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Transcription de l'entretien de Frank J. Malina avec Jean Gorin, Cesar Domela, et Xavier de la Salle. s.d.

Document N° 8, Archives Frank J. Malina, Boulogne-sur-Seine

Entretien en français.



XAVIER DE LA SALLE : Une constatation se fait jour maintenant en architecture. On utilise de moins en moins des lignes droites et on arrive à un développement que certains architectes appellent le développement biologique des structures qui utilise spécialement les courbes et élimine complètement les droites. Que pensez-vous de ce nouveau développement par rapport au néo-plasticisme ?

GORIN : Il est évident que toute cette époque est en contradiction avec la théorie et les principes du néo-plasticisme. Mais il faut compter aussi avec l'évolution des techniques modernes qui permettent de faire des choses tout à fait extraordinaires. Et cela est évidemment en contradiction avec la théorie néo-plastique, mais je ne peux rien dire de plus, il y a dans ces architectures des courbes qui ne me déplaisent pas du tout. Mais je les regarde un peu comme des choses en-dehors de ma propre pensée créatrice, parce que moi je n'éprouve pas le besoin de faire des créations toutes en courbes. Et même en architecture, je trouve que l'architecture est fidèle aux droites et aux angles droits. Maintenant, il faut reconnaître que même dans ces constructions, on est parfois obligé, pour répondre à des contraintes absolument primordiales, de faire des courbes, si on a besoin de faire une coupole par exemple. On ne peut pas la faire carrée, il faut qu'elle soit en forme de sphère. Là, je ne peux rien contre, c'est une question de fonction.

DOMELA : Moi je crois qu'au fond, dans l'architecture moderne, telle qu'elle se présente maintenant, on ressent cette même nécessité d'introduire des courbes, ce dont je me réjouis.

XAVIER DE LA SALLE : Pensez-vous qu'il soit utile et nécessaire d'avoir une théorie de la construction dans l'architecture moderne qui parte justement des courbes ? Il y avait une théorie de la construction à partir des principes néo-plastiques, théorie que vous avez utilisée et développée. Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'avoir une même théorie pour l'architecture ?

GORIN : Je crois que c'est une chose impossible de faire une théorie, parce que, comme je le disais tout à l'heure, les courbes nécessitées par les contraintes architecturales sont illimitées, et je ne crois pas qu'on puisse fonder une théorie sur les courbes, ou alors c'est une théorie tout à fait spéciale, mais pour définir les courbes, c'est à l'infini, alors je ne crois pas qu'on puisse fixer une ligne directrice pour employer telle ou telle courbe, parce que c'est nécessité par les fonctions architecturales elles-mêmes.

MALINA : Je pense peut-être qu'il est utile de discuter encore un peu de cette question de l'art cinétique et de ses relations avec la peinture statique et avec le développement de l'Op Art où les illusions sont exagérées, certainement beaucoup plus fortes que dans les illusions créées par la perspective par exemple. Je pense que Domela va nous expliquer son attitude à ce sujet.

DOMELA : Oui, je vais essayer de vous expliquer cela. Et dans certains genres d'idées, je ne suis pas d'accord avec mon ami Malina, qui travaille beaucoup avec la lumière et les objets en mouvement. Mais là, on repart sur l'idée : qu'est-ce qu'un tableau, qu'est-ce que la composition, et pourquoi le fait-on ? Pour moi, un tableau représente, et en tous cas, j'essaye de donner cela au spectateur, un diagramme pour méditer sur certains problèmes du monde, c'est à dire presque une certaine religiosité. Et je crois que l'art de Malina n'a pas cette préoccupation. Et, je crois aussi que quand on veut méditer devant un objet, pour moi personnellement, cela me gêne que cet objet bouge en lui-même.

MALINA : Je pense que c'est un peu dans l'esprit du néo-plasticisme, car j'ai dit que si on a une attitude dans le domaine de l'art qui considère seulement les choses statiques, à la limite, cela arrête le développement dans l'avenir du cinéma par exemple. Je pense que s'il y a une place pour les tableaux et sculptures statiques, il y a une place aussi pour une expérience différente. Je pense que nous avons aujourd'hui beaucoup de discussions entre artistes différents, seulement chacun se défend avec les mêmes termes que les autres !

Je pense que si l'on discute du tableau traditionnel, c'est difficile de faire une comparaison avec un tableau cinétique, parce que c'est une expérience très différente. Maintenant, si une personne désire obtenir une expérience religieuse, est-ce vraiment plus facile avec un objet statique qu'avec un objet cinétique, je n'en suis pas sûr. L'homme, pendant des millions d'années, a adoré le feu et l'a contemplé dans la cheminée... Or, le feu bouge ! Je pense qu'il y a dans l'art cinétique un type de mouvement qui aide les personnes à faire l'expérience mystique, peut-être une expérience différente. Je pense que c'est la même chose si l'artiste discute avec un homme de cinéma. Si, vous dites à l'homme de cinéma : " Le cinéma n'est pas l'art tel que je le conçois ... ", c'est une question très privée et très personnelle. Je pense que le monde est suffisamment grand pour permettre toutes les formes d'expression. Maintenant, si pour Domela, un tableau qui bouge, qui contient un mouvement réel, lui donne de l'inquiétude, cela me peine beaucoup, car je connais beaucoup de monde qui trouve là une satisfaction dans le domaine de l'art. Je pense que c'est mieux si nous travaillons ensemble, c'est une peu comme une discussion que Michel-Ange a faite pour savoir quelle est la forme d'art supérieure : la peinture ou la sculpture. A mon avis, il est difficile de décider. Michel-Ange a dit que l'art véritable est la sculpture. Comment pouvez-vous savoir ? Vous avez un morceau de pierre. Il faut en éliminer, et après seulement vous arrivez à quelque chose. La peinture est toute illusion. Alors il a fait les deux ! Pour lui, pourtant, je pense que la sculpture est toujours meilleure. Seulement je pense que c'est là un débat sans solution, c'est une question de goût.

GORIN : Je suis tout à fait d'accord avec ce que vient de dire Domela. Ce qu'a dit Malina est tous aussi valable. Mais, malgré tout, je crois qu'il faut faire surtout une grande distinction pour la vision du spectateur entre le tableau classique à deux dimensions et ces choses construites que nous faisons à trois dimensions.. Et je crois que ce que nous appelons le cinétisme, et qui n'en est peut-être pas d'après certains, ne peut se manifester que dans trois dimensions par ce qu'alors là, d'accord que je suis avec Gabo également, c'est que ces formes changent, suivant le point de vue d'où on les regarde, tandis que dans le tableau classique, ça reste toujours la même chose, ça reste toujours fixe et là je crois qu'on ne peut pas employer le mot " cinétique ". Mais dans le relief construit, et dans la construction, dans la sculpture, alors là c'est tout à fait différent, là nous rejoignons ce que vous avez dit à propos de Michel-Ange. Dans une construction dans les trois dimensions, on peut découvrir le développement d'un cinétisme dans la transformation des formes.

MALINA : Nous avons demandé s'il y a une théorie comme le néo-plasticisme. Peut-être le constructivisme, ou quelque chose comme ça. C'est peut-être déjà dépassé. Quand même, quand vous avez commencé à faire les reliefs et les objets à trois dimensions, les peintres ont dit que vous n'étiez pas des artistes.

DOMELA : Oui, c'est juste.

MALINA : Alors, pourquoi pensez-vous que les objets à trois dimensions sont valables quand un peintre vous dit que ce n'est pas de l'art ?

DOMELA : Il est très difficiles de répondre à cela ! Il faut d'abord être d'accord sur le mot : " Qu'est-ce que c'est que l'art ? " Et encore, je voudrais ajouter ici une remarque : loin de moi l'idée d'attaquer ce que Malina fait ! Je l'ai suivi depuis mes débuts, je suis allé à ses expositions, j'ai beaucoup d'admiration pour ce qu'il a fait, seulement, et encore maintenant, cette idée de, disons, religiosité, n'émane pas de ses oeuvres pour moi.

XAVIER DE LA SALLE : Vous avez apporté un correctif, et je voulais vous reprendre sur la " religiosité " justement. Dans votre intervention de tout à l'heure, vous avez dit que vous vouliez donner un sens de " religiosité " que vous ne trouviez pas dans quelque chose qui bougeait, et cela avait l'air de quelque chose d'universel.

DOMELA : Ah, non !

XAVIER DE LA SALLE : C'est tout à fait personnel, et je pense que c'est comme cela qu'il faut le prendre, car autrement on arriverait à des théories très personnelles mais qui sont totalement fausses pour tous les autres spectateurs. Car je ne pense pas qu'il est possible de dire qu'un individu précis va réagir religieusement devant une chose qui bouge, et non religieusement devant une chose qui ne bouge pas. Je ne pense pas qu'il y ait une loi à tirer. Il n'y a que des exemples de la formulation de l'esprit de chacun, et ceci est très important, car cela élimine toute possibilité ensuite de faire des théories à ce propos. Ce qui me semble un des principes fondamentaux de l'art, c'est justement d'éviter la théorie, car il n'y a que des individus subjectifs qui sont ensuite spectateurs. Donc une addition de subjectivités ne donne jamais une objectivité. C'est pour cela qu'on en arrive à dire qu'un artiste n'est jamais un être objectif, et le grand reproche que je ferais personnellement à toute la formulation néo-constructiviste, orthodoxe ou non-orthodoxe, c'est d'arriver à une volonté de subjectivité qui est fausse dès le départ.

DOMELA : Je suis complètement d'accord avec vous.

MALINA : Je ne suis pas sûr d'être complètement d'accord avec Xavier, parce que je ne crois pas que dans l'avenir, nous rencontrerons plus de compréhension de la psychologie humaine et de la physiologie, si peut-être il n'est pas possible de construire une théorie esthétique suffisamment générale pour aider l'artiste dans son travail. Sans doute pour le moment, et c'est curieux, nous n'avons pas encore mentionné de théorie de l'esthétique, mais seulement les théories des artistes. Où sont les esthéticiens ? Je pense que pour le moment, les esthéticiens n'ont pas d'idées, parce que si ces esthéticiens avaient construit quelque chose de valable, nous devrions tous en être informés. Seulement, je pense qu'à l'heure actuelle, vous ne vous référez pas aux livres d'esthétique, parce que vous n'y trouvez rien d'intéressant. Seulement, je ne suis pas aussi pessimiste que Xavier. Il sera peut-être possible de faire quelque chose dans l'avenir. Quelqu'un m'a demandé l'autre jour : " Pourquoi, dans le domaine de la science, un scientifique décide de faire de la biologie, un autre les Ponts et Chaussées, un autre de l'aérodynamique, un autre des mathématiques ? " Quelle est la psychologie de l'homme qui décide le choix du travail ? Maintenant je suis curieux de savoir pourquoi les artistes sont contents de l'art géométrique, que les lignes soient droites ou courbes. Pourquoi d'autres ne sont intéressés que par les phénomènes biologiques, peut-être comme l'art figuratif, ou abstrait lyrique ? Je ne sais pas pour quelles raisons l'artiste décide de sa ligne le travail. Maintenant, peut-être que c'est un peu comme la religion, une question de prédestination. Je n'ai pas beaucoup de confiance en cela ! Sans doute y a-t-il quelque chose dans notre corps génétique, dans l'expérience de la famille et dans l'hérédité, dans la civilisation autour de nous qui décide pour nous de choses de notre vie, une petite sélection si vous voulez. C'est comme dans le néo-plasticisme. Si vous y pensez dans l'infini de l'univers, un groupe d'artistes à décidé de choisir la ligne droite. Pourquoi ? C'est sans doute quelque chose dans la construction de l'esprit de cet homme. Nous ne comprenons pas pourquoi un homme fait telle chose dans le monde. Peut-être qu'après un certain temps, nous aurons une meilleure idée. Je ne sais pas. Je suis optimiste sur la compréhension dans l'avenir.

DOMELA : En tous cas, il y a dans l'artiste toujours cette incertitude. Un jour, on se dit que tout ce qu'on a fait pendant toute sa vie ne vaut rien. Et un autre jour, on pense que cela vaut peut-être quand même quelque chose. Cette incertitude est toujours là. Alors, on ne sait jamais pourquoi on est artiste. Et je ne sais pas personnellement si je suis un artiste.

MALINA : Voyons, quand vous payez vos impôts, vous êtes un artiste !!! C'est un problème intéressant. Si je me réfère à ma courte expérience, un jour je suis heureux de travailler avec des lignes droites, géométriques, et un autre jour je préfère faire quelque chose d'organique et de biologique. Quelques fois aussi, je fais une exposition avec un mélange d'éléments différents de l'univers, d'après mon expérience. Et les critiques d'art sont mécontents, et m'accusent de mélanger l'art abstrait et l'art figuratif, ou l'art géométrique avec l'art lyrique. Là, je ne comprends plus, parce que c'est mon esprit qui est comme ça, et je ne vais pas seulement dans une direction. Seulement je ne sais pas, c'est peut-être mal !

GORIN : Je ne vois rien à ajouter : vous avez très bien expliqué ce phénomène. Moi, c'est la même chose. Quand je fais quelque chose, je suis absolument comme Domela, il y a toujours une incertitude, qui est quelques fois même tragique, qui donne beaucoup de soucis moraux, mais je crois qu'au fond il faut quand même beaucoup travailler et reprendre sans arrêt les recherches.

XAVIER DE LA SALLE : Je voudrais répondre un peu à Frank. Son optimisme, je l'accepte. Mais ce qui me surprend un peu dans l'art, c'est le peu de renseignement que nous possédons actuellement au XXème siècle sur toutes les influences que peut recevoir un individu, par exemple la perception d'une ligne droite, d'une ligne perpendiculaire ou d'une couleur. Il y a eu des études biologiques qui ont été faites sur la vision, mais très peu d'études qui cherchent à relier le biologique au psychologique. Et peut-être que dans un avenir futur, on sera beaucoup plus à même de déterminer les formes que l'on fait en fonction d'une finalité ; et cela sûrement même, mais pour l'instant, on en est réellement aux balbutiements, c'est à dire on en est encore pratiquement comme ces hommes des cavernes qui traçaient une ligne parce qu'ils en éprouvaient le besoin. Maintenant, on comprend peut-être ce qu'est ce besoin, mais on ne va pas plus loin dans l'investigation scientifique du phénomène. Et c'est assez extraordinaire de remarquer que l'artiste même est en perpétuel déséquilibre vis-à-vis de lui-même, car il se rend très peu compte de la signification de sa création sur lui-même. Frank dit : " Un jour je suis dans le géométrisme pur, le lendemain je suis dans le figuratif ", mais lui-même est absolument incapable d'expliquer quels sont les détours mentaux ou les images mentales qui le font passer de l'un à l'autre. Il y a toujours une possibilité, ou une théorie freudienne d'explication de ces phénomènes, mais à mon avis ces théories sont trop limitées face à l'ampleur de ces manifestations. Le champ chimique du cerveau n'est absolument pas connu. Je désire demander à Domela quand a-t-il fait quelque chose de figuratif pour la première fois ?

DOMELA : C'est en 1923. Et, je voudrais ajouter quelque chose, c'est que j'ai des difficultés à suivre mon ami Malina dans certains aspects de ce qu'il a dit. Il dit qu'il peut faire aussi bien un objet figuratif qu'un objet abstrait. Mais, où est-il lui-même dans ce cas-là ? Il n'a pas choisi. C'est une chose que je comprends très mal. L'abstrait est le résultat d'une suite d'expériences qui nous y ont menés. Une fois que l'on a trouvé sa voie dans l'abstrait, on ne peut plus faire du figuratif, et si l'on a fait du figuratif, c'est la même chose : on a suivi une certaine ligne, on s'exprime dans le figuratif et on continue, mais on ne fait pas de l'abstrait à côté. C'est pour moi une chose qui reste une énigme.

MALINA : Je vais vous dire pourquoi il n'y a pas de problème pour moi. Peut-être ma raison n'est pas correcte. Pour moi, tout art va dans le sens figuratif... [ passage illisible]. Maintenant, pour une personne qui n'a pas étudié l'astronautique, une trajectoire dans l'espace est un objet abstrait. Pour moi, c'est figuratif. C'est seulement un paysage différent. Pour moi, il n'y pas de conflit. Je suis intéressé par plusieurs aspects du monde visuel. Si un jour, je désire faire quelque chose qui me fait plaisir dans tel ou tel domaine, ce n'est pas pour moi une bataille entre l'art abstrait et l'art figuratif, parce que pour moi, il n'est pas possible qu'un artiste fasse quelque chose d'abstrait sans relation avec ce qu'il a vu dans sa vie. Bien sûr, il invente, il combine, il arrange des éléments qui n'existent pas dans le monde. Mais les éléments de base, il les a trouvés dans le monde. Autrement, si nous n'avons pas de source d'information dans notre tête, rien n'en sort. Je ne sais pas si Domela est d'accord.

DOMELA : C'est très difficile pour moi d'être complètement d'accord avec Malina, bien sûr. La question se pose autrement pour moi, puisque, quand je commence une composition, j'ai une préconception de la chose exacte. Je ne commence pas quelque part sur un tableau, sans savoir où cela va finir. Si bien que l'objet est pratiquement figé. Mais je ne me considère pas comme un créateur. Je me considère comme quelqu'un qui imite le geste créatif du monde. Et comme Malina le dit justement, on ne peut pas travailler sans recevoir des influences de tous les objets de la nature qui nous environnent. Et toutes les formes de la nature se répètent en nous quelque part. Elles sont en nous à l'état latent. Et par un choc intérieur ou extérieur, certaines formes surgissent et font le point de départ de cette préconception. Mais quand même, il y a une différence dans l'approche du tableau ou de la composition entre Malina et moi, puisqu'il trouve que tout ce qui est, tout ce que l'homme produit est figuratif. Dans ce sens-là, je suis d'accord avec lui : tout est figuratif. Mais on a maintenant établi certaines divergences qui existent réellement entre l'art abstrait et l'art figuratif. L'art figuratif reste toujours la reproduction d'un certain coin de la nature, même transformée par la vue de l'artiste. Je crois même que dans l'art abstrait, les formes qui surgissent, on peut les retrouver dans la nature. Mais, quand il s'agit de moi, je n'ai aucun souvenir de les avoir vues quelque part dans la nature. Je ne sais même pas où je les aurais vues.

GORIN : Je suis tout à fait d'accord avec ce que vient de dire Domela, et je reviens un peu en arrière pour dire que lorsqu'on a abordé l'art abstrait ou non-figuratif, c'est à la suite d'une progression spirituelle qui nous fait voir le monde entier, et toute la création, d'une autre manière. Je ne crois pas qu'on puisse revenir vers une figuration quelconque.

XAVIER DE LA SALLE : Je pense que la distinction que vous avez établie entre ce qu'on appelle l'art figuratif et l'art abstrait est intéressante, parce qu'elle correspond historiquement au phénomène, c'est à dire l'art figuratif représentation de la nature, et l'art abstrait qui part d'éléments qui ne sont peut-être pas visibles dans la nature mais qui conduisent à une possibilité de représentation. Un point m'a étonné dans votre discussion. Lorsque vous dites : " Je ne suis pas un créateur ". Car pour moi, le fait d'être un artiste conduit obligatoirement à une création. Et je m'explique : je pense que l'artiste a la possibilité de percevoir, et pourquoi je n'en sais rien, les structures préexistantes dans la nature, et que son oeuvre c'est justement la possibilité de projeter ces structures préexistant dans la nature.

DOMELA : Oui, mais c'est une imitation.

XAVIER DE LA SALLE : Oui, c'est une imitation, mais c'est aussi une invention. Je prends un exemple, que je trouve très extraordinaire. C'est celui de Jérôme Bosch qui est un homme qui imite son temps bien sûr, mais qui apporte dans son oeuvre des éléments qui n'existent pas. Et si l'on a fit une analyse très détaillée de l'oeuvre de Bosch, on s'aperçoit qu'il invente des éléments qui n'existaient pas dans son temps, mais que l'on retrouve maintenant dans notre monde. Je prends des exemples très simples : Jérôme Bosch a dans au moins quatre tableaux des reproductions pratiquement exactes des mines magnétiques que l'on a trouvées vers 1914-1915. On pourrait dire que c'est le dessin ou la copie d'une mine magnétique. Cet objet n'existait pas du temps de Bosch. Et pourtant il existe. C'est simplement un élément qu'il a inventé, qu'il a deviné ou qu'il a perçu. C'est une structure qu'il a perçue, comme vous parliez tout à l'heure de Pelzner. Pelzner invente des formes que l'on va retrouver à l'époque actuelle, composantes de l'architecture contemporaine, c'est à dire des formes mathématiques qui existaient, mais qui n'étaient pas utilisées de manière courante. Et maintenant elles sont utilisées de manière courante. Et évidemment, Pelzner est peut-être parti d'une étude mathématique des solides, mais il a représenté quelque chose qui n'existait pas. Et là, il y a invention si vous ne voulez pas employer le mot " création ", mais il y a un apport vaste.

DOMELA : Je ne nie pas le mot d'invention. Bien sûr, il y a invention. Mais en ce qui concerne la création même, je trouve que l'homme imite le geste créateur, c'est à dire comme je parlais avant d'une certaine religiosité. Il existe seulement un créateur, qui n'est pas nous. Invention , d'accord.

MALINA : Je ne pense pas être complètement d'accord avec Xavier. Je pense que l'invention, l'imagination de Bosch sont très fertiles : il y a beaucoup de choses qui n'existent dans les formes qu'il a faites. Quand même l'élément existe. Il y a un élément avec lequel il a fait son invention. Je ne sais pas si vous avez essayé de dessiner un animal que vous n'avez jamais vu. Si vous essayez de faire cela, vous obtenez généralement des éléments d'animaux que vous avez vus, mais combinés différemment. Peut-être un combiné d'éléphant et de girafe ou de cheval. Tout est possible comme invention et comme combinaison. Seulement, je ne pense pas qu'il soit possible pour un artiste de faire quelque chose à partir d'éléments qu'il n'a jamais vus, parce qu'il fait des images qui sortent de son expérience. Maintenant, si vous avez beaucoup d'artistes qui font des choses abstraites et après quelque temps, ils disent avoir trouvé dans la science la même organise, maintenant, je dis cela : nous connaissons l'histoire des singes sur les machines à écrire. Si vous avez un million de singes sur des machines, peut-être qu'en un million d'années, ils feront du Shakespeare, par accident. Je suis sûr que durant les mille dernières années, nous avons eu des artistes qui ont fait des choses un peu différentes, je ne sais pas quoi. C'est certainement un hasard qu'un artiste fasse quelque chose comme " l'extraepistography " que nous n'avons vue que pendant 50 ans, après quoi il est mort. Mais si c'est vraiment possible pour un artiste de prédire de telles choses, la première chose à faire en abordant les voyages dans la lune, c'est de demander à un artiste de faire la carte de la lune, ce qui supprimera tous les efforts pour faire les photos. Mais je pense qu'il n'y a pas d'artiste qui a suffisamment confiance en son pouvoir de prédiction pour le faire.

XAVIER DE LA SALLE : Avec Domela, nous avons vu la différence entre la création et l'invention. J'aimerais alors vous demander, Frank, quelle est votre position d'artiste. L'artiste est-il un inventeur ou un créateur ?

MALINA : Pour moi, c'est un inventeur et un créateur. Je pense que Domela a une conception de la création différente de la nôtre. Pour lui, la création c'est comme un Dieu qui crée des choses avec rien. Parce que si Dieu crée avec des éléments qui existent, alors c'est un inventeur. L'invention, c'est la combinaison d'éléments qui existent. Maintenant, pour moi comme pour Xavier, la création, c'est la construction de choses qui avant n'existaient pas sous cette forme. un bébé n'est pas une création, c'est un système automatique. Maintenant, quand un artiste produit une sculpture ou une peinture, ou une construction, il fait lui-même quelque chose qui n'existait pas comme cela auparavant. Il y a des gradations dans la création.

DOMELA : Maintenant, je suis complètement d'accord avec Malina. Quand même, il reste quelque chose à définir, car je crois qu'au fond il faut penser qu'il y a quand même quelque chose pour moi, quand cette image mentale surgit pour moi. Je me sens plutôt comme une station de réception que créateur. Il y a là quand même une différence.

MALINA : Oui, si vous êtes une station de réception, il est nécessaire qu'il y ait une station de transmission qui serait Dieu, non ? Seulement pour moi, il n'y en a pas. Je suis seulement un récepteur d'informations. Ca sort d'une façon différence par invention, par imagination, par fantaisie. Je ne travaille pas avec un système de travail : j'attends un transmetteur parce que je ne comprends pas ce processus de création. Je ne sais pas pourquoi j'arrive à une certaine idée. C'est un problème de créativité qui est mal connu en psychologie.

GORIN : Il y a une autre chose que je voudrais soumettre à Malina : le rapport qu'il y a entre les micro-photos que l'on trouve aujourd'hui dans toutes les revues scientifiques qui arrivent à nous donner une idée presque exacte de certaine créations artistiques. Et alors, je voudrais savoir quel rapport il y a. Je crois qu'il n'y a pas création, car cette chose existait déjà, on la découvre maintenant avec la micro-photos. J'ai vu des micro-photos qui par exemple nous représentent les objets d'art cinétique sans que ça bouge, enfin approximativement cinétiques. Il y a beaucoup de choses nouvelles qui nous sont révélées par la science, et qui nous montrent que, pour que ce soit des créations véritables, il ne faut pas qu'on les retrouve un jour, par les progrès de la science, dans la nature.

MALINA : Ca, c'est une nouvelle définition de la création. Ce n'est pas possible de trouver quelque chose comme cela dans l'avenir. Il faut réfléchir à cette idée. Je pense que dans tous les objets faits par l'artiste qui ont une relation avec quelque chose dans la nature, la corrélation n'est pas totale. Il n'y a qu'une apparence générale. Quand même, si vous donnez à un physicien une peinture et que vous lui dites : " c'est comme votre photo ", il dira non. Il y a plein d'erreurs. C'est seulement l'atmosphère générale qui est la même.

GORIN : En ce qui me concerne, je crois que dans le néo-plasticisme comme je l'emploie aujourd'hui, ce n'est peut-être pas le néo-plasticisme pur, mais enfin cela s'en dégage, c'est son développement, et je crois que dans ces compositions, jusqu'ici, et je ne peux pas prédire l'avenir, j'ai eu une certaine satisfaction de voir que mes compositions sont faites avec des lignes droites et des rapports qui ne sont pas encore découverts dans la nature, et vous-même, tout à l'heure, vous avez dit que la ligne droite n'existe pas dans la nature, ou tout au moins dans les cristaux. Alors je crois que là il y a aussi à discuter sur ce problème.

MALINA : Ca, c'est très intéressant, parce que Xavier a dit que Bosch a fait des formes que nous découvrons aujourd'hui. Pourtant, de mon point de vue, Bosch n'est pas un créateur.

XAVIER DE LA SALLE : J'allais simplement poser une méchante question à Jean Gorin et lui demander : le jour où vous allez voir une photo dans une revue scientifique qui représente une de vos structures, qu'allez-vous faire ?

GORIN : Je ne serai pas mécontent évidemment, j'en aurai une certaine satisfaction aussi, mais je ne crois pas que ce soit tout de suite.


   



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