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DISSIMULER SON VISAGE POUR PRÊTER SON CORPS AUX ESPRITS Texte d'Anne-Marie Bouttiaux
Les masques d'Afrique font partie d'un
univers particulier qu'il est parfois difficile de cerner. Pour ceux qui ont l'habitude de les voir exposés, accrochés dévitalisés à un mur, comment imginer ce qu'ils représentent chez leurs créateurs et leurs utilisateurs ?
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Les indéniables qualités plastiques dont les masques sont investis ont souvent retenu l'attention au détriment des fonctions qu'ils pouvaient remplir . Heureusement, cette vision extrêmement
réductrice a tendance à disparaître au profit d'études approfondies mettant en évidence le rôle de ces visages de substitution. Mais il reste encore d'étranges lacunes, comme si des catégories de masques n'avaient pu susciter
l'intérêt des chercheurs. C'est ainsi que pour certaines sociétés africaines, on a pu voir des historiens de l'art s'intéresser aux masques sculptés dans le bois, l'ivoire ou le métal, des anthropologues se consacrer à l'étude des
institutions sociales, politiques ou religieuses et certains objets tomber dans l'oubli. Par exemple, hormis quelques exemples
notoires, les masques de feuilles d'amas de substance végétale ont souvent été négligés. Pourtant, à partir du moment où une société utilise des masques (que ce soit à des fins rituelles, festives, politiques ou sociales), il
semble évident que toutes les catégories de ces objets occupent une place fondamentale dans un vaste ensemble cohérent. Malgré les efforts de ces dernières décennies et même lorsqu'il s'agit de masques sculptés, peu d'études ont
reflété l'ensemble des éléments qui constituent une de leurs apparitions. Il faut imaginer qu'en général, chaque société qui a recours aux masques en utilise plusieurs. Certains accumulant jusqu'à cinquante types de masques
différents. Chacun d'eux, s'il est était envisagé dans son entière complexité, pourrait faire l'objet d'un livre. Car le monde des masques est calqué sur celui des hommes, et comment étudier la soicété humaine sans faire intervenir
des linguistes, des sociologues, des psychologues, des politologues, des économistes, des philosophes, etc. L'anthropologue ou historien de l'art peut difficilement assumer tous ces domaines et, malheureusement, les recherches
pluridisciplinaires ne sont pas légion.
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La conception
Toute société africaine qui utilise des masques possède un ensemble de traditions orales qui permettent de situer cette institution. L'origine des masques, leur
apparition dans la communauté humaine et leur évolution font partie d'histoires soigneusement mémorisées et récitées dans certains contextes. Leur existence peut être associée à une théorie cosmologique, aux actes héroïques d'un
être mythique, fondateur de l'ethnie ou plus généralement aux découvertes ponctuelles de certains ancêtres. Parmi les théories les plus courantes, on note le besoin d'incarnation de certains esprits de la nature ou la nécessité des
hommes de s'accorder leurs faveurs en leur offrant un réceptacle par le biais du masque. La discrimination sexuelle qui écarte souvent les femmes du monde des masques remonte parfois à ces temps mythiquesIl
n'est pas rare de les voir comme premières détentrices incapables d'assumer la lourde charge que représente l'entretien et le culte de ces précieux visages ! Depuis cette origine légendaire, la société produit des masques au fur et
à mesure des besoins mais il faut souvent réunir un certain nombre de conditions avant de pouvoir procéder à la fabrication proprement dite d'un nouvel objet. Les procédés de divination, notamment après un rêve ou un évènement
inattendu, peuvent mener à la conclusion qu'il faut un nouveau masque. Il arrive aussi que des familles qui décident de s'installer dans un autre village demandent à pouvoir transporter certains cultes dans leur nouveau lieu
d'habitation. La rapidité et la facilité du déplacement dépendra du degré de la sacralité de l'objet dont il faut démultiplier l'efficacité magique.Pour les masques profanes, presque exclusivement utilisés dans un contexte de
divertissement, les démarches qui précèdent la fabrication sont logiquement simplifiées à l'extrême et l'envie seule d'en posséder un peut suffire à le faire fabriquer. Néanmoins le masque ne devient jamais un objet insignifiant
et la plupart du temps, même les moins sacrés d'entre eux gardent une essence surnaturelle. |
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Réceptacle du divin
Du masque rêvé et désiré il faut passer au masque fabriqué. Dans ce cas-ci encore, les plus sacrés vont exiger un maximum de précautions. Le sculpteur de masque
a bien souvent un statut particulier dans la société car il il crée un réceptacle du divin quand il ne donne pas carrément naissance à un esprit (encore que, nous le verrons plus loin, il faut souvent qu'un ritualiste supplémentaire vienne ajouter des ingrédients magiques ou consacrer l'objet pour qu'il soit efficace.) Certaines sociétés préfèrent
même pour leur masque des sculpteurs au statut particulier fondamentalement différents de ceux qui fabriquent les objets de la vie quotidienne. Il se peut que cet homme soit le forgeron, ambigu, dangereux, et souvent casté dans
nombre de cultures puisque manipulateur du feu. Le choix du matériau de fabrication est également sujet à des préparatifs rituels : on ne prend n'importe quel bois pour un masque,et il faut souvent offrir un sacrifice à l'esprit de
l'arbre que l'on va abattre pour éviter toutes représailles surnaturelles. L'endroit où le masque prend forme n'est pas anodin non plus : c'est souvent la forêt sacrée : espace de brousse situé en dehors du village, lieu des
activités secrètes, interdit aux non-initiés. |
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L'incarnation, le masque prend vie
Lorsque le visage sculpté est prêt, il doit être incarné, habillé, porté. Généralement, l'objet-masque seul n'est pas
directement puissant, il faut le consacrer par une série de rituels, lui offrir des sacrifices, appeler l'esprit à descendre en lui, le mettre en contact avec d'autres spécimens de même nature, invoquer les ancêtres, etc. Tous
ces procédés sont pris en charge par un ritualiste habillé et bien souvent lui-même investi d'un pouvoir surnaturel lui permettant de manipuler les substances magiques. Le choix du costume est aussi soumis à de nombreuses
conditions. Chaque masque a des exigences et des caprices : cela concerne la qualité du tissu, la fraîcheur des fibres végétales, leur nature, leur couleur, la manière dont on les attache, l'ordre à suivre pour l'habillement, la
personne qui assiste, les paroles prononcées. Et comme d'habitude, plus le masque est sacré plus ces détails sont rigoureux et plus les erreurs commises par rapport à ce formalisme irréparables. Ensuite, cet objet plus ou moins
chargé de force magique doit être porté. La société recrute, suivant des critères précis, un homme dont les qualités physiques et psychologiques lui permettent d'assumer cette transformation. En effet, dans bien des cas, le porteur
doit être un danseur exceptionnel, un athlète, ou encore un acteur de talent et presque toujours un individu particulièrement protégé spirituellement. Pendant les jours, voire les mois qui précèdent une prestation, il peut adopter
une alimentation, un comportement et un rythme de vie particuliers. L'ensemble de ces dispositions spéciales le mettent déjà dans
une situation anormale qui le distancie du commun des mortels. Ses prestations exigent souvent une expérience et une technique infaillibles dans les domaines de la danse du mime ou de l'acrobatie. Il n'est pas rare de le voir
s'entraîner dans la forêt sacrée et même procéder à de véritables répétitions avec un plusieurs des musiciens qui l'accompagnent. |
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Masque facial de la société do Ligbi, Côte d'Ivoire. © Musée Barbier-Mueller |
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En général, le porteur de masque partage une grande connivence avec le percussionniste soliste. Ces rapports privilégiés mènent souvent à des véritables chorégraphies où deux artistes entrent en dialogue. Le rythme
soutient et paraphrase littéralement le danseur qui insipire aussi en retour de nouvelles séquences musicales. Le corps du porteur devient très souvent l'instrument d'expression de l'esprit représenté par le masques ou contenu en
lui. On assiste, dans bien des cas, à une descente d'esprit qui peut aller de la transe légère à la possession proprement dite, selon que la personnalité du danseur soit encore en partie présente mais effacée ou qu'elle soit
littéralement évacuée par la présence spirituelle Dans le premier cas, le porteur reste conscient de ce qui se passe ; dans le second, il oublie tout ce qu'il a exécuté lorsqu'il portait le masque et se relève exténué et
abasourdi. Lorsque l'on attend du porteur une maîtrise parfaite de ses mouvements avec des séquences structurées et précises, ses erreurs sont sévèrement sanctionnées et parfois mortelles. Imaginez un masque, incarnation d'un
être d'essence divine, qui trébuche, rate une pirouette ou tombe, et c'est bien souvent toute la cohérence d'un système religieux qui s'écroule. Les conséquences d'une telle catastrophe peuvent être terribles et avoir
des répercussions sur l'entièreté du village. Un grand nombre de personnes font partie intégrante d'une manifestation masquée et sont indispensables pour qu'elle puisse avoir lieu : musiciens, chanteurs, bouffons, assistants du
masque et bien entendu les spectateurs. D'après le type de masque, d'autres personnes par contre sont impérativement évacuées : suivant les cas, il peut s'agir des femmes, des hommes, des esclaves, des non-initiés, des étrangers,
etc. Encore une fois, chaque masque a ses exigences, et chaque rupture d'interdit, ses sanctions. *** (Article publié dans Demain le monde, n° 24/25. Mai/juin 1998, pp 68-69) |
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Contacts et autres informationsQuelques mots sur Anne-Marie Bouttiaux Anne-Marie Bouttiaux est conservateur adjoint, section d'ethnographie
Responsable des Exposition itinérantes. Elle est actuellement commissaire de l'exposition L'Autre Visage présentée au Musée Royal de l'Afrique Centrale, à Tervuren.
Pour plus d'informations, consultez la rubrique des participants. Autres articles d'Anne-Marie Bouttiaux
consultables sur le site d'Afrique virtuelle : - Stephan de Jaeger se laisse inspire par l'Afrique
. Article également publié dans la revue De Facto, Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. 13-15.- Masques d'Afrique exposés
: Chefs-d'oeuvre de la collection Barbier-Mueller. Article également publié dans la revue De Facto, Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. 33-43. -
Masques d'Afrique portés : Article également publié dans la revue De Facto, Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. pp. 26-30. |
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