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Zamble est un des masques les plus connus des Guro (centre-ouest de la Côte d'Ivoire) ; son aspect très particulier, mi-léopard, mi-antilope, est
directement associé à cette ethnie et à elle seule dans une région où les différents groupes de populations connaissent pourtant beaucoup d'interactions. En ce qui concerne les masques ,notamment, les influences sont fréquentes et
dépassent parfois le niveau formel. Au-delà des considérations esthétiques, zamble
est intéressant à plus d'un égard car il constitue une charnière entre les masques profanes qui dépendent d'associations d'artistes et les masques sacrés. Zamble, comme les exemples sacrés, est placé sous la garde d'une
famille responsable de son culte mais le succès que rencontrent ses performances et la reconnaissance publiquede l'identité de son porteur le placent également dans la catégorie des masques plus profanes de divertissement. Ses
interventions peuvent avoir lieu dans le cadre restreint du rituel familial pour un sacrifice offert aux ancêtres ou à l'occasion de grandes funérailles impliquant plusieurs villages. Cette cérémonie particulière exige un énorme
investissement financier pour la célébration du défunt. Ces considérations économiques contraignent d'ailleurs de plus en plus souvent les familles à organiser un évènement commun pour la commémoration de plusieurs morts à la fois.
Les dignitaires invitent beaucoup de masques de villages voisins et fréquemment deux zamble qui entrent en compétition pendant toute une journée. Ces concurrences de zamble
sont tellement célèbres qu'elles rassemblent autour de la place de danse, des spectateurs venus de villages parfois très éloignés et même de la capitale où certains résident. Pourtant, il ne s'agit pas seulement d'un divertissement car le simple fait d'assister à des spectacles qui mettent en jeu les pouvoirs surnaturels représente toujours un danger.
Il est indispensable de se protéger des attaques de sorciers par l'utilisation de multiples "gris-gris". Sans compter l'énorme potentiel surnaturel et magique qui est lié à la présence de deux zamble
qui se mesurent dans une profusion de substances protectrices et potentiellement dangereuses. Au cours de ces extraordinaires joutes chorégraphiées qui opposent deux masques, la tension et l'angoisse même croissent jusqu'au seuil de tolérance des personnes en présence. Les spectateurs (qui ont souvent consommé beaucoup d'alcool) sont très nerveux, ils se sentent agressés de toutes parts ; sous l'emprise d'une véritable paranoïa, ils ont l'impression que le danger est constant et imminent. L'atmosphère de plus en plus oppressante devient presque palpable comme si la densité de l'air augmentait sous l'effet des charges invectives magiques. Plus la journée avance, plus on constate, çà et là, que certaines personnes se son effondrées, victimes de la combinaison redoutable de leur angoisse, de l'alcool et des maléfices. Les manifestations de cette lutte incessante contre la sorcellerie se multiplient : des verres se brisent sous l'effet de bagues-talismans qui détectent les poisons, les attaques dérapent sur les corps protégés, lavés et recouverts en différents endroits stratégiques de substances secrètes, les gens réagissent au moindre attouchement suspect. Bien entendu l'interprétation que chacun donne donne à ces évènements troublants dépend du crédit qu'il apporte à l'existence même de la sorcellerie. Mail nul
ne peut nier que les incidents se précipitent ; certains, sentant leurs forces diminuer, n'hésitent pas à s'éloigner au plus
vite de ce champ de bataille où les agresseurs sont invisibles. Lorsque les zamble
se sont mesurés toute la journée, il faut annoncer le vainqueur. Le public est seul juge ; pendant les prestations, on entend sans cesse les commentaires des spectateurs qui comparent la précision, la vitesse d'exécution des deux danseurs. Certains n'hésitent pas à les interpeller par leur nom de famille, ce qui est censé les encourager et les valoriser. Les femmes restent discrètes même si elles connaissent l'identité de chaque danseur, elles n'iront pas jusqu'à prononcer leur nom : le masque reste envers et contre tout un objet sacré, donc dangereux si les interdits qui le concernent ne sont pas respectés. Finalement, un homme aura le courage d'annoncer le
zamble vainqueur. à les interpeller par leur nom de famille, ce qui est censé les encourager et les valoriser. Les
femmes restent discrètes même si elles connaissent l'identité de chaque danseur, elles n'iront pas jusqu'à prononcer leur nom : le masque reste envers et contre tout un objet sacré, donc dangereux si les interdits qui le concernent
ne sont pas respectés. Finalement, un homme aura le courage d'annoncer le zamble vainqueur.En effet, seul un dignitaire, un homme d'une extrême sagesse et d'une grande assurance peut supporter le poids d'une telle
déclaration. Il ne faut jamais perdre de vue que le zamble
perdant est un masque dont les représailles peuvent être redoutables. Une parole prononcée n'est jamais insignifiante, elle a autant de poids qu'un écrit dans notre conception occidentale de la vérité. Il est étrange d'ailleurs de constater à quel point nous sommes déformés par la qualité que nous attribuons à l'écrit au détriment de l'oral. Comme si nous perdions tout esprit critique face au contenu d'un ouvrage publié alors que nous remettons volontiers en cause ce qui nous est transmis oralement.
* Je remercie tous les Guro qui m'ont aidée au cours de mes recherches et plus
particulièrement Djo Bi Irie et Zoro Bi Irie |
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Contacts et autres informationsQuelques mots sur Anne-Marie Bouttiaux
Anne-Marie Bouttiaux est conservateur adjoint, section d'ethnographie Responsable des Exposition itinérantes. Elle est actuellement commissaire de l'exposition L'Autre Visage présentée au Musée Royal
de l'Afrique Centrale, à Tervuren. Pour plus d'informations, consultez la rubrique des participants. Autres articles d'Anne-Marie Bouttiaux consultables sur le site d'Afrique virtuelle : - Stephan de Jaeger se laisse inspire par l'Afrique. Article également publié dans la revue De Facto, Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. 13-15.-
Masques d'Afrique portés : Chefs-d'oeuvre de la collection Barbier-Mueller.
Article également publié dans la revue De Facto, Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. 26-30.
- Masques d'Afrique exposés
: Chefs-d'oeuvre de la collection Barbier-Mueller. Article également publié dans la revue De Facto , Bruxelles, Edition De Facto, N°15, pp. 33-39.-
Dissimuler son visage pour prêter son corps aux esprits, Demain le monde, n°24/25 juin 1998, pp. 68-69 |
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