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MASQUES D'AFRIQUE EXPOSÉS

Texte d'Anne-Marie Bouttiaux

 

BASSA

Au centre du Libéria, les Bassa ont investi les deux zones d'occupation, la région côtière près de Monrovia où ils cultivent essentiellement le manioc et les forêts de l'intérieur où ils ont aménagé des rizières. Du fait de leur conversion au christianisme, les Bassa du littoral, particulièrement acculturés, se sont adaptés à de nouvelles conditions de vie alors que ceux de la forêt ont jalouseusement conservé les secrets de leur vie rituelle. La tradition orale indique clairement l'antériorité du groupe forrestier à partir duquel une vague migratoire aurait rejoint la côte et Monrovia où ils ont rencontré d'autres ethnies et "assisté" au débarquement des esclaves libérés d'Amérique.

Contrairement aux autres populations du groupe Kru, les Bassa, fortement influencés par des groupes Mande comme les Kpelle ou les Dan, ont adopté certaines de leurs institutions, notamment les sociétés initiatiques masculines et féminines avec leur contexte d'épreuves (circoncision, clitoridectomie), de rituels sacrés, de cultes d'esprits et d'interventions masquées. En outre, ils semblent bien avoir été les derniers à intégrer l'association fermée du poro . installés aux abords d'une source ou d'un cours d'eau, les villages bassa, de petite taille, regroupent des cases carrées éparses, disposées en désordre selon une ancienne convention qui consiste à dérouter ainsi tout ennemi potentiel.

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Très curieusement, dans les années septante, les masques bassa font leur apparition sur le marché occidental de l'art. A cette époque, les masques dan, dont ils s'inspirent largement, ont déjà leurs lettres de noblesse. Nul ne sait qui a incité les Bassa à se débarrasser soudainement de certains de leurs objets de culte dont la facture dénote une maîtrise consommée. En effet, la qualité plastique de ces masques permet de conjecturer l'antériorité de leur usage sur l'introduction de la société secrète poro dont les Bassa sont les adeptes les plus récents et qui fontionne surtout par le biais d'interventions masquées. D'un point de vue stylistique et fonctionnel, l'influence des voisins mande du nord comme les Dan, les Mano ou les Kpelle est évidente. Esprits, ancêtres, ou agents de contrôle social, les masques bassa apparaissent au cours d'initiations, de fêtes, de cérémonies et, bien entendu aussi plus récemment, dans le cadre des rituels liés au poro. Cependant, la manière dont ils sont portés les distingue fondamentalement de leurs "confrères" septentrionaux. Fixés sur une structure rigide en fibres végétales, ils sont arrimés à la tête du porteur mais ne couvrent pas son visage. C'est pourquoi leurs yeux ne sont pas percés ou alors très légèrement de manière non fontionnelle et le porteur peut voir au travers d'une fente pratiquée dans un tissu qui recouvre l'armature-support du masque et sa tête. L'exemple que nous avons ici (Ill.) est du type des masques-portraits évoquant un ancêtre ou un esprit pensé à l'image de l'homme et censé exercer une fonction de contrôle social (les esprits de la forêt quant à eux sont plutôt représentés comme des monstres ou êtres effrayants). Le pli angulaire que l'on remarque au niveau des yeux est caractéristique des créations plastiques bassa et donne au profil du masque une forme en demi-lune.

BAGA

Les Baga vivent sur la côte septentrionale de la Guinée. Ils ont autrefois conçu ces extraordinaires masques d'mba dont tous les exemplaires connus ont rejoint les collections occidentales dans les années cinquante. A l'heure actuelle, les Baga, nostalgiques, ont rétabli les sorties de ce type de masque qu'ils ont reproduit de mémoire et qui interviennent au cours des divertissements.

A l'origine d'mba était la traduction plastique d'un concept : celui de la femme baga féconde et fière de son identité ethnique. D'mba n'a jamais été une représentation d'esprit ou de la déesse de la fertilité comme on l'a longtemps cru. C'est le symbole des aspirations de la société, une idée de l'opulence, de la richesse et de la fécondité alliée aux principes de beauté et de bonté. Le masque sortait autrefois à l'occasion des funérailles, des mariages et des semailles. Sans être un esprit, d'mba n'en n'était pas moins l'objet d'un rituel scrupuleux.

A vrai dire on peut difficilement prétendre qu'un tel masque favorisait la fécondité, ce qui signifierait qu'il bénéficiait, aux yeux des Baga, d'un potentiel magique capable de l'induire. D'mba aurait plutôt les caractéristiques d'un emblème garant d'une société baga fière de ses traditions et soucieuse de les perpétuer. Le porteur de ce masque devait préserver son anonymat sous un voluminieux costume de fibres végétales ; il maintenait le masque en place en tenant deux des quatre supports verticaux et regardait par une ouverture menagée entre les seins.

 

IBO

Les Ibo, très nombreux, occupent partiellement quatre Etats du sud-est du Nigéria. Dans la partie orientale de cette région se trouvent les Ibo du groupe ada, lequel comporte encore sept sous-groupes très mal connus, à l'exception des Afikpo dont des exemples de création plastique de ce type sont présents dans de nombreuses collections occidentales. Par son nom et sa forme, ce masque évoque le couteau à igname (mma ji ), par contre rien dans sa fonction ne l'associe aux célèbres fêtes de l'igname. Des jeunes gens le portent au cours des danses okonkwo très appréciées du public et qu'ils exécutent au son de xylophones.

BAMBARA

Population mande d'agriculteurs du sud du Mali, les Bambara se distinguent par un système complexe de sociétés initiatiques qui constituent les différents échelons d'accession à la connaissance. Le rôle tant politique que social et religieux, de ces sociétés détermine l'organisation des rituels et notamment l'apparition de différents types de masques. Le dernier échelon est l'initiation à la sixième société, appelée koré , laquelle est encore divisée en huit étapes au terme desquelles l'individu a acquis un statut tout à fait spécial combinant une grande sagesse, une compréhension totale des mécanismes du monde et aussi une forme de scepticisme. En effet, il devient maître des articulations nécessaires au fonctionnement de la société lesquelles passent par un contrôle précis des phénomènes de croyance religieuse. Mais il réalise aussi que l'acquisition du savoir ésotérique repousse toujours plus loin les limites de la connaissance. Résigné face à un Dieu qu'il pensait rencontrer au bout du parcours initiatique et qui se révèle plus inaccessible que jamais, il ne lui reste plus qu'à entretenir le système par la manipulation du sentiment religieux des moins initiés.

Une grande partie de la vie rituelle et religieuse des Bambara concerne le travail de la terre considéré comme une activité fondamentale très valorisante puisque par son intermédiaire l'homme est en contact ave les forces de la nautre et du cosmos. Les cimiers tywara font partie des grandes créations plastiques africaines que l'on retrouve dans nombre de collections publiques et privées. L'audace formelle de ce type d'objet et la dynamique qui s'en dégage ont très logiquement fasciné les amateurs d'art.

Actuellement tombés en désuétude (en partie à cause de la pénétration de l'Islam) ces objets sont associés au Tywara , une des six sociétés initiatiques dont les rituels rythment la vie des Bambara.

Le cimier présenté ici (Ill.) provient de la région du wasulu où le sorgho est la principale plante cultivée. Par le détour de représentation ou évocation animales, le symbolisme de cet objet se rapporte au sorgho, lequel se caractérise par un important système radiculaire enfoui dans le sol et une partie aérienne très robuste capable de créer un nouveau réseau de racines au moindre contact avec la terre. Paradoxalement, la plante couchée au sol par un vent violent, plutôt que d'être arrachée va trouver là le moyen de se fixer encore mieux. Ces propriétés du sorgho sont rappelées métaphoriquement dans le cimier. Le registre inférieur représente un oryctérope, animal fouisseur extrêmement robuste capable, à l'instar du sorgho, de créer un étonnant réseau de galeries souterraines. Le registre médian évoque le pangolin, arboricole et fouisseur qui évolue donc à la fois dans le monde souterrain et aérien. Le pangolin rappelle par là aussi les propriétés du sorgho et crée un lien au sens propre et figuré entre ce qui se passe sous et sur la terre. Les barres obliques situées dans son ventre aboutissent sur le dos de l'oryctérope et figurent cette capacité qu'a le sorgho de former des racines là ou une de ses tiges touche le sol. Finalement au sommet de la sculpture, dans le régistre le plus aérien, sont figurées deux cornes d'antilope hyppotrague liées au principe mâle alors que les cornes d'antilope oryx relèvent de la féminité. Les masques tywara sortaient également en couple (un masculin et un autre plus petit féminin) et leurs porteurs rappelaient le travail agricole par la position penchée du corps pendant la danse. La figuration des deux antilopes est directement rattachée au monde des humains ; plus spécifiquement au mariage et à la descendance dont il est la prémonition.

BIDJOGO

Les Bidjogo occupent une partie des îles de l'archipel des Bissagos. L'organisation sociale repose sur un système de classe d'âge dont le degré de participation à chaque évènement est très scrupuleusement réglé. L'initiation (fanado ) des jeunes garçons a lieu entre la cinquième (cabaro ) et le sixième (camabi ) classe, époque charnière qui détermine l'entrée dans le monde des adultes à la suite d'une mise à mort symbolique. Les masques ne sortent pas dans le cadre de l'initiation (carioca et cabaro) . Les masques sont presque exclusivement zoomorphes, les bovidés, notamment, font partie des thèmes de prédilection : on en trouve au moins quatre types différents dont le dugn'be qui représente le boeuf domestiqué. Seuls les cabaro ont le droit de porter le dugn'be : ils se déplacent à quatre pattes mimant le comportement de l'animal ou exécutent, debout cette fois, les danses de réjouissance. Le poids et le volume du masque rendent les déplacements éprouvants et nécessitent une remarquable endurance. Ces festivités qui sont organisées en dehors de la période d'initiation proprement dite, ont lieu avant l'entrée en réclusion des jeunes garçons, à leur sortie du bois sacré et aussi à l'occasion de divertissements sans rapport avec le fanado.

GURO

Les Guro appartiennent au groupe linguistique mande-sud. Ils occupent, dans le centre-ouest de la côte d'Ivoire, une vaste région de savanes arborées (au nord) et de forêts (au sud) qu'ils ont infiltrées autrefois. Leur migration progressive s'est opérée à partir du nord en repoussant d'autres ethnies autochtones avec lesquelles ils partagent actuellement des traits culturels à la suite d'emprunts réciproques. Les Guro sont divisés en plusieurs sous-groupes qui se différencient, entre autres, par l'usage de dialectes spécifiques.

L'agriculture représente l'essentiel de l'économoie de subsistance des villages placés sous l'autorité des anciens qui prennent les décisions importantes après s'être concertés. La vie religieuse s'articule autour du culte des yu , entités complexes relevant de plusieurs concepts ( à la fois esprits ou forces de la nature, puissances surnaturelles et intermédiaires avec le monde des ancêtres) et présentés dans plusieurs manifestations ( de lka terre elle-même jusqu'aux masques en passant par tous les objets possibles et imaginables investis de puissance magique à la suite de rites divers). Par l'exécution du rituel consacré aux yu, les hommes parviennent à mobiliser une partie de leur pouvoir surnaturel à des fins bénéfiques ou maléfiques suivant l'usage qu'ils en font. Certains de ces yu trouvent une incarnation dans le masque qui intervient auprès des hommes comme un être sacré, messager de l'au-delà. Le temps d'une performance, la manifestation masquée devient le réceptacle de la puissance active des yu invoqués.

Gu a les traits d'une belle femme car il fait partie (avec zamble et zauli ) d'un groupe de trois masques qui sortent souvent ensemble. Ils se produisent pour des funérailles ou à l'occasion de sacrifices destinés à attirer la bonne fortune sur la famille qui est responsable de leur culte. Comme tous les masques en bois des Guro, gu est toujours porté par un homme. Souvent considéré comme la femme de zamble (parfois comme sa fille), ses apparitions sont moins spectaculaires et donc de moins en moins appréciées que celles de ses deux acolytes. Le porteur rythme la danse avec des grelots attachés à ses chevilles. Il n'est pas accompagné par des percussionnistes, seuls des joueurs de flûte et des chants soutiennent la performance. Bien que sa danse évoque la grâce des mouvements féminins, il est très turbulent, ne reste jamais tranquille, toujours occupé à piétiner le sol. Il est suivi et surveillé de près par un assistant qui remet régulièrement ses vêtements en place et ponctue la fin des chants et des mouvements de danse en frappant sur la peau d'antilope qu'il porte sur le dos. Actuellement, gu ne sort presque plus, en pays guro, c'est un masque en voie de disparition, par contre il est très connu des collectionneurs qui apprécient la délicatesse des traits et le soin généralement appporté au rendu de la beauté féminine. Gu présente toujours les scarifications faciales que les femmes portaient auparavant et des coiffures élaborées, indiquant qu'il s'agit d'une femme riche ou d'une jeune mariée, toutes deux dispensées de porter des charges sur la tête. La triade, gu, zamble, et zauli fait partie des masques sacrés : ils reçoivent des sacrifices qui font l'objet d'un culte géré par le chef de famille qu'ils protègent et dont ils dépendent. Les femmes peuvent assister à leurs sorties mais il leur est strictement défendu de les voir non portés.

(photo © Anne-Marie Bouttiaux)

Cependant zamble et zauli ont tendance à glisser, par le côté spectaculaire de leurs danses, dans la sphère des masques de divertissement. Par contre, l'évolution que connaît la société guro précipite gu dans l'anéantissement et la disparition. Il ne s'agit pas ici de déplorer cette tendance, c'est justement dans ces glissements progressifs que les choix d'une société sont intéressants à étudier car rien théoriquement n'empêchait les Guro de choisir une destination plus sacrée pour ce masque, le dérobant par exemple totalement aux regards des femmes et l'installant dans la sphère des masques très sacrés seulement gérés et vus par les hommes initiés.

BAULE

Chez les Baule du centre de la côte d'Ivoire, kple kple fait partie de la mascarade goli , au cours de laquelle quatre paires de masques différents (deux paires masculines et deux féminines) se produisent. Cet évènement très apprécié a lieu à l'occasion de fêtes et de divertissements mais aussi au moment des funérailles de dignitaires afin de détendre l'atmosphère. Le goli des Baule est relativement récent (début du siècle), il a été emprunté aux Wan, une population mande apparentée aux Guro et située au nord-ouest des Baule. Etant donné son caractère profane, cette perfomance est en passe détrôner tous les autres rituels masqués des Baule beaucoup plus formels et rigoureux.
La paire de kple kple est la première à apparaître mais c'est la moins prestigieuse dans la hiérarchie des goli ; les masques féminins, plus importants, viennent en dernier lieu (il ne faut pas perdre de vue le caractère matrilinéaire de la société baul). Bien qu'ils fassent partie des paires masculines, les kple kple forment un couple dans lequel on peut distinguer le mâle rouge de la femelle noire (ce code de couleurs est parois inversé dans certains villages). Les porteurs sont de jeunes garçons capables d'exécuter des danses simples au rythme rapide et soutenu. Plus on monte dans la hiérarchie des masques du goli, plus les danses sont complexes.

(photo © Anne-Marie Bouttiaux)

BWA

Culturellement très proches des Bobo, avec lesquels on les a souvent confondus, les Bwa appartiennent au groupe linguistique voltaïque. Agriculteurs comme les Bobo, ils vivent aussi dans des villages sans autorité centrale et pratique le culte de Do par l'intermédiaire des masques de feuille. Ils ont emprunté (surtout dans le sud) à leurs voisins gurunsi un autre type de masques en bois plus colorés, esprits de la nature domestiqués afin de pouvoir protéger la famille.

Ce masque-planche (Ill.) représente un esprit de l'eau. Le porteur pouvait voir au travers de la bouche losangée protubérante au fond de laquelle se découpent quatre dents. Censé intervenir au cours d'initiations, de funérailles, de fêtes profanes ou d'activités diverses liées aux classe d'âge, il protège la famille à laquelle il appartient et ses motifs ou couleurs correspondent au code symbolique.

Bibliographie

Dorsinville, R. & Meneghini, M., 1973, The Bassa Mask. A stranger in the house, Ethnologische Zeitschrift Zürich , n°1.
Galois, Duquette, D., 1983, Dynamique de l'art bidjogo (Guinée-Bissau). Contribution à une anthropologie de l'art des sociétés africaines. Lisboa : Instituto de Investigaçao Cientifica Tropical.
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Nicklin, K. & Salmons, J., 1997, Les arts du Nigeria du sud-est. Les Ogoni et les peuples de la Cross River. in : Arts du Nigeria. Paris : Réunion des Musées Nationaux.
Ottenberg, S., 1997, Le sous-groupe ada des Igbo. in : Arts du Nigeria. Paris : Réunion des Musées Nationaux.
Roy, Cl., 1987, Art of the Upper Volta Rivers. Meudon : Chaffin.
Vogel, S. M., 1997, Baule, African Art, Western Eyes. New Haven, London : Yale University Press.
Zahan, D., 1980, Antilopes du soleil. Arts et rites agraires d'Afrique noire. Vienne : A. Schendl.

Contacts et autres informations

Quelques mots sur Anne-Marie Bouttiaux

Anne-Marie Bouttiaux est conservateur adjoint, section d'ethnographie
Responsable des Exposition itinérantes. Elle est actuellement commissaire
de l'exposition L'Autre Visage présentée au Musée Royal
de l'Afrique Centrale, à Tervuren.
Pour plus d'informations, consultez la rubrique des participants.

Autres articles d'Anne-Marie Bouttiaux

consultables sur le site d'Afrique virtuelle :

- Stephan de Jaeger se laisse inspire par l'Afrique . Article également publié dans la revue
De Facto, Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. 13-15.

- Masques d'Afrique exposés : Chefs-d'oeuvre de la collection Barbier-Mueller.
Article également publié dans la revue De Facto, Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. 33-43.

- Masques d'Afrique portés : Article également publié dans la revue De Facto, Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. pp. 26-30.

 

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