Les oeuvres sur Internet présentées à Ars
Electronica relèvent de deux catégories
différentes : d'une part le "Prix .NET", un des quatre
prix au côté de l'art interactif, l'animation en images
de synthèse et le musique informatique décernés
chaque année ; d'autre part les "Projets Réseau"
de l'Ars Electronica Center qui accueille et soutient la
création d'oeuvres nouvelles.
En 1997, quatre oeuvres, dont nous proposons une brève
analyse, ont été particulièrement exemplaires
des formes de création sur Internet : deux prix (Sensorium et
TechnoSphere) et deux "projets réseau" (Grammatron et Familie
Auer).
Les autres oeuvres sélectionnées par le jury d'Ars
Electronica 97 et les autres "projets réseau" sont
listés à la fin de ce document.
SENSORIUM
est un ensemble de projets, sous la direction de Shin'ichi
TAKEMURA, reposant, comme son nom l'indique, sur une autre
perception sensible du monde et de nous-mêmes induite par les
nouvelles technologies, plus particulièrement celle du
réseau.
Sensorium est l'exemple même de la notion de
cyberception telle que définie par Roy Ascott,
c'est-à-dire d'une perception physique et mentale non plus
déterminée et conditionnée par le seul espace
physique et les limites de notre corps mais élargie,
augmentée par -et dans- le cyberespace et par la relation
dialectique entre les deux (inter-espace).
Les projets de Sensorium interviennent à plusieurs niveaux
:
- perception de la Terre en tant qu'entité globale
et vivante, avec notamment la visualisation animée et
dynamique des tremblements de terre, réalisée à
partir de relevés sismiques disponibles sur le réseau,
ou encore, indication de la distance parcourue par la Terre autour du
Soleil depuis que l'on s'est connecté sur le site.
- perception individuelle : à partir du calcul du
renouvellement des cellules dans un corps humain, un graphique nous
indique quel pourcentage de nous-mêmes est "nouveau" depuis le
début de notre visite, et depuis notre dernière visite
lors des connections ultérieures.
- perception du réseau et de son activité en
tant que "système nerveux" ou canal d'irrigation transportant
l'information aux différents "organes" (qu'ils soient humains
ou machines). Ainsi à chaque protocole de transmission des
données (ftp, html, etc.) correspond un son. On peut donc
"écouter", comme avec un stéthoscope, l'activité
sur le réseau (en fait l'activité du laboratoire des
promotteurs du projet Sensorium).
- perception subtile et indirecte du lien structurel entre
ces niveaux.
Sensorium relève non seulement de la cyberception mais
aussi de ce que le premier jury du .NET avait qualifié de
"webness" ("webitude"), c'est-à-dire qu'il repose sur
la nature et sur la structure mêmes du réseau : il "vit"
dans et se "nourrit" du réseau, réutilisant des
informations disponibles sur d'autres sites, qu'il traite et
réinjecte sous une autre forme.
Enfin, le graphisme minimal et dépouillé de
Sensorium renforce son aspect poétique et ... sensible.
TECHNOSPHERE
est le projet -largement connu- de Vie Artificielle de Gordon
Selley, Rycharde Hawkes et Jane Prophet.
Le public est invité à créer une "bestiole"
artificielle. Une fois définie, celle-ci rejoint les autres
bestioles qui peuplent le monde numérique de TechnoSphere
(TS pour les intimes). A partir de là, en tant que
"géniteurs", nous n'avons plus aucun moyen d'actions ou de
contrôle sur elle. Nous pouvons seulement avoir des
informations sur ce qui lui arrive, soit en allant sur le site et en
consultant une sorte de bulletin de santé, soit par les
courriers électroniques que TS nous envoie de manière
automatisée et qui renseignent sur les
événements importants ou banaux vécus par notre
créature.
L'originalité et la force de TS résident dans ces
deux points : pas de contrôle, et information par
courrier électronique.
La première option la distingue de la plupart des oeuvres
de vie artificielle et ruine à la base les tentations
d'anthropomorphisme largement présentes dans les jeux comme le
Tamagochi ou Creatures.
La seconde est essentielle : avec les réseaux et la vie
artificielle, nous avons commencé à cohabiter
avec des êtres non-biologiques, à échanger
avec eux comme avec les humains, indifféremment (quelquefois
sans le savoir d'ailleurs).
Enfin, TS créé une communauté
d'êtres humains et de créatures numériques qui
partagent le même "espace" (la Silicon Graphics sur laquelle
réside le programme) et qui communiquent entre eux :
humains/créatures artificielles ; bestioles/bestioles (elles
peuvent se reproduirent entre elles ou se manger) et humains/humains
(il n'est pas rare que les "géniteurs" des créatures
numériques se contactent quand celles-ci se sont reproduites
ou quand l'une a mangé la créature d'un autre).
La singularité de cette oeuvre au sein des créations
en vie artificielle et des projets sur le réseau, son
apparente simplicité et la communauté qu'elle
engendre, expliquent sans doute la fidélité de
ses "usagers" qui se connectent régulièrement,
même s'ils n'ont pas toujours une créature "vivante" en
cours.
Les deux autres oeuvres que nous allons présenter,
Grammatron et Familie Auer, relèvent du même genre ou de
la même structure formelle : l'hypermédia.
GRAMMATRON
de Mark Amerika est une hyper-fiction doublée d'une
cyber-histoire.
De manière plus prosaïque, il s'agit d'un roman
hypertextuel dont le sujet est la cyber et la techno-culture.
Encore en d'autres termes, le fond (le contenu) et la forme ne sont
qu'une seule et même chose, ce qui justifie sa raison
d'être sur Internet -et non sur un CD-ROM par exemple.
Dans Grammatron, Mark Amerika explore tous les aspects de la cyber
et de la techno-culture dans une dialectique entre culture
populaire, culture savante et culture techno-scientifique au travers
même de l'écriture hypermédia. Sont ainsi
convoqués la science-fiction et le vocabulaire cyber-punk ou
informatique (le code) mais aussi les questions actuelles, comme
celle de la conscience ou de la vie artificielle, ainsi que des
références à une culture savante "classique"
(notamment du judaïsme avec le Golem et le pouvoir du mot
écrit qu'il télescope avec le tatouage
contemporain).
Plus fondamentalement, Grammatron questionne l'écriture, la
narration et l'édition qui ne peut plus se limiter au
livre : écrire une histoire multiple, croisée, aux
embranchements foisonnants, qui met en oeuvre de multiple
références et dont le sujet est le réseau et le
langage informatique ne peut se faire que sur le réseau.
FAMILIE
AUER, projet d'un groupe d'artistes autour de Robert Adrian, est
construit comme une parodie de sitcom hypermédia pour
le web.
Familie Auer repose sur une double série de
clichés :
- la caricature de la famille autrichienne de base (aux
prénoms attendus comme Hansi, la mère ou Sissy, la
voisine), totalement ringarde (il faut aller voir l'album de photos
de vacances !) ; Familie Auer est une sorte de Simpson à
l'autrichienne.
- les tics et manies des cybernautes : ne surtout
pas rater la page présentant le "Real Audeo" (prononcer
à l'anglaise : real audio) qui propose rien de moins que le
premier logiciel d'odeurs sur le web (effets garantis !) et le jeux
de mots "lick here".
La combinaison des deux, renforcée par un graphisme de type
bande dessinée pour enfants, est proprement
hilarante.
Issus de l'art radiophonique et de l'art de la communication, les
artistes exploitent parfaitement les ressources et contraintes du
réseau : utilisation simple et remarquable du son et de
l'image, pages écran brèves, historiettes autonomes
mais cohérentes avec l'ensemble, contenu évolutif,
utilisation du réseau comme média de communication,
oeuvre modulaire (déclinable en projets d'art radiophonique ou
en installation, comme ce fut le cas durant le festival Ars
Electronica 97, ou en "actions" live sur Internet via Real Audio),
oeuvre collaborative entre plusieurs artistes.
Comme pour Grammatron, mais à un moindre degré, un
minimum de culture et de connaissance du vocabulaire du réseau
est nécessaire pour apprécier toutes les
subtilités et l'humour de Familie Auer.
Autres prix
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MMF/Make Money Fast, Rolf Schmidt
http://www.clark.net/pub/rolf/mmf/
Une dénonciation des pollueurs de boîte
à lettres et de newsgroups.
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The Multi-cultural Recycler, Amy Alexander
http://shoko.calarts.edu/~alex/recycler.html
Regard critique sur la multiplication des
webcams.
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Sherwood Forest, Bruce Damer http://www.ccon.org/events/sherwood.html
Communauté virtuelle.
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Ocean Walk, Ryoichiro Debuchi http://www.atom.co.jp/vrml2/ocean/index.html
Exploration d'un monde sous-marin, empreint de
mythes.
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Virtual Roof, Hermann-Josef Hack
http://www.hack-roof.de
Un toit virtuel pour ceux qui sont dans le clan des
"havesnot".
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Harappa, Omar Khan
http://www.harappa.com
L'Asie du sud-est avant l'indépendance
(1947).
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Cyberpoetry, Zervos Komninos-Kostant http://student.uq.edu.au/~s271502
Une poésie qui ne peut pas exister dans les
médias traditionnels.
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Shooting Back, Steve Mann
http://n1nlf-1.media.mit.edu/shootingback.html
Caméra, surveillance, feedback. Tout le monde
regarde tout le monde.
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JODI, Joan Heemskerk & Dirk Paesmans
http://www.jodi.org
Le message est le medium.
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Container City, Markus Schulthess
http://www.mesch.ch/container-city
Ville virtuelle (VRML).
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Form, Alexei Shulgin
http://www.c3.hu/hyper3/form
De l'art, des formes, reposant sur la technologie de
l'Internet.
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Energized Gaming Culture, Mark von Rahden
http://www.farm.de/x/
Essai et encyclopédie interactifs sur les jeux
vidéo.
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Autres "projets réseaux"
! les oeuvres comportant une * ne sont plus accessibles / the works
with an * are no longer available
Annick Bureaud 1997 <bureaud@altern.org>
- © Bureaud et OLATS, 1997.
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