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POEME HYDRAULIQUE
de Gyula KOSICE



L'architecture de l'eau



Une goutte d'eau bercée à toute vitesse nous a créés. La terre, jaillie d'une goutte de feu solaire, put s'éteindre à temps grâce au mouvement statique dans l'espace, qui contribua à donner vie à la vie. Dès ce moment, le penchant du néant essaie de se naturaliser à contre-courant.


II

L'action intime de l'eau renonce à se voir homologuée
son état est plus persistant que son désir de possession
terre sans maître eau sans maître
elle conserve sa disproportion mathématique
insiste dans son apparence et son fond antiacoustique
s'infiltre partout et toujours unanime obéit à son poids

ses vagues collectives sont une révérence continuelle


III

L'eau limite sa capacité de réflexion
on dirait que sa surface penche vers une pure conjecture
et ce n'est pas ainsi
elle s'attache de tous ses muscles
à une rotation qui lui permet de subsister
car malgré sa description facile
son va et vient
elle ne parvient pas à s'arrêter sur un bord ponctuel
glisse continuellement
supporte sur ses épaules la confiance aveugle
dans l'élasticité de tous ses membres
c'est pour cela que l'amour entre l'eau et l'air
leur copulation froide et fiévreuse pénétrante et excessive
doigte et provoque le débordement


IV

Pour l'eau la confection des rives
réclame un fabuleux effort de compréhension
sa rive est son porte-parole
et par sa propre impulsion l'eau peut lire et écrire
comme si c'était un don normal de sa fluidité
son désir est d'occuper plus de place sur les plages
son angoisse de vol
s'apaise alors qu'elle se déchire en vapeur
sa respiration interne n'est pas essoufflée
c'est un ciel cristallin qui absorbe tout fond

la vapeur en s'élevant
est une présomption qui a triomphé de l'eau


V

L'eau a sa provision d'eau
exciter la soif de l'eau c'est renverser un verre perfidement
invertir la précipitation atmosphérique et l'inondation
provoquer sa rage
c'est à dire le raz de marée bâillement convulsif et solitaire
le tourbillon de mots capables de flotter
et la crispation de tout terrain

depuis son origine l'eau atterrit continuellement
ou est en train d'atterrir
l'eau s'admire accroupie
elle est conductrice de son chiffre
sa diction est un logique enchaînement de mesure cubique
et quoiqu'elle distribue ses ondes excentriques
et les emporte en un lieu de repos contre vent et marée
elle hydrolyse tout sauf la sculpture hydraulique
parfois l'eau délire et adhère avec plus de force au sol
percute en elle-même
s'humecte par rapport à ses nerfs sensibles lunaires
l'humidité est l'apprentie de l'eau
ses bulles nourrissent des milliers de mondes habitables
décorés ou non par le soleil
sa pensée passe-partout insatiable c'est pour toujours sa mobilité


VI

J'ai sous les yeux sa propre légende à l'état liquide
sa pulsation phosphorescente est faite de pure compression
sa conduite est sa densité
son intérieur et ses bords sont abondants
son attention sublimée est sa transparence
la pluie est sa gymnastique préférée
et quand elle se déclenche averse
ou au milieu de la tempête c'est une protestation
hululante caresse monstrueuse
qui proclame son principe de liberté
malgré les grands barrages qui la contiennent
et la transmission sans fils de l'électricité
les nuages sont en même temps son auréole simulacre de son image
et mutinerie contre sa docile soumission au sol
son énergie propre embrasse tout au pluriel
les eaux ont leurs batailles perdues
sur le versant
l'eau telle qu'elle est s'étire jusqu'à l'inertie
son niveau antédiluvien a son semblable dans la mémoire et dans l'érosion
l'eau dure l'eau tendre l'eau vive
eau grimpante et eau qui plonge dans les cataractes
eau senti-mentale est eau du robinet
l'eau amitié et sa rosée
et toujours le sillage massif dans son dépôt de sel
la dissolution implacable dans le courant
amour léché dans son lit d'indifférence
la fin de son parcours est son écume
contournant l'île théorique du monde
l'aspergeant de vent bien lavé
créant son périmètre absorbant et émettant sa lumière
se repliant dans la neige et la glace
se durcissant aux pôles


VII

Il y a sans doute un trafic catégorique de l'eau
la navigation a palpé sa nudité hydrographique
et bien que la majeure partie de l'eau
vive couchée à plat ventre
son pendule aqueux de réfraction et son mouvement perpétuel
dissolvent en conscience l'épaisseur de ses murs
une architecture de l'eau commence à se mettre en mouvement
la boussole qui fut sa rose conventionnelle
change sa dictée dans mes mains
et tout recommence comme aux commencements du verbe
l'eau est ainsi.



Paris, 1958-60
Traduit de l'espagnol par N. Garbers
Supervision : Paul Verdevoye

 


Biographie de Gyula Kosice
 

 

Pour en savoir plus sur Gyula Kosice :
http://www.kosice.com.ar/english/index.html
 

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