La photographie couleur (expérimentations abstraites)
par Sylvie Lacerte
Moholy-Nagy, remarque, au moment où il écrit sur la photographie couleurs, que la peinture est encore, en ce qui a trait à la pigmentation des couleurs, infiniment supérieure à la photographie dont la technologie n'est pas assez avancée pour permettre une grande variété dans les jeux de nuances.
" L'émulsion, qui est le conducteur de toutes les couleurs photographiques, ne produit que des couches de couleurs primaires artificielles qui sont des approximations des couleurs primaires du véritable cercle chromatique. Leur nature synthétique résulte en un " teint " platement unifiant des photographies couleurs. Autrement dit, une photo couleur - pour le moment - n'est que le pâle reflet d'une autre. " 1
L'auteur de Vision in Motion ajoute que le problème, pour le photographe de son époque, se situe dans son incapacité à concevoir un nouveau schème de pensée quant aux usages de la photographie couleurs qui " nécessite une rééducation de l'œil et de l'esprit ". Pour Moholy-Nagy, le photographe doit apprendre à penser en termes de lumière et non plus en termes de couleurs ou de pigments. À ce titre, il. considère que la grande faculté de l'appareil photo est de pouvoir capter, mécaniquement bien sûr, des moments de lumière évanescente. Ces moments ou ces effets sont non pas les résultats de la pigmentation de la couleur, mais ceux de la lumière colorée et du mouvement. C'est un nouveau territoire à explorer.
Loin de se cantonner à la seule théorie des couleurs et de la lumière et tout en s'appuyant sur les travaux de Goethe sur les effets d'ombre des couleurs complémentaires, Moholy-Nagy est au fait des dernières découvertes ou expérimentations, notamment celles effectuées chez Eastman-Kodak avec le film Kodachrome qui capte les rayons ultra-violets.
Il s'empresse d'ailleurs lui-même de réaliser ses propres expériences en photographie couleur abstraite, en plus de commenter le travail de certains de ses collègues comme Gyorgy Kepes, Dorothy Forsberg et J.B. Foley. Mais les expérimentations ne s'arrêtent pas qu'à la lumière et aux couleurs. Le mouvement devient aussi l'objet des multiples expérimentations avec ce nouveau médium.
" La véritable représentation cinétique des valeurs couleurs-lumière permettra d'arriver à la première grande impression d'exposition de la lumière directe. La continuité et la composition pourront être établies par le biais de l'impact de lois purement optiques et de notions visuelles fondamentales - et non pas à travers un contenu à valeur sentimentale. " 2
Selon Moholy-Nagy, le succès de la photo couleurs ne sera assuré que lorsque le photographe sera " visually well educated " (bien formé visuellement) et aura conçu la photographie couleurs comme un médium à part entière, autonome de la peinture. Ce n'est qu'à partir de ce moment, conclut-il, que le photographe pourra amorcer des " expérimentations fondamentales " en photographie.
© Sylvie Lacerte & OLATS, 2000
1 op. cit., p. 170 (Trad. S. L.)
2 op. cit., p. 173 (Trad. S.L .)
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