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Au-delà de la "maison de l'être": l'expérience esthétique du non-symbolique

Vincenzo CUOMO


La puissance et la pénétration de la technique dans les « environnements de vie » est en train de révéler l’historicité mémorable de la « condition humaine ». La question fondamentale qu’aujourd’hui la philosophie doit affronter est celle de repenser radicalement le phénomène de la nature humaine au-delà de celle que Heidegger appelait « la maison de l’être », c’est-à-dire au-delà de la traditionnelle caractérisation de l’homme comme « animal symbolique » et/ou comme « être dans le monde ». Ces notions ontologiques paraissent désormais toujours plus précaires et incomplètes.

L’apport des techno-sciences, surtout de celles qui sont liées à la robotique et à la bio-ingénierie, n’est pas en train de transformer le « monde », comme on pense généralement, mais est en train, pour ainsi dire, de le marginaliser, en conditionnant l’émergence de « formes de vie » non-symboliques et tecno-morphes « pauvres de monde » 1.

De nombreuses recherches théoriques sont aujourd’hui conduites pour montrer comment, dans la caractérisation de l’humanité de l’homme, à l’ouverture au monde symbolique est en train de se substituer progressivement la fermeture dans une série interconnectée d’« environnements informatisés » définis comme des « micro mondes », et parfois décrits comme de véritables « environnements animaux de second niveau » 2.

Dans de tels « micro mondes » l’expérience esthétique même s’appauvrit, tellement que plus d’un parlent d’« anesthétisation » de l’expérience ou d’« étourdissement esthétique » 3.

Les rapports homme-nature et homme-homme, pour parler comme Marx, sont les fondements de n’importe quelle analyse matérialiste de la « condition humaine ». Toutefois, la tradition philosophique moderne n’a pas exploré la première relation, la considérant presque comme une sorte d’arrière-plan immutable, et elle a approfondi seulement la seconde relation, celle entre « homme et homme ». Le développement de la technique, en particulier au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, est en train d’imposer à cet égard une mutation radicale de l’horizon théorique, du fait qu’il est évident qu’à l’intérieur de la notion d’« environnement naturel » il faut inclure aussi l’environnement de second degré qu’est l’environnement techno-morphe.

Et c’est pour cette raison que les propositions théoriques de l’« anthropologie philosophique » des années vingt-cinquante du siècle dernier sont en train de trouver de nouvelles audiences. C’est la « technique devenue monde » – dont parlait Heidegger – qui a redonné de l’actualité à ces recherches. Que la technique soit « devenue monde » signifie, en effet, qu’elle tend à se présenter comme un « substitut » du monde, comme un techno-environnement informatisé en évolution continuelle, environnement dans lequel les individus mènent une bonne partie de leur existence. Si, jusqu’au dix-neuvième siècle, l’interaction entre les sujets humains et l’environnement de vie (naturel ou artificiel qu’il fût) était une interaction dans laquelle la subjectivité humaine était encore symboliquement impliquée, du fait que l’environnement de vie était toujours une « partie du monde », l’interaction entre individu et environnement informatisé produit des « micro mondes » séparés du « monde symbolique ».

En effet, l’interaction homme-infomachine dévoile et produit en même temps des «habitus de vie » non-symboliques, et même véritablement sub-symboliques, c’est-à-dire « produit » des habitus de vie de vie fondamentalement désobjectivés et non-symboliques.

La logique de l’infoaction (l’interaction homme-environnement informatisé) est une logique cybernétique, une logique algorithmique 4 qui tend à établir une fitness environnementale parfaite, mais qui empêche a priori la relation à l’autre et, donc, exclut, avec l’autre, n’importe quelle place pour le sujet humain. Autrement dit, il s’agit d’une logique a-subjective et non-symbolique.

En se référant a Lacan, nous pourrions définir la relation « symbolique » comme une relation qui inclut, d’un coté, un sujet qui inscrit sa demande de sens dans une chaîne signifiante et, d’un autre coté, un autre auquel cette demande est adressée, même si cette demande, comme l’a montré Lacan, ne peut avoir aucune réponse 5 parce qu’elle concerne la radicale et « insensée » contingence du sujet humain.

Or, la racine structurale de ce qui apparaît comme une véritable « mutation anthropologique » consiste, à mon avis, dans la logique même qui préside et rend possible l’info-interaction. Dans une telle logique, comme je disais, il n’y a pas de place pour le sujet humain.

La logique algorithmique peut être conçue comme une logique formelle non descriptive mais opérationnelle. En cela le sujet humain n’est pas exclu en tant que « corps-esprit » capable d’activités intelligentes, même extrêmement créatives et sophistiquées, mais il est exclu en tant que « singularité" naissant-mourant, marquée par un « manque de sens » radical et inéliminable et par sa « contingence ».

Ce n’est pas par hasard que, dans les descriptions de la condition humaine qui tiennent compte des transformations que les techno-sciences sont en train d’apporter aux « formes de vie » contemporaines, il manque mystérieusement l’élément qui, depuis toujours, avec la capacité du langage, a été considéré comme la caractéristique propre de l’homme, c’est-à-dire la conscience de la (insensée) mort.

En d’autres termes, la « logique algorithmique » n’est pas une logique « véritative » et les langages algorithmiques sont des langages dénués de la possibilité de « dire l’être et le non-être ». Pour cette raison, le sujet humain, qui l’assume comme logique prédominante dans ses interactions avec les info-environnements, ne peut pas ni « mentir » ni dire la « vérité » et, donc, ne peut pas assumer son manque de sens naissant-mortel à l’intérieur de ce langage.

Les machines ne meurent pas et n’ont pas d’activités sexuelles. Leur logique opérative se situe pour cette raison en dehors de la logique symbolique humaine ; elle se situe en dehors du monde symbolique. Elle est au-delà de la « maison de l’être » (le langage, pour Heidegger).

La vie dans ces « micro mondes » informatiques peut se décrire comme une vie « pauvre » de langage et de « monde », scindée du reste de vie subjective toujours plus singularisée, exposée, contingente que le sujet humain (sujet « scindé ») continue à vivre en dehors des micro mondes.

De ce point de vue, les « jeux de rôle », tout comme les « mortal combat », dans lesquels les utilisateurs des « micro mondes » aiment être impliqués, sont une défense imaginaire du sujet humain face à une opérativité qui l’exclut.

La vie du sujet postmoderne devient tellement scindée entre un « habitus de vie » dé-subjectivé, qui lui permet d’agir dans les « micro mondes » informatisés, et les « formes de vie » toujours plus « singularisées », errantes. L’actuelle condition humaine devient caractérisée, ainsi, par la confrontation entre deux « manques de sens » : le premier est celui de la vie « subjective » toujours plus singularisée et « exposée » à la contingence ; le second est celui de la vie dé-subjectivée et performative vécue dans les « micro mondes » informatisés.

La scission entre ces deux manques de sens qui s’excluent l’un l’autre produit inévitablement, même sur le plan de l’existence psychique, l’apparition de pathologies dissociatives 6 et/ou l’apparition de symptômes qui ne peuvent être rangés dans la tripartition psychanalytique classique des structures de la personnalité (névroses, psychoses, perversions).

Toutefois, ce n’est pas de cela que je veux parler, mais de quelque chose qui confirme, d’une certaine manière, ce diagnostic sur le plan de l’esthétique. Je n’en donnerai que quelques indications qui seront un peu schématiques car je n’ai pas le temps de les développer et parce qu’elles concernent mes recherches en cours.

Au-delà de nos argumentations précédentes, ce n’est pas un hasard si, à partir de la seconde moitié du vingtième siècle, aux marges de l’esthétique académique ou nettement hors de son champ, se soit petit à petit affirmé des lignes de recherche qui semblent faire abstraction autant de l’« esthétique subjective » traditionnelle typiquement moderne que de l’esthétique de l’œuvre qui s’en apparente, en tant qu’elles sont toutes deux « esthétiques symboliques ». A la place de la suprématie du sujet ou de l’œuvre, ces lignes de recherche esthétique semblent vraiment proposer une ouverture dans le territoire du non-symbolique au-delà de n’importe quel préjugé.

Les esthétiques non-symboliques auxquelles je me réfère sont les suivantes :

1. Nous avons une esthétique de la sensation, c’est-à-dire une esthétique des forces, une esthétique des vibrations où le corps est impliqué et, fondamentalement, dissous. Il s’agit d’une tendance théorique qui va de Deleuze 7 à l’esthétique du rock, à l’esthétique informelle, où les procès sub-symboliques sont pensés et décrits comme des « champs de force » a-subjectifs et impersonnels.

2. Nous avons, ensuite, une esthétique de la programmation, liée à l'art génératif, qui se caractérise comme une esthétique des processus automatiques de génération des formes à partir d’instructions algorithmiques qui en définissent, pour ainsi dire, l’environnement. C’est une esthétique des procès bottom-up 8 et de ce que l'on appelle la vie artificielle. Je pense, par exemple, au travail de Casey Reas ou de Maurizio Bolognini.

3. Nous devrions, enfin, indiquer une esthétique du vide, qui, à partir de suggestions zen a été proposée dans l’art et dans la musique du vingtième siècle par John Cage. L’esthétique du vide est, avant tout, une esthétique du « vide du sujet ». C’est, donc, une esthétique a-symbolique, pour reprendre les termes de notre discours.

L’aspect le plus intéressant de ces lignes a-subjectives de recherche esthétique est qu’elles tentent de penser et de décrire l’expérience esthétique de ce qui se situe en dehors du monde (symbolique). L’horizon que ces esthétiques visent n’est pas du tout clair, mais il est indubitable qu’elles élargissent notre degré de conscience sur la condition humaine.

(traduit par Rolland Caignard)



Notes

1 - Cf. sur ce concept le célèbre cours de M. Heidegger, Concetti fondamentali della metafisica, ed. it. a cura di C. Angelino, trad. de P. Corlando, il melangolo, Genova 1983.
2 - M. De Carolis, Il paradosso antropologico. Nicchie, micro mondi e dissociazione psichica, Quodlibet, Macerata 2008, p. 116.
3 - Cf. V. Cuomo, Lo stordimento estetico e il sentire macchinico, in Id., Del corpo impersonale. Saggi di estetica dei media e di filosofia della tecnica, Liguori, Napoli 2004, 47-58.
4 - Pour éviter toute équivoque, je précise que j’utilise ici le terme « algorithme » dans son acception informatique, comme séquence de passages successifs, dont chacun spécifie une action ou une instruction exécutable d’une façon mécanique. La séquence peut être visualisée sous forme de diagramme de flux.
5 - Sur la thématique de la « réponse » et de la pensée « responsive » il est nécessaire de se référer à l’œuvre de B. Waldenfels. Cf. en particulier Fenomenologia dell’estraneo, trad. it. par F. Menga, Cortina, Milano 2008.
6 - Cf. A. Goldberg, Being Two Minds, The Analytic Press, Hillsdale, London 1999.
7 - G. Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, La Différence, Paris 1981.
8 - Cf. McCormack, J. And A. Dorin, Art, Emergence and the Computational Sublime, Proceedings of Second Iteration: a conference on generative system in the electronic arts, CEMA, Melbourne 2001. Cf. aussi M. Costa, Internet e globalizzazione estetica, Tempo Lungo, Napoli 2002, p. 98-106.



© Leonardo/Olats, Artmedia X, Vincenzo CUOMO, 2009
   



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