The Lexus and the Olive Tree
Friedman, Thomas: The Lexus and the Olive Tree, HarperCollinsPublishers, Londres 1999, 394 pages
Compte-rendu par Emmanuel Prokob, prokob@aol.com, septembre 2002
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Thomas Friedman explique le monde d'aujourd'hui. Chargé de commenter les affaires étrangères pour le New York Times, il éclaire ce qui se passe aux endroits les plus reculés de la planète.
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Dans son livre, The Lexus and Olive Tree, il détaille ce qui lie les uns aux autres ces événements épars. En relatant des rencontres ou des conversations qu'il a eues avec des dirigeants économiques, des décideurs politiques ou de simples citoyens, partout dans le monde, Friedman illustre le système des relations internationales. Système dont la logique confère un sens, global, aux faits locaux. Depuis la chute du mur de Berlin, ce système est celui de la mondialisation, mue par un capitalisme de libre échange d'un nouveau type. Le globe s'en trouve transfiguré : ce n'est plus un endroit dont on habiterait, chacun pour soi, une parcelle circonscrite. La mondialisation le traverse de part en part, abattant toutes les limites -, économiques, politiques et culturelles.
La mondialisation, c'est l'intégration accélérée des sociétés à l'échelle planétaire, mais ce sont également les résistances, tout aussi globalement répandues, qu'elle fait naître. Le titre du livre illustre ces deux forces aux prises l'une avec l'autre. Premièrement, la Lexus, automobile de prestige, symbolise l'allure vertigineuse à laquelle avancent les technologies et la spéculation économique caractéristiques du nouveau capitalisme. Deuxièmement, l'olivier représente le besoin fondamental des sociétés et des individus de conserver leurs racines distinctes. Racines culturelles, à l'entendre au figuré ou, à le prendre littéralement, le besoin de conserver un environnement intact comme espace de vie. D'un côté l'impératif systémique d'intégration, de l'autre, le besoin humain de se sentir, quelque part, chez soi.
Dans la première partie de son livre, Friedman retrace avec acuité les traits caractéristiques du nouveau système capitaliste : de sa genèse à partir de la démocratisation de la microinformatique à son apogée, actuelle, où il s'impose comme système universel. Autrefois champ exclusif de l'exercice de la puissance étatique, les relations internationales se déterminent aujourd'hui par de nouveaux types d'acteurs, en premier chef les investisseurs internationaux. Friedman condense l'ensemble de ces investisseurs, petits particuliers ou multinationales, en ligne jour et nuit, dans l'image évocatrice du troupeau électronique. Tel un troupeau de buffles les investisseurs cherchent à se repaître où les profits fleurissent et ils se ruent en dehors d'un pays au moindre signe d'inquiétude surgi à l'horizon économique, laissant derrière eux une économie défaite, piétinée. La crise asiatique de 1997 en est le prototype. Étant donné que l'environnement de choix du troupeau se réduit à une économie de type néolibéral le prix à payer pour assurer la croissance par le flux des investissements est la réduction du politique. A l'instar du choix entre Pepsi ou Coca Cola, l'alternative politique ne tient plus que dans la nuance.
Pour Friedman, la soumission à ce groupe dont les transports trahissent une hystérie de masse latente, relève de la nécessité historique. Tout homme aspire à l'amélioration de ses conditions de vie. Un gouvernement qui se refuse au troupeau condamne ses citoyens à la misère. Et loin de lui prêter une quelconque intention morale, Friedman voit dans le troupeau un agent de la démocratie globale : la transparence, les sécurités juridiques et la liberté d'opinion qui caractérisent un bon climat d'investissement œuvrent pour l'instauration de la démocratie.
Cependant, dans la seconde moitié du livre, cet optimisme libéral se teint de doutes. Subissant un capitalisme cru, l'identité de sociétés dont la culture n'est pas protégée par une éducation efficace et un espace public consolidé risque d'être entièrement modelée par MacDonald et DisneyWorld. La conservation de la diversité naturelle n'étant pas instantanément rentable, la course au profit menace les derniers paysages préservés de la planète. Et même si elle se solde par une amélioration globale des conditions de vie, la mondialisation appauvrit ceux qui ne savent pas vivre au rythme de l'innovation constante. La mondialisation, par sa force brute, produit un ressac capable de s'abattre sur elle. Les ressentiments contre la puissance qui s'en porte caution et à qui elle profite s'alimentent constamment de la perte d'indépendance politique et de l'aliénation culturelle des autres nations. Ils trouvent leur expression brutale dans la figure de l'individu devenu " superpuissant " : le terroriste, qui retourne les moyens financiers, technologiques et logistiques que lui fournit la mondialisation contre sa puissance tutélaire, les USA.
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La synthèse par laquelle Friedman expose le fonctionnement politico-économique de la mondialisation est prodigieusement éclairante, elle mérite d'être lue. Or, la partie sur les dangers générés par la mondialisation paraît moins travaillée : Friedman ne creuse pas les logiques identitaires. Il ne dégage pas ce qui au-delà du ressentiment et de la crainte du déracinement en constitue le véritable fond: un conflit fondamental de valeurs. Considérant la quête du bien-être matériel comme essentiel à l'homme, il ne peut appréhender la nature proprement politique des résistances de ceux qui, précisément, se refusent à ce présupposé.
Emmanuel Prokob <prokob@aol.com> - Septembre 2002
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