Mario COSTA Pour ce qui concerne les façons de " l’être-ensemble " des médias, c'est-à-dire leur manière de se réunir et d’interagir, il faut distinguer trois concepts fondamentaux : la "multimédialité", "l’hybridation" et le "bloc". La notion de "multimédialité" implique celle de l’"œuvre", du "sujet" fort qui rassemble et active les différentes sources d’information afin de "mettre en œuvre" le "signifié" ; la "multimédialité", implicitement chargée d’un triomphalisme humaniste, peut être reliée à la notion wagnérienne d’"œuvre d’art totale" dont, toutefois, Nietzsche avait déjà bien saisi l’impossibilité d’aller au-delà d’une suggestive "rhétorique théâtrale". 1 Et c’est bien ce que font actuellement toutes les "installations multimédia" qui, tout compte fait, occultent et réduisent les technologies à des éléments d’une simple scénographie. Et justement, cette juxtaposition banale des médias est souvent justifiée à travers la référence à la nébuleuse mystique de la synesthésie qui n’a pas vraiment à voir avec la production artistique et qui ignore le fait que toute forme d’expression possède une matière d’expression unique et précise. Sur le concept d’"hybridation", on peut affirmer qu’il se configure, parmi ceux qui ont été identifiés et définis par Mc Luhan, l’un de plus intéressants et encore praticables. L’"hybridation", dont Mc Luhan montre de nombreux exemples, est, dans le meilleur des cas, celle qui s’établit entre des médias appartenant à des milieux sensoriels et des techno-logiques bien différentes et distinctes : celle entre l’oralité et l’écriture, mais aussi et avec raison celle qui, en activant cinéma, écriture et jazz, produit la poésie d'Eliot, ou en mêlant le cinéma et le ballet, produit Charlie Chaplin, ou encore celle qui en enchevêtrant des motifs et des figures mythologiques grecques à la logique du roman noir produit la meilleure Agatha Christie, ou encore celle pour laquelle la radio transforme l’écriture journalistique et l’image cinématographique, et ainsi de suite. Et l’"hybridation", attention, produit toujours des nouvelles énergies et des nouvelles formes : "la rencontre entre deux médias – affirme Mc Luhan – est un moment de vérité et de révélation dont naît une nouvelle forme [...] l’instant de la rencontre entre deux médias est un moment de liberté et de dissolution de l’état de transe et de torpeur imposé par eux-mêmes à nos sens". 2 S'impose alors une toute première distinction entre la simple "juxtaposition" des médias, même dans une interaction mutuelle qui n'ajoute rien en termes de dynamique et de qualité de l’énergie, et l’"interpénétration" des médias, c'est-à-dire un mélange explosif qui émet des énergies d’un nouveau type et qui dégage du somnambulisme produit par l’action prolongée d’un seul médium. Mais Mc Luhan oublie une toute autre possibilité et une autre façon en ce qui concerne "l’être-ensemble" des médias : il s’agit essentiellement du contraire de l’"hybridation" qui peut être indiquée comme le "bloc". Dans ce cas, l’état de torpeur induit par le médium se renforce et se multiplie car le médium va constituer un "bloc" avec tous les autres médias qui fonctionnent, ou qui finissent par fonctionner, de la même manière, mais aussi avec tous les autres médias qui ont, ou qui finissent par avoir, sa même essence. Alors, à ce moment, on ne peut plus parler de médium mais notamment de "bloc média", c’est-à-dire d’un ensemble consolidé de médias qui agissent selon la même physiologie et qui se renforcent mutuellement en augmentant ainsi l’état général du somnambulisme qu'ils induisent. Le "bloc" va se constituer comme un " en-soi ", il se renferme et évolue sur lui-même, s’élargit et s’infiltre partout et assimile toutes les choses dans sa physiologie. La notion de "bloc média" n’est absolument pas identique à celle de "multimédialité", ni à celle d'"hybridation" ; il ne faut pas mélanger les choses. Chez Mc Luhan, cette notion manque complètement : en effet, il n'a compris que les essences singulières des médias ou leur brassage, mais non pas leur manière de se constituer en "bloc". Il y a quelques années, Virilio a centré l’attention autour du phénomène de l’agrégation des images, quelle que soit la façon dont elles sont produites, et a parlé du " bloc-image". C'est une question qui nécessite d’être analysée. Historiquement, c’est l’image qui montre avant tout une tendance à la formation du "bloc média". Dans l’Antiquité, à l'époque des disputes théologiques entre les "iconoclastes" et les "iconophiles", le peuple des images est pour la première fois vu comme un "bloc". Les condamnations faites à l'occasion du Concile de Hieria en 754 s’adressent contre "chaque icône, réalisée dans un matériau quelconque et par l’art misérable des couleurs des peintres" ; il y a donc la conscience que les images à condamner constituent un véritable "bloc" qu’il faut, indépendamment des matériaux utilisés et des techniques de production, refuser en "bloc". Mais, avec les questions théologiques autour du Deuxième Concile de Nicée, et malgré les tentatives, qu'on fait toujours, de trouver des analogies entre ces premières et la situation actuelle, on est encore bien loin des origines, même théoriques, de la fondation du "bloc-image", ainsi qu'il est conçu aujourd’hui. La question qui anime et partage les "iconophiles" et les "iconoclastes" tourne autour du référent, dans le spécifique Dieu ou Jésus-Christ, et de ses relations avec l’image. Seulement lors de la dissolution de la question du référent, c’est-à-dire lorsque tout rappel à une réalité extérieure à l’image tombe, il est licite de parler de "bloc-image" de la manière dont on peut en parler actuellement. On peut bien s'en rendre compte, au début du XVIIIe siècle, chez George Berkeley, dans son Traité sur les principes de la connaissance humaine publié en 1710. Berkeley élimine la question de la réalité du référent et annule toute consistance matérielle des choses : ainsi les choses se résolvent entièrement dans le fait d'être saisies, le référent et son image se joignent mutuellement et s’écrasent l’un avec l’autre. Le référent est alors une image d’un niveau supérieur. Berkeley affirme que : "à mon avis tout ce qu’on dit à propos de l’existence absolue des choses est tout à fait incompréhensible [...] L’esse des choses est un percipi, il n’est pas possible alors qu’elles puissent avoir une existence quelconque en dehors des esprits [...] qui les saisissent [...] ; l’objet et sa perception sont la même chose" 3 ; pourtant il ne faut pas croire que les choses perdent leur subsistance en se dissolvant dans le néant : les référents perdent seulement leur être matériel et objectivement autoexistant en acquérant toutefois un être tout à fait nouveau et différent : finalement les choses sont des images ou des idées créées – dit-il – par "un esprit largement plus puissant et plus sage que les esprits humains". 4 Voilà comment la notion de "bloc image", telle que nous la connaissons aujourd'hui, se présente et commence à cheminer : ce qui existe ce sont des images et seulement des images, la chose et sa perception s’identifient ; l’image est la perception, mais une image d’un degré différent est aussi la chose qu’on perçoit ; l’image-perception et l’image-chose constituent un "bloc" indissociable ; toute objectivité se dissout et les images s’apprêtent à croître, à se multiplier et à aller à la dérive ; une fois disparue toute différence entre la "chose" et la "représentation", toutes les représentations successivement déterminées par la première se trouvent sur le même niveau d’irréalité et iront former le "bloc-image", un "bloc" de représentations, et malgré le fait qu'elles sont le produit de différents médias, elles finissent par avoir la même essence et la même manière de fonctionner. Mais comment fonctionne le "bloc-image" et quels sont les effets qu’il produit au niveau anthropologique ? L’origine, substantiellement idéaliste, de la théorie de Berkeley produit ses conséquences : la question qu’on peut dépasser concerne l’esprit, de Dieu ou de l’homme, qui génère l’image-chose ; ce qui nous intéresse c’est que cette "chose" est une image et qu'elle a perdu toute objective et autosuffisante réalité matérielle. Voici alors l’effet anthropologique du "bloc-image" : il est déréalisant, il soustrait la réalité à la "chose" en la transformant en "image". Gadamer semble l’avoir saisi déjà en 1960 : "L’image possède [...] une subsistance autonome qui agit aussi sur l’originel [...] ; l’originel devient tel seulement en vertu de l’image [...] ; d’ailleurs l’image n’est que la manifestation de l’originel". 5 L'action anthropologique moderne du "bloc-image" relève de deux médias autour desquels se sont polarisées et agglomérées toutes les autres images technologiques : d’abord le cinéma qui a produit le culte des vedettes et qui, bien avant du 1936 faisait dire à David H. Lawrence : "Tout l’amour qu’on voit au cinéma, les baisers en gros plans et le reste, toutes les réactions émotives du public, c’est tout une comédie, tout selon un programme" 6 , et deuxièmement la télévision, la plus grande responsable du fait que, comme on peut lire dans le premier paragraphe du livre de Debord, "Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné en une représentation" 7 , et qui a changé même les passions humaines en une piteuse "comédie des passions". 8 Il est nécessaire alors de tracer une nette distinction entre les modalités selon lesquelles la famille des médias établit ses relations : la "multimédialité", c’est-à-dire une simple juxtaposition de médias, même si interactive, ne semble pas nous intéresser ultérieurement ; mais c’est toute autre chose avec l’"hybridation" et le "bloc". Les caractères propres à l’une et à l’autre montrent que l’"hybridation" dégage de l’énergie, introduit à de nouvelles configurations sensorielles et rend possible de nouvelles formes d’expérience, tandis que le "bloc" se renferme sur lui-même, soustrait la réalité, accumule une énergie du même type qui absorbe chaque modalité de l’expérience ; l’"hybridation" dévoile et aide à comprendre l’essence des médias hybridés en dissolvant les états de torpeur induits par ceux-ci ; le "bloc" au contraire renforce leur essence, la confirme et la dissimule ultérieurement en la faisant agir en profondeur. Les conséquences du "bloc-image", qui ont été l’objet de nos réflexions, persistent encore aujourd'hui, continuent à opérer et définissent notre façon actuelle d’être au monde. Mais il y a, maintenant, une autre action qui s’ajoute à celle du "bloc-image" et qui agit de manière encore plus efficace à cause de sa nature pas encore identifiée ni éclaircie dans ses dynamiques. Au "bloc-image" s’est ajouté un nouveau "bloc" : le "bloc-communicant", dont nous essayerons d'analyser les conséquences. En d’autres termes, on peut dire que les technologies actuelles de la communication ne s’hybrident jamais, comme il pourrait le sembler mais, au contraire, elles vont établir un nouveau "bloc-média". Le "bloc" se diversifie et s’articule progressivement et augmente de plus en plus sur lui-même : les coups de fil à la radio, les émissions télévisées qui interagissent avec les émissions radiophoniques vice-versa, la télévision et la radio sur le réseau, le software téléphonique sur le réseau, la web-cam et les téléconférences, les messages SMS en transit partout, les téléphones portables connectés à Internet, et ainsi de suite d’une manière de plus en plus embrouillée. Le "bloc communicant" est constitué par un ensemble d’instruments qui communiquent constamment l’un avec l’autre et qui nécessitent, enfin, du travail anxieux des hommes pour avancer ; la tâche que nous avons aujourd’hui est de tout faire fonctionner, tandis que la "ruse" des instruments consiste à nous faire croire qu’ils répondent à nos besoins sociaux de communication. Si le "bloc image" accumule une énergie statique, le "bloc communicant" accumule une énergie dynamique ; si le "bloc image" est déréalisant, le "bloc communicant" est performant : il faut absolument communiquer ; on nous a dit pendant ces dernières années qu’"on ne peut pas ne pas communiquer" 9 , nous devons tous communiquer… par le téléphone, par l’email, par le téléphone portable… et cela c’est parce que le téléphone, l’email, le téléphone portable et tout le reste, doivent communiquer entre eux. La communication apparaît alors comme une simple pulsion technologiquement induite et sans aucun but ni contenu. Tomber dans le réseau du "bloc communicant" efface la communication, ainsi que la propriété de pellicule du " bloc image " efface l'épaisseur et la profondeur de la conscience. Si telle est la situation actuelle de la "conscience" et de la "communication" humaines, le "corps" de l’homme n’est pas dans une meilleure situation : ailleurs j’ai cru pouvoir argumenter sa dissolution et sa réduction en tant que signe, fond, dans l’acception heideggérienne, et en tant que prothèse. 10 La situation anthropologique actuelle est marquée, donc, par un flottement déréalisé de la "conscience", de la "communication" et du "corps", sur un univers technologique progressivement embrouillé et emporté. Il ne faut pas croire que cette situation ne produit pas des effets de désagrégation dans la totalité du corps social. A la dérive de la profondeur de l’humain coïncide un accroissement illimité de la barbarie : bien évidentes sont les forces régressives et destructrices qui traversent nos sociétés. Mais revenons au "bloc communicant". La spécificité de la communication technologique est le flux d’énergie, d’une énergie hybride constituée, comme j’imaginais déjà en 1986 11, par un ensemble composé d’énergie vitale, mentale et machinique. La question est la suivante : le "bloc communicant" accumule l’énergie machinique qui absorbe en soi toute autre forme d’énergie, une énergie destinée à être vidée de l’intérieur et assimilée à la première. Toute autre énergie sert seulement à faire fonctionner et à permettre l’écoulement de l’énergie machinique. L’attitude de méfiance vis-à-vis de la technologie, le refoulement et la dénégation de sa réalité, qui sont des comportements communs à plusieurs secteurs du panorama actuel de l’art, ne servent à rien. Ce sont en effet des comportements illusoires qui favorisent l’auto-affirmation de la technologie. "Dans l’art – écrivait Théophile Gautier en parlant de l’absolue modernité de Balzac – la plus grande difficulté consiste dans le fait de reproduire ce qu’on a devant les yeux ; il peut arriver de vivre sa propre époque sans s’en apercevoir [...] Marcher avec son temps : rien ne paraît si simple et pourtant rien n'est plus difficile". 12 D’ailleurs, le fait de croire que la tâche de l’art consiste à entraver le flux communicationnel et de lui opposer une alternative pauvre et artisanale, est purement irréaliste et velléitaire : une production artistique peut survivre à son temps à condition d' être totalement imprégnée de lui, et notre temps est caractérisé par une présence prépondérante de la technique. Nous ne pouvons pas prendre le risque de vivre notre temps sans s’en apercevoir réellement. La recherche esthétique, éloignée désormais de la "forme", doit alors se concentrer notamment sur le flux communicationnel et viser à l’édification d’une esthétique des flux technologiques. La première question qui se pose maintenant est comment faire fonctionner ce flux en l'empêchant de se représenter comme un "bloc communicant". Il s’agit alors de substituer à l’accumulation de l’énergie machinique du même signe et à un flux qui s’écoule en enjoignant des comportements performants, une énergie décomprimée et des flux issus de comportements performants non imposés et écartés du but final. Finalement, il s’agit de réactiver, contre le "bloc média", la pratique d’une "hybridation" protéiforme en mesure d’établir entre les médias des liens non pertinents pour une communication sans contenu. La formule d’établir entre les médias des liens non pertinents pour une communication sans contenu mais avec une intentionnalité esthétique me semble résumer toute ma proposition théorique, que maintenant j’essayerai de mieux analyser : "établir entre les médias des liens" signifie que ce qui est vraiment capital n’est pas la relation entre homme et média, mais le rapport mutuel entre les médias mêmes. Si l'on imagine un rapport homme-média, ce qui nous frappe est que la logique des médias finit toujours par asservir l’homme. Il faut alors se soustraire à une relation directe et immédiate avec les médias, disparaître en tant qu’émetteur et se concevoir comme des modestes instaurateurs de relations intra-technologiques. Mais attention : il est nécessaire, afin de ne pas tomber dans la logique du "bloc communicant", que les liens créés entre les médias soient "non pertinents", c’est-à-dire qu’ils devront d’abord se situer au-delà des relations que les médias ont l’habitude d’instaurer entre eux, deuxièmement se soustraire à l’emploi auquel ils nous sollicitent, et finalement entrer en contradiction avec chaque fonction prédéfinie et édifier dans leur ensemble des dispositifs technologiques hybrides et incohérents dans leur combinaison ; "communication sans contenu" veut dire que les différents médias, mis en relation dans la configuration générale du dispositif, doivent surtout communiquer entre eux ; les médias doivent constituer un type de communication vide, tautologique et autoréférentielle, c’est-à-dire qu’elle doit s’instaurer et s’épuiser parmi les machines impliquées, comme un pur et simple dispositif fonctionnel d’échanges, d’hybridations et d’interactions technologiques, et que toute tendance à soumettre tout ça à une intention de signifié, doit être écartée ; l’"intentionnalité esthétique" d’une telle opération et d’une telle instauration de connexions devra découler du fonctionnement même des relations intra- technologiques établies ; la valeur esthétique devra résulter d'un simple et incohérent fonctionnement en acte de la machine créé et non pas d’un rappel quelconque au symbolique ou au signifié ; seulement à ces conditions on pourra parler d’une esthétique du flux communicant, c’est-à-dire d’un flux purifié, soustrait au "bloc communicant" et fondamentalement différent. Dans le "bloc communicant" les technologies dialoguent à travers l’intermédiation de l’humain en compliquant tout, ici, au contraire, les technologies dialoguent sans aucune intermédiation et sans rien mélanger ; ce n'est que par cette apparente attitude d’écartement vis-à-vis des technologies et en les laissant être et dialoguer dans les formes de l’esthétique, que nous pouvons encore gagner un espace d’autonomie et garder les distances. Il s’agit d’une part de se retrouver dans le "bloc communicant" et de se faire absorber par celui-ci, et d’autre part de ne jamais perdre de vue une technologie obligée à travailler toute seule et qui produit des flux d’énergie bien éloignés des usages et des fatigues anxieux de l’homme. C’est seulement avec la prise de conscience de ce deuxième mode d’être de la technologie, le mode esthétique, que nous pouvons garder les distances du premier au moment même que nous en payons ses conséquences. C’est uniquement comme ça que la Gelassenheit heideggérienne cesse d’être une sottise pathétique pour devenir quelque chose de sérieux. Nous pourrons permettre aux objets de la technique d’occuper notre quotidien et, conjointement, prendre du recul, seulement si l’action de "les laisser reposer en eux-mêmes", dont Heidegger parle sans pourtant nous indiquer comment cela peut être réalisé et en se réfugiant dans la métaphysique, signifiera les laisser manifester en eux-mêmes et pour eux-mêmes dans les formes de l’esthétique. Personne ne croit que les indications de la recherche esthétique puissent agir sur le monde, de plus, le risque de voir ces indications se métamorphoser en de nouvelles ressources pour le "bloc communicant" est toujours présent. Toutefois, il est absolument capital que les chercheurs en esthétique continuent à nous indiquer des modes d’être et des formes de fonctionnement de la technologie différents de ceux auxquels nous sommes exposés et conduits, et qu’ils nous aident ainsi à nous distancier d'eux au moment même où nous les subissons. Il paraît que les chercheurs actuels en esthétique, ou au moins ceux d’entre eux qui marchent avec leur temps, comprennent bien leur rôle à la fois éthique, esthétique et anthropologique. En conclusion : personne ne peut se soustraire à l’action du "bloc communicant". Quotidiennement nous sommes utilisés et agités par des instruments qui nous imposent de communiquer mais qui, en réalité, communiquent entre eux en sollicitant nos choses et nos fatigues. La technologie nous fait subir unilatéralement son action déréalisante, performante et barbarisante et, de plus, nous sommes soumis à la pulsion de communication qu’elle génère. La seule voie qui nous reste n’est pas celle qui consiste à déraciner nos choses de la technologie, mais d’avoir affaire à une technologie déracinée de notre praxis et de nos choses spirituelles, à une technologie qui fonctionne comme un flux communicationnel vide et qui ne soit pas mêlée avec le sentiment humain, qui soit laissée être en soi et pour soi, comme une pure fonctionnalité technologique et une activité gratuite de dispositifs incohérents. C’est la seule manière de l’utiliser et en même temps de s’en distancer. Plus la technologie est indépendante à l’égard de nos choses, plus elle vit son être en soi et pour soi, plus on lui permet de s’exhiber comme une pure extériorité et de se faire reconnaître dans sa non "praticabilité", et plus on peut s’en éloigner. Cette configuration de la technologie, qui s’accomplit seulement dans son exhibition à l’intérieur du registre de l’esthétique, correspond à ce que les artistes de la communication nous mettent sous les yeux ; c’est pour cette raison qu’uniquement vers les artistes doivent être orientés maintenant nos pensées de salut. Notes
1 -
Cf. Friedrich Nietzsche - Lettera da Torino (maggio 1888), in Friedrich Nietzsche - Contro Wagner, Napoli, Riccardo Ricciardi Editore, 1914, p. 32
© Mario COSTA & Leonardo/Olats, janvier 2003 |