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TOYS CULTURE AND SOCIETY

AN ANTHROPOLOGICAL APPROACH WITH REFERENCE TO NORTH AFRICA AND THE SAHARA

JEAN-PIERRE ROSSIE

NORDIC CENTER FOR RESEARCH ON TOYS AND EDUCATIONAL MEDIA

HALMSTAD 1999

Volume 1: 93 p.
Volume 2: 13 p. + 107 figures

Cette publication peut se consulter sur le website du NCFL: http://www.hh.se/dep/ncflweb/Publications.html

NCFL - Nordic Center for Research on Toys and Educational Media University of Halmstad, Box 823, 301 18 Halmstad, Sweden

© Jean-Pierre Rossie, tous droits réservés sauf utilisation non-commerciale
ISBN 91-89400-30-5


© Jean-Pierre Rossie

© Jean-Pierre Rossie


Résumé

Ce livre contient des informations sur les jeux et jouets des enfants arabophones et berbèrophones de l'Afrique du Nord et du Sahara. Les populations amazighes dont parle ce livre sont les Amazighs marocains, les Chaouia, les Mozabites et les Touareg. Dans le contexte du website de "La Renaissance Amazighe" les figures sont limitées à des photos des jouets et des jeux des enfants amazighs du Maroc.

En parlant des jouets sahariens et nord-africains, et des jeux dans lesquels ils sont utilisés, un territoire énorme doit être couvert ainsi qu'une aire socio-culturelle complexe. Donc il faut avant tout éviter des conclusions hatives. Une raison se trouve dans la diversité des environnements physiques, économiques, sociaux et culturels créant une grande différence entre une petite communauté berbèrophone seminomade du Sahara et une grande ville marocaine arabophone avec une longue tradition urbaine. Une autre raison pour se méfier de généralisations faciles provient du manque presque total de recherches, aussi bien anciennes qu'actuelles sur les jeux et jouets de ces régions.

L'information recueillie se réfère à des enfants entre trois et treize ans, pour les garçons éventuellement jusqu'à un . ge un peu plus avancé, vivant dans des communautés rurales non-industrielles ou dans des quartiers populaires des villes. On cherchera donc en vain des informations sur les tout petits enfants.

Quatre sources d'informations se recoupent dans l'analyse:

  • la collection de jouets sahariens et nord-africains conservés dans le Département d'Afrique Blanche et du Proche Orient du Musée de l'Homme à Paris;
  • la bibliographie ethnographique, linguistique et autre traitant de l'aire géographique donnée;
  • mes propres recherches, de 1975 à 1977, sur les jeux et jouets des enfants ghrib du Sahara Tunisien;
  • mes recherches en cours depuis février 1992 sur les jeux et jouets au Maroc.

Le chapitre 2, . Toy design: reflexions of an anthropologist. , propose quelques réflexions en rapport avec l'attitude locale saharienne et nord-africaine envers des poupées traditionnelles ou importées, comme Barbie et Brownie le gnome. Dans le même chapitre je donne aussi des exemples de jouets réalisés avec du matériel naturel et de récupération et j'essaie de mettre en avant l'aspect de sécurité et de danger des jouets faits par les enfants eux-mêmes. Le chapitre 3, . Toys, sociocultural reproduction and continuity. , décrit la relation entre les jouets et la reproduction socio-culturelle ou la continuité à travers des générations successives du design, du jeu, des attitudes, des comportements et des valeurs liés aux jouets. Le chapitre 4, . Toys and creativity. , s'intéresse au développement de la créativité individuelle et collective dans la fabrication de jouets. Le chapitre 5, . Dolls, symbols and communication. , analyse certains symboles et modes de communication qui s'attachent aux jouets. Le chapitre 6, . Girls. dolls: a social semiotic approach. , décrit un premier essai d'utilisation de l'approche de la sémiotique sociale pour mieux comprendre les poupées des filles sahariennes et nord-africaines. Le chapitre 7, . Toys and gender. , s'intéresse aux différences et similitudes entre les filles et les garçons qui font des jouets. Le chapitre 8, . Toys and generations. , discute de la relation ludique adulte-enfant et enfant-enfant. Le chapitre 9, . Toys and change. , veut mettre en lumière l'évolution des poupées et maisons de poupées ainsi que des jouets représentant des moyens de transport et des objects de la technologie moderne. Finalement, le chapitre 10, . Conclusion. , met la création de jouets par les enfants sahariens et nord-africains en rapport avec la commercialisation des jouets et le débat plus général sur les jeux et jouets. Dans un appendice on trouvera un schéma pour décrire les jeux et jouets pouvant aider à analyser en détail ces activités ludiques.

Dans le contexte actuel Barbie présente aux filles aussi bien qu'aux garçons de toutes les classes sociales le modèle d'une jeune femme occidentale, de son comportement et de ses désirs. A l'exception de la classe nantie, la plupart des femmes et des hommes des sociétés sahariennes et nord-africaines contemporaines ont une tout autre vision de la même Barbie. Le modèle féminin idéal dans ces régions est une jeune femme décemment vètue et bien nourrié, même plutôt grosse, comme démontré par la plupart des poupées faites par les filles. Une femme du genre Barbie est dans la vie quotidienne associée à ce qu'on appelle au Maroc 'une squelette vivante'. Même de nos jours une femme avec pareille figure est vue comme laide, ce qui est attribué à une des conditions pitoyables suivantes, la pauvreté, la maladie, les problèmes. Il n'est donc pas étonnant qu'on trouve là-bas des femmes qui prennent des pillules pour grossir comme il y en a en Occident qui les prennent pour maigrir.

Sans vouloir donner une liste complète du matériel naturel pris dans l'environnement local et utilisé pour fabriquer des jouets, ce matériel peut être classifié comme suite:

  • matériel d'origine minérale: sable, argile, peinture, pierres, cailloux...,
  • matériel d'origine végétale: cactus, fleurs, herbes, feuilles, roseau, branchettes, écorce, jus, colle, peinture, épis de maîs, noix, dates, courgettes, pommes de terre...,
  • matériel d'origine animale: os, cornes, cheveux, peau, intestins, excréments...,
  • matériel d'origine humaine: cheveux, parties du corps ou le corps entier.


© Jean-Pierre Rossie

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Les enfants sont des maîtres dans la réutilisation de matériel de récupération qu'ils trouvent dans leur communauté. Il est donc normal qu'ils l'utilisent aussi pour faire des jouets. Une liste incomplète comprend:

  • matériel en potterie: pièces de potterie, perles, boutons...,
  • matériel en verre: pièces d'ustensiles en verre, bouteilles, perles...,
  • matériel en bois: morceaux de bois de construction, louches...,
  • matériel en fibre: fils et chiffons de cotton, de laine ou synthétiques, morceaux de tapis...,
  • matériel en métal: morceaux de fer, d'aluminium, de cuivre et d'étain, des fils, boîtes, clous, aiguilles, épingles de sûreté, pièces de bicyclettes et de voitures...,
  • matériel en papier: papier, carton...,
  • matériel en plastique et en caoutchouc: tubes, pneux, flacons, boîtes, bouteilles, bouchons, jouets ou parties de jouets...,
  • autre matériel: crayons, stylos, encre, peinture, colle, bougies, produits de maquillage.

Comme ces matériaux sont souvent combinés, le même jouet peut montrer l'utilisation de matériel naturel et de matériel de récupération d'origines diverses. Des feuilles, spécialement des feuilles de palmier et de roseau, servent à faire des jouets comme des sifflets, des moulins à vent, des animaux, des voitures. Mais des légumes comme les courgettes et les pommes de terre peuvent aussi servir. Des jouets sonores comme les sifflets, les flutes et les tambours sont faits aussi bien avec du matériel naturel que de récupération.

Les jeux de ménage offrent un bon exemple de l'utilisation de plusieurs sortes de matériaux de récuperation combiné avec du matériel naturel. Dans leurs maisonnettes les filles sahariennes et nord-africaines se servent de boîtes de conserves; de cordes, de bouteilles, de boîtes et de bouchons en plastique; de morceaux de papier, de carton et de bois; de chiffons de toute sorte et bien d'autres objets de récupération. Mais elles utilisent aussi de l'eau, de l'argile, des fleurs, des herbes, des branchettes et du roseau.

Le même objet peut aisément se transformer en différents jouets comme j'ai pu le constater en novembre 1997 lorsqu'un garçon marocain d'environ six ans se promène d'abord avec la moitié d'un bidon en plastique comme chapeau, puis l'attache à un fil et le donne des coups de pieds comme à un ballon de football avant de le changer en tambour pour accompagner sa chanson, tout cela en moins de cinq minutes.

Les exemples ci-dessus de jouets réalisés par les enfants avec du matériel naturel et de récupération ne montre qu'un aperçu de ce que ces enfants expérimentent et apprennent sur les matériaux, les techniques et les structures. Cette création de jouets et leur manipulation dans les jeux offrent aux enfants la possibilité de développer tous leurs sens. En plus, ce n'est peut être pas le jouet fini qui est tellement intéressant mais, d'un côté, l'action de rechercher les matériaux nécessaires et de construire le jouet et, de l'autre côté, l'activités ludiques dans lequelles ces jouets sont utilisés.

La question de la sécurité et du danger des jouets fait par les enfants sahariens et nord-africains est une question totalement négligée. En plus je crois qu'elle deviendrait une fois posée tout de suite controversielle car elle révèlera un antagonisme entre ceux qui souligneront l'importance de la créativité et les avantages de ces jouets pour le développement des enfants et ceux qui souligneront le danger inhérant à les faire.

En parlant de communautés non-industrielles il est sans aucun doute plus facile de donner des exemples du lien entre les jouets et la continuité des attitudes, comportements et valeurs à travers des générations successives que de documenter le lien entre la fabrication de jouets et la créativité.

Un exemple remarquable de la continuité d'un type de jouet est donné par la distribution spatiale et temporelle des animaux-jouets, spécialement d'un type particulier d'animal-jouet avec les deux pattes antérieures réunies en une seule patte. J'ai trouvé quatre groupes d'animaux-jouets à trois pattes en argile, trois localisés le long du fleuve Niger au Mali et le quatrième dans le Sahara mauritanien: les trouvailles archéologiques de Jenné-Jeno (100 av. J.-C. - 1400 ap. J.-C.), les trouvailles archéologiques de 1904 dans la région de Rhergo (non daté), les animaux-jouets des enfants touareg de Tombouctou et Goundam (années 1950) et les animaux-jouets de Oualata (années 1930-1950).

Bien que peu de gens auront probablement penser trouver une tradition de jouets vieille de deux mille ans ou plus dans le sahara méridional, cette continuité dans la forme et le matériel de ces jouets n'est pas surprenante si l'on tient compte de la similitude frappante entre certains jouets anciens chinois, égyptien, grecques et indiens et des jouets contemporains comme les poupées, les animaux-jouets, les osselets, les billes, les toupies, les cerf-volants, les balançoires, les hochets.

Dans les milieux plus ou moins traditionnels d'Afrique du Nord et du Sahara, les poupées et jeux de poupées ainsi que les autres jouets et activités ludiques reflètent les réalités sociales et culturelles de la communauté dans lesquelles les enfants grandissent. Ils sont directement liés aux méthodes d'éducation informelle et aux valeurs soutenues par la famille de l'enfant et la communauté locale.

Dans son jeu de poupée l'enfant de ces régions anticipe souvent la vie qu'il mènera comme adulte, du moins dans les communautés où le mode de vie ne changeait que lentement d'une génération à l'autre, une stabilité qui n'existe plus en Afrique du Nord et au Sahara depuis trois ou quatre décennies. Cependant, ce n'est pas d'une imitation pur et simple qu'il s'agit mais d'une interprétation personnelle du monde adulte par les enfants. Plusieures jeux et jouets aident les enfants à s'intégrer dans les groupes sociaux de base dans lesquels ils grandissent, à s'adapter aux rôles qui leur sont proposés et à intérioriser les normes et les valeurs qui prévalent dans leur milieu. Néanmoins, il ne faudrait pas voir les communautés non-industrielles, mêmes celles des régions rurales, comme des entités monolithiques. Dans le même voisinage on peut trouver des familles qui sont plus restrictives envers les activités de jeux et la création de jouets de leurs enfants que d'autres familles. Dans certaines familles jouer est vu comme un gaspillage de temps, spécialement pour les filles, mais dans d'autres familles les enfants jouissent de plus de liberté pour jouer.

Dans leur interprétation du monde adulte ces enfants ne montrent pas seulement leur fidélité aux canons traditionnels mais ils développent aussi leur créativité. Une créatvité plutôt inhabituelle fut déployée par quelques garçons ghrib en 1975 lorsqu'ils ont dessiné des traits de visage sur les poupées de leur súurs qui traditionnellement n'en avaient pas, une manière de faire qui était jusqu'alors toujours respectée par ces filles bien que quelques súurs ont essayé maladroitement d'imiter leurs frères. Plus tard en 1991, les filles ghrib de la génération suivante utilisent créativement un produit de la société de consommation, un flacon en plastique, pour donner une nouvelle tête à leurs poupées. En même temps ils ont dessiné des traits de visage très élaborés sur ce flacon. Une créativité vraiment individuelle se révèle dans le cas d'une fille d'un quartier pauvre de Marrakech au Maroc qui a créé avec une poupée en plastique dévètue, frabiquée en Chine, une merveilleuse poupée-jeune mariée de Marrakech.

J'ai trouvé dans un petit village marocain du Haut Atlas un autre bel exemple de l'utilisation créative de matériel naturel et de récupération adroitement combiné pour faire un jouet remarquable représentant un objet inaccessible du progrès rural, c'est à dire un tracteur. Ce jouet ingénieux fut fait par un garçon de treize ans en moins de dix minutes avec des morceaux de cactus, des branchettes et des morceaux de roseaux, d'un côté, des pièces de caoutchouc, une partie d'un tuyau et des bouchons en plastique, de l'autre côté.

A cause de l'importance primordiale des groupes de jeux en Afrique du Nord et au Sahara, je veux mettre en avant l'hypothèse que la créativité déployée en faisant des jouets et en jouant avec eux pourrait s'exprimer mieux, et si cela en est ainsi devrait être analysée, dans les interactions des enfants à l'intérieur des groupes de jeux plutôt que dans le cas de joueurs isolés.

Bien que les jouets possèdent des aspects universels, chaque système socio-culturel a développé quelques formes de jouets particuliers, par exemple des jouets figurant des êtres humains. Ces jouets se réfèrent à des symboles spécifiques et servent à communiquer des messages spécifiques.

Le visage d'une poupée a des significations importantes. Parmi toutes les poupées-hommes sahariennes et nord-africaines que j'ai vues ou dont j'ai trouvé des données pas une avait un visage avec des yeux, un nez, une bouche ou des oreilles. Les poupées-hommes manquent totalement les traits de visage, même celles modelées en argile. Comme les poupées-hommes de ces régions, les poupées-femmes ont un visage symbolique. Parmi les Touareg, les Ghrib et les Maures les poupées-femmes n'ont traditionnellement pas de traits de visage. Le même ne peut se dire des populations sahariennes sédentaires car parmi eux les traits de visage des poupées-femmes sont parfois indiqués. Entre un manque total de traits de visage et leur représentation réaliste on trouve aussi une manière fantaisiste de les représenter.

Comme il sera illustré dans le chapitre "Evolution of Dolls and Dolls. Houses", il semble que la modernisation des sociétés sahariennes et nord-africaines poussent les enfants plus loin d'une représentation symbolique des traits de visage vers une représentation plus réaliste. Une évolution qui est stimulée au niveau des enfants par l'école et les médias.

Des images symboliques et réalistes de la masculinité et de la féminité s'aperçoivent aussi à travers les poupées. Parmi les deux populations nomades les plus importantes du Sahara, les Touareg et les Maures, la différence la plus frappante entre une poupée-homme et une poupée-femme est une position debout contre une position assise. Ces poupées-femmes ont des fesses très développées car ceci est une marque de beauté et d'aisance. De cette manière la poupée devient un moyen pour inculquer à l'enfant l'idéal de la beauté féminine, tout comme la poupée Barbie le fait pour l'enfant américain et européen.

En résumant cet aspect d'images symboliques ou réalistes de la féminité et de la masculinité dans les poupées sahariennes et nord-africaines, on peut avancer qu'elles montrent en même temps une représentation réaliste d'un adulte et une représentation symbolique d'un statut socio-culturel idéalisé. Les deux représentations sont élaborées d'une manière figurative directe à travers la posture, la coiffure, l'habillement, la décoration, et rarement des charactéristiques physiques comme la représentation des fesses ou des seins des poupées-femmes.

Excepté pour le Maroc, je n'ai noté l'existence de poupées-hommes que parmi des populations vivant dans le Sahara, spécialement les nomades et semi-nomades. Ces poupées-hommes sont faites par les filles et parfois les garçons, le plus souvent des garçons touareg. Ils représentent des méharistes, des cavaliers, des bergers, des guerriers, des notables ou des jeunes mariés. Les poupées-enfants sont vraiment rare dans toute la région et si elles existent elles ressemblent fortement aux poupées-hommes et poupées-femmes. Néanmoins la poupée-mère chaouia portant une poupée-bébé sur son dos, faite par les filles amazighes de l'Aurès dans le nord-est de l'Algérie démontre la relativité de toute affirmation absolue.

Le jeu de poupée n'est nullement limité à la communication visuelle car des formes de communication non-verbales à travers des gestes et des danses ont elles aussi leur importance. La communication verbale est présente par les dialogues et les chansons.

Parce que dans chaque communauté les enfants jouent avec le même genre de poupées cette similitude facilite l'élaboration et la communication de significations partagées. Cette élaboration et communication de significations partagées se trouvent renforcées par le fait que ces enfants font la plupart du temps eux-mêmes leurs poupées. Ainsi on peut qualifier les poupées et les jeux de poupées comme un outil de communication efficient pour soutenir le système socio-culturel.

A travers les poupées et jeux de poupées beaucoup de symboles, de significations, de valeurs esthétiques, sociales et morales sont transmis d'une génération à l'autre et intériorisés par les enfants d'une manière ludique. Dans ce contexte, les interactions entre enfants et adultes, d'un côté, et entre enfants plus jeunes et enfants plus . gés, de l'autre côté, ont une grande importance. Mais vu que le jeu de poupée au Sahara et en Afrique du Nord est avant tout une activité collective, non pas une activité individuelle, il est clair que les interactions entre pairs sont largement prédominantes. Dans leur jeu de poupée collectif les enfants d'une même famille ou voisinage représentent leur interprétation du monde adulte, des t. ches féminines et parfois masculines, des festivités.

En regardant de plus près le matériel spécifique choisit pour figurer des aspects particuliers des poupées, j'ai trouvé quelques exemples intéressant, comme des feuilles de roseau pour donner une coiffure traditionnelle, du chanvre pour créer de longues tresses, la barbe de l'épis de maÔs pour faire des cheveux longs. Mais cette utilisation intentionnelle de matériaux ert d'objets n'est pas limité à faire des poupées. Ceci se fait aussi dans la création d'autres jouets, par exemple quand une machoire de chèvre ou de mouton sert à faire un dromadaire ou quand des enfants utilisent toutes sortes d'objets ronds, cylindriques ou ovales pour faire des roues pour leur jouets représentant des bicyclettes, des motos, des voitures et des camions.

Bien qu'il est parfois possible de lier le choix d'un matériel ou d'un objet particulier à une signification représentationnelle spécifique cela sera beaucoup plus difficile sinon impossible dans d'autres cas. Il serait sans aucun doute intéressant de demander aux enfants pourquoi ils préfèrent utiliser tel matériel au lieu d'un autre, mais il est bien probable qu'ils trouveront pareille question 'stupide' ou 'insensée'. Leur réponse pourrait donc plutôt ressembler à 'cela à toujours été fait ainsi', 'tout le monde le fait de cette manière', 'on a appris à le faire comme cela' ou 'ce matériel est ce qui convient'.

En plus du matériel utilisé par les enfants pour faire leurs jouets, la technologie employée est elle aussi importante. Les enfants sahariens et nord-africains sont limités par ce qui fut appelé "the technologies of the hand". En outre, les outils manuels sont le plus souvent des objets trouvés par les enfants et non pas des outils d'adultes.

Un des problèmes techniques auxquels ces enfants sont confrontés est celui du mouvement, le mouvement du jouet lui-même ou le mouvement de parties du jouet. Bien que les poupées de ces régions ne possèdent pas des parties mobiles pour autant que je sache, le fait qu'elles ne sont pas articulées ne peut s'attribuer à un manque de connaissances techniques car d'autres jouets ont des parties mobiles comme les jouets représentant des moulins à vent, des araires, des voitures.

La différentiation entre garçons et filles a joué et joue encore un grand rôle dans la socialisation des enfants sahariens et nord-africains et dès lors aussi dans le domaine des jeux et jouets. Les jouets fait par les filles s'inspirent largement de la sphère familiale intime, spécialement les poupées, maisonnettes, petites tentes, ustensiles-jouets. Bien que les garçons peuvent de temps en temps faire ces jouets, ils réalisent surtout des jouets inspirés par les techniques ou nécessaire pour jouer à des activités économiques. C'est surtout dans leurs jeux d'imitation et dans la création de jouets utilisés dans ces jeux que les filles et les garçons représentent la vie de tous jes jours des femmes et des hommes de leur entourage.

Comme les filles font partie du monde féminin elles sont plus liées par la tradition que les garçons et cette réalité se reflète dans les jouets. Cela explique probablement pourquoi la création de jouets liés aux changements technologiques et socio-culturels est largement l'úuvre de garçons. La fabrication de jouets en relation avec le monde animal, un monde animal qui joue encore un rôle non négligeable dans la vie rurale saharienne et nord-africaine, est lui aussi en grande partie due à des garçons. Avec ces animaux-jouets qui représentent des dromadaires, des chevaux, des . nes, des mulets, des chèvres, des moutons, du bétail, des chiens et quelques animaux sauvages, les garçons jouent à abreuver et à nourrir, à monter une caravane, à organiser une course, une chasse, une expédition, un commerce, tous des activités liés à la vie économique et au monde extérieur dominé par les hommes.

A partir de l'. ge d'environ cinq ans les groupes de jeux se divisent entre groupes de jeux des garçons et groupes de jeux des filles, les groupes de jeux des filles ayant parfois la garde de petits enfants. Comme les groupes de jeux des filles sont assez strictement séparés des groupes de jeux des garçons le rôle des pairs du même sexe est extrèmement important dans la fabrication de jouets appropriés à chaque sexe et dans le jeu avec ceux-ci.

De manière frappante la liberté de mouvement des filles et des garçons est différente. Normalement on trouve les groupes de jeux des filles près de leurs maisons. Les groupes de jeux des garçons peuvent s'éloigner plus loin, la distance s'agrandissant avec l'. ge comme dans le cas de grands garçons marocains jouant dans la mer à deux heures de marche de leur village. Une autre différence entre garçons et filles existant déjà à l'. ge de six ans est le temps libre pour jouer, les filles ayant une obligation plus forte d'aider leurs mères et les autres femmes de la famille que celle qu'ont les garçons envers leur père et les autres hommes de la famille.

Vu que les données sur la différence entre filles et garçons dans le domaine des jeux et jouets en Afrique du Nord et au Sahara sont rares, mes constatations à ce sujet restent hypothétiques et ne sont donc pas des réalités établies. Il est donc tout à fait indispensable qu'une recherche plus spécifique se fasse pour vérifier ces hypothèses. En plus, la distinction entre filles et garçons ne doit pas être conçue comme rigide car j'ai déjà trouvé quelques cas où une fille ou bien un garçon joue avec un jouet typique du sexe opposé.

Jouer avec des personnes de la même génération ou d'une génération cadette ou aînée se révèle être de la plus grande importance pour le développement et la socialisation des enfants et cela l'est certainement dans les régions dont parle ce livre. Cependant, les informations recueillies dans la bibliographie ne donne que très peu de données concrètes sur les différences entre les générations et sur les relations entre adultes et enfants dans le sphère du ludique. Dès lors, je ne peux qu'utiliser des observations que j'ai faites chez les Ghrib du Sahara tunisien.

Chez les Ghrib, comme probablement partout dans le monde, c'est la mère, la grand-mère et la súur aînée qui le plus souvent s'occupent du petit enfant et l'amusent. Pourtant, j'ai vu plus qu'une fois qu'un père, un oncle, un frère ou un cousin d'. ge adulte joue par plaisir avec un petit garçon ou une petite fille. Mais si le bambin devient difficile ou commence à pleurer il est facilement mis dans les bras de sa mère, d'une autre femme ou d'une grande fille. Quand une fille ou une femme joue avec un petit enfant cela peut se faire pour le plaisir mais souvent cela sert aussi à apaiser le petit.

Le point de vue généralement avancé, aussi bien par les gens concernés que par des observateurs étrangers, que les adultes sahariens et nord-africains sont assez indifférent ou, exprimé d'une manière probablement plus adéquate, peu préoccupés par le jeu des enfants reste pour autant que je sache sans explication. Il est néanmoins possible de proposer quelques éléments d'explication. Comme la fabrication des jouets et les activités ludiques sont vus comme faisant partie intégrante de l'enfance, comme cet enfance n'est pas définie comme une entité socio-culturelle distincte et car il existe une séparation nette entre le statut 'enfant' et le statut 'adulte', ces activités enfantines ne doivent pas seulement être délaissées en devenant adulte mais en plus les adultes ne doivent pas participer aux activités ludiques des enfants. En outre, comme dans ces communautés les enfants sont le plus souvent bien socialisés et respèctent les normes et les valeurs locales même dans leurs jeux, il semble qu'une interférence adulte est peu nécessaire. L'interférence et le contrôle adulte est tout de même plus suivie pour les filles que pour les garçons.

En ce qui concerne la relation adulte-enfant créée à travers le jouet donné comme cadeau, si courant dans des sociétés de consommation, il semble bien qu'offrir des cadeaux était et reste toujours exceptionnnel au Sahara et en Afrique du Nord.

Ces jouets sont créés par les enfants pour communiquer avec d'autres enfants et, sauf quelques exceptions, ils ne sont point créés en isolation mais dans des groupes de jeux. Si dans le domaine des jeux et jouets le rôle des adultes est peu visible, le rôle du groupe de jeu, des frères, des súurs et des camarades plus . gés, ainsi que des pairs est extrèmement important.

Voir un enfant saharien et nord-africain jouer seul n'arrive que de temps en temps car les activités enfantines sont surtout des activités collectives et de plein air. Les groupes de jeux sont les organisations de base. Ils sont formés de filles ou de garçons, rarement les deux. Quand des filles et des garçons jouent ensemble ce sont normalement des enfants jeunes. Les facteurs déterminant le choix des camarades de jeux sont en premier lieu basés sur les liens de parenté et de voisinage. Cela fortifie certainement la cohésion du groupe de jeu et les liens entre les enfants, plus encore que dans le cas de groupes de jeu composés d'enfants d'une même classe, un facteur d'organisation de groupes de jeux courant dans les sociétés post-industrielles.

Dans le chapitre "Toys and Change" une analyse est présentée des liens entre les jouets et l'évolution des sociétés sahariennes et nord-africaines. Mon premier exemple de l'évolution des poupées-femmes vient des Ghrib du Sahara tunisien. Ces Ghrib qui se sont transformés de nomades en seminomades durant les années 1960 et 1970 sont actuellement complètement sédentarisés.

L'évolution des poupées-femmes des filles ghrib c'est réalisée dans une période de quinze ans, entre 1975 et 1990. La poupée traditionnelle représente une jeune mariée construite sur une structure typique de deux morceaux de bois en forme de croix. Elle est individualisée par ses vêtements faits avec toute sorte de chiffons. Les bijoux qu'elle porte sont une replique des bijoux qu'une jeune mariée reçoit de son futur époux, réalisés avec du fil de fer, des morceaux de boîtes de conserves, des fragments d'aluminium. Cette poupée porte aussi deux tresses de cheveux de chèvre qui pendent devant les oreilles, tout comme le font les femmes mariées, et un ou plusieurs chiffons servent de foulard.

Dans l'oasis d'El Faouar où la plupart des Ghrib se sont sédentarisés, des frères allant à l'école primaire ont désigné en 1975 des traits de visages sur les poupées que leurs súurs illétrées avaient faites et qu'elles voulaient me donner. Traditionnellement ces poupées n'avaient pas de traits de visage et les filles respectaient cette coutume. Néanmoins, les filles ne se sont pas opposées à l'action spontanée de leurs frères et quelques filles ont même essayé maladroitement de desssiner des traits de visage.

Une quinzaine d'année plus tard, en 1991, les traits de visage dessinés par les filles scolarisées sont bien faites. A ce moment une autre innovation dans la création des poupées-femmes a vu le jour. Pour cela les filles ghrib ont utilisé un des objets de récupération de la société de consommation, une société de consommation qui réussit de plus en plus a intégrer les Ghrib. Cet objet de récupération est un flacon en plastique vide servant de tête à la poupée en le poussant sur le b. ton vertical de la structure en forme de croix. Un visage élaboré a été dessiné sur le flacon.

Non seulement à Marrakech mais aussi dans d'autres villes marocaines la poupée faite localement a été remplacée par la poupée en plastique importée. Dans les villages marocains on trouve aussi bien la poupée faite par les enfants que la poupée en plastique importée, une poupée en plastique parfois adaptée au mode de vie local quand les filles lui donnent des vêtements qu'elles ont cousus elles-mêmes. Mais dans certains villages, même petits, la poupée faite par les filles semble avoir disparue.

Une autre évolution est directement liée au tourisme. De nos jours les touristes qui viennent admirer les dunes de sable de Merzouga dans l'Est du Maroc, se voient offrir par des filles des poupées traditionnelles qu'elles font avec une armature de roseau. Ces poupées sont encore faite pour jouer avec mais quand l'occasion se présente elles sont vendues au touristes pour quelques dirhams. De cette manière ces poupées se transforment de jouets d'enfants en objets touristiques. Un autre exemple de l'influence du tourisme est déjà plus ancien et se réfère aux belles maisonnettes des filles de la petite ville de Oualata au Sahara mauritanien.

L'évolution des poupées sahariennes et nord-africaines est en rapport avec les activités ludiques des filles car les garçons ne font que rarement des poupées. Mais l'évolution des jouets représentant des moyens de transport et des objets de la technologie moderne est en rapport avec les activités ludiques des garçons. Dans les années 1970 lorque les Ghrib vivaient plus ou moin une vie de seminomade, les garçons aimaient de faire un dromadaire-jouet monté par un méhariste et de jouer avec. Pour un bambin un bout d'une planche suffit déjà pour figurer la symbiose centenaire entre les Ghrib et leurs dromadaires dont ils étaient des éleveurs renommés.

Dans la seconde moitié des années 1970 il devient clair que les jouets et les jeux des garçons ghrib subissent l'influence de l'évolution de leur société d'un mode de vie nomade vers un mode de vie sédentaire, comme dans les jeux du genre 'marchand de village' ou 'agriculteur d'oasis'. Cette évolution est plus nette encore lorsqu'il s'agit de jouets figurant des moyens de transport comme la charette tirée par des mulets typique pour une vie sédentaire. Il y a aussi des jouets faits par les enfants, appelés 'bicyclette', et avec lesquels ils courrent sur les dunes de sable. Mais plus populaires encore sont les voitures-jouets comme le taxi collectif Peugeot modelé avec du sable humide. En plus, des garçons s'identifiaient tellement avec cet objet prestigieux de la vie moderne qu'ils se transformaient en voiture vivante.

Bien que les animaux-jouets en plastique, fabriqués sur place ou importés et souvent de mauvaise qualité, ont envahit l'Afrique du Nord depuis des décennies, les enfants fabriquent toujours des animaux-jouets traditionnels ici et là. Dans les magasins des villes on peut acheter des animaux en plastiques à roues qu'un enfant peut monter mais ils sont aussi amenés d'Europe comme des présent par les émigrés de retour au pays.

Comme chez les Ghrib, les voitures et les camions fascinent les garçons marocains aussi bien ceux des grandes villes que ceux des villages reculés. Un garçon d'un village dans les environs de la ville de Kénitra a construit un joli camion en utilisant des filtres à huile pour les roues. Dans un autre village marocain j'ai vu comment un jouet peut changer suite à de nouvelles expériences. Jusqu'alors les garçons d'Assaka près de Midelt faisaient un camion avec un bidon d'huile, quatre roues découpées dans un pneu usé, un volant de fil de fer, etc. Mais comme ils ont observé lors de la reconstruction du système d'irrigation comment une bétonnière était remplie avec un monte-charge, un d'eux a trouvé le moyen d'attacher un monte-charge à son camion-jouet en utilisant une boîte de sardines et un long fil de fer fixé au volant. En tirant le fil de fer le sable et les pierres accumlulés dans le monte-charge sont déversés dans la benne.

Un dernier exemple de l'influence de la modernisation technologique sur les jeux et jouets se réfère au téléphone. En 1977, quand aucune famille ghrib vivant dans l'oasis d'El Faouar au Sahara tunisien nord-occidental avait un téléphone, les garçons se créaient eux-mêmes une ligne téléphonique en creusant une tranchée et en la couvrant de branchettes et de sable, préfigurant ainsi le rôle que le téléphone jouera dans leur vie d'adulte. La même situation se présentait vers la fin des années 1970 dans un petit village marocain où les filles et les garçons faisaient leur propre ligne de téléphone en utilisant un long fil de fer auquel un petit pot en plastique est fixé à chaque extrémité. Mais bien qu'aujourd'hui l'utilisation du téléphone est devenue courante, les enfants marocains ne jouent pas seulement avec un téléphone en plastiques, parfois ils font encore eux-mêmes un téléphone comme dans le cas d'un garçon de cinq ans jouant avec l'argile.

Les changements dans les jeux et jouets des enfants sahariens et nord-africains ne viennent pas principalement d'apports étrangers comme dans le cas des jouets importés d'Asie ou d'Europe. Au contraire il est intéressant de noter que les changements s'opèrent le plus souvent par deux voies: en utilisant du matériel et des techniques locales pour créer de jouets s'inspirant de thèmes nouveaux, et en utilisant du matériel et des techniques nouvelles pour faire des jouets s'inspirant de thèmes locaux.

Les jouets crées par les enfants sont souvent des objets de courte durée. En même temps ils sont refaits à chaque occasion et ainsi ils offrent des possibliltés de changement causé par des influences intérieures et extérieures:

- des changements, ou peut être plus correctement des progrès, dus à des compétences accrues suite à une pratique régulière et au développement de l'enfant qui font que le jouet devient mieux adapté aux fonctions ludiques que l'enfant lui destine;

- des changements dues à des influences environnementales comme du matériel nouveau, l'imitation du savoir-faire d'autres enfants, des modifications dans les intérêts des enfants suite à l'évolution sociale et économique, l'influence de l'école et des médias ainsi que le marketing mondial des jouets.

Finalement, je suis enclin à dire que dans le domaine des activités ludiques, où des formes anciennes et nouvelles de jouets et de jeux se côtoient journalièrement, il faut plutôt parler de changements subtils qui reflètent et parfois annoncent l'évolution technologique, économique, sociale et culturelle.

La commercialisation des jouets, offrant des jouets industriels que seulement les classes moyennes et aisées peuvent acheter, crée une nouvelle distinction entre les enfants sahariens et nord-africains, une distinction qui n'existe pas quand les enfants créent leurs propres jouets. Vu que l'évolution vers une société de consommation progresse lentement mais surement dans ces régions, les enfants dont les parents ne peuvent pas acheter des jouets de bonne qualité ne se sentent pas uniquement frustrés mais en même temps ils deviennent moins motivés à créer les jouets 'dévalués' avec lesquels ils ont coutume de jouer. Ceci résulte plus qu'une fois dans l'achat de jouets bon marché de qualité douteuse ou même de jouets dangereux car un contrôle adéquat sur la sécurité des jouets manque dans ces pays. Cette commercialisation des jouets porte aussi à voir le jouet comme un cadeau d'un adulte à un enfant, une attitude qui jusqu'à récemment était pratiquement inexistante.

En général, on peut avancer que le jouet créé par l'enfant lui-même, sauf quelques exceptions comme les véhicules-jouets ou les armes-jouets, disparait bien vite dans les villes sahariennes et nord-africaines. La poupée traditionnelle semble avoir disparu des villes, du moins je n'en ai pas trouvé une qui fut faite récemment par une fille d'une ville marocaine. Néanmoins, nombre d'enfants continuent à avoir beaucoup de plaisir à créér leurs propres jouets et cela largement mais pas exclusivement dans les milieux ruraux comme les exemples récents provenant du Maroc et décrits dans mes livres suffisent à démontrer.

 

 

Biographie JEAN-PIERRE ROSSIE

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