Ethique esthétique de Parménide et Mickey
Jean-Pierre FAYE
Les langages de l’art ? Ils portent les poisons de tous langages. Mais ils leur donnent un venin supplémentaire désigné comme la beauté. Comme « expérience métaphysique » ?
« A supposer que l’art existe » – est-ce que ses langages peuvent transformer le venin ? Pour des ruses technologiques d’avenir…
Car nous savons trop bien, et mieux que jamais depuis le précédent siècle, de quelles façons le langage – et les langages – dans leur multiplicité peuvent être et sont « le plus dangereux de tous les biens ».
Mais nous pouvons présumer qu’il n’y a pas de vaccin anti-langages.
– comme il peut y avoir des vaccins anti-spams -
Comment pourrait-on prévenir le développement du pli qui enveloppe les délires [ontologiques] - tels ceux d’un discours comme celui qu’a déployé la vague d’histoire accompagnant le 20 du mois de septembre de l’an 29 - et toutes les années 30 ?
Quand crise mène à rire ou à délire, tel celui des années trente entrant dans la grande philosophie -
Cette ‘source métaphysique’ est elle-même une peinture – comparable à la « nuit obscure » de Bill Viola.
En contrepoint de celle-ci, je peindrai les premiers fragment du Poème de Parménide, de deux millénaires et demi antérieurs…
« Les cavales qui me portent, autant que va mon désir
m’ont conduit, depuis qu’elles me mettent sur le chemin du multilangage
de la Démone, elle qui à travers la ville porte le vivant connaissant
là j’étais porté : là me portaient les cavales à la parole multiple
elles tiraient le char, les jeunes filles, les Kourai ouvraient la voie
l’axe dans les moyeux lançait un cri de flûte
en brûlant, car il était pressé par le tourbillon double
des roues, cercles de chaque côté, quand pour conduire s’élançaient
les filles du Soleil, délaissant les maisons de la nuit
pour la lumière, et, des mains, rejetant de leurs têtes les voiles
Là sont les portes des voies de la Nuit et du Jour -
°
Mais les langages de l’art ? Ils sont à la fois la comète, « la cavale-jument du soleil » – et le regard qui rejette ses voiles.
Ils sont à la fois les
• les cavales, celles qui me portent
• et les filles du Soleil, les Kourai, les Corée, filles d’Helios – qui « laissent derrière elles les maisons de la nuit et rejettent les voiles de leurs têtes », qui dénouent le fatal foulard de l’art asservi.
Alors, où serait cette éthique de l’art, cette éthique esthétique, qui n’est pas une surveillance, mais portant un regard qui « laisse derrière soi » en « rejetant les voiles », mais sans cesser d’être en mouvement en laissant derrière elles les ‘maisons de la Nuit’?
Quelque chose de simple comme les premiers mots du poème de Parménide prenant pour justice l’évidence de ce qui est, l’étant non inachevé. Car « Thémis [dit] de l’étant qu’il ne soit pas inachevé…»
Ce qui se dit ou s’entend mieux encore, en écoutant dans l’Atelier 1 de Passage d’encres la voix d’Angela, à vingt neuf ans, qui vient nous dire : Je suis capverdienne, sortie du Cap Vert , grande île d’Afrique, venue par le Portugal, venue ici à Saint-Ouen l’Aumône, et je pense beaucoup de choses de ma vie et des gens et
« ça me fait plaisir d’être » -
Elle vient nous faire toucher l’évidence d’être -
*
Alors qu’en est-il de l’art ?
Et de l’hypothèse où le plus grand mécène, le meilleur de tous, fait l’acquisition du Palais des Doges et y expose un Mickey Mouse de trente mètres de haut, en plastique rehaussé d’or sur le bout du nez ?
Que dira le regard ?
• Va-t-il parler ? Va-t-il se prononcer ?
Mais quelle serait sa prononciation ?
Va-t-il se prononcer sévère ? Mais ce serait s’aligner sur la banalisation ?
• Va-t-il rire ? Mais ce serait simplement le risible à l’unisson.
• Ou bien se détourner ? Mais ce sera une démission.
• Ou encore : louer avec chaleur, pour marquer sa vivacité et son aptitude à bien assimiler ? Mais ce serait accepter la soumission.
Alors, s’il y a éthique, ce ne serait rien d’autre que ce regard qui s’éloigne et laisse derrière soi « les portes de la nuit » – non par interdit ou refus ou décision de fermer la porte derrière soi,
– mais regard qui suit des yeux et peut se détourner de ce qui a lieu, et qui pourtant observe le tracé et le déplacement des espaces et des formes, et suit des yeux les mouvements du visage ou des choses -
Mais devons-nous donc nous dire : est-ce suffisant de tourner les yeux ou de les détourner des parcours de comètes en tous sens, et de l’agitation cométale ?
Car, bien sûr, il ne suffit pas de détourner les yeux, s’il s’agit de l’agression des blindés et des forces de répression dans Varsovie -
Ou plus tard et autrement, dans Prague -
Mais le regard vient déjà dire…
*
Est-ce que le Dos de Mayo de Goya, Guernica de Picasso, la Leçon d’anatomie d’un certain Rembrandt, l’Olympia de Manet, l’Origine du monde de Courbet, l’Orion aveuglé de Poussin, le Marsyas écorché de Titien, les Baigneuses debout de Cézanne, ou la Grande Baigneuse de Pablo, ou Corps corbeaux feu de -
est-ce qu’ils et elles vont se mettre à hurler contre le futur Mickey hypergéant de 30 mètres de haut du Palais des Doges, repris au compte du Grand Mécène, – en plastique rehaussé d’or sur la pointe du nez ?
certes non –
Mais les filles du Soleil, leurs juments et la Démone iront-elles vraiment saluer le géant Mickey au nez pointu de plastique rehaussé d’or ?
© Leonardo/Olats, Artmedia X, Jean-Pierre FAYE, 2009
|
|
|