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L'esthétisation de l'art et ses conséquences éthiques

Dominique CHATEAU


Pour Benjamin 1, l’esthétisation est ce qui rend esthétique ce qui ne l’est pas a priori ou n’a pas vocation à l’être, notamment dans le contexte du fascisme, la guerre, la violence, le politique. Il s’appuie sur un manifeste où Marinetti affirme que « la guerre est belle », mais, par-delà le ralliement de certains futuristes au fascisme, ils ont proposé, en peinture, poésie et cinéma, des innovations formelles radicalement antagonistes avec l’ancienne valeur du beau. Si le futurisme postule déjà l’esthétisation du monde, il ne réalise pas l’esthétisation de l’art qui caractérise une phase ultérieure dans laquelle les propositions et postures artistiques s’intègrent à l’esthétisation du monde. L’esthétisation de l’art est ce que l’art devient quand il est impliqué dans l’esthétisation du monde.

L’art pouvait-il échapper à l’esthétisation ? En fait, il est déjà esthétisé ou esthétisant dans son écart constitutif en tant qu’art. Mais il n’entre dans le processus de l’esthétisation du monde qu’en franchissant un degré supplémentaire, soit qu’il intègre des représentations esthétisées, soit qu’il se présente lui-même, en tant que production et exposition, en tant qu’œuvre ou monde spécifique (monde de l’art), sous une forme esthétisée. Il se présente alors esthétisé comme art jusqu’à dénier être art. L’art peut être attiré par l’esthétisation comme son triomphe. Mais c’est un cheval de Troie. Paradoxalement, l’esthétisation de l’art menace son autonomie. L’esthétisation est l’épreuve de valeurs de l’art là où il n’est pas ; comme par un effet boomerang, l’art fait à son tour l’épreuve de l’esthétisation qui réussit ailleurs que dans sa sphère tandis que les limites de cette sphère, du même coup, s’estompent.

Il y a une version optimiste et une version pessimiste de l’esthétisation de l’art. La première est déjà toute présente chez John Dewey : elle voit dans une esthétique démocratisée et humaniste une solution au renfermement de l’art dans son ghetto. La seconde a été avancée par Adorno et Horkheimer : elle voit dans l’industrie culturelle l’engloutissement de l’art dans les valeurs de l’économie libérale. Ce sont deux manières de penser la déspécialisation de l’art, soit qu’il devienne l’objet de tous et d’un investissement esthétique libéré, soit qu’il se dégrade dans le culturel et caresse le leurre d’une jouissance aliénante. Ou bien l’artiste est humainement rehaussé d’être assimilé au commun, ou bien il se dévalue dans l’industrialisation de la culture. Ce dilemme fut formulé jadis à l’égard de visions disparates. Ensuite, la critique de l’art autonome a été intégrée dans l’art : c’est le « Nous sommes tous des artistes » de Beuys, tandis que l’art a lui-même intégré les formules de sa propre dévaluation : c’est le spectaculaire et le kitsch.

Jean-Michel Palmier souligne que ce que Benjamin esquisse autour de la notion d’esthétisation en 1936 anticipe remarquablement les modes de la théâtralisation, du spectaculaire et du kitsch qui constituent l’esthétique totalitaire 2. Mais il souligne aussi que la réponse militante de la politisation de l’art à l’esthétisation de la politique liée à la prolétarisation (dans la lignée des artistes allemands qui, de Grosz à Becher, en passant par Heartfield, Eisler, Brecht et quelques autres, ont tenté de convertir leur art respectif en arme politique orientée contre le pouvoir et vers la transformation de la société), a déjà reçu en 1936 le verdict de son « échec tragique » 3. Vu de notre point de vue, disons postmoderne, ces deux aspects de la théorie de Benjamin, l’anticipation de l’esthétique totalitaire et l’échec de l’art progressiste, prennent un sens tout à fait singulier.

Tout d’abord, les modes de l’esthétique totalitaire, théâtralisation, spectaculaire et kitsch, sont devenus censément les modes de l’esthétique dominante imposée par la mondialisation, c’est-à-dire la généralisation du système politique libéral-démocratique. Adorno et Horkheimer, dans leur texte sur la Kunstindustrie écrit en exil à Los Angeles, soulignèrent la parenté entre la conception totalitaire et la conception libérale de la culture par des formules grinçantes : « En Allemagne on sent déjà peser sur les films les plus gais de l’ère démocratique le silence sépulcral de l’ère dictatoriale » ; « (…) le discours pénétrant partout, suffit pour remplacer un contenu, tout comme la transmission du concert dirigé par Toscanini, offerte aux auditeurs tient lieu de ce qu’est son contenu, la symphonie » 4. Toutefois, si l’esthétisation perdure après la chute du totalitarisme, si elle est un mode privilégié de la culture libérale mondiale, si elle caractérise la masse dans un contexte où la lutte des classes n’est plus le « moteur de l’histoire » comme le voulait Marx, où la classe ouvrière ne constitue plus le gros bataillon des prolétaires, où la prolétarisation s’est diluée dans la paupérisation, où l’abolition de la domination de classe n’a plus d’objet parfaitement clair, etc., une grande partie de la construction finale de Benjamin semble s’effondrer.

Pourtant, la notion d’esthétisation n’a pas perdu toute pertinence. Si on en en enlève ce qui est historiquement périmé ou, du moins, sérieusement altéré par le cours de l’histoire, qu’en reste-t-il ? L’idée que la transformation qui affecte l’expérience esthétique dans le contexte de la massification de l’art est liée aux modes de représentation que celui-ci, plus ou moins officiel, propose. Le cinéma serait en première ligne parce que la nature même de ce médium est censée produire la transformation en question. Mais cette thèse a ses limites. Benjamin s’intéressait essentiellement à l’écart entre Picasso et Chaplin, celui qui séparerait le recueillement du divertissement. L’histoire du cinéma a montré qu’il pouvait y avoir aussi des Picassos parmi les cinéastes, tandis que l’art majeur des héritiers de Picasso a suivi à certains égards le chemin inverse et s’est rapproché, depuis peu à grands pas, de l’industrie culturelle. L’esthétisation n’est pas une pure et simple conséquence de l’évolution technique ou, dirait-on aujourd’hui, technologique, elle est une modalité d’un univers socio-culturel où l’efficience de la technologie est en corrélation étroite avec des formes d’organisation de la production culturelle. Les effets du changement technologique se mesurent à la finalité de l’industrie culturelle. Un de ces effets est justement la recherche de l’effet : « L’industrie de la culture s’est développée en même temps que se développait la prédominance de l’effet, de l’exploit tangible, de détails techniques dans une œuvre qui, au départ, exprimait une idée et fut liquidée en même temps que cette idée » : la phrase n’est pas de Benjamin, mais de Adorno-Horkheimer ; quoi qu’il en soit, convenons qu’elle décrit parfaitement des événements artistiques actuels : aussi bien l’exposition touristique de Jeff Koons à Versailles que la diffusion par Canal + de l’ensemble de la série filmique Die Hard !

Le rapprochement de ces deux manifestations de la culture actuelle peut sembler arbitraire. Mais la ménagerie de Koons et les effets spéciaux de Die Hard illustrent les deux figures principales de l’esthétisation post-moderne : l’embellissement du banal et l’enluminure du spectaculaire. Comme je l’ai dit, la théâtralisation, le spectaculaire et le kitsch que Benjamin tenait pour des formes de la culture totalitaire sont devenues des formes de la culture libérale-mondiale. Nul doute que Leni Riefenstahl s’y retrouverait dans les grandes messes sportives des Jeux Olympiques ou des championnats de football ; nul doute que la mise en scène médiatique des guerres actuelles, du 11 septembre, etc., procède de la même esthétisation que Benjamin pressentait. Le fait qu’on puisse distinguer l’embellissement du banal et l’enluminure du spectaculaire, certes, semble contrecarrer l’idée qu’on ait atteint ce moment où, pour citer Adorno-Horkheimer, « les éléments inconciliables de la culture, l’art et le divertissement, sont subordonnés à une seule fin et réduits ainsi à une formule unique » 5. Mais l’intrusion de Koons à Versailles contamine ce lieu historique de son coefficient kitsch, tandis que les ébats sanglants de Willis, ce Christ américain, exploitent l’héritage du combat de gladiateur déjà lui-même coefficienté kitsch dans le péplum. « L’introduction de l’art contemporain dans les musées anciens et les lieux historiques est furieusement tendance » lit-on dans L’Express du 4 septembre 2008, sous un article intitulé « Jeff Koons à Versailles : de l’art ou du homard ? » On peut discuter à l’infini pour savoir si Koons mérite ce genre de vulgarités, mais ce qu’il propose fait partie du même univers que cette critique qui est aussi celui des effets spéciaux de Die Hard.

Cette discussion comporte un argument vicié, mais de première importance : on défend l’art kitsch de Koons avec l’argument que l’art a changé, qu’il s’est dilué dans le culturel, mais on refuse l’amalgame avec Die Hard en considérant que cette série ne fait pas partie du même monde, le monde de l’art qui refait donc surface en suspension sur le culturel. Il est vraisemblable que cette contradiction ne soit pas qu’un effet de verbalisation, qu’elle reflète un état réel de la culture. Mais plus l’art s’éloigne de sa forme distinctive, plus il pactise avec le culturel, plus il est susceptible d’être impliqué dans la même échelle des valeurs que lui. La distance, voire l’antagonisme, entre la production formelle du futurisme et l’idéologie de la guerre qu’il vantait s’est, de même, réduite, si l’on en croit, du moins, Jean Baudrillard lorsqu’il note qu’Apocalypse Now, exemplaire « d’un cinéma devenu machinerie démesurée d’effets spéciaux », est une « prolongation de la guerre par d’autres moyens », film et guerre se rejoignant ainsi « par leur effusion commune dans la technique » 6. L’esthétisation ne pouvant plus être ramenée à la volonté de puissance du totalitaire, dégagée de cette sorte de transcendance, devient dans le contexte mondial-libéral un conditionnement banalisé du produit culturel, et l’art tend à s’y assimiler docilement qu’il s’agisse de kitsch ironique ou de kitsch spectaculaire.

L’esthétisation définit le fait que quelque chose qui n’est pas esthétique ou ne devait pas l’être, le devient, et, par ce biais, l’esthétique rencontre une dimension philosophique à l’écart de laquelle elle se tient de prime abord, la dimension éthique. On se débarrasse, certes, du problème en considérant, à la manière bien connue de Wittgenstein, que « l’éthique et l’esthétique ne font qu’un » ; mais on n’identifie ainsi que ce dont on a une conception simpliste : en gros, il s’agit de l’analogie du couple beau-laid avec le couple bien-mal. Si la part de différenciation que recèle toute analogie disparaît — l’analogie est la ressemblance de deux choses qui appartiennent à des domaines différents —, si on assimile l’un à l’autre les deux couples de valeur beau-laid et bien-mal, si donc on confond éthique et esthétique, l’esthétisation n’a plus aucun sens. Elle n’en a un que dans la mesure où elle consiste à franchir la frontière entre les deux domaines de l’analogie tout en conservant leur différenciation. C’est à ce titre qu’elle est la clef de la problématique qui met en relation esthétique et éthique.

On posait naguère encore la question du rapport de l’esthétique à l’éthique, en ce qui concerne l’art, en accordant l’exception à ce dernier d’exercer en dehors des normes morales et de pouvoir tout dire contre elles. L’art critique ne supportait pas ce qui porte atteinte à la liberté de création pour des raisons extra-artistiques. L’extension du domaine de l’art au kitsch et au spectaculaire semblerait prolonger cette exception — on y reconnaît encore l’ironie et l’effusion —, n’était qu’elle déplace la liberté de création dans une sphère où les raisons spécifiquement artistiques rétrogradent au second plan. Parler même de spécificité artistique est devenu suspect. L’art en se modelant à l’esthétisation généralisée perd ainsi non pas son pouvoir critique, mais l’autonomie de ce pouvoir que lui conférait son ancrage dans un domaine spécialisé. Les écarts artistiques qui tranchent avec le consensus moral deviennent des sujets de discussion d’un point de vue éthique général, mais à condition de minimiser leur valeur proprement esthétique. Ce qui est symptomatique de l’esthétisation, ce n’est pas seulement la rétrogradation de la valeur esthétique au sens de l’autonomie de l’objet en tant qu’élément de la sphère spécialisée de l’art, c’est que cette rétrogradation s’inscrit dans l’objet lui-même et modalise ce qui reste encore en lui comme écart, signe de la fonction critique de l’art. L’art est aspiré vers l’espace privé ou vers l’espace public où il ne peut perdurer qu’en y introduisant une différence qu’il ne peut plus afficher comme posture distinctivement artistique. Dans cet art encore critique, la puissance critique est à la fois conservée par l’intrusion d’un écart dans la communication sociale et affaiblie par la dénégation plus ou moins ferme du caractère artistique de cet écart.

Il semblerait que l’art social critique, l’art public critique, etc., tournent le dos au kitsch. Il est vrai que le kitsch est leur repoussoir, en tant que prototype d’un second degré dans lequel toutefois le symbolisme est réduit au dérisoire ou à l’effet pour l’effet. Deux tendances récentes de l’art contemporain ont cherché à sortir de cette situation à la fois en rompant la distance du second degré et en restaurant un symbolisme à connotation éthico-politique. La première tendance, poursuit la quête masochiste de l’art corporel à l’aide de l’instrumentation technologique, tel Stelarc, par exemple, qui prétend remodeler le corps en y implantant physiquement des composants technologiques ; la seconde tendance, celle de « l’art public critique » pour parler comme Krzysztof Wodiczko, réhabilite la politisation de l’art dont parlait Benjamin, non plus dans le cadre classique de l’œuvre ou de son dispositif, mais en introduisant dans l’espace public des machines pour y provoquer une discussion, une prise de conscience, etc., par exemple, de cet artiste, Le Projet de véhicule pour les sans-abris ou Le Bâton d’étranger. Ces artistes, soit par le mouvement centripète d’une transformation du pouvoir de l’artiste, soit par le mouvement centrifuge de la sortie de l’art dans l’espace public, soit encore par la combinaison de ces deux forces, oscillent encore entre deux attractions : la modestie d’un effacement de leur propre rôle et l’orgueil du rôle social et idéologique. Une fois de plus, on constate que sous les différences apparentes il y a des affinités profondes : non seulement ces deux formules réalisent une esthétisation, l’une du corps, l’autre du champ social, mais encore elles se projettent dans une discussion éthique, concernant la biotechnologie et la politique sociale, au-delà des limites de la sphère spécialisée de l’art.

À l’encontre de l’idée wittgensteinienne que « l’éthique et l’esthétique ne font qu’un », Sartre avance qu’« il est stupide de confondre la morale et l’esthétique ». Laissons de côté la nuance entre éthique et morale. L’enjeu est de savoir si les valeurs du beau et du bien peuvent être ou non assimilées. Sartre le refuse en considérant que le Beau n’est pas réel, mais imaginaire : « Dire que l’on “prend” devant la vie une attitude esthétique, c’est confondre constamment le réel et l’imaginaire. Il arrive cependant que nous prenions l’attitude de contemplation esthétique en face d’événements ou d’objets réels. En ce cas chacun peut constater en soi une sorte de recul par rapport l’objet contemplé (…). » Cette théorie nous permet peut-être de comprendre ce que signifie pour un futuriste : « la guerre est belle ». Sartre dirait que ce n’est pas la guerre en tant que perception qui est ainsi qualifiée, mais un analogon, « une image irréelle » de la guerre. C’est, en tout cas, ce qui explique l’écart qui sépare l’idéologie du discours futuriste des représentations qu’il produit en tant qu’art. Deux cas d’analogie sont ici rapprochés et, dans les deux cas, il s’agit de savoir quelle est la balance entre ressemblance et différence, ressemblance formelle et différence de domaine, de réalité. On peut objecter à Wittgenstein qu’il se laisse séduire par l’analogie formelle, mais on peut aussi objecter à Sartre que l’image est une réalité, en tant que représentation. C’est ainsi que, dans le cas de Die Hard, le spectacle irréel de la violence se révèle dans la réalité de la violence du spectaculaire.

Dans tous les cas d’esthétisation de l’art, qu’il s’agisse de la négativité de l’éloge de la violence ou de la positivité du souci humanitaire, c’est la notion même d’artiste qui est en cause. On pourrait prendre l’esthétisation pour une sorte de passage à l’imaginaire, une sorte de néantisation du réel dirait Sartre. Il instaure, certes, une distance, mais ce n’est pas celle de l’expérience esthétique du récepteur, c’est celle de l’expérience esthétisée du créateur qui en même temps s’efface modestement devant l’effet, kitsch, spectaculaire ou critique, qu’il produit. Je ne dis pas qu’il réussit cet effacement, mais que celui-ci fait partie d’un camouflage obligé, au moins temporaire, dans l’ambiance idéologique où un individu peut encore être tenté d’exister comme artiste, mais sans ostentation et surtout en déniant l’être. Wodiczko a construit sa posture d’artiste à travers une permanente dénégation de cette posture. Il est toutefois intéressant, à cet égard, de constater que, par-delà la permanence de la mission sociale, éthico-politique, ses propositions n’ont pas toutes la même visée du point de vue esthétique : l’une de ses œuvres récentes, If you see something… 7, où le discours concerne des thèmes critiques chers à l’artiste (la marginalisation, l’étranger, l’abus de pouvoir, etc.), est un dispositif vidéo de trois grandes fenêtres qui procure l’étrange et fort sentiment de leur présence hic et nunc, derrière une sorte de voile en plastique. Un étrange et fort sentiment esthétique. Quelque chose de l’irréalisation sartrienne se passe alors qui, sans annihiler l’impact critique, produit un impact proprement esthétique. Il se trouve qu’ If you see something… est exposé dans des galeries ou des musées. Wodiczko, en 1987, dénonçait cette idée, et même celle de « l’art dans les lieux publics » comme « forme esthéticobureaucratique de légitimation publique » qui « cherche (…) à protéger l’autonomie de l’art (esthétisme bureaucratique) en isolant la pratique artistique des questions publiques critiques (…) » 8.

Chassez l’artiste par la porte, en fait, par les portes qu’il ouvre lui-même en s’assimilant à l’esthétisation, il revient par la fenêtre et nous procure alors à nouveau un sentiment esthétique… L’art résiste à son esthétisation alors même qu’il y succombe, à condition que la fonction critique propre à l’artiste ne serve pas simplement à esthétiser le social, même pour de bonnes raisons, mais opère encore comme l’hostilité spécifique par laquelle s’est constituée la posture, elle-même sociale, de l’artiste. La question éthique pour l’artiste implique celle d’une éthique artistique spécifique — comme Camus disait des romantiques que « l’art est leur morale ». La dénégation est ce mécanisme de défense tel qu’on souligne la prégnance d’une représentation en la niant, en sorte que la question de l’artiste n’est jamais aussi cruciale que lorsqu’un doute pèse sur sa persistance…



Notes

1 -L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée (1936), § 19, in Écrits français, Paris, Gallimard, nrf, Coll. « Bibliothèque des idées », 1991, pp. 169-171.
2 - Walter Benjamin, Le Chiffonnier, l’Ange et le Petit Bossu, Paris, Klincksieck, p. 702.
3 - Ibid., p. 705.
4 - « La production industrielle des biens culturels », La Dialectique de la raison, Fragments philosophiques (1944-47), trad. Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, Coll. « Tel », 1974, pp. 135 et 168.
5 - Ibid., p. 145.
6 - Simulacres et Simulation, Paris, Galilée, 1981, p. 89.
7 - 2005, Musée d’art contemporain de Barcelone (MACBA).
8 - « Stratégies de parole publique : quels supports, quels publics ? », in Arts public, Art critique, Textes, propos et documents, Paris, École nationale supérieure de Beaux-Arts, Coll. « Écrits d’artistes », 1995, p. 7.



© Leonardo/Olats, Artmedia X, Dominique CHATEAU, 2009
   



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