© Mounir Fatmi
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À la question posée par Gérard Georges Lemaire à Brion Gysin : " Qu'avez-vous entrepris de faire ? ", l'artiste calligraphe/écrivain répondit : " Vivre ". Pour Mounir Fatmi, il s'agit bien aussi de résoudre son dualisme existentiel et culturel en le mettant en contact avec le flux vital de la foule. En 1993, moins par provocation que par épuisement, Fatmi se déclare au Maroc symboliquement mort à la presse, un acte qui parle de lui-même quant à savoir ce que créer veut dire pour un jeune artiste marocain, et ce que veut dire la prégnante impression de l'isolement. Mais toute maladie a son remède, et Fatmi se met à produire ses propres " antibiotiques ", petites toiles de format carré qu'il montre à des " témoins " qui eux n'ont pas disparu, mais qui n'acceptent pas pour autant d'être toujours photographiés à sa demande, la simple acceptation d'être témoin, de prendre leur nom, prend ici un acte d'importance. Ces dessins par la suite seront enserrés dans un écrin de plastique, invisibles, insaisissables, mais présents à l'exposition, tandis que les photographies des témoins oculaires de ces dessins en garantiront un moment le souvenir en même temps qu'elles déplacent le regard et le propos de l'oeuvre. De même, certaines toiles de grand format seront montrées enroulées dans une housse de plastique transparent, plongeant ainsi leurs couleurs amnésiques dans un rouleau de " coma " volontaire, en attendant de les voir s'ouvrir. On pense à Brion Gysin, qui à Rome en 1961 confectionne un rouleau de peintre en bâtiment pour rouler sa grille d'écriture à l'infini. Car toute image passe par un médium, c'est pourquoi Fatmi va formuler des " liaisons " avec l'utilisation du câble d'antenne de T.V. blanc. Il développe ces câbles sur les murs des cimaises d'exposition en efflorescences graphiques, s'approchant du style " Thoulouthi " (les courbes devant représenter le tiers de la ligne d'écriture, un style utilisé de nos jours pour les titres des chapitres et des livres, ainsi que pour les inscriptions monumentales). Il en résulte un réseau qui répond ainsi à sa manière à la pure connaissance traditionnelle et divine de la calligraphie arabe, et au " Qu'ran " omniscient qui a fait de l'écrit le symbole de l'islam. L'image disparaît dans les nervures striées d'une écriture blanche, le câble ayant été branché sur un réseau T.V., en contact ainsi avec la mémoire du réel (le Coran est aussi mémoire). Dans le monde islamique l'écriture se déplace de droite à gauche, et pour lire un verset coranique ou une mosaïque qui ceinture une pièce, le visiteur sera obligé de tourner sur lui-même, une situation qui perturbe l'être occidental dans son rapport à la lecture de l'espace. Une sorte de caustique s'installe dans lequel l'artiste va se complaire ou se complaît à nous y soumettre. Même indéchiffrable l'écrit garde ainsi sa valeur sacrée, et fait danser le corps de ses lettres sur un mur de silence où s'inscrivent les quatre-vingt-dix-neuf noms d'Allah (les bédouins disent que seul le chameau détient le nom du centième). L'artiste appuie en même temps sur la perte d'orientation du religieux qui passe par la question particulière de la " Qibla " et sur la perte d'un centre en général, comme lorsqu'il utilise dans des installations des tapis kitsch de prière, achetés à Barbes à Paris et venant de Turquie, et incrustés d'une boussole donnant la direction de la Mecque. Ses embardées graphiques évoquent encore le " monocondyle ", la continuité parfaite du trait, une écriture qui court d'un seul jet. D'apparence fantaisiste et désordonnée, elle trompe sur la folie du scribe, tracée à la dérive elle n'en marque pas moins, comme notre signature, une rationalité qui se marque dans le talent d'une gracieuse exécution. Fatmi engage encore d'autres opérations qui passent par la vidéo et par des actions, toutes vont dans un même sens, qui cherche à briser les limites de l'incommunicable, à rendre l'individu interchangeable dans l'échange de son identité à se questionner sur ce que représente autant " l'autre " que lui ", enfin à se rapprocher au plus prés du sens caché sous l'épaisseur plombée des chapes de sa société. Si l'islam interdit rigoureusement les jeux de hasard, un mot d'ailleurs d'origine syrienne, l'artiste s'engouffre alors au moyen de la vidéo dans les courses populaires de chevaux, qui comme le tir sont les deux exceptions faites pour êtres sujets à paris. L'obstacle à franchir ici prend l'image de la frontière d'un espace territorial et politique à affranchir aussi. Une même image qui se redouble dans la répartition d'une tâche qui suppose un idéal commun, avec deux longs sacs de voyage à six poignées, posés négligemment dans la salle d'exposition.
Une poignée peut-être pour chacun des artistes invités, mais une encore pour celui qu'on ne voit pas. " Tout ce que j'écris ne fait qu'un seul et même livre, les personnages, les situations, les époques passent de l'un à l'autre. " disait William Burroughs à propos de son oeuvre, il semblerait que pour Mounir Fatmi tout ce qu'il réalise s'enchaîne dans cette même logique, dans l'alliage hybride de sa croyance et de sa liberté recherchée. Les " shaïtâns " et les " djinns " ont droit aussi à la parole pour répondre an sens du devoir et mettre à plat la réalité.
© Mounir Fatmi
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Biographie de l'artiste