La perception du changement climatique
Avec l’accélération du phénomène de l’urbanisation massive et de la disparition du monde rural au XXème siècle, les sociétés occidentales des zones tempérées ont progressivement dissous le lien ancestral entre le climat et la quête de la nourriture. Depuis, il a été possible d'observer une détérioration de notre sensibilité météorologique et climatique.
Aujourd’hui, peu de métiers sont encore en rapport direct avec le climat. La création de climats artificiels (les espaces climatisés) nous confèrent une seconde peau, mais nivellent également notre expérience du climat. Le temps dans les sociétés de consommation occidentales semble servir avant tout à la prévision et l’organisation des loisirs. « Parler du temps » semble revêtir principalement une fonction sociale, même si ce parler constitue une trace de l’importance du climat naguère. Ce n’est donc pas un hasard si la science météorologique reste aujourd’hui l’une des dernières sciences que l’on croie volontiers objective.
D’un point de vue scientifique, le climat peut être décomposé en une série de paramètres météorologiques (la température, la pression de l’air, l’humidité, la force des vents, etc.), mais il nous semble impossible de pouvoir en parler en tant que totalité autrement qu’en termes d’affection subjective. En tant que tel, le climat n’existe que pour un être corporel et sensible et peut être apparenté, d'un point de vue phénoménologique, au paysage 1.
Le paysage n’existe pas dans la nature en dehors de l’œil et du corps qui l’appréhende. Il en va de même de l'existence du temps météorologique et du climat. Le paysage est la perception d’un arrangement. Le climat, tout comme le paysage, est aussi une configuration du réel par l’individu, une certaine présentation (ou présentification) d’un ensemble de faits naturels atmosphériques embrassés et exprimés d’une certaine manière par un sujet sensible. À l’image du paysage, le climat est donc un phénomène multidimensionnel où se croisent les apports de la nature, de la culture et de l’histoire, mais aussi de l’imaginaire et du symbolique 2.
L'art peut nous aider à questionner nos perceptions et relations avec le temps météorologique, le climat et ses modifications. Les explorations artistiques ne devraient se restreindre à simplement illustrer nos découvertes scientifiques. Une œuvre d’art, au contraire de la vulgarisation ou plutôt de la « mise en scène » scientifique, pourrait nous aider à expérimenter et à révéler notre participation intérieure au temps météorologique et au climat ainsi qu'à leurs modifications et ruptures d'équilibre, à l'instar des artistes du paysage qui nous aidèrent à reconfigurer nos relations à l'environnement.
Depuis quelques années Leonardo a travaillé activement avec des artistes intéressés par la perception du changement climatique. Un certain nombre de textes ont été publiés et des discussions organisées en ligne 3. Récemment, à Valence en Espagne, Leonardo/OLATS a co-sponsorisé un colloque intitulé "Expanding the Space" comprenant plusieurs présentations sur le sujet 4.
Leonardo fait appel à des propositions dans ce domaine et Leonardo publications cherche à documenter le travail des artistes et chercheurs intéressés par l'exploration du temps météorologique et du climat.
Julien Knebusch
Chargé de projet Leonardo/OLATS
Doctorant, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle
Paris, France
E-mail: jknebusch@gmail.com.
Références
1 - Gernot Böhme a suggéré en premier l’analogie entre le temps météorologique et le paysage, cf. Gernot Böhme, « Das Wetter und die Gefühle. Für eine Phänomenologie des Wetters“, in Bernd Busch (Hg.), Luft, Köln, Kunst- und Austellungshalle der Bundesrepublik Deutschland, 2003, pp. 184-161.
2 - Selon la caractérisation du paysage effectuée par Michel Collot dans Paysage et poésie. Du romantisme à nos jours, Paris, José Corti, 2005, pp. 9-17.
3 - Les discussions ont été hébergées par le réseau YASMIN http://www.media.uoa.gr/yasmin/viewtopic.php?t=942. À titre d'information, voici un texte récent sur le changement climatique publié par Leonardo/ISAST : Andrea Polli, "Heat and the Heartbeat of the City: Sonifying Data Describing Climate Change," Leonardo Music Journal 16 (2006) pp. 44--45.
4 - Voir : http://www.olats.org/space/colloques/expandingspace/mono_index.php
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