeux, argumentant qu’elle est à l’origine d’une violence bien réelle. Mais il est clair que l’affrontement est un des modes de communication les plus universels. C’est sur ce principe qu’ont été créés les jeux olympiques.

Pour la première fois de l’histoire, des personnes de différentes nationalités, langues et cultures se retrouvent chaque jour dans des parties de FPS comme Counter Strike ou de jeux de stratégies comme Warcraft.

Les affinités ainsi créées par le jeu pourront peut-être déboucher sur des évolutions plus constructives.

On peut également penser qu’une certaine forme de violence est nécessaire à toute création. On peut par exemple faire une analogie entre le " géo-mode " - géographic modification, mis au point pour le jeu Red faction - permettant d’interagir sur l’environnement en perforant les murs à l’aide d’armes surpuissantes, et le geste du sculpteur qui évide un bloc pour faire apparaître une forme.

Mais finalement, on peut surtout se demander si la médiation de la violence à travers les jeux vidéos en réseau n’est pas symptomatique d’une volonté de l’annihiler totalement ?

Pour Philippe Breton " …le culte de l’Internet veut que l’on se trouve à distance de l’autre car il est porteur de  -germes - agressif de toute nature. C’est bien la question de la violence qui est posée au centre de la problématique de cette nouvelle société, qu’il s’agisse de la crainte des épidémies, ou plus fondamentalement de la peur de la présence de l’autre, comme source de violence. "

- Collaboration / échange

La logique de collaboration est également très présente dans les jeux vidéos.

On peut par exemple citer le mode coopératif du mythique Bubble Bobble, où deux joueurs représentés par d’adorables dragons cracheurs de bulles, doivent s’entraider pour évoluer de niveau en niveau.

Plus récemment des jeux comme Kuri Kuri mix,ou Ico continuent à développer des systèmes collaboratifs. Entre deux joueurs pour le premier, et entre joueur et personnage contrôlé par l’ordinateur pour Ico.

- Collaboration + affrontement

On retrouve déjà cette double logique de collaboration et d’affrontement dans les sports collectifs. Elle se prolonge tout naturellement dans les jeux vidéos qui simulent ces sports : jeu de Foot, Basket Ball, ou des sports totalement inventés pour la circonstance comme la capture de drapeau dans Counter Strike.

N’oublions pas les collaborations entre joueurs pour évoluer dans les contrées hostiles des mondes persistants.

- Séduction

Même si certains classeraient volontiers la séduction dans la catégorie affrontement, elle est néanmoins représentée par des jeux à part : Les jeux de dragues.

Meine Liebeen est un bon exemple. Dans ce jeu, exclusivement vendu au japon mais faisant référence à un imaginaire romantique très germanique, vous devez séduire le plus " beau " garçon de votre lycée. Pour ce faire, vous devez dialoguer avec différents personnages et naviguer dans des arborescences sémantiques, en choisissant parmi plusieurs phrases proposées.

Nous observons donc que toute apparition d’une nouvelle technique de représentation, est accompagnée d’un phénomène d’inventaire, comme s’il fallait grâce à cette nouvelle technologie tenter, avec voracité, de se réapproprier le monde.

Par exemple, la photo a dans un premier temps eu un grand rôle scientifique d’inventaire du réel : mission héliographique, patrimoine architectural, espèces animales, êtres humains etc. de véritables arches de Noé.

De même, les premières applications du cinéma ont été de l’ordre du reportage, du film de voyage etc.

Ainsi, avec les techniques informatiques nous n’échappons pas au phénomène d’inventaire, on modélise pour conserver, pour mémoriser, pour comprendre. Mais cet inventaire est un processus nécessaire de constitution d’un vocabulaire qui sera ensuite mis en jeu au travers d’une poétique.

Des noms de créateurs commencent déjà à émerger dans un monde qui jusqu’alors était très anonyme. Des noms comme Peter Molyneux, créateur du jeu Black and white où la notion de manichéisme est poussée à son paroxysme conceptuel ; Sid Meyer, Civilization ; Shigeru Myamoto, Mario, Zelda, Pickmin ; Hideo Kojima, Metal Gear Solid, ZOE ; Fredérick Raynal, alone in the dark, LBA, Toy Commander ; etc.

Ils contribueront certainement dans les années à venir, à définir le jeu vidéo comme la forme d’art la plus en adéquation avec notre époque.



© Bruno Samper & Leonardo/Olats, mars 2003