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VIDEOCOLLECTIFS ET +

Natan KARCZMAR


Mon intervention ayant pour thème les vidéocollectifs, je vous présenterai donc quelques extraits de vidéo réalisés entre 1984, date du premier vidéocollectif organisé en Israël à l’occasion du colloque ArtCom Israël, et le plus récent produit à l’occasion des Netd@ys 2002 et présenté à Bruxelles la semaine dernière.

 

Ces extraits durent 18 minutes et leur déroulement m’aidera, je l’espère, à ne pas dépasser la durée qui m’est allouée. Les copies ayant pour la plupart été produites durant les années 80 et en analogique, elles n’ont évidemment pas la qualité technique des DV d’aujourd’hui. Il s’agit pour moi d’archives et j’espère que vous en excuserez les défauts.

 

Intervenant dans la session consacrée à "l’Histoire d’une Esthétique de la Communication Technologique", et n’étant pas théoricien, je vous parlerai de ma petite histoire dans l’Esthétique de la Communication et comment je me suis retrouvé à la pratiquer sans le savoir.

 

Ma première action de communication intitulée Installation Contact fut réalisée en 1983 sur la Place de la Municipalité de Tel Aviv. Cette installation était attenante à la Foire du Livre et comme son accès était gratuit, j’étais donc assuré d’une large fréquentation. De nombreux jeux de communication étaient à la disposition du public. L’un d’eux consistait en 24 téléphones en circuit fermé et disposés en demi-cercle sur une douzaine de petites tables. Une opératrice décidait des connexions et il fallait deviner qui était l’interlocuteur ou l’interlocutrice parmi les 23 autres participants. Je fus invité ensuite à présenter l’installation à Haïfa et au Festival du jeune théâtre à Saint-Jean d’Acre.

 

Cela aurait pu être de ma part la seule initiative du genre si l’on ne m’avait présenté à Fred Forest, par hasard, en janvier 1984, au Centre

Pompidou alors que je montrais des photos d'Installation Contact à un responsable du Centre. Fred intrigué m’interrogea : 24 téléphones en circuit fermé ? je confirmais et il m’emmena sur le champ au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris où, dans le cadre de l’exposition Electra, il proposait 40 téléphones au public pour communiquer.

 

Il m’informa de la création, quelques mois auparavant, du groupe de l’Esthétique de la Communication et m’invita à le rejoindre. Avec son aide et celle de Mario Costa, j’organisais le Colloque ArtCom Israël, en novembre 1984, au Musée d’Israël à Jérusalem, au Musée d'Haïfa et au Centre Culturel Tzavta de Tel Aviv. J’y invitais également Antonio Muntadas.

 

C’est alors que pour présenter au public un exemple d’action réalisée dans l’esprit de l’Esthétique de la Communication je conçus mon premier événement vidéo collectif et simultané. En ce temps, les rares personnes parmi le public disposant d’une caméra vidéo l’utilisaient en général pour filmer des scènes de famille ou de vacances. Je lançais par la presse l’invitation au public de filmer 10 minutes d’un espace extérieur : la rue, une place, ou un lieu dans la nature, en commençant le tournage à une heure dite d’un jour précis tout en enregistrant à l’aide d’un transistor le début des nouvelles d’une station de radio.

 

L’imprévu fut que les responsables de la radio lisant l’invitation à participer dans les journaux m’ont téléphoné et annoncé qu’ils incluraient dans le bulletin de nouvelles l’information sur le tournage ayant lieu au même moment. Ainsi, les vidéastes eurent la surprise de s’entendre donner le top départ à la radio. Cet événement incluait donc la vidéo, la radio, l’aspect collectif et la simultanéité.

 

Puis Mario Costa eut la gentillesse de m’inviter ensuite à réaliser un deuxième événement vidéo collectif et simultané à l’occasion du premier Artmedia à Salerne en mai 1985. Par la suite j’en réalisais d’autres. À Metz dans le cadre d’un festival de théâtre, à Paris, toujours en 1985, dans le sixième arrondissement, événement auquel participèrent 22 vidéastes. Il fut présenté au colloque Artcom Paris en janvier 86 à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts.

 

Je mentionnerai encore un événement vidéo à Cergy St Christophe en 1986 et un jumelage vidéo réalisé en 1987 entre les villes de Cologne, Lille, Liège, Esch-sur-Alzette et Grenoble auquel participèrent 60 vidéastes et 5 stations de radio. Cet événement fut organisé dans le cadre de l’Année Européenne de l’Environnement et placé sous les auspices de la Communauté Européenne.

 

En 1988, un événement vidéo préparé pour le centenaire de la Tour Eiffel fut produit avec la participation de 8 caméramen d’Antenne 2 et la collaboration de France Inter et France Info qui donnèrent les tops départ entre 18 heures et 22 heures. À cette occasion, une action Flash sur la Tour eut lieu entre 21 h 30 et 21 H 33 durant les 3 minutes que prend la tour Eiffel pour s’illuminer. J’invitais les Parisiens équipés d’appareils photographiques à photographier la Tour avec des flashs et aux voitures à faire des appels de phares, sorte de clins d’œil à la Tour.

Alors que j’étais au troisième étage de la Tour, je pus discerner de nombreux flashs, particulièrement venant du Champs de Mars. Les Parisiens saluaient la Tour et répondaient à l’invitation.

 

Depuis 1986, j’ai aussi réalisé des installation vidéo avec l’ubiquité comme leitmotiv principal. Ainsi à ArtCom Paris 86, il s’agissait d’une enquête à distance et dans le temps intitulée Réactiv’Action réalisée à l’aide du téléphone amplifié à partir de la projection d’une bande vidéo produite par les anthropologues Eric Darmont et Xavier Gros. L’interlocuteur venait finalement nous rejoindre au colloque et l’on avait ainsi différents moments se télescopant à l’aide de la présence à distance suivie de celle in situ.

 

À Artmedia II à Salerne, en mai 86, j’ai présenté Investig’Action. Dans cette action, le Dr. Garibaldi, un collectionneur d’art est filmé d’abord chez lui, dialoguant avec lui-même grâce à un moniteur. Puis lors de la performance au Casino Verdi où avait lieu le colloque, et durant la projection de la bande au public, j’ai dialogué par téléphone avec lui, superposant plusieurs fois sa voix enregistrée et en direct. Finalement, le Dr. Garibaldi a rejoint la salle et a réédité son action en direct durant la projection simultanée de ses bandes successives. Les vidéos symbolisant différents temps emboîtés les uns dans les autres, comme des poupées russes.

 

À Artcom Cologne, en juin 86, j’ai réalisé une installation intitulée Vers l’Ubiquité, une présentation simultanée de 2 bandes vidéo de 19 minutes où je suis filmé par Christian Sevette d’abord à Paris, puis à Cologne. Durant la performance, je dialogue en direct avec les deux moniteurs avec échange d’objets, lecture d’actualités, dégustation de vin, jeu de dés, interprétation à l’harmonica d’un extrait de l’Ode à la Joie de Beethoven et autres actions simultanées.

 

Ce dont je vous ai parlé jusqu’ici concernait mes activités dans le domaine de l’art de la communication ou pour être plus précis, de l’esthétique de la communication. Toutefois, une de mes activités précédentes concerne la communication de l’art.

 

Ainsi en 1956, j’ai fondé le Musée Canadien du Film sur l’Art qui a compté 40 sections où des séances mensuelles de films sur l’art étaient présentées dans 30 villes du Québec et 10 dans le reste du Canada. Puis en 1960 ce fut la création du Musée Mexicain du Film sur l’Art et en 1962 de l’American Institute of Film on Art. Les 3 organismes étaient affilés au Musée International du Film sur l’Art.

 

L’objet étant la diffusion de l’art par l’audiovisuel. Il ne s’agissait évidemment pas de musées, d’édifices, consacrés à la présentation de films mais plutôt de l’idée de musée par le film et de circuit de distribution, ce que l’on nomme aujourd’hui un réseau. Les séances, gratuites pour le public avaient lieu dans diverses salles de chaque ville, une école, un collège, une salle de la municipalité.

 

Plus récemment, en 1989, j’ai organisé le projet Art Planète, un magazine vidéo bimestriel annonçant les expositions de 80 musées d’art moderne et contemporain dans le monde. J’organisais aussi des actions de Musée Interactif entre certains musées en réalisant une simulation de visioconférence. J’invitais les responsables de musées à m’envoyer une bande vidéo de 10 minutes sur une exposition. Ils en gardaient une à leur musée. Au moment convenu, je donnais par téléphone le top départ du visionnement simultané dans les deux musées et nous dialoguions en direct par téléphone amplifié dans la salle. Après avoir vu grâce à la vidéo l’expo dans son environnement, on présentait des diapos sur les œuvres en parlant avec le conservateur et parfois les artistes. C’était une forme de streaming avant la lettre.

 

Puis, en 1996, est survenu Internet et je décidais de passer au web en créant le magazine ArtMag, qui existe toujours.

 

Ainsi, le domaine de la diffusion de l’art, par le film 16 mm d’abord, puis par la vidéo et enfin par Internet m’a continuellement intéressé. Des 5 à 10 kilos que pesait un programme de films, on est passé aux 350 grammes d’une vidéo pour aboutir au poids infinitésimal de l’image et du texte véhiculés sur Internet. Les actions de communication furent donc un aboutissement normal et logique de ma démarche.

 

À l'heure où les téléphones portables permettent la visioconférence, il est difficile d’imaginer qu’en 1988 par exemple, à l’occasion d’Eurovision à la Villa Medicis, on s’extasiait devant un slow-scan entre Rome et New York. Toutes les 30 secondes, l’image d’un interlocuteur apparaissait sur l’écran.

 

Après la fondation du groupe par Mario Costa et Fred Forest, on se réunissait occasionnellement lors de colloques, séminaires, et manifestations diverses où l’on présentait nos installations, nos projets et où l’on discutait d’art et d’esthétique. On décidait de se nommer artistes de la communication mais ne produisant aucune œuvre à vendre, nous n’intéressions évidemment pas ou peu les galeries et il en était de même concernant les musées. Il est curieux de constater que si le milieu de l’art nous boudait, ce sont des universitaires comme Mario Costa, Derrick de Kerkhove, Pierre Moeglin, Frank Popper, Jean Deveze, Edmond Couchot, Paul Virilio et quelques autres théoriciens qui témoignèrent de l’intérêt pour nos actions et leurs réflexions nous encourageaient et nous permettaient de nous situer dans l’évolution de l’art et de l’esthétique. Certains, comme Fred Forest et Roy Ascott portaient aussi à la fois les casquettes d’artistes et de théoriciens.

 

En ce qui me concerne, mes outils étaient la vidéo, le téléphone, la radio, le fax, et les thèmes étaient la simultanéité, l'ubiquité, le réseau et l’action collective. Ces moyens sont aujourd’hui désuets et la description des actions réalisées fera certainement sourire aujourd’hui les informaticiens, infographes et autres spécialistes en technologie. Ils étaient pourtant des supports et des événements susceptibles d’inspirer une poésie de l’espace et du temps. Un peu comme les mathématiciens trouvent une poésie, une esthétique dans leurs calculs, leurs recherches.

 

Durant les vidéocollectifs simultanés, plusieurs participants m’ont témoigné avoir pris conscience durant l’action qu’il passait quelque chose entre eux-même et les autres vidéastes. La technologie permettait de provoquer quelque chose qui la dépasse, c'est-à-dire un sentiment, un feeling, celui d’une mise en relation avec d’autres personnes occupées ailleurs, au même moment, à une action similaire.

 

Alors que des milliards d’e-mails sont quotidiennement échangés sur le web, c’est encore avec un sourire que l’on peut considérer l’excitation engendrée par la réception de quelques centaines de fax sur le thème de l’utopie envoyés de divers pays d’Europe au Grand Palais, en 1989, durant l’exposition l’Europe des Créateurs où le projet Art Planète était présenté. C’est cette perception, ce feeling du temps et de l’espace que les simples outils à notre disposition permettaient d’aiguiser.

 

J’ai repris cette année mon bâton de pèlerin et continue d’organiser des vidéocollectifs. L’un d’eux a été réalisé lors du Festival Vidéoformes à Clermont-Ferrand, puis un autre plus récemment à Bruxelles, Ixelles et Mons à l’occasion des Netd@ys. Il a été convenu que ces vidéocollectifs ne seraient plus seulement ponctuels mais organisés sur une forme associative où les vidéastes continueront, s‘ils le souhaitent, à filmer régulièrement leur ville ou la nature environnante, et que l’on en présenterait les résultats dans chacune des villes associées au réseau.

 

Les vidéocollectifs ont deux aspects essentiels. L’un est sociologique, il permet de montrer le regard du vidéaste sur sa ville et de créer une mémoire vidéo urbaine. L’autre est esthétique et donne l’occasion de créer dans un cadre collectif.

 

Pour l’instant, la simultanéité n’est plus requise mais je compte bien y revenir à l’occasion. Ce qui est important maintenant est de développer un réseau. Chaque œuvre dure 3 minutes et le générique 10 secondes. Enfin, pour évoluer avec le web, des sélections sont présentées en streaming et un projet visioscope permet d’accueillir des œuvres créées spécialement en Flash pour le web.

 

L’organisation de ce huitième Artmédia permettra sans doute de montrer à ceux de plus en plus nombreux qui s’intéressent maintenant à l’art et la communication associées aux technologies que si l’on se permet une petite rétrospective, ce qui nous concerne aujourd’hui est la prospective que l’on cherchera à dégager durant ce colloque.



© Natan Karczmar & Leonardo/Olats, février 2003