Les mots de la globalisation
Les "mots" de la globalisation, ce sont les mots qui sont utilisés pour exprimer un rapport à la planète en sa globalité. Le terme globalisation ou mondialisation renvoie ici simplement au rapport homme/planète. On peut définir, à la manière du philosophe Peter Sloterdijk, la mondialisation (ou globalisation) comme la tentative de l'homme de se rapporter à la globalité (définie d’abord comme totalité planétaire). La mondialisation ou globalisation est donc définie de façon large et à partir d’un point de vue ontologique.
Les mots, c'est du moins notre présupposé, ont une force historique propre. Ils se nourrissent, en ce qui concerne les vrais concepts, d'un champ d'expériences (Erfahrungsraum) et ouvrent de nouveaux horizons d’attentes (Erwartungshorizont) selon Reinhard Koselleck. Dans notre perspective, les mots sont peut-être l’un des vrais fondements culturels de la mondialisation. Ils condensent une réalité et lui permettent de prendre corps. Une fois créés, les mots constituent en eux-même une force d'impulsion, dotée d'une autonomie propre, dont se nourrit le mouvement de la mondialisation.
Il semblerait que les "mots" de la globalisation recouvrent des termes assez variés. L'on pourrait distinguer à titre provisoire : 1) des concepts philosophiques ; 2) des expressions artistiques ou poétiques ; 3) des expressions courantes utilisées dans le langage de tous les jours. Les vrais concepts nécessitent un travail de recherche pour en retracer l’histoire. Nous nous contentons ici de rassembler de façon improvisée et variée différents termes pour illustrer à quel point la globalisation est devenue une réalité en terme de langage. Ces " mots " sont classés dans un premier temps seulement dans un ordre alphabétique :
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" Chaos-monde "
- Auteur : Edouard Glissant
- Ouvrage : Le terme apparaît dans le Traité du Tout-Monde, Poétique IV, Paris, Gallimard, 1997.
- Description : " J'appelle Chaos-monde le choc actuel de tant de cultures qui s'embrasent, se repoussent, disparaissent, subsistent pourtant, s'endormant ou se transformant, lentement ou à vitesse foudroyante : ces éclats, ces éclatements dont nous n'avons pas commencé de saisir le principe ni l'économie et dont nous ne pouvons pas prévoir l'emportement " (Edouard Glissant).
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" Fantastique planétaire "
- Auteur : François Porché
- Ouvrage : Transformation du monde, Paris, E. de la Nouvelle revue critique, 1928, 254 p.
- Description : " C'est la matière qui, dans ses transformations (les transformations du monde liées à la technologie) s'est montrée la grande illusionniste. La vie, grâce à l'essor prodigieux des sciences et des arts mécaniques, a pris en peu d'années des formes imprévues, incroyables. Une poésie universelle s'est dégagée de ce spectacle, j'entends une poésie des choses, non livresque, non littéraire, indépendante du langage, une sorte de fantastique planétaire, correspondant à une conception nouvelle, étonnée, que l'homme, même ignorant, s'est faite de son propre habitacle " (p.10-11).
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" Globo-Athletik "
- Auteur : Peter Sloterdijk
- Ouvrage : Sloterdijk, Peter, Im selben Boot. Versuch über die Hyperpolitik, Frankfurt am Main, 1995, 81 p.
- Description : La Globo-Athletik est un entraînement au global. C'est le mode d'être du penseur et acteur de la globalité. La Globo-Athletik est une athlétique développant la capacité ou l'aptitude à penser et habiter une " maison abstraite ", telle que la Terre entière aujourd'hui.
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" Poésie-monde "
- Auteur : Paul Virilio
- Ouvrage : Le terme est apparu dans une interview menée par Daniel Bermond, " Faut-il avoir peur de la mondialisation ? ", in Lire, mars 1999.
- Description : Paul Virilio s'interroge sur les dangers qui pèsent sur la dimension poétique de la littérature et évoque l'avènement d'une littérature mondialiste qui joue sur le temps mondial, alors que le temps de la littérature serait local. Mais il évoque aussi la possibilité de l'avènement d'une nouvelle poésie : " En littérature, les mythes auront beaucoup à nous réapprendre et de cette identification proprement religieuse émergera une citoyenneté-monde mais aussi une grande poésie-monde qui passera tout de même par l'échec de Babel, de cette illusion avec laquelle on n'en a pas encore fini. Une poésie-monde après l'économie-monde que nous connaissons " (Paul Virilio).
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" Monde planétaire "
- Auteur : Kostas Axelos
- Ouvrage : Kostas Axelos, " Rimbaud et la poésie du monde planétaire ", in Vers la pensée planétaire, Paris, Les Editions de Minuit, 1964, pp. 139-172.
- Description : Le " monde planétaire " est le monde moderne et européen dans sa tendance à l’expansion planétaire. Ce monde est un monde errant. En son sein tous les êtres sont des êtres déracinés, des exilés, c’est-à-dire des êtres planétaires.
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" Mondialisation "
- Origine : Un certain nombre de chercheurs se penchent aujourd'hui sur l'origine et l'histoire du mot " mondialisation ".
- Ouvrage : René Dagorn, Une brève histoire du mot " mondialisation ", dans Mondialisation. Les mots et les choses (coord. par M. Beaud, O. Dollfus, C. Grataloup, P. Hugon, G. Kebabdjian et J. Lévy), GEMDEV, Editions Karthala, 1999.
- Description : "Mondialisation" est un mot qui continue de se construire, un mot aux sens multiples, très investis idéologiquement. Tout d'abord, il s'agissait de décrire une évolution considérée comme majeure dans le développement des sociétés. Puis, "mondialisation" et "globalisation" ont servi, entre 1950 et 1960, à qualifier des phénomènes locaux et régionaux qui tendaient à devenir mondiaux. Entre 1980 et 1990, les multinationales et leur développement mondial uniforme, et plus tard l'évolution de la sphère financière viennent enrichir les termes "mondialisation et "globalisation", en leur donnant une résonance économique. Après 1990, l'ampleur des bouleversements constatés, leur caractère complexe et pluridisciplinaire imposent leur intégration dans les sciences humaines dont la géographie et la sociologie puis les sciences politiques. Seule l'histoire reste la seule absente pour le moment. (…). L'apparition du mot même de mondialisation, sa popularisation, sa diffusion dans tous les domaines d'activités témoignent de l'importance du changement. Ce n'est pas à la fin de l'histoire à laquelle nous assistons mais à la fin de la préhistoire du monde." (René Dagorn)
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" Planetarische Raumrevolution "
- Auteur : Carl Schmitt
- Ouvrage : Land und Meer, Stuttgart, Klett-Cotta, 1954 (1942), 108 S.
- Description : L'auteur s'interroge sur les espaces existentiels de l'homme (Räume geschichtlicher Existenz) et souligne le développement d'une révolution spatiale planétaire (planetarische Raumrevolution) depuis l'âge des grandes découvertes avec la conquête des océans, réunissant terre et monde en une nouvelle unité. Cette révolution comporte différents stades (stade océanique, stade atmosphérique).
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" Tout-monde "
- Auteur : Edouard Glissant
- Ouvrage : Le terme apparaît dans divers ouvrages, dont Tout-monde, Paris, Gallimard, 1993 et le Traité du Tout-Monde, Poétique IV, Paris, Gallimard, 1997.
- Description : " J'appelle Tout-monde notre univers tel qu'il change et perdure en échangeant et, en même temps, la " vision " que nous en avons " (Edouard Glissant).
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" Weltzeitalter "
- Auteur : Max Scheler
- Ouvrage : " Der Mensch im Weltalter des Ausgleichs " (Conférence donnée à la Deutsche Hoschschule für Politik en octobre 1927), in Gesammelte Werke, Bd. IX, Bern, 1976, S. 146-170.
- Description : Scheler exprime dans cette conférence sa conviction que l'homme est non seulement entré dans un nouvel âge (Zeitalter), mais aussi dans un âge mondial (Weltalter). La structure de cet âge mondial se caractérise par l'égalisation des antagonismes entre races, capitalisme et socialisme, travail corporel et intellectuel, femmes et hommes, jeunesse et vieillesse, ainsi qu'entre les différents ensembles culturels du monde.
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" World man "
- Auteur : Richard Buckminster Fuller
- Ouvrage : Le terme apparaît dans divers ouvrages, dont Operating Manuel for Spaceship Earth, Southern Illinois University Press, 1969, 127 p.
- Description : Le World man (ou Great Pirate) est un personnage global. Il a existé dans l'histoire, selon l'auteur, jusqu'aux grandes crises capitalistes du XXème siècle et l'apparition des nouvelles technologies électroniques. Les World men ont fait fonctionner le monde en tant que Monde. Ils possédaient la vision d'ensemble du monde et agissaient de façon pragmatique en tenant compte de cet ensemble. Leur existence garantissait une certaine unité du monde.
© Leonardo/Olats, juillet 2002
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