1949 - Knowledge vs Unknown - N° 63.
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"Knowledge vs Unknown"
Pastel drawing
© Reg Gadney
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En 1949, Frank Malina réalise "Knowledge Versus Unknown" qui tout en faisant encore appel à des techniques traditionnelles et à un mode de représentation figuratif, annonce la naissance d'une expression artistique marquée par la présence du scientifique. Circonscrite par la croûte terrestre et l'espace intersideral, la planète terre prend la forme d'un espace intime, coloré, peuplé de symboles scientifiques et de formes au dessin naïf représentant la nature, le monde animalier, l'être humain et son talent de batisseur/créateur. Une suite de petites sphères rouges rappelle la figuration des atomes, élément constitutif de la matière; un ensemble de formes elliptiques évoque la sphère celeste ainsi qu'une représentation symbolique de Vénus et de la planète terre. Ce sont autant de symboles qui nous conduisent certes à considérer avec émerveillement les connaissances acquises par l'Homme, mais qui rappellent aussi que nombre de phénomènes naturels demeurent encore énigmatiques. Les techniques et matériaux traditionnels utilisés ne permettent visiblement pas à l'artiste de traduire la dynamique et mobilité de l'univers. L'introduction de nouvelles matières - telles le plexiglass -, et l'avènement des moteurs électriques le dirigeront ultérieurement vers l'art cinétique, et l'exploration systématique du mouvement en temps réel et de la lumière pure.
1951 - Continuous lines of arrows - N° 186
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"Continuous lines of arrows"
Pastel drawing
© Reg Gadney
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Des entrelacs de lignes fluides et bouillonnant d'une énergie vitale envahissent la toile et mettent en scène un monde en constante fluctuation qui demande à se libérer d'un support et de matériaux statiques et contraignants. Cette prédominance de lignes curvilignes n'exprime-t-elle pas déjà le désir de traduire ce phénomène dont Xavier de la Salle fait mention en parlant de l'architecture moderne : " le développement biologique des structures" ?
1954 - Microscope - N°594
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"Microscope"
Gouache on Bristol paper card
© Reg Gadney
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L'art pour observer, saisir la vie dans son infiniment petit, et tenter de donner à l'Homme une sensation picturale de l'univers qui l'entoure : tel pourrait être le message de cette oeuvre qui déjà par son sujet se départit des habituelles représentations de natures mortes.
"By the time I embarked on a career in art in Paris in 1953, I was saturated by the vast quantity of paintings of nudes, flowers, landscapes and dead fish that filled the museums and galleries" (Frank J. Malina)
Traduction : "Au moment où je me lançai dans une carrière artistique, à Paris, en 1953, j'en avais plus qu'assez de voir ces innombrables peintures de nus, fleurs, paysages et poissons morts qui remplissaient les musées et galeries."
Le principal objectif de Frank J. Malina était de réconcilier art, science et technologie, "de manière à ce que l'Homme puisse commencer à comprendre, par l'intermédiaire de l'art, l'étrange monde dans lequel on l'avait soudainement précipité" (Frank J. Malina). La création artistique, au même titre que l'exploration et investigation scientifiques, représentent pour Malina un moyen de pénétrer dans la structure et d'essayer de rendre esthétiquement la sensation d'un objet ou d'un matériau. Cette façon d'amener le regard en deçà de la "peau des choses" pour en scruter la vie interne n'est peut-être pas très éloignée de la démarche phénoménologique de Maurice Merleau-Ponty, philosophe contemporain de Malina, et auteur de Phénoménologie de l'esprit (1945) et de L'oeil et l'esprit (1960).
1955 - Illuminated Wire Mesh Moir - N° 795
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"Illuminated Wire Mesh Moir"
Electropainting
44 cm x 53 cm
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" Illuminated Wire Mesh Moiré" est la première "electropainting" réalisée par Frank Malina. Il commença à exploiter les ressources esthétiques de la lumière électrique vers la fin de l'année 1954, ignorant alors ce que les artistes avaient déjà accompli à partir de ce médium. Avant 1955, il avait exposé à la Galerie Arnaud (Paris) quelques peintures dont les effets moiré résultaient de la superposition de grillages. Mais cette expérience seule l'avait laissé insatisfait. La vue d'un arbre de Noël illuminé de lampes électriques lui fit alors réaliser qu'il pourrait utiliser ces mêmes sources de lumière à faible voltage pour éclairer ses oeuvres. C'est ainsi que prit forme "Illuminated Wire Mesh Moiré".
Des lampes électriques fixées au fond d'une boîte viennent illuminer et animer une surface picturale parcourue de motifs cubiques aux lignes dynamiques et constituée d'une fine plaque métallique transparente. L'effet de la lumière sur la rétine et sur les émotions du spectateur est ainsi quasiment direct.
1955 - Rocket Nozzle - N° 816
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"Rocket Nozzle"
Electropainting
Collection Andrew G. Haley.
Washington D.C.
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La même année, il expose à la galerie Colette Allendy (Paris) une autre "electropainting" qui fait directement référence à son passé d'ingénieur en astronautique : "Rocket Nozzle"
1955 - Horizons - N°827
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"Horizons"
Electropainting
65 x 43 cm
Photographie de Anna C. C.
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1955 - Jazz - N° 826
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"Jazz"
Oeuvre cinétique
avec système d'interrupteur
50 cm x 77 cm
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Avec "Jazz", Malina franchit une autre étape décisive dans l'évolution de son travail. Il passe désormais à l'expérience de l'art cinétique. Son approche est pour ainsi dire celle d'un autodidacte.
" I was not aware", dit-il à Frank Popper, "of the work that had been done in America along these lines. I did not see the pictures that were in the Museum of Modern Art until about 4 or 5 years later, after I had already started working. For me it was a personal evolution, direction, and development, uninfluenced by anything else I had seen." (Extrait d'une conversation avec Popper, 1964).
Traduction : "J'ignorais ce qui avait été fait en Amérique dans ce domaine. C'est seulement 4 ou 5 ans plus tard que je vis les peintures du Musée d'art moderne. Ce fut pour moi une évolution, une orientation et un développement personnels. Je n'étais aucunement influencé par ce que j'avais vu.".
Plus tard, Malina travaillera en collaboration avec Nino Calos en Italie, Dick Gray en Nouvelle-Zélande, Reggy Weston et Reg Gadney.
Dans " Jazz ", 8 lampes clignotantes sont contrôlées par un système d'interrupteur thermal, et font apparaître, le temps d'une seconde, 11 formes aux combinaisons variables (on peut compter jusqu'à 2056 différentes compositions formelles). La relation à l'oeuvre atteint son maximum d'intensité lorsque la découverte visuelle du tableau est accompagnée simultanément d'un morceau de jazz. "Le cerveau humain fera une corrélation entre le rythme de la musique et le rythme de la peinture", précise Malina. Quant au rythme de l'oeuvre, il n'est aucunement "cyclique", et donc prévisible. L'artiste a préféré laissé au hasard le soin de d'orchestrer lui-même la séquence de ces combinaisons.
"Jazz" fait partie de la première exposition d'art cinétique organisée en France dans la galerie Colette Allendy , à Paris, en 1955 . C'est à la suite de cette exposition qu'il commencera à réfléchir sur la possibilité d'exécuter une peinture dont la surface serait animée par un mouvement continu.
Débute une nouvelle période qui sera donc marquée par une élaboration successive de "systèmes" utilisant essentiellement : lumières, Rotor, Stator, et diffuseur. Ces diverses phases expérimentales s'organisent autour d'une réflexion sur l'Homme et la relation qu'il entretient avec un environnement technologique et scientifique sans cesse en mutation. La construction de ces systèmes répond au souci d'explorer et questionner les rapports et interactions entre perception visuelle et comportements émotionnels humains. Malina est en cela profondément influencé par les travaux des psychologues consacrés, à la même époque, aux effets des mouvements de lumières et de formes sur la vie émotionnelle de l'individu. Les références bibliographiques de ses articles sur les arts cinétiques démontrent le caractère érudit de sa connaissance de la psychologie expérimentale. Elles mentionnent les noms de C. H. Graham, et de D.B. Judd .
La plupart des oeuvres suivantes font référence à l'observation de l'univers intersidéral et prennent pour sujet central des orbites, des constellations, des nébuleuses etc. L'oeuvre d'art tente dans ces moments-là de montrer qu'il y a dans l'univers des phénomènes que le caractère limité de notre regard ne permet pas de capter, mais que nous savons exister grâce à l'utilisation d'instruments optiques ultra-performants.
"Wether or not it is possible for the artist to transfer a feeling of this universe with ordinary eyes, which you know is there, and which has certain visual patterns and arrangements, it's a nice philosophical question" (Frank J. Malina, Extrait d'une conversation entre Frank Popper et Frank Malina, 1964).
Traduction : " Un artiste - n'ayant d'autre instrument que ses yeux - peut-il oui ou non faire passer dans son oeuvre une impression de cette univers que nous savons exister, et qui présente certains motifs visuels et arrangements ? C'est là une question philosophique passionnante."
Il est vrai que la génération d'artistes à laquelle appartient Malina dispose désormais d'appareils optiques qui permettent d'étendre considérablement le champ visuel et d'observer la vie du cosmos dans sa toute sa complexité. Toutefois, ainsi que le souligne l'artiste, la technicité et connaissance technologique qui sont à l'origine de ces oeuvres cinétiques ne doivent surtout pas faire oublier qu'elles visent, avant tout, à l'enrichissement de l'expérience esthétique et émotionnelle de l'Homme. Elle ne peuvent en aucun cas être considérées comme de simples prouesses de technicité.
[Graphisme, commentaires et traductions des textes de Frank Malina par Jocelyne Rotily.]