"Eloge du masque" par Alain Ricard L'invention plastique est rythme de l'espace. En I989 Wole Soyinka est
entouré de superbes masques dans sa maison d'Abeokuta, mais il a aussi une statuette grecque. Il dit : la mise en scène est comme la sculpture. Mise en présence de cet au delà des masques dont la voix terrifie enfants et spectateur
. Ce sont les revenants masqués des Yorouba ou des Gouns qui émettent des sons qu'il ne faut pas entendre. Une frontière est franchie quand les masques parlent, quand ce qu'ils disent compte ; les masques ne sortent que la nuit me
disait un comédien togolais que je voulais faire répeter de jour pour préparer sa prestation au festival de Nancy. Mais le Nord, c'est un peu la nuit et la répétition eut lieu. Nous répondons à ces questions avec nos
faibles moyens de femmes et d'hommes : les masques donnent profondeur à notre existence. L'initié mandenka , dans ce peuple qui a tant donné à notre univers plastique, peut danser: La danse, elle, amène à l'extase, mais la
conscience ne relâche pas totalement sa vigilance, même au sein du voyage extatique. Il y a , en somme, de la distance, c'est à dire de la conscience, dans le phénomène évoqué. La transe risquerait de nous perdre ; tel n'est pas le
cas : elle se contrôle, "on recommence méthodiquement", pour percevoir le "grain de vision" comme le dit Sory Camara ( 53 ) . Le mystère du masque est le fond de toutes les comédies; le masque a partie liée avec
la danse; il dépouille l'homme de lui-même, afin qu'il soit véritablement présent. L'alternance entre narration mythique et danses liturgiques laisse ouvert l'espace des hommes. On joue à se voiler la face et le corps afin de
contempler le" grain de vision" qui reflète la lumière cosmique du regard de l'Aïeul très ancien ( 75 ). Les éléments sont bien tous là : parole, image, geste, mais distribués autrement, pour une autre quête, venant d'une
autre vérité: le dispositif ne fonctionne pas comme chez nous. Le conteur ne sera pas danseur et le danseur ne sera pas conteur. C'est dans un amont du théâtre que l'échange avec les masques des Mandenka nous entraîne, et d'un
théâtre qui n'est peut-être pas aussi imminent que chez les Yorouba, mais où tout est présent des éléments du théâtre. Dario Fo est, lui, ce danseur qui conte . I l nous dit que le masque est une dimension - spatiale,
aussi- que le personnage assume quand il ne supporte plus la charge qu'il a à l'intérieur de lui" quando no sostiene piu la carica che ha dentro"( Fo, Toto, 15 75 ). Le masque est la première mise en espace de toutes ces
forces avant que la parole ne soit leur mise en présence dans un espace unique. Cette rencontre de l'altérité est le premier moment du dialogue, notre horizon ...
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Notes bibliographiques Les chiffres renvoient aux pages de Grain de Vision, texte de Sory Camara, avec une introduction d'Alain Ricard, CEAN, Bordeaux,
1993. Dario Fo, Toto Manuale dell'attor comico,Torino, 1991. |
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Essais publiés par Alain Ricard Ouvrages
Littératures d'Afrique noire, Paris , Karthala CNRS, I995; Ebrahim Hussein, théâtre swahili et nationalisme tanzanien, Paris,Karthala, I998, 187 p.
Articles
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