ARTMEDIA X - Introduction
Mario COSTA
En ce qui concerne la réflexion sur l’art il y a, entre les Etats-Unis et l’Europe, une différence profonde qui ne peut pas nous échapper.
En Europe, l’art contemporain soulève des questions et est mis en doute au point de considérer l’art même, en tant que tel, épuisé pour toujours.
Aux Etats-Unis, au contraire, on ne doute pas du fait que ce qui est produit n’est rien d’autre que de l’art, de l’art contemporain, et on essaie de trouver toutes sortes de raisons grâce auxquelles on peut être sûr qu’il s’agit bien d’art et de rien d’autre.
Cette nécessité de légitimer l’art contemporain se trouve à la base de nombreuses théories esthétiques américaines importantes depuis, à peu près, la seconde moitié des années soixante.
Une opinion très influente, due aussi au prestige de son nom, est celle de Nelson Goodman. Un petit nombre de propositions suffisent pour illustrer sa pensée : « Le mythe absurde et encombrant de l’insularité de l’expérience esthétique peut être abandonné » 1; mais oui, parce que l’art, artefact symbolique, existe à l’intérieur de toute la circulation du symbolique et il s’agit d’art seulement au moment où, à l’intérieur de cette circulation, il fonctionne en tant qu’art ; c'est-à-dire, très simplement, que la vraie demande n’est pas « Qu’est ce qui est art ? », mais « Quand un objet est-il une œuvre d’art ? » 2, et, il est inutile de le dire, un objet est une œuvre d’art, indépendamment des « symptômes » artistiques qu’il peut avoir ou ne pas avoir, quand il fonctionne en tant qu’art.
Bref, l’impulsion est donnée.
Ainsi, de George Dickie et de sa « théorie institutionnelle » de l’art, nous apprenons que : est « art » tout ce que les institutions de l’art considèrent en tant que tel, sans que soit suspecté la dangerosité de cette position ; alors que de la part de Howard Becker on nous offre la légitimation du fait que l’œuvre d’art est un produit collectif appartenant à tous ceux qui, de différentes façon, la font exister, sans dire, en revanche, que la collectivité des agents de l’art constitue désormais, en réalité, une grande machine du « vide » qui a comme seul objectif de le faire apparaître « plein ».
Mais le dernier cri, celui qui est théoriquement mieux développé, et qui est à l’origine des deux précédents, est représenté par Arthur Danto dont, comme chez Hegel dont il s’inspire, on ne sait s’il faut apprécier davantage la capacité de saisir la vérité ou la capacité de la mystifier immédiatement.
Pour Danto, donc, l’art est arrivé à sa fin, ayant été rendu obsolète par la philosophie qui, d’autre part, n’a pas eu un meilleur destin. Mais ce qui suit après la « fin de l’art » ce n’est rien d’autre, encore et toujours, que de l’art, l’art de la « post – histoire », c'est-à-dire un art qui consiste dans le « tu peux faire ce que tu veux », car de toute manière il y aura toujours quelqu’un qui t’achètera ou te fera acheter.
Du reste il y a deux millions d’artistes qui doivent vivre, 100.000 dans la seule ville de New York, avec toutes les conséquences économiques que leur existence comporte ; ou, peut être sont-ils, eux-mêmes, la vraie conséquence économique ?
Le Colloque s’interroge sur le futur du « sens ». Je ne crois pas que le destin du « sens » ait un bon avenir.
Je crois au contraire, que, dans notre monde, c’est tout l’univers du symbolique qui se trouve dans une crise profonde et peut-être irréversible. Le symbolique a été effacé par la télévision qui a entièrement digéré la réalité, par la réduction en monnaie sonnante et trébuchante de tout l’existant, par la façon d’être du politique, par le fait que nous ne sommes plus dans une quelconque culture mais dans un « bloc communicant » technologique qui existe au-dehors de nous et qui l’emporte sur nous et sur nos desseins. Je ne crois pas que les artistes puissent faire grand chose dans cette situation.
Du “sens” nous savons désormais tout grâce à Richard Dawkins : comment il se génère, comment il se diffuse, comment il se décline…; et puis, surtout le « sens », tout le « sens » du monde, tout le « sens » secrété par l’homme au cours de son histoire, tout comme l’escargot sécrète sa propre bave, est tout entier là, sur Internet, un océan de « sens » extériorisé et cristallisé dans lequel tout notre « sens » se dissout et s’évanouit.
Bref, les conditions pour l’arrivée d’une catastrophe du symbolique sont toutes déjà données et ce qui est en train d’arriver n’est rien d’autre que son lent mais inexorable big bang
C’est dans ce monde que l’art vit aujourd’hui, ou mieux, que vit ce qui reste de lui.
Depuis trente ans, j’essaie de comprendre quel type d’activité esthétique peut tenter de survivre dans ce monde.
Mon opinion est que l’art, à partir de certaines avant-gardes, a commencé à transformer profondément son ancienne essence faite de beauté, d’expression, de symbolique, de sentiment qui se fait image, d’aspiration à la transcendance, et ainsi de suite, pour se contaminer avec les forces qui agissent le plus dans notre monde : la science et la technologie.
À propos de cette nouvelle situation de l’art et de l’esthétique, dont le prétendu « système international de l’art » semble se moquer, j’ai cru pouvoir parler d’abord, avec Fred Forest, d’esthétique de la communication, et ensuite de sublime technologique, de bloc communicant et d’esthétique du flux, de transformation de la figure de l’artiste en celle de chercheur esthétique, et ainsi de suite.
Le travail accompli pour Artmedia est à inscrire dans ce cadre d’hypothèses plus générales et compréhensives.
Le Projet Artmedia se conclut avec ce prestigieux Colloque.
Je remercie tous ceux, public inclus, qui l’ont rendu possible. Je sais gré à ceux qui ont accepté d’y tenir des conférences et j’espère que le travail réalisé par Fred Forest et par moi puisse être, finalement, pas du tout inutile. Merci.
Notes
1 - Nelson Goodman – I linguaggi dell’arte [1968], Milano, Il Saggiatore, 1976, p. 219
2 -
Nelson Goodman – Vedere e costruire il mondo [1978], Roma-Bari, Laterza, 1988, p.79
© Mario COSTA & Leonardo/Olats, décembre 2008
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