Isabelle RIEUSSET-LEMARIE
Ce que
promettent les discours promotionnels sur Internet, c'est d'avoir tout "à
portée de main".
Vous
n'auriez qu'à cliquer pour que les "informations", les "bases de
données en ligne", la "technologie", les
"utilitaires", un "outil", le "Japon", la
"planète interactive", "la liberté" et même votre
"style" soient "à portée de main[1]"!...
Sur le réseau, tout serait rendu disponible à
la simple commande de la souris. Quel qu'il soit, l'objet "à portée
de main interactive" serait ce qui
répond "à la commande" et qui induit, en retour, une illusion de
maîtrise. Il serait cet objet "mis à disposition" dans le règne du
"commanditement". Lorsqu'il s'opère sous ce mode, on peut se demander
si le paradigme de l'interactivité ne ressortit pas à la logique utilitariste
dont Heidegger a développé la critique : "Tout
(l'étant dans sa totalité) prend place d'emblée dans l'horizon de l'utilité,
/.../ du commanditement /.../ pour /.../ l'homme qui vise l'étant a
priori dans l'horizon de l'utilisation/.../ La détermination ontologique du Bestand
(de l'étant comme fonds de réserve) n'est pas la Beständigkeit (la
permanence constante), mais la Bestellbarkeit, la possibilité constante
d'être commandé ou commandité, c'est à dire l'être en permanence à disposition.
Dans la Bestellbarkeit, l'étant est posé comme fondamentalement et
exclusivement disponible - disponible pour la consommation dans le calcul
global"[2]. Il
suffirait d'un clic de main sur la souris pour que telle information, telle
image, devienne disponible "à la commande". Quelle que soit la
distance géographique qui vous sépare de la bibliothèque où est conservé tel
texte ou de la base de donnée où est archivée telle image, ce document viendrait
s'inscrire, grâce au réseau, dans la proximité de votre écran, au lieu même de
votre domicile. La distance de ce qui est sur le réseau serait, potentiellement
abolie : tout ce qui s'y trouve serait "à portée de net", "à
portée de main interactive". Cette
forme de présence à distance est celle de la proximité de l'utilisable. Dans Etre
et Temps, Heidegger écrit : " A proximité veut dire : dans les parages
de ce qui est vu d'emblée utilisable par la discernation"[3].
Ce qui est vu d'emblée comme utilisable, c'est ce qui est appréhendé selon la Zuhandenheit.
Littéralement, en allemand, la Zuhandenheit c'est ce qui est
"à portée de main", ce qui rentre dans le champ d'utilisation de la
main, ce qui est disponible comme outil manipulable, préhensible[4].
Dans la visée heideggerienne, c'est l'appréhension, selon le mode de
l'utilisabilité (Zuhandenheit), de ce qui est perçu comme "à portée
de main" (fût-ce d'une façon plus générale qui ne recouvre pas que les
utilisables préhensibles) qui détermine la proximité, et non pas la mesure de
la distance objective qui nous en sépare[5].
La
question que nous allons tenter d'éclairer, dans le prolongement de la
présentation de cette session du colloque[6],
consiste à examiner l'incidence de la médiation du réseau sur le statut de ces
objets qui seraient, non plus seulement "à portée de main", mais
"à portée de main interactive". Quelle serait, de ce fait, la
nouvelle incidence d'Internet sur le sujet, dès lors que " à proximité
veut dire : dans les parages de ce qui est vu d'emblée utilisable" par
la médiation du réseau, et non plus, par la discernation ? Pour
Heidegger, "La discernation c'est "le regard" mis en jeu par la
préoccupation"[7]. C'est en
tant qu'il est "immergé"[8]
dans la préoccupation que le Dasein appréhende les objets sous le mode
de l'utilisabilité, dans une visée qui crée un mode de proximité de ces objets
irréductible aux contraintes objectives des distances géographiques : "Les
distances objectives entre choses là-devant ne se recoupent pas avec l'être
éloigné et la proximité de l'utilisable au sein du monde. /.../Ce que veut dire
le "tout proche" n'est pas et ne saurait être ce qui est à la plus
petite distance "de nous". Le"tout proche" a son siège dans
ce qui est dé-loigné"[9]. L'utilisabilité
abolit le lointain géographique, rapproche les choses au mépris des
distances, les dé-loigne selon
l'expression de Etre et Temps[10]
: "Le
dé-loignement est d'abord et le plus souvent affaire de discernation :
rapprochement, amener à proximité, comme par exemple se procurer, tenir prêt,
avoir sous la main. /.../Le Dasein a par essence une tendance à la
proximité. Toutes les manières d'accroître la vitesse auxquelles nous prenons
part aujourd'hui de gré ou de force poussent à surmonter l'être-éloigné. Avec
la "T.S.F.", par exemple, le Dasein est en train d'opérer un
dé-loignement du "monde" dont on ne peut encore embrasser du regard
le sens qu'il aura pour le Dasein mais qui prend le chemin d'un
élargissement désintégrateur du monde ambiant quotidien"[11]. Plus
encore que la "T.S.F.", les réseaux interactifs nous confronteraient
à un dé-loignement du "monde". Pour autant, peut-on dire que ce
serait le Dasein qui opère ce dé-loignement avec les réseaux. Pour avoir
délégué le dé-loignement à des technologies, le Dasein ne se
retrouverait-il pas dans une posture où il n'a plus à mettre en jeu sa
discernation, en tant qu'elle implique un aiguillage : "Le
Dasein en tant qu'être-au qui dé-loigne a en même temps le caractère de
l'aiguillage. /.../La préoccupation de pair avec la discernation est un
dé-loignement qui aiguille. Dans cette préoccupation, /.../il y a un besoin
primordial de "signes"; cet util est chargé d'indiquer expressément
et avec le maximum de commodités les directions. /../il indique chaque fois
vers où se diriger en vue de l'être à sa place, en vue d'y aller, en vue de l'y
apporter, en vue de l'y aller chercher"[12]. Si les
objets sont perçus comme d'emblée utilisables sur le réseau, le risque serait
celui de faire l'économie de la démarche qu'implique la préoccupation, en tant
qu'elle suppose un trajet : "l'être éloigné appartient à un étant
vers lequel on se rend animé par la préoccupation et guidé par la
discernation"[13].
Ce
trajet est un préalable au dé-loignement qui rapproche l'objet en tant qu'il
est appréhendé sous le mode de l'utilisabilité, du "à portée de
main". Mais si l'objet est d'emblée perçu comme "à portée de
main", l'opération de dé-loignement devient superflue. Si tel
était le rôle des réseaux, si vraiment Internet nous offrait des utilisables
immédiatement "à portée de main" comme le prétendent ses
"annonceurs", non seulement il réduirait notre horizon à celui de
l'utilisabilité (de la Zuhandenheit), mais en outre il nous priverait de
la démarche même du dé-loignement qui, même si elle tend à la proximité, ne le
peut que sur la base préalable d'un trajet auprès de l'être éloigné. Ce
mythe des réseaux de télécommunication nous confrontant à une proximité
immédiate abolissant les distances a été entretenu non seulement par leurs
promoteurs mais par leurs détracteurs[14]
qui ont parfois repris à leur encontre les arguments avancés par Heidegger
contre les écueils de la télévision. Or ces arguments apparaissent déjà
problématiques à l'égard de la télévision. Si les
téléspectateurs d'un match de football diffusé en direct partagent le même
temps, ils ne partagent pas le même espace. Cependant, on peut considérer que
ce type d'émission donne l'illusion d'abolir l'éloignement. Dès lors on
pourrait dire que la télévision rapproche le lointain, par un effacement de la
perception même de l'éloignement qui confine au "sans distance".
Telle est la thèse de Heidegger : "ce
qui supprime de la façon la plus radicale toute possibilité d'éloignement,
c'est la télévision /.../ Seulement cette suppression hâtive de toutes les
distances n'apporte aucune proximité : car la proximité ne consiste pas dans le
peu de distance. /.../Aujourd'hui toute chose présente est également proche et
également lointaine. Le sans distance règne. Toutes les réduction ou
suppressions d'éloignement n'apportent aucune proximité"[15]. Toutefois,
on pourrait considérer également que la
télévision rapproche l'espace lointain (par la médiation de l'écran), sans
abolir la perception de cet éloignement (ce qui serait vecteur de frustration
pour le spectateur de football qui rêve d'être "sur les gradins",
mais qui maintiendrait la distance indifférente du spectateur du "journal
télévisé", contemplant les images de ces guerres lointaines qui
n'affectent pas l'espace de son "cocooning"). De ce point de vue, on pourrait se demander
si la télévision ne pourrait pas ressortir à la définition heideggerienne de la
proximité, qui rapproche le lointain, en tant que lointain[16].
Les spectateurs contemporains du cinéma et de la télévision qui sont acculturés
à ces médias n'ont plus la même réaction que les premiers spectateurs qui
avaient peur que la locomotive du film des Frères Lumière n'envahisse leur
espace, tant ils étaient capturés dans l'illusion de sa proximité et de sa
présence. Il demeure, cependant, que les chaînes contemporaines jouent encore de cette capacité de la
télévision à "pénétrer dans le domicile" en donnant l'illusion de
partager le même espace-temps que le présentateur du "Journal
Télévisé" ou les faits et gestes des participants de la
"téléréalité". Dans ce type de mises en œuvre de la télévision, on
joue, en effet, d'un effacement de l'éloignement qui peut confiner au
"sans distance". Mais un téléfilm de fiction peut nous confronter à
la proximité de ce qui rapproche le lointain, en tant que lointain : le code de
la mimèsis y préserve la distance. L'écueil fondamental de l'analyse de
Heidegger, c'est de prétendre juger la télévision comme un objet homogène, qui
ne serait susceptible, à ce titre, d'engendrer qu'un seul type d'effet. Or les
potentialités plurielles de la mise en œuvre de ce média sont ambivalentes et
non univoques. Dès lors, on peut tenter d'opposer les chemins de l'œuvre de Heidegger aux partis pris par Heidegger, en
tant que sa lucidité (tant sur l'émergence des techniques que des mouvements
politiques dont il a été
contemporain), s'est avérée, pour le moins, soumise à des "taches
aveugles", à la différence des
pistes d'analyse ouvertes par sa philosophie qui, loin de conduire
automatiquement aux mêmes positions que
les siennes, peuvent éclairer l'ambivalence de ces techniques au lieu de les
dénoncer d'une façon globale, sans tenir compte des critères de leurs mises en
œuvre. Ce
critère, dont nous explorons la pertinence, est celui de la proximité qui
maintient le lointain comme espacement de l'ouvert, en tant qu'elle est
irréductible à la proximité de l'utilisabilité. Dans quelle mesure est-il
possible que des œuvres télévisuelles actualisent un mode de proximité
préservant l'espacement d'un lointain? Et, si tel était le cas, doit-on
considérer que ces œuvres seraient une actualisation d'une des potentialités du
média télévisuel ou, au contraire, qu'elles "détourneraient" son
incidence spécifique comme technique déniant l'éloignement. C'est toute
l'ambivalence de la performance qu'a réalisée Fred Forest dans le cadre de la
manifestation "Art-Media[17]",
en mai 1995, avec la chaîne de télévision "Télécolore" couvrant la
région de Salerne[18].
Le spectateur de cette émission était
convié à attendre que Fred Forest ait parcouru en moto la distance le séparant,
de l'endroit d'où il avait lancé un appel téléphonique, au plateau de
télévision où il allait décrocher le combiné pour "répondre" à cet
appel. Dans ce dispositif, outre "l'inutilisabilité" de ce téléphone
"sans personne à l'autre bout du fil", l'effet d'effacement de
l'éloignement qui nourrit l'illusion de l'immédiateté, tant de la télévision
que des réseaux de télécommunications, était déconstruite par le temps
d'attente du parcours, actualisé comme distance irréductible. Dans cette
"performance télévisuelle", l'artiste a-t-il mis en œuvre une
potentialité non explorée de ce média ou l'a-t-il "détourné" ? Ce
type d'émission aurait-elle été seulement concevable dans une chaîne
commerciale "grand public" ? Pour
avoir un effet propre, une œuvre télévisuelle ne peut s'abstraire totalement de
l'incidence du média comme tel. Or, l'incidence du système télévisuel implique
des modes de consommation standardisés et des conduites de "zapping"
où toute émission peut être soumis au statut d'objet équivalent, dans le règne
de l'"ersatz"[19]
associé, par Heidegger, au règne du "commanditement". Cependant,
le mode de réception de la télévision ne semble pas exacerber les modes de
proximité de l'utilisabilité au même titre que les réseaux d'information
interactifs. Il y a dans la télévision quelque chose qui résiste à l'utile
(d'où la méfiance de certaines catégories sociales à son égard qui lui
préfèrent ce média d'information que serait Internet, malgré ses
désinformations). Mais la télévision n'échapperait à l'utile qu'en tant que
"média de divertissement". De la capacité des œuvres à transformer ce
divertissement en une "esthétique de la distraction", au sens où l'a
définie W. Benjamin[20],
dépendrait leur potentialité à nous
désaliéner des contraintes imposées au sensorium humain par une société qui
menace la dimension humaine du temps comme expérience[21].
Faute de quoi, le divertissement, pour sembler nous libérer des modes de la
préoccupation, nous immergerait dans la clôture d'une "préoccupation sans
emploi" qui agirait comme "quelque chose de collant et même de
saoulant"[22] et
confinerait à "quelque chose comme une fuite du Dasein devant
lui-même"[23]. C'est précisément à ce risque d'absorption
par l'image que répond, chez W. Benjamin, la fonction de "l'esthétique de
la distraction", en tant qu'elle induit une distanciation[24].
Faute de cet éloignement, la télévision nous plonge dans "l'immersion du
on"[25]. C'est à ce
titre qu'elle ne pourrait pas ressortir au type de proximité de la chose, en
tant qu'elle rassemble[26].
La télévision génèrerait une illusion de rassemblement. C'est en cela que
résiderait sa fausse proximité. Elle serait agglutinante au lieu d'offrir
l'espacement qui permet de rassembler une communauté. C'est cet effet
d'agglutination qui créerait du "sans distance". Cependant, si cet
effet "gluant" est l'écueil de ce "média de
divertissement", son atout principal, est, à ce titre, d'échapper à
l'exacerbation de l'utilisabilité qui culmine dans les effets d'annonce dont
ses promoteurs prétendent auréoler Internet, en prétendant que tout y est
"à portée de main", comme un utilisable disponible "à la
commande". Toutefois,
cette visée d'une utilisabilité immédiate ne saurait s'appliquer à Internet,
dès lors qu'on prend en compte non pas sa mythologie, mais la réalité de ses
usages. La
réalité d'Internet n'est pas celle de la proximité immédiate de l'utilisable,
du "tout à portée de main". Internet n'est pas réductible au mythe de
la Samaritaine : on n'y trouve pas tout. Mais que l'on n'y trouve pas ce que
l'on cherche ou que l'on y trouve ce qu'on n'y cherchait pas au cours de sa
navigation plus ou moins orientée, plus ou moins hasardeuse, cette démarche
s'opère non pas dans l'illusion de la proximité immédiate mais dans
l'expérience d'un parcours. Sur
Internet, il y a des choses, non pas "à portée de main", mais à
portée de chem(a)in. Ce que j'écris "ChemAin", pour mettre à jour le
fait que, sur Internet, c'est bien la main qui chemine, de clic en clic, dans
ses parcours hypermédias. Mais ces chemins ne sont pas tous ceux de l'utilisabilité.
Ils n'opèrent pas tous ce déloignement de l'objet qui permet de lui conférer la
proximité de l'utilisable. Sur
Internet, il y a des "chemins qui ne mènent nulle part", en ce sens
qu'ils vous conduisent au delà de l'horizon de l'utilisabilité qui réglait votre
appréhension de l'espace et qui vous conduisent à l'expérience de la
désorientation, face à un monde qui n'a plus le caractère de la familiarité[27].
Sur Internet, quelle qu'en soit la légende, il n'est pas rare de ne pas trouver
ce que l'on cherche. L'outil manque "à la place" où la visée de la
préoccupation l'avait convoqué[28].
L'outil fait défaut comme tel et nous confronte à l'expérience du défaut
d'utilisabilité : "l'utilisable
devient importun au point qu'il semble perdre son caractère d'utilisabilité. Il
se révèle comme un étant qui n'est plus que là-devant. /.../ Dans le commerce
avec le monde en préoccupation peut se rencontrer du non utilisable, non
seulement au sens de /../ce qui fait purement et simplement défaut, mais encore
un non utilisable qui ne fait justement pas défaut /.../mais qui, pour la
préoccupation, se met "en travers de la route" [29]".
L'objet
"importun" qui se met en travers de la route de l'internaute tout
préoccupé qu'il est par l'utilisabilité, ce peut être, précisément, l'œuvre
d'art ; mais ce peut-être, simplement, l'incidence esthétique du design des
interfaces, que des experts ne cessent de dénoncer comme portant atteinte à
l'utilisabilité des sites webs[30].
Ce peut être, également, la surprise, suite à la colère de ne pas trouver ce
que l'on cherche, de trouver ce que l'on ne cherchait pas et d'être appelé à
s'ouvrir à sa rencontre [31]: "Les
modes de la surprenance, de l'importunance, de la récalcitrance ont pour
fonction d'amener le caractère de l'être là devant à émerger à même
l'utilisable. Mais en pareil cas l'utilisable n'est pas encore contemplé et
dévisagé uniquement comme étant là devant ; tout en s'annonçant, l'être là est
encore lié à l'utilisabilité de l'util. Celui-ci ne se confond pas encore avec
les simples choses"[32].
Ce
trajet vers la confrontation de la chose comme chose, c'est aussi celui du
chemin vers l'œuvre d'art. Mais le mode de la surprenance ou de l'importunance
ne suffit pas à le tracer, tout juste à ébaucher son frayage, à ouvrir une
faille : "le manque d'un utilisable/... ouvre une faille dans les réseaux
de renvois dévoilés par la discernation"[33].
Si
cette expérience n'est pas encore celle de la véritable proximité, celle qui,
contrairement à la proximité utilitariste, maintient l'expérience du lointain
comme tel, elle nous confronte à la déclosion qui rend possible la rencontre du
monde : "Ce dont la lueur filtre /.../c'est ce qui est chaque fois déjà
découvert"[34]. Or, pour
Heidegger, découvrir et ouverture vont de pair "et signifient
déclore"[35]. Pour que
la perception de l'étant là devant s'opère, il faut sortir de l'horizon de la
préoccupation et de l'utilisabilité : alors s'ouvre la possibilité d'un séjour
auprès des choses : "En un séjour de cette sorte - en tant qu'il
s'abstient de toute maniement et de toute utilisation que ce soit- s'opère la
perception de l'étant là-devant"[36].
Dans
quelle mesure l'œuvre d'art peut-elle nous conduire au delà de l'horizon de
l'utilisabilité ? Dans quelle mesure, ce qui est en jeu, dans cet irréductible
à l'utilisabilité, c'est une autre relation à la proximité et au lointain,
fondée sur la possibilité de frayer un espace ouvert qui soit aussi un espace
de rassemblement où l'on puisse séjourner ? Pour
que l'œuvre d'art puisse faire advenir ce type de proximité et d'ouverture, il
faut dépasser l'approche qui tend à la réduire à n'être qu'un produit :
"on a que trop tendance à comprendre choses et œuvres /.../à l'aide de
l'être-produit (complexe forme matière)"[37]. Dans
son texte "L'origine de l'œuvre d'art", Heidegger considère que le
couple dualiste forme/matière appréhendé dans les formes traditionnelles de
l'esthétique s'inscrit, fondamentalement, dans la visée de l'utilité, en tant
qu'elle tend à réduire tout étant au statut de produit : "L'utilité
est l'éclair fondamental à partir duquel ces étants se présentent d'un trait à
nous/..../. Sur une telle utilité se fondent à la fois la forme et le choix de
la matière : c'est le règne du complexe forme-matière. L'étant soumis à ce
règne est toujours le produit d'une fabrication. En tant que produit, le
produit est fabriqué pour quelque chose. Matière et forme, en tant que
déterminations de l'étant, demeurent à l'intérieur de l'essence du produit. Ce
nom nomme ainsi ce qui est fabriqué expressément pour être utilisé et usé"[38]. Or, cet
écueil d'un certain type d'approche esthétique serait fondé, en amont, sur des
croyances quant au statut de l'homme lui-même : "La
tendance à faire du complexe forme-matière la structure de tout étant trouve
encore un encouragement tout particulier dans le fait qu'on se figure d'emblée,
en vertu d'une croyance -la foi biblique- l'ensemble des étants comme quelque
chose de créé, entendons ici : de fabriqué"[39]. Les
mythologies de la cyberculture associées à Internet, loin de nous libérer de ce
type d'idéologie, n'ont cessé de la réactiver par de nouvelles croyances. Du
"cyborg" à la célébration des synergies entre clones transgéniques et
transfert des sujets de leur corps biologique, réputé obsolète, à un corps
purement artificiel[40],
la cyberculture n'a cessé de réactiver ce mythe d'un corps humain réduit à un
pur artefact, issu d'une fabrication. Or
c'est ce type d'idéologies qui nous "barrent le chemin", selon
l'expression heidegerienne, non
seulement vers l'appréhension de l'être mais "vers le caractère de la
chose comme chose aussi bien que vers le caractère du produit comme produit,
sans parler du chemin qui nous conduirait vers le caractère de l'œuvre comme
œuvre"[41]. D'où il
s'ensuit que le chemin vers l'œuvre d'art passe par "le chemin qui conduit
à ce qu'il y a de proprement produit dans le produit"[42].
Et Heidegger d'enchaîner, pour ce faire, sur l'analyse d'"un produit connu
: une paire de souliers de paysans"[43],
dont il va commenter l'enjeu dans ce tableau non moins connu de Van Gogh. Ce que
perçoit Heidegger dans ce tableau c'est que "dans le devenir manifeste de
l'être produit des souliers, l'étant dans sa totalité, monde et terre en leur
jeu réciproque, parviennent à l'éclosion"[44].
"Etre œuvre signifie donc : installer un monde", mais, à ce titre, ce
monde qu'elle installe n'est pas celui de l'utilisabilité. Ce dont il s'agit,
c'est de l'ouverture d'un espace qui peut fonctionner comme monde parce qu'il
est un espace de séjour. Avoir un monde, c'est séjourner "dans l'ouvert de
l'étant"[45]. Dès
lors, c'est ce séjourner dans un monde, dont l'œuvre d'art a permis l'éclosion,
qui règle les relations de proximité et d'éloignement, dans une appréhension
qui n'est plus celle de l'utilisabilité : "L'ouverture
d'un monde donne aux choses leur mouvement et leur repos, leur éloignement et
leur proximité/.../.En étant œuvre, l'œuvre établit l'espace de cette ampleur.
Etablir l'espace signifie ici : libérer la plénitude de l'ouvert en son
espace/.../L'œuvre en tant qu'œuvre érige un monde. L'œuvre maintient ouvert
l'ouvert du monde. /.../L'œuvre porte et maintient la terre elle-même dans
l'ouvert d'un monde. L'œuvre libère la terre pour quelle soit une terre.
/.../Mettre en place un monde et faire venir la terre sont deux traits
essentiels dans l'être-œuvre de l'œuvre"[46]. Si la
notion de monde semble compatible avec l'univers des réseaux, celles de terre et
même de territoire semblent inadéquates avec l'idéologie des réseaux associée à
l'immatérialité et à la circulation à haute vitesse qui ne laisseraient plus
même la possibilité de séjourner. A
priori, il ne serait donc pas possible de trouver un artiste assez radical pour
être allé à ce point à l'encontre des modes de la cyberculture, pour nous
proposer des œuvres dont l'être œuvre ressortisse à cette relation avec la
terre et le territoire, dans la visée d'y faire émerger l'ouverture d'un
séjour. Et pourtant, un tel artiste existe : Fred Forest. Non seulement F.
Forest a mis en œuvre son "territoire du mètre carré"[47],
mais il a tenté la gageure de rejouer la démarche de ce territoire sur Internet[48].
Non seulement son "territoire du mètre carré" est tout maculé de
terre qui colle aux chaussures, mais il a récidivé en s'associant, dans l'une
de ses performances, à une exposition de chaussures dans un supermarché,
ponctuée par les images des pieds chaussés déambulant des visiteurs, diffusées
en temps réel sur Internet[49].
Non seulement Fred Forest a osé une œuvre territoire sur Internet, mais il a
osé des pieds qui y laissent des empreintes[50].
"Mutatis
mutandis", certains éléments de la lecture des souliers de Van Gogh
peuvent se réactualiser face aux chaussures, pieds, empreintes qui nous relient
aux différents territoires mis en œuvres par Fred Forest. Ce qui est en jeu,
c'est l'établissement d'un monde qui n'existe comme tel que par l'être œuvre de
l'œuvre. Le véritable territoire, c'est l'œuvre elle-même. C'est l'œuvre d'art,
précisément, en tant qu'elle transforme notre relation au territoire, qu'elle
ne se réduit pas aux démarches politiques ou technologiques de conquête de
l'espace. Louise
Poissant a perçu cet enjeu : "il ne s'agit plus comme par le passé de
conquérir des espaces et des pouvoirs sur l'environnement, mais
/..../d'apprendre à habiter la planète"[51].
Mais pour réapprendre à habiter, il faut réapprendre à séjourner : telle est l'expérience
que rend possible l'œuvre d'art. Selon
la formulation heideggerienne, l'œuvre d'art plastique est à appréhender
"non /comme/ une main mise sur l'espace" mais comme "une
incorporation des lieux qui, ouvrant une contrée/.../, tiennent rassemblées
autour d'eux du libre qui accorde à toutes choses séjour et aux hommes
habitation au milieu des choses"[52]. Concevoir
l'œuvre comme territoire où séjourner et le territoire comme œuvre, c'est ce
que n'a cessé de faire Fred Forest dans sa démarche, du "mètre carré
artistique" au "territoire du mètre carré" et au
"territoire des réseaux"[53].
S'il ne s'agit pas toujours d'un séjour physique, il s'agit toujours de la
démarche spécifique de l'art qui appréhende l'espace comme un espacement qui
réintroduit du libre qui rassemble. Or, ce n'est
pas un hasard si cette relation à l'œuvre comme espace ouvert où séjourner a
puisé ses sources dans une performance, la vente aux enchères du mètre carré
artistique[54] qui a
déconstruit la réduction de l'œuvre d'art à un produit, dans le règne de
l'utilisabilité et de la marchandisation. Le passage au territoire des réseaux
ne prend son sens que sur le fond de ce double geste qui a tourné le dos à
l'œuvre comme produit, puis a constitué l'œuvre en territoire où séjourner,
avant que de rejouer ce geste dans l'ouverture d'un espace-œuvre où prendre
pied sur le réseaux. Au delà
de la démarche de cet artiste, ce dont il nous faut explorer le cheminement, ce
sont les pratiques artistiques qui tenteraient de nous confronter aux réseaux,
non plus dans la proximité de l'utilisabilité, mais dans la proximité de
l'ouvert, en tant qu'elle permet un séjourner. Ce
cheminement, c'est aussi celui de Heidegger, de la proximité utilitariste de ce
qui est "à portée de main", à la proximité de la chose : "Qu'est-ce
que la proximité? Nous cherchions
l'être de la proximité et nous avons trouvé l'être de /la cruche comme/ chose.
/.../ La chose rassemble./.../Rapprocher est l'être de la proximité. La
proximité rapproche ce qui est loin, à savoir en tant que lointain"[55]. Or
qu'est-ce qui va permettre de rassembler en un lieu de séjour sous le mode de
cette proximité ouverte, qui maintient l'espacement, et donc la distance, c'est
le mouvement même de la déclosion d'un espace dans l'œuvre d'art : "Là
parle l'ouverture d'un espace, l'espacement. cela veut dire :
/.../débroussailler. Espacer, cela apporte le libre, l'ouvert, /.../pour un
établissement et une demeure de l'homme"[56]. Débroussailler,
pour faire place à l'espacement d'une clairière ou d'un chemin. Ce dont il
s'agit dans cette démarche de l'œuvre d'art , c'est du frayage de l'ouvert. Ce
frayage de l'ouvert, c'est ce que nous rencontrons dans la perspective
interactive de certaines œuvres d'art. Dans l'œuvre Cyber-Light Blue[57],
de Sophie Lavaud, l'internaute se fraie un chemin dans le tableau : il entre dans
son point de fuite et poursuit sa route. Plus il entre dans la proximité de
l'œuvre, plus il est confronté à ce lointain dont elle ouvre la dimension en
son sein. L'œuvre ne vient pas s'offrir à portée de main. On est très loin de
la proximité utilitariste. L'œuvre vous accueille en son espacement, en son
ouverture même. Mais, pour ce faire, elle nous amène à faire un chemin. L'incidence n'est pas la même que le tableau
de Van Gogh dont Heidegger nous dit : "La proximité de l'œuvre nous a
soudain transporté ailleurs que là où nous avons coutume d'être"[58].
Dans la perspective interactive, il ne s'agit plus de se faire transporter par
l'œuvre. L'interacteur doit lui même accomplir le chemin. Il doit lui même
accomplir le frayage de l'œuvre. Mais ce qui demeure, c'est que la perception
de la proximité n'est pas une confrontation à une présence immobile, inerte. Est
proche ce qui vous met en chemin et non pas ce qui est seulement "à portée
de main". L'expérience de la proximité sur les réseaux, c'est l'expérience
du frayage des chemins, lorsqu'elle vous confronte à l'instauration d'une
ouverture. Notes
[1] A l'association des mots clés
"Internet" et "à portée de main", Yahoo! France donnait, en
décembre 2002, plus de 5 000 réponses
parmi lesquelles on trouve les liens suivants : - Jardins de l'Internet-à
portée de main (publicité d'un cybercafé parisien) ; Informations à portée de
main : Bases de données en ligne ; Aujourd'hui, la technologie à portée de main
; La planète interactive à portée de main ; Les utilitaires à portée de main
; La liberté à portée de main ; nipponshop.ch Le Japon à portée de main ! ; La gestion de chantier avec BtpGest - ... Un
outil à portée de main ...; Nokia 3510i - ... Ton style à portée de main.... [2] Cf. M. Heidegger, "Les
séminaires", in Question III et IV, Gallimard, coll.
"tel", 1976, pp. 456. [3] cf. Heidegger, Etre et Temps,
Gallimard, 1986, p. 148. [4] Ibid., Notes, p. 548 :
"Il faut partir de l'allemand Zuhandenheit pour voir la symétrie
qu'instaure la terminologie de Heidegger entre Zuhandenheit,
utilisabilité, et Vorhandenheit, être-là-devant, les deux substantifs
abstraits ayant pour radical commun le mot Hand, la main. Mais c'est
cependant sur les expressions courantes vorhanden, présent (idée de
proximité physique), et zuhanden, sous la main (à portée de main, en
main propre, mais aussi : à l'attention de...), qu'ils sont formés et surtout
réunis par Heidegger en un couple caractéristique." [5] Ibid., p. 548 : "A
la page 102, Heidegger commentera ainsi l'expression : la proximité qu'a l'util
dans le commerce quotidien "est déjà indiquée dans le terme qui exprime
son être, dans l'"utilisabilité", l'être à main [Zuhandenheit].
L'étant "à portée de main" [zur Hand] a chaque fois une
proximité différente qui ne se repère pas par des mesures de
distances...". /.../Langage, comme on le voit, on ne peut plus concret
mais où la référence insistante à la main doit toujours se comprendre au sens
où il est dit p. 69, que l'util, dont l'être est l'utilisabilité, est
"maniable au sens le plus large" (handlich im weitesten Sinne)./.../C'est
pourquoi il ne faudrait pas se fixer exclusivement sur le marteau de la page 69
et sa spécifique "manualité" (Handlichkeit). Heidegger donne
et donnera bien d'autres exemples d'utilisables qui ne se prennent pas directement
en main : il parle p. 71 des routes, des ponts, des horloges /.../on saisit
clairement combien "large" est le sens dans lequel doit s'entendre,
sans la minimiser pour autant, cette référence à la main." [6] Il revient à Mario Costa dans la
présentation des enjeux de cette session du colloque "présence à
distance", d'avoir eu l'intuition qu'une des pistes intéressantes, pour
interroger les relations de proximité et de distance dans les réseaux,
consistait à réexaminer la notion heideggerienne de Zuhandenheit :
"De quelle façon les technologies de la communication à distance nous
contraignent-elles à reformuler la catégorie heideggerienne fondamentale du
Zuhandenheit (l'essence des choses qui est celle d'être utilisée par nous)
?". [7] cf. Heidegger, Etre et Temps,
Notes, op. cit., p. 549. [8] Ibid., p. 544 : "Il
y a dans préoccupation (Besorgen) "en tant que terme ontologique
(existential)"" l'idée d'"être à son affaire" ou
"d'être dans le bain" ("il est plongé dans sa lecture"
/.../ Il y a dans la préoccupation quelque chose de collant et même de saoulant
que dégagera l'analyse du dévalement : "L'immersion dans le on et après le
"monde" en préoccupation trahit quelque chose comme une fuite du Dasein
devant lui-même" (p. 184)." [9] cf. Heidegger, Etre et Temps,
op. cit., pp. 146-147. [10] Ibid., p. 145 :
"Déloigner veut dire abolir le lointain, c'est à dire l'être éloigné de
quelque chose, rapprocher. Le Dasein est dé-loignant, il ménage, en tant que
l'étant qu'il est, chaque fois la rencontre de l'étant dans la proximité". [11] Ibid., p. 145. [12] Ibid., p. 149. [13] Ibid., p. 146. [14] cf. Paul Virilio, L'espace
critique, Christian Bourgois Editeur, 1984, p. 19 : "Dans l'interface
de l'écran, tout est déjà là, donné à voir dans l'immédiateté d'une
transmission instantanée./.../Grâce aux satellites, la fenêtre cathodique /.../
apporte la présence des antipodes. Si l'espace c'est ce qui empêche que tout
soit à la même place, ce brusque confinement ramène tout, absolument tout, à
cette "place", à cet emplacement sans emplacement..., /.../ L'instantanéité de l'ubiquité aboutit
à l'atopie d'une unique interface. Après les distances d'espace et de temps, la
distance vitesse abolit la notion de dimension physique". Dans son ouvrage
L'inertie polaire (Christian Bourgois Editeur, 1990), P. Virilio
prolonge cette analyse critique en l'appliquant aux "techniques de
l'interactivité en temps réel" qui menacerait de disparition la distance
(cf. p. 120). Pour une mise en question de la pertinence de ces analyses de P.
Virilio, appliquées à l'"ubiquité" et "l'atopie" supposée
d'Internet, au regard de ses usages réels qui ressortissent à une pratique du
parcours, irréductible à l'immédiateté et, a fortiori, à l'atopie, cf. mon
étude "Des palais de mémoire aux paysages virtuels ; le rôle du parcours
dans les paysages urbains imaginaires", in Les enjeux du paysage,
Ouvrage collectif ss la dir. de M. Collot, Editions Ousia, Diffusion Vrin,
1997. [15] cf. Heidegger, "La
chose", in Essais et conférences, Gallimard, coll. "tel",
1958, pp. 194, 211. [16] cf. Heidegger, "La
chose", op. cit., p. 211 : "Qu'est-ce que la proximité? /.../
Nous cherchions l'être de la proximité et nous avons trouvé l'être de la cruche
comme chose. Mais dans cette découverte, nous percevons en même temps l'être de
la proximité. La chose rassemble./.../Rapprocher est l'être de la proximité. La
proximité rapproche ce qui est loin, à savoir en tant que lointain. La
proximité conserve l'éloignement." [17] Le commissaire de cette manifestation
était Mario Costa. [18] Pour une analyse plus détaillée
de cette performance, cf. Fred Forest , 100 Actions / Art sociologique, Esthétique
de la Communication, Z'Editions, 1995, p. 148. [19] Cf. M. Heidegger, "Les
séminaires", in Question III et IV, Gallimard, coll.
"tel", 1976, pp. 456. [20] cf. W. Benjamin, "L'œuvre
d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée", in Ecrits français,
Gallimard, pp. 167-168 : "Duhamel voit dans le film "un
divertissement d'ilotes, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables,
ahuris par leur besogne et leurs soucis... /.../ On le voit, c'est au fond
toujours la vieille plainte que les masses ne cherchent qu'à se distraire,
alors que l'art exige le recueillement. C'est là un lieu commun. Reste à savoir
s'il est apte à résoudre le problème. Celui qui se recueille devant l'œuvre
d'art s'y plonge : il y pénètre comme ce peintre chinois qui disparut dans le
pavillon peint sur le fond de ce paysage. Par contre, la masse, de par sa
distraction même, recueille l'œuvre d'art dans son sein, elle lui transmet son
rythme de vie, elle l'embrasse de ses flots. /.../ Au moyen de la distraction
qu'il est à même de nous offrir, l'art établit à notre insu jusqu'à quel point
de nouvelles tâches de la perception sont devenues solubles.". Pour une analyse
plus approfondie de "l'esthétique de la distraction" benjaminienne et
de l'intérêt, mais aussi des malentendus qu'a entraînés la traduction du terme
de "Zerstreuung" par distraction plutôt que par
"dissémination", cf. I. Rieusset-Lemarié, "L'homme transformé en
automate (W. Benjamin face à la reproduction mécanisée)", in La Société
des clones à l'ère de la reproduction multimédia, Actes Sud, 1999. [21] Pour l'analyse de la visée de W.
Benjamin, qui critique la société mécanisée, en tant qu'elle prive l'être
humain de la dimension du temps comme le parcours d'une expérience (cf. Erfahrung,
construit sur le radical fahr utilisé encore en vieil allemand dans son
sens littéral de "parcourir") et qui entrevoit dans
"l'esthétique de la dissémination (Zerstreuung)" mise en œuvre
par certains films une possibilité de renouer avec cette dimension du temps cf.
I. Rieusset-Lemarié, "L'homme transformé en automate (W. Benjamin face à
la reproduction mécanisée)", in La Société des clones à l'ère de la
reproduction multimédia, op. cit.. [22] cf. note 8 [23] cf. Heidegger, Etre et Temps,
op. cit., p. 233. [24] Pour l'analyse du rôle de la
perception tactile comme distanciation par rapport au risque d'absorption dans
l'image, cf. I. Rieusset-Lemarié, "Le respect de l'autonomie des
images-temps interactives", communication le 9 mai 2001 dans le cadre du
séminaire "Action sur l'image : pour l'élaboration d'un vocabulaire
critique" (texte en ligne sur le site de ce séminaire : http://hypermedia.univ-paris8.fr/seminaires/semaction/semact00-01/image_temps.htm). [25] cf. Heidegger, Etre et Temps,
op. cit., p. 233. [26] cf. note 16 [27] Ibid., p. 150 : "je
m'oriente nécessairement dans et d'après un être chaque fois déjà dans un monde
qui m'est "bien connu"". [28] Ibid., p. 110 :
"Mais le commerce qu'instaure la préoccupation ne se heurte pas seulement
à ce qui ne marche plus là-même où il y avait chaque fois déjà un
utilisable, il lui arrive aussi de trouver que quelque chose manque, non pas
que quelque chose n'est pas "maniable" mais qu'il n'y a "pas
moyen de mettre la main dessus"". [29] Ibid., p. 110. [30] Cf. "Web design :
l'ingéniérie passe avant l'art", Veblog : "Résumé : l'idée
communément répandue selon laquelle sur le web, les sites privilégiant la
beauté plastique sont supérieurs aux autres est un grave contresens propagé par
nombre de web-designers. Beaucoup plus que l'esthétique, ce sont les questions
d'ingéniérie du design qui sont essentielles pour créer des
expériences-utilisateur de qualité, et donc des sites profitables."
http://www.veblog.com/fr/2000/0930-rolewebdesign.html. [31] Pour l'analyse de la
"sérendipité" (définie d'après H. Walpole comme "la capacité à
faire des découvertes précieuses par hasard") et de son incidence dans les
parcours de navigation sur Internet, cf. I. Rieusset-Lemarié, "Narrativité
et réticularité sur Internet : une école du raisonnement, de la sérendipité aux
légendes urbaines", , in Actes du séminaire "Ecrit, Image, Oral,
Nouvelles Technologies" 1999-2000, Publications de l'Université
Paris 7-Denis Diderot. [32] cf. Heidegger, Etre et Temps,
op. cit., p. 110. [33] Ibid., p. 111. [34] Ibid., p. 112. [35] Ibid., p. 112. [36] Ibid., p. 96. [37] Heidegger, "L'origine de
l'œuvre d'art", in Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard,
coll. "tel", 1962, p. 28. [38] Ibid., p. 27. [39] Ibid., p. 29. [40] Sur l'analyse critique de
l'incidence des mythes et des sectes de la "cyberculture" sur la
représentation du corps humain, cf. mes travaux antérieurs: "Au delà de
l'illusion du "corps de substitution", l'avatar caractère d'une
écriture interactive", in Anomalie
n° 1 "Les métamorphoses du corps dans l'art numérique"
(Oct. 2000); "Nouveautés tueuses
de temps et devenir œuvre de l'inédit à l'ère de la reproduction
multimédia", in La Mazarine n°10, septembre 1999; "Des utopies
à l'ère de la reproduction multimédia à la nouvelle alliance entre l'art et la
technique aux fondements des cités virtuelles", in Utopia, sous la
direction de L. Lavoie, Presses Universitaires de Montréal, 2001. [41] Heidegger, "L'origine de
l'œuvre d'art", op. cit., p. 30. [42] Ibid., p. 32. [43] Ibid., p. 32. [44] Ibid., p. 61. [45] Ibid., p. 48 "La
paysanne, au contraire, a un monde parce qu'elle séjourne dans l'ouvert de
l'étant". [46] Ibid., pp. 48,50, 51. [47] cf. Fred Forest , 100 Actions
/ Art sociologique, Esthétique de la Communication, op. cit.,
pp. 120-121. [48]
http://www.monaco.mc/exhib/territories/0.html [49] cf. "Les pieds des clients
du Super U de Fresnes en direct sur le Net", une œuvre de Fred Forest sur
www.art-public.com et le petit musée de la chaussure réalisé par l'atelier des
enfants (28 avril au 31 mai 2001, Espace Multimédia du MADISON NUGGETS du Super
U) [50] cf. "déposez votre pied sur
Internet", http://www.fredforest.org/pied/pied.htm [51] cf. L. Poissant, "Modes
d'être dans le cyberespace", Alliage, 33-34, 1998. [52] Heidegger, "L'art et
l'espace", in Question IV, Gallimard, coll. "tel", 1976,
p. 274. [53] Pour l'analyse de la continuité
de la démarche de Fred Forest entre ces trois œuvres, cf. le site de Fred
Forest http://www.fredforest.org/ [54] Pour une étude plus approfondie
de la mise en question de la fétichisation de l'œuvre d'art comme marchandise
dans les "ventes aux enchères -performances" de F. Forest cf.
I. Rieusset-Lemarié, "La première vente aux enchères d'une œuvre
d'art virtuelle sur Internet", in Epipháneia (Recherche Esthétique et Technologies) n°2,
Naples, mars 1997. [55] Heidegger, "La chose",
op. cit., p. 211. [56] Heidegger, "L'art et
l'espace", op. cit., p. 272. [57] http://concours.noos.com/ [58] Heidegger, "L'origine de
l'œuvre d'art", op. cit., p. 36. |