A la même échelle, un Brésilien, Abraham Palatnik, travaille depuis 1950 sur des appareils " cinéchromatiques ". La projection s'effectue à l'intérieur d'une boîte munie d'un écran sur lequel apparaissent de grandes formes en couleurs pastel animées de mouvements lents. Le sculpteur français Desserprit incorpore la lumière dans ses reliefs et constructions, sans toutefois y ajouter le mouvement.
Un renouvellement s'est produit vers 1955, avec les expériences de F. J. Malina, artiste et savant américain.
Né au Texas, Malina tout jeune encore passa cinq ans en Tchécoslovaquie où sa double vocation d'artiste et d'ingénieur d'aéronautique naquirent simultanément . La lecture de Voyage dans la lune de Jules Verne a pu être déterminante, et Malina y voit un lien avec la proposition qu'il fit alors (alors qu'il était directeur d'un comité international) en 1960, d'établir un laboratoire scientifique sur la lune. Ce projet est en voie de réalisation.
A partir de 1953 son activité artistique prend le pas sur son activité scientifique. La troisième dimension apparaît dans sa recherche plastique. Aux pastels, souvent chargés d'un symbolisme scientifique, se substituent des reliefs et structures de ficelles, cordes, fils de fer et grilles. Malina apprend à connaître ainsi les possibilités matérielles et spatiales, mais surtout il découvre la transparence comme moyen d'expression.
De là il n'y avait qu'un pas à franchir pour introduire le mouvement virtuel et des effets moirés. Un tableau comme Cosmic Ray Showers est une étude de la tension où les lignes sont transformées en ficelles colorées. La lumière réelle fait son apparition d'abord dans ses collages, avec grillage, illuminés ensuite avec des lumières intermittentes comme dans Jazz.
Malina employa d'abord un système d'interrupteurs thermiques dans des circuits électriques? Certaines parties du tableau s'allumaient tandis que d'autres s'éteignaient à des intervalles d'une ou plusieurs secondes. Ce mouvement de la lumière était suffisamment varié pour donner au spectateur l'impression d'une imprévisibilité totale. Malina se servit ensuite d'un système électromécanique à quatre éléments. La plupart de ses oeuvres lumineuses en mouvement sont construites selon ce procédé, le " Lumidyne System ", qui comprend des sources de lumière fixes, des éléments circulaires mus par de petits moteurs (les rotors), une plaque transparente (le stator) et un écran translucide.
Le procédé Réflectodyne, que Malina utilise pour de petits tableaux, comprend également quatre parties : une source de lumière, un disque chromatique mobile placé devant cette source, des surfaces réfléchissantes et l'écran.
A l'heure actuelle Malina intègre la musique dans ses tableaux. Une autre innovation vient dernièrement s'ajouter à ces recherches : le polaroïd, dont nous parlerons plus loin.
Le mouvement dans les tableaux de Malina peut être comparé à des rythmes atomique, biologique et astronomique... Il existe une certaine parenté entre les formes de ses électro-peintures et celles des coraux, radiolaires, diatomées et cristaux microphotographiés ; elle est encore plus prononcée lorsqu'il s'agit d'étoiles et de galaxies : " Je vois le travail des artistes comme un effort pour communiquer au public de nouvelles visions de l'univers découvertes par la recherche scientifique. Cet effort me semble nécessaire, particulièrement dans des sociétés où de nouvelles visions de l'univers, découvertes par la recherche scientifique. Cet effort me semble nécessaire, particulièrement dans des sociétés où de nouvelles connaissances trouvent une application rapide dans la technologie. "
Pour souligner le lien entre la vie humaine et l'univers, Malina introduit des mouvements à une vitesse relativement lente qui symbolise sur le plan de la perception humaine les mouvement à vitesse prodigieuse de l'univers.
Le tableau lumineux et cinétique vient au premier plan des préoccupations de l'artiste et poète italien Nino Calos en 1956. Collaborateur de Malina, il a adopté sa technique, mais ce qu'il appelle ses mobiles lumineux dénotent un style très personnel : un mouvement tranquille, poétique, à l'unisson du chant des couleurs.
Dans le domaine de la sculpture, Maxime Descombin a introduit, vers 1958, un procédé qu'il appelle le " relief dynamistique ". Des verres de couleur transparents, disposés par rapport aux éléments architecturaux, créent un jeu de formes mouvantes grâce à la lumière naturelle changeante.
Nous avons déjà eu l'occasion de parler des oeuvres en mouvement de Vardanega. Ses conceptions spatiales, dominées par le symbole de la spirale, ont été transposées depuis 1961 en une série d'oeuvres cinétiques lumineuses à l'échelle du tableau. Ces " boîtes " font usage de techniques diverses : superpositions de matières produisant un effet moiré, combinaisons et permutations dues aux impressions lumineuses par diffraction, réfraction, interférence et réflexion en mouvement.
Ce chromocinétisme, mot choisi par Vardanega et Martha Boto pour décrire leurs oeuvres lumineuses et colorées en mouvement, tend à créer l'illusion de la troisième dimension?
C'est surtout l'aspect multipliable qui a retenu Martha Boto dans ses constructions à projections lumineuses : mouvement très rapide, formes circulaires et monochromes, effets lumineux intenses caractérisent ses oeuvres. La source lumineuse elle-même est en constate révolution et donne l'impression de contraction et d'expansion par le jeu des cercles et des plans, l'apparition et la disparition.
Le problème du mouvement par la répétition est au centre des tableaux de la Nouvelle Tendance. Certaines oeuvres de Martha Boto s'inscrivent dans cette recherche thématique du mouvement visuel.
A propos de Vardanega, on pourrait également parler d'une recherche mathématique, mais il tend plutôt à conduire le spectateur vers le mouvement dans le monde des transparences, tandis que Martha Boto le transpose dans celui des reflets.
Un autre membre de la Nouvelle Tendance, Garcia-Rossi, a déjà donné des oeuvres d'une grande subtilité, en mouvements lumineux, à l'échelle du tableau. Une oeuvre exposée en 1964-65, joue sur des permutations visuelles du mot " mouvement " en lettres lumineuses répétées sur des lignes horizontales. Garcia-Rossi a évolué vers un réalisme immatériel.
Un artiste allemand, Siegfried Albrecht, dans une veine plus libre mais non moins poétique, est parti d'une idée empruntée à la Théorie des couleurs de Goethe. Il projette, au moyen de sources lumineuses colorées, des ombres chromatiques sur un mur. En interposant des découpages de lettres de l'alphabet, il réussit un jeu d'ombres variable en fonction du mouvement du spectacle. Albrecht a construit plusieurs oeuvres sous forme de boîtes munies d'un écran ; ombres et formes colorées dépendent quelquefois d'objets disposés devant des sources lumineuses blanches ou de couleurs primaires. Le mouvement continu des ombres se fait à l'aide de moteurs électromécaniques. Dernièrement des artistes comme Dazdu ont développé cette recherche.
En passant aux Luminous pictures de John Healey, nous changeons d'échelle et peut-être dans un certain sens de domaine artistique. Les oeuvres de Healey sont en effet conçues pour être exposées dans de grands espaces.
John Healey n'a jamais eu d'éducation artistique. A l'âge de soixante ans, il a commencé à inventer et à dessiner des oeuvres en mouvement lumineux. Une équipe de techniciens, sous sa direction, exécute ensuite la " peinture lumineuse comme une véritable oeuvre d'art. " L'élaboration d'une seule oeuvre demande de deux à douze mois.
Les projections lumineuses et colorées en mouvement continu ont été utilisées dans des boites de dimensions réduites, mais les signes lumineux les plus impressionnants sont de dimensions considérables ( 2,4 m x 1, 7 m ; 3 m x 2, 4 m).
En dépit de la modestie de l'inventeur Healey, qui ne veut pas assumer le nom d'artiste, ses oeuvres sont bien de notre domaine ; et du fait même que ces compositions peuvent être projetées sur n'importe quelle surface et qu'elles sont " virtuellement de toute taille ", elles sortent de la catégorie des oeuvres prévues pour un intérieur limité.
Les oeuvres de l'Israélien P. K. Hoenich sont conçues à la même échelle. Il s'agit d'oeuvres en mouvement imprévisible dont les variations sont obtenues au gré du soleil et du vent.
Cette limitation aux heures de soleil, système expérimenté par W. Rimington au XIX e siècle, donne aux oeuvres de Hoenich une qualité particulière. Se fondant sur l'échelle Beaufort de la vitesse du vent et sur les observations concernant les heures de soleil de l'observatoire du Mont-Carmel à Haïfa, Hoenich établit un emploi rationnel de ses peintures. L'utilisation du vent dans l'art de Hoenich peut être directe ou indirecte. Elle est directe dans le sens que l'énergie du vent affecte les parties mobiles des oeuvres ; elle est indirecte dans le sens que des moteurs à vent agissent sur ces parties mobiles.
Deux technique : le " tableau-robot " utilisant deux énergies cosmiques prévisibles : les rayons solaires et le mouvement planétaire ; et les " peintres-robots " utilisant les mêmes sources d'énergie, et en plus une source imprévisible : le vent.
" Pour un tableau-robot on construit un certain nombre de projecteurs bi- ou tri-dimensionnels stables. Ceci peut être fait par un seul artiste dans un temps relativement court. La durée de performance d'un trableau-robot va de solstice à solstice (six mois) et le tableau est visible quand il y a du soleil. Les mouvements du tableau sont engendrés par les mouvements de la planète Terre. "
Hoenich veut donner à l'art plastique, au moyen du mouvement créé par les rayons solaires et les variations du vent, deux dimensions supplémentaires, celle du temps et celle de l'esprit. "
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Art Cinétique de Frank Popper peut être commandé auprès des Editions Dunod : 5 Rue Laromiguière, 75005 Paris.