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SMSMS (Short Message Service Mediated Sublime) : Art et sublime technologique dans l’environnement urbain

Maurizio BOLOGNINI


1. Cryptoimages. En présentant le projet SMSMS (Short Message Service Mediated Sublime) je voudrais essayer de réfléchir sur les quelques implications concernant la relation entre art et sublime technologique 1 (j’emploierai ici les deux termes de manière approximative, pour indiquer les facettes de la production esthétique qui se situent respectivement du côté et au-delà de l’artiste) dans l’espace urbain.

SMSMS est la conséquence d’un travail précédent, les Computer sigillati (Ordinateurs scellés) : plus de 200 machines qu’à partir de 1992 j’ai programmées, afin de permettre une production continue d’images (et en certains cas de textes et numérations) aléatoires, en les laissant fonctionner indéfiniment sans les brancher à un moniteur.

Les Computer sigillati ne sont pas un simple travail conceptuel et anti-visuel. Il s’agit d’ordinateurs qui fonctionnent effectivement. Pour cette raison j’aime penser que le résultat est une sorte de zoo technologique, fait par des machines capables de produire, chacune de manière autonome et en quelque sorte imprévisible, des kilomètres de cryptoimages. Et, depuis mes premières installations, cette idée m’a suggéré d’établir un rapport avec l’espace urbain qui nous entoure. Les diapositives [NdR. non reproduites ici] nous permettent de voir quelques exemples d’installations à Bologne, Paris, Naples, etc., à l’occasion desquelles, sur une carte des villes, ont été tracées les probables dimensions des images que les machines auraient produites dans l’intervalle correspondant à la durée de l’exposition.

SMSMS utilise l’un des programmes de Computer sigillati (un programme qui trace des lignes blanches sur fond noir, en produisant ainsi des trajectoires infinies) à l’intérieur d’une installation différente, dont les images sont visibles – projetées dans des espaces publics – sur des bâtiments ou sur grands écrans ; et chacun peut modifier le programme (et par conséquent le caractère des images) par l’envoi d’un message SMS. Chaque fois que le système reçoit un nouveau message, il met à jour l’algorithme suivant les indications du public et commence à élaborer un nouveau cycle d’images.

2. SMSMS. Le fonctionnement de SMSMS est assez simple. Un téléphone portable est branché à un ordinateur doté d’un programme qui permet de lire les messages SMS entrants, les élaborer et les enregistrer dans une base de données régulièrement mise à jour. Un deuxième programme permet au système de réaliser le dessin, en traçant des trajectoires selon des équations, dont les constantes, au lieu d’être générées de manière aléatoire par la machine, assument des valeurs modifiées par le contenu des SMS envoyés par le public.

Le public peut modifier jusqu’à six paramètres, en attribuant à chacun des valeurs différentes (dans le futur je pense expérimenter des solutions plus radicales, de façon que le public puisse modifier le programme lui-même même, en faisant une œuvre proprement open source, même si naturellement ceci pose le problème de faire ainsi que tout le monde puisse interagir indépendamment de ses compétences informatiques) : les trajectoires, leur rayon, les caractères propres des lignes, etc. dépendent des valeurs moyennes attribuées à ces paramètres. ça signifie que les "typologies" des images se comptent en milliers et que, pour chaque typologie, le système (qui de toute façon, donnés certains critères, dessine les lignes aléatoirement) peut produire un nombre presque illimité de variations.

Les valeurs des paramètres utilisés pour l’élaboration sont présentées au public (projetées dans la partie inférieure de l’image), de manière que chacun puisse les confronter avec l’image qu’il a obtenue et éventuellement les modifier en envoyant un nouveau SMS. Ce procédé est similaire à une communication Delphi. La méthode Delphi est une technique de communication de groupe caractérisée par une structure interactive avec rétroaction (feedback), dans laquelle chacun des participants peut sans cesse modifier sa propre position (dans le cas spécifique la valeur attribuée aux différents paramètres) après l’avoir comparée anonymement avec celle des autres (moyenne).

Il a été souligné que "l’intelligence collective" même peut représenter une forme d’art. La méthode Delphi est l’une des premières tentatives sérieuses de produire de l’intelligence collective, avec une possibilité d’applications en ligne et hors ligne, objets d’expérimentation avant même que le web existe. J’ai travaillé personnellement pendant une longue période autour de la méthode Delphi et en particulier au développement de variantes utilisables pour des applications de démocratie électronique 2 Il me semble pouvoir dire que dans le cas de SMSMS les "images" peuvent évoluer de la même manière que les "idées", dans une application Delphi, évoluent à l’intérieur d’un système de communication asynchrone basé sur le feedback.

3. Songlines. Je ne voudrais pas ajouter d’autres considérations pour décrire un travail dont les caractéristiques plus importantes sont l'interaction et l'aléatoire – je crois que ces considérations font la différence entre une installation vidéo et ce que je décris comme infoinstallation. En me référant au travail des Computer sigillati, desquels SMSMS est issu, je voudrais pourtant souligner que chacune de ces machines crée, lentement et imperceptiblement, un "espace parallèle" généré en traçant des lignes que nous pouvons imaginer étendues sur une surface de plusieurs kilomètres ("dessiner" une image de dimensions virtuellement illimitées a été l’une des motivations de ce travail). Ceci vaut en partie aussi pour SMSMS : des images différentes, mais produites par le même algorithme, peuvent être considérées comme détails d’une image plus grande : ça fait ainsi en définitive que les images visibles comptent dans ce cas-là moins que les autres.

Pour cette raison, j’aime comparer les lignes de ces images et cryptoimages avec des Songlines, Lignes des Chants, sans aucune information, sans contenu, numériques, mais capables de créer un "espace", le dilater, lui attribuer en quelque sorte une forme et donc une existence. Les Songlines des aborigènes australiens sont l’une des manifestations artistiques les plus anciennes, mais on peut encore en comprendre les origines : "Au début la terre était une plaine ténébreuse et sans frontières" 3 ? c'est-à-dire un espace indifférencié, sans aucune signification, un vide à remplir et à rendre "habitable" grâce à ces "traces", expressions topographiques du système de croyances du Dreamtime, l’âge du rêve.

Constater que, par rapport à l’espace électronique, nous sommes dans la même condition que les aborigènes australiens, est peut-être une évidence. Ceci nous permet néanmoins de souligner que nous aussi, en construisant l’espace électronique, nous ne pourrons nous limiter à "utiliser" les nouvelles technologies, mais nous devrons "nous les approprier", et pour cette raison nous aurons besoin de notre Dreamtime. C'est-à-dire que nous devrons élargir le "système des croyances", avec lequel nous avons appris à contrôler le rapport avec le milieu physique (entièrement basé sur la rationalité et sur une idée du monde centrée sur le sujet). Et un point de départ ne pourra qu’être la nature contradictoire de l’espace électronique, qui d’un côté est l’espace de la connectivité et de l’intelligence collective, mais qui, de l’autre, est l’espace du sublime technologique et de la perte de soi.

Cette nature contradictoire – qui se reflète dans l’apparente inconciliabilité entre sujet et complexité, aléatoire et contrôle, intelligence et chaos et surtout entre art et sublime technologique – devrait être considérée comme l’un des thèmes les plus pertinents dans le domaine de la recherche artistique. Je crois aussi que le projet SMSMS (dans lequel l’intervention du public peut être considérée indifféremment en tant qu’exercice d’intelligence collective ou, au contraire, comme une défaillance du fonctionnement parfaitement imprévisible de la machine) doit être situé dans cette perspective.

4. Ville et sublime technologique. Pour cette raison, à un sublime, dans lequel la sollicitation sensorielle apparaît liée à la dimension plus formelle de la pratique artistique, je préfère un sublime expérimental par dosages homéopathiques, lié à la dimension conceptuelle. C’est la coexistence d’intelligence et chaos qui m’intéresse de faire apparaître grâce à la mise en activité d’appareils technologiques : d’une part les possibilités de communication et coopération dans le réseau et, de l’autre, la perte de soi même, la "disproportion" qui se crée entre nous et les technologies.

Je crois que dans cette perspective le sublime technologique et sa domestication peuvent trouver un territoire d’élection dans les espaces publics de la ville, plutôt que dans les galeries d’art. L’espace urbain est le siège où l’on peut réaliser des infoinstallations capables de faire coïncider, grâce à l’interaction, intelligence et chaos, contrôle et aléatoire, matériel et immatériel. Non seulement parce que le projet (humaniste) de gouvernement rationnel du monde (c’est du destin de ce projet qu’au fond on parle en opposant art et sublime technologique) a eu son origine dans la ville, et si le sublime technologique peut représenter la négation de l’humain, par conséquent il est aussi négation de la ville. Mais parce que la ville, désormais étendue au-delà de sa dimension physique et dotée d’interfaces capables de l’enchaîner à la dimension déterritorialisée de l’espace électronique, est le "lieu" vraisemblable d’un nouveau Dreamtime.

Je me souviens de la conception de Wright sur les espaces architecturaux projetés de l’intérieur vers l’extérieur et recueillis par un contexte assonant : "de l’intérieur vers l’extérieur" prend une signification aussi pour ce qui concerne le rapport entre espace électronique et espace physique. Pour cette raison, j’ai mis au programme la réalisation de SMSMS avec projections intégrées dans différents genres de paysages – celui monumental de la ville historique, le cheapscape des banlieues … – afin que ses trajectoires infinies, calculées en temps réel, deviennent un tout avec l’espace physique quotidien.

Notes

1 - Cf. M. Costa, Il sublime tecnologico, Castelvecchi, Roma 1999 (1990) : " Les technologies non seulement agissent en amorçant un processus de corrosion de l’essence de l’art, elles préparent en même temps et orientent un mouvement du dépassement de l’art qui nous conduit vers la production et fruition socialisés du sublime […]. Le sublime technologique est en quelque sorte la notion du dépassement de l’art et signifie être au-delà de ce qui étaient les catégories spécifiques de l’artistique, c'est-à-dire : le sujet, l’expression, la créativité, le style".
2 - M. Bolognini, Democrazia elettronica, Carocci, Roma 2001.
3 - B. Chatwin, The Songlines, Jonathan Cope, London 1987.



© Maurizio Bolognini & Leonardo/Olats, décembre 2002