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L'art de la téléprésence et l'art transgénique

Eduardo KAC

Depuis douze ans, je travaille sur les systèmes de télécommunication en tant que forme d'art, particulièrement avec des médias accessibles tels que minitel, fax et télévision à balayage lent (slow scan). Depuis 1989, en collaboration avec Ed Bennett, je développe ce que j'appelle l'art de la téléprésence, fondé sur des explorations uniques de la télérobotique. Le mot téléprésence se réfère à l'expérience sensorielle de sa propre présence dans un espace distant (et non à la sensation de la présence à distance de quelqu'un d'autre, comme c'est souvent le cas au téléphone). Je développe également des installations télématiques qui fusionnent les espaces virtuels et physiques dans une relation d'interdépendance. A la poursuite de nouvelles possibilités esthétiques, j'ai épousé deux stratégies, qui sont l'hybridation des technologies et l'exploration des aspects cachés du nouveau paysage des médias. De cette façon, j'utilise les médias de télécommunication pour faire imploser leur logique unidirectionnelle et créer, dans le domaine du réel, un nouveau genre d'expérience donnant priorité aux propositions démocratiques et aux dialogues.

En 1989, j'ai développé avec Ed Bennett le télérobot Ornitorrinco (ce qui veut dire ornithorynque en portugais), entièrement mobile et sans fil, conçu à l'origine pour créer des expériences artistiques de téléprésence sur le réseau téléphonique accessible et familier. Le participant, dans le lieu 1, pousse des boutons sur le clavier de téléphone pour faire bouger le télérobot dans le lieu 2 en temps réel. J'ai transformé le clavier du téléphone en grille cartésienne, de façon à ce que, lorsque vous appuyez sur le numéro 2, vous vous déplacez vers l'avant dans un espace distant en temps réel. Quand vous poussez les numéros un, quatre et sept, vous tournez à gauche. Quand vous touchez les numéros 3, 6 et 9, vous tournez à droite. Avec la touche 8, vous pouvez vous déplacer en arrière. La touche 5 vous permet de vous arrêter au milieu d'un mouvement, et aussi de saisir et de transmettre à vous-même une image actuelle de l'espace distant, du point de vue du télérobot.

Les espaces distants d'Ornitorrinco ont toujours été construits à l'échelle du télérobot, invitant ainsi les spectateurs à abandonner temporairement l'échelle humaine et à regarder un monde nouveau à partir d'une perspective autre que la leur. De quatre-vingt-neuf à quatre-vingt-treize, j'ai créé plusieurs œuvres de téléprésence, dont Ornitorrinco à Copacabana (Ornitorrinco in Copacabana) et Ornitorrinco sur la Lune (Ornintorrinco on the Moon), avec Ed Bennett. Au cours de notre événement international de téléprésence, Ornitorrinco au Paradis (Ornintorrinco in Eden), réalisé en quatre-vingt-quatorze, nous avons hybridé Internet avec la télérobotique, les espaces physiques, le réseau téléphonique, le système cellulaire parallèle et la vidéo numérique. Cela a permis aux participants à distance de décider où ils allaient, ce qu'ils voyaient dans un espace distant via Internet. Dans cette œuvre, les participants anonymes ont partagé simultanément le corps du télérobot, le contrôlant ensemble et regardant en même temps à travers son regard. Les participants recevaient des vidéos numériques via Internet à partir du point de vue d'Ornitorrinco, et utilisaient le réseau téléphonique pour transmettre des signaux de contrôle en temps réel. Puisqu'Ornitorrinco est entièrement mobile et sans fil, il se déplaçait librement dans l'espace. Cette œuvre avait trois nœuds de contrôle aux Etats-Unis (à Seattle, Lexington et Chicago), et de nombreux nœuds visuels sur Internet autour du monde (en Allemagne, Finlande, Irlande, Canada, et dans beaucoup d'autres pays).

Toujours en 94, j'ai créé en collaboration avec Ikuo Nakamura une œuvre intitulée Essai concernant la compréhension humaine (Essay Concerning Human Understanding). Dans cette œuvre, un oiseau en cage dialogue avec une plante qui se trouve à mille kilomètres en utilisant une ligne téléphonique régulière. Placé au milieu du Centre d'art contemporain à Lexington, dans le Kentucky, le canari jaune se trouvait dans une cage cylindrique blanche, à la fois grande et confortable, au sommet de laquelle étaient installés des cartes électroniques, un haut-parleur et un microphone. Un disque transparent de plexiglas séparait le canari de l'équipement relié au réseau téléphonique. A New York, au Hall des sciences, une électrode était placée sur une feuille de la plante pour enregistrer ses réactions au chant de l'oiseau. La fluctuation du voltage de la plante était surveillée par un logiciel Macintosh appelé Interactive Brain-Wave Analyzer (Analyseur interactif d'ondes cérébrales). Les informations recueillies étaient introduites dans un autre Macintosh opérant un programme appelé Max, contrôlant un clavier Midi. Les sons électroniques étaient préenregistrés, mais l'ordre et la durée déterminés en temps réel par les réactions de la plante au chant de l'oiseau.

Quand cette œuvre fut présentée au public, l'oiseau et la plante réagissaient mutuellement plusieurs heures chaque jour. Les humains aussi réagissaient réciproquement avec l'oiseau et la plante. En se tenant près de la plante et de l'oiseau, ils modifiaient immédiatement leur comportement. Quand les humains étaient tout proches, l'interaction était davantage accrue par les changements constants de comportement de l'oiseau et de la plante. Ils réagissaient en chantant encore plus, en activant d'autres sons, ou en gardant le silence.

Je pense que cette œuvre est une évocation de la solitude humaine : un animal captif s'adresse à une plante par téléphone, le canari chante espérant une compagne ; à la place, au bout du fil, un membre d'une autre espèce, loin de lui. S'agit-il vraiment de communication ? Il est clair qu'une augmentation quantitative des moyens de communication ne se traduit pas en un changement qualitatif des communications entre personnes.

En 96, mon œuvre Rara Avis, installation de téléprésence reliant par réseau une volière à Internet, au Web, et au MBone, fut présentée à Atlanta dans le cadre du Festival olympique d'arts. Réalisée au Centre d'art contemporain Nexus d'Atlanta, dans le courant de l'été 96, Rara Avis était placée sous la direction technique d'Ed Bennett. Portant un casque stéréoscopique, la spectatrice percevait la volière, et pouvait s'observer dans cette situation, du point de vue de l'ara. L'installation était constamment reliée à Internet. A travers le net, les participants à distance observaient la volière du point de vue de l'ara télérobotique, ils utilisaient leurs microphones pour déclencher le dispositif vocal de l'ara télérobotique, entendu dans la galerie. Le corps de l'ara télérobotique était investi en temps réel par les participants qui se trouvaient sur place et les participants via Internet du monde entier. Les sons contenus dans l'espace, mélange de voix humaines et de chants d'oiseaux, se propageaient jusqu'aux participants à distance, à travers Internet. L'œuvre peut être perçue comme une critique de la notion problématique d'exotisme, concept qui révèle plus de choses sur la relativité des contextes et la conscience limitée de l'observateur que sur le statut culturel de l'objet d'observation. Cette image du différent, de l'autre, incarnée par l'ara télérobotique, était dramatisée par le fait que le participant adoptait momentanément le point de vue de l'oiseau rare.

Cette œuvre créait un système autorégulateur de dépendance réciproque, dans lequel les participants locaux, les animaux, un télérobot, et les participants à distance, réagissaient réciproquement sans direction, ni contrôle, ni intervention extérieure. Comme l'œuvre mélangeait entités physiques et non-physiques, elle fusionnait les phénomènes perceptuels immédiats avec une conscience accrue de ce qui nous affecte, mais qui est absent du champ visuel et éloigné. Les participants locaux et en ligne ont éprouvé l'espace de façon complexe et différente. L'écologie locale de la volière était affectée par l'écologie Internet et vice-versa.

Mon intérêt pour la création de systèmes interdépendants autorégulateurs, simultanément dans les espaces virtuels et physiques, m'a conduit à créer mon œuvre suivante, produite juste après les Jeux olympiques. L'œuvre était intitulée Téléportation d'un état inconnu (Teleporting an Unknown State), et fut exposée dans le cadre du Siggraph Art Show de 96, au Centre d'art contemporain de la Nouvelle-Orléans. Cette œuvre reliait le Centre d'art contemporain, à la Nouvelle-Orléans, à l'espace sans lieu d'Internet. Dans la galerie, le spectateur voyait une installation : de la lumière, projetée à partir d'un cercle se trouvant au plafond, rompait l'obscurité ambiante et atteignait un piédestal, où spectateurs et participants découvraient une seule graine. De sites distants répartis autour du monde, des individus anonymes pointèrent leurs caméras numériques vers le ciel et transmirent la lumière du soleil à la galerie. Les photons saisis par les caméras étaient ré émis dans la galerie à travers le plafond. Un projecteur vidéo dissimulé, servant de sortie pour la liaison Internet, projetait contre le carré de terre l'interface dématérialisée d'un Macintosh avec un fond sombre, de façon à ce que la plante n'utilise pour pousser que la lumière lui parvenant en direct par vidéo numérique. Les images vidéos transmises de pays lointains étaient dépourvues de contenu représentationnel, et utilisées comme conducteurs de véritables vagues de lumière. Le processus de la naissance, de la croissance, et de la mort possible, de la plante était diffusé en direct au monde entier via Internet tout au long de l'exposition. Tous les participants pouvaient observer le processus. Après l'exposition, j'ai replanté l'organisme vivant (qui avait atteint la taille de soixante centimètres) près d'un arbre à l'extérieur du Centre d'art.

Grâce à la collaboration d'individus anonymes, des photons émis à partir de villes et pays lointains furent téléportés jusqu'à la galerie et utilisés pour donner vie à une plante petite et fragile. Les participants partageaient la responsabilité de prendre soin de cette plante du début à la fin de l'exposition. Cette œuvre était fondée sur un renversement de la topologie habituelle de transmission, où l'information est transmise par un individu vers de nombreuses personnes. Dans l'œuvre Teleporting an Unknown State, la lumière était transmise par plusieurs personnes vers un même et unique objet. L'œuvre mettait en évidence l'utilisation potentielle du net pour distribuer des ressources naturelles vers les endroits qui en ont le plus besoin, et donnait au réseau un sens de responsabilité sociale collective et de système au service du maintien de la vie.

Toujours en 96, j'ai participé (avec Ed Bennett) à la Quatrième Biennale de Saint-Pétersbourg, en Russie, avec un événement dialogique de téléprésence intitulé Ornitorrinco dans le Sahara (Ornitorrinco in Sahara), reliant Saint-Pétersbourg à deux sites se trouvant à Chicago. Le terme "événement dialogique de téléprésence" se réfère à un dialogue entre deux participants éloignés réagissant réciproquement dans un lieu tiers à travers deux corps autres que les leurs. L'un des directeurs de la Biennale de Saint-Pétersbourg, Dimitri Choubine, a utilisé un vidéophone noir et blanc pour contrôler (à partir du Musée d'histoire de Saint-Pétersbourg) le télérobot sans fil Ornitorrinco (situé à l'Ecole de l'Institut d'Art à Chicago) et pour recevoir des réactions (sous forme d'images vidéos séquentielles) du point de vue du télérobot. Au même moment, mon propre corps était enveloppé dans un vêtement de téléprésence sans fil qui m'a transformé en télécyborg, ou téléborg, aveugle. Le corps humain dépossédé était contrôlé, par liaison téléphonique seulement, par l'artiste et historienne d'art Simone Osthoff de la galerie Aldo Castillo. L'alimentation vidéo en couleur du corps humain était transmise en direct vers un autre espace se trouvant dans le même immeuble du centre ville de Chicago, permettant aux spectateurs locaux, surpris et non au courant de la situation, d'assister à l'expérience dialogique en temps réel. Pendant l'événement, alors que télérobot et téléborg étaient contrôlés à distance, s'est déroulée une situation dialogique unique. Alors que Simone Osthoff contrôlait le comportement de mon corps, je craignais le moment où j'allais heurter un mur ou un pilier, me retrouver accidentellement dans l'ascenseur, ou me heurter contre un passant ou le télérobot. Oshtoff, qui était aussi momentanément aveugle et pleine d'égards envers ma privation sensorielle, me parlait doucement et faisait des pauses intermittentes, commandant le corps avec prudence. Au début, Choubine, qui n'avait nullement conscience de ce qu'il contemplait, alternait le comportement de son hôte télérobotique pour se propulser lui-même le long du couloir et naviguer dans d'autres parties de l'espace et pour engager le téléborg directement. Parfois, il y eut contact physique entre le télérobot et le téléborg.

La dernière pièce que j'ai présentée (avec Ed Bennett) en 96 était une installation de téléprésence en réseau intitulée Ornintorrinco, le webot, voyage autour du monde en quatre-vingts nanosecondes, de la Turquie au Pérou et retour (Ornitorrinco, the Webot, travels around the world in eighty nanoseconds going from Turkey to Peru and back). Cette œuvre fut présentée dans le cadre de l'exposition d'art robotique "Métamachines : où se trouve le corps ?", réalisée à la galerie Otso, à Espoo, en Finlande, et faisait partie du Festival MuuMedia.

Cette installation était divisée entre deux espaces distants, reliés au web. Le public avait accès au rez-de-chaussée de la galerie Otso, alors qu'Ornitorrinco, le webot, naviguait dans son nid, à l'étage inférieur. Le public pouvait aussi abandonner le contrôle du corps du robot et descendre pour agir réciproquement avec le webot et les deux dindes vivantes. Ce qui était vu dans l'espace supérieur -- la page (interface) du web avec des réactions vidéo couleurs en direct et en temps réel -- était partagé sur le web avec des spectateurs lointains, sous forme d'images couleur séquentielles. Les éléments constituant le nid du webot et des dindes forment un commentaire métacritique, et parfois humoristique, de l'état actuel du développement du web. L'espace était surmonté d'un filet de mailles grossières enveloppant le tout. Répartis à travers l'espace, des graffiti directionnels, telles des flèches indiquant "Tournez à gauche" et "Par ici" (toutes deux pointant en direction d'un coin) offraient un commentaire humoristique sur la métaphore de l'inforoute. Coexistant et agissant réciproquement avec Ornintorrinco dans le même espace, deux dindes, oiseaux réputés pour ne pas être des plus intelligents, s'occupaient simultanément de leurs affaires, représentant la sottise des technophobes et l'apathie des technophiles. Les dindes résonnaient aussi, d'une manière subtile et comique, avec les mots Turquie et Pérou du titre : ces deux mots représentent des pays différents et le même oiseau, le premier en anglais (en anglais dinde et Turquie se disent turkey et Turkey) et le second en portugais : les deux langues que j'utilise le plus.

Depuis 1998 je développe l'art transgénique. Tel que je l'ai proposé ailleurs 1, l'art transgénique est un art nouveau qui utilise le génie génétique pour transférer des gènes naturels ou de synthèse à un organisme, dans le but d'engendrer des êtres vivants uniques. Ceci doit être accompli avec grande prudence, en tenant compte des problèmes complexes qui en découlent et, par-dessus tout, en s'engageant à respecter, à nourrir et à aimer la vie ainsi créée.

Genesis (1999) est une œuvre transgénique qui explore les relations complexes entre la biologie, les systèmes de croyance, les technologies de l'information, les interactions dialogiques, éthiques et l'Internet 1. L'élément clef de l'œuvre est un "gène d'artiste", un gène synthétique que j'ai inventé et qui n'existe pas dans la nature. Pour le créer, un verset du livre de la Genèse a été traduit en morse, puis le code morse a été converti en paires de base ADN selon un algorithme de conversion spécifiquement développé pour cette œuvre. Le verset (Gn 1, 28) dit : "Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre !". Cette phrase a été choisie pour ses implications au regard de la notion équivoque, approuvée par dieu, de la suprématie de l'Homme sur la nature. Le code Morse, lui, a été choisi parce qu'employé tout d'abord en radiotélégraphie, il symbolise l'avènement de l'âge de l'information, la genèse la communication universelle.

Le processus initial de cette œuvre consiste à cloner un gène synthétique en plasmides d'ADN, puis sa transformation en bactérie. Une nouvelle molécule de protéine est alors produite par le gène. L'œuvre utilise deux types de bactéries : des bactéries à qui on a injecté un plasmide contenant de l'ECFP (Enhances Cyan Fluorescent Protein), et d'autres portant un plasmide contenant de l'EYFP (Enhanced Yellow Fluorescent Protein). L'ECFP et l'EYFP sont des dérivés du GFP (Green Fluorescent Protein) possédant des propriétés spectrales différentes. L'ECFP émet une couleur fluorescente dans le bleu lorsqu'elle est soumise à une radiation ultraviolette à 302 nm. La bactérie ECFP contient le gène synthétique, alors que l'EYFP, soumis aux mêmes radiations, a une fluorescence dans le jaune. La bactérie à l'ECFP ne contient pas de gène synthétique. Le GFP, lui, a une fluorescence dans le vert.

Lorsque ces bactéries se développent, un certain nombre de mutations naturelles se produisent dans les plasmides. Des transferts conjugués s'opèrent lors de contacts avec d'autres plasmides, et des combinaisons de couleurs apparaissent qui peuvent donner naissance à des bactéries vertes. Trois scénarios sont visibles lors de la communication entre bactéries transgéniques. Dans le premier, la bactérie ECFP donne ses plasmides à la bactérie EYFP, ou réciproquement, générant une bactérie verte. Dans le second, il n'y a aucun transfert, chaque couleur, jaune et bleue, est préservée. Dans le troisième, les bactéries perdent complètement leurs plasmides, pâlissent, prennent une couleur ocre. La souche de bactéries utilisée dans Genesis est JM101. La probabilité de mutation naturelle dans cette souche est de 1 pour un million de paires de base. Au cours de la mutation, l'information initialement encodée dans l'ECFP se modifie. La mutation du gène synthétique résulte de 3 facteurs : le processus naturel de la multiplication des bactéries, l'interaction dialogique entre les bactéries, et l'activation humaine des radiations ultraviolettes. Les bactéries sélectionnées sont sauvegardées pour être utilisées en présence du public et sont placées dans la galerie à côté de la source UV, enfermées dans un caisson transparent protecteur.

Le dispositif de visualisation en galerie permet aux participants locaux ou à distance (sur le Web) de suivre l'évolution de l'œuvre. Ce dispositif est constitué d'une boîte de Petri contenant les bactéries, d'une microcaméra vidéo sur flexible, d'une lampe UV, et d'un éclairage de microscope. L'ensemble est connecté à un vidéo projecteur et deux ordinateurs en réseau. L'un est un serveur Web, diffusant en direct la vidéo et l'audio, et recueillant les requêtes d'activation UV. L'autre génère de la musique synthétique ADN. Le projecteur vidéo local projette une image agrandie de la division bactérienne et de l'interaction observée avec la microcaméro. Les participants à distance sur le Web interfèrent dans le processus en éteignant la lumière UV. La protéine fluorescente de la bactérie réagit à la lumière UV en émettant de la lumière visible, cyan ou jaune. Le choc énergétique de la lumière UV sur la bactérie rompt la séquence d'ADN dans la plasmide, augmentant le taux de mutation. De grands textes sont écrits à même les murs droit et gauche de la salle : la phrase tirée du livre de la genèse à droite, et le gène généré à gauche.

Au XIXe siècle, la comparaison par Champollion des langages de la pierre de Rosette (grec, écriture démotique, hiéroglyphes) fut la clef pour comprendre le passé. Aujourd'hui, le système triple de Genesis (langage naturel, code ADN et logique binaire) est la clef qui ouvre la compréhension du futur. Les processus biologiques sont aujourd'hui scriptibles et programmables. Genesis explore leur capacité à mémoriser et calculer des données tout comme le font les ordinateurs numériques. Pour pousser plus loin l'investigation, la phrase altérée de la Bible est décodée en fin d'exposition et retranscrite en anglais, offrant un aperçu du processus de communication transgénique intrabactérien. La frontière entre la vie fondée sur le carbone (biologique) et les données numériques devient aussi fragile qu'une membrane cellulaire.

La musique synthétique ADN originale de Genesis est composée par Peter Gena. Elle est générée en direct dans la galerie et diffusée en flux sur le Web. Les paramètres de cette composition multi-canaux sont calculés à partir de la multiplication des bactéries et des algorithmes de mutation.

Le fil directeur de mes 20 ans de travail artistique est d'apporter une réflexion sur la communication. Les œuvres conventionnelles offrent un message unidirectionnel au spectateur et le laissent hors du dialogue. Avec l'art transgénique, il y a une interaction "dialogique". Comme elle implique d'autres êtres vivants, l'œuvre est imprévisible et ne peut être contrôlée.

L'art transgénique est une façon de s'exprimer non par la création d'objets mais par l'intervention à travers le sujet.

Notes

1 - Eduardo Kac. "Transgenic Art", Leonardo Electronic Almanac (ISSN 1071-4391), Volume 6, Number 11, 1998.



© Eduardo Kac & Leonardo/Olats, décembre 2002