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ETUDES ET ESSAIS > ART ET TECHNOLOGIE : LA MONSTRATION > SECTION III - LES ESPACES DE LA MONSTRATION
   



SECTION III - LES ESPACES DE LA MONSTRATION


[sommaire général]

 

I- LES LIEUX DE L'ART

A - Musées et centres d'art
1 - Le paysage français : analyse de l'enquête

2 - Exemples

3 - Les limites des musées et centres d'art : conséquences pour la monstration

B - Galeries, festivals et foires d'art contemporain

C - Espace public

1 - Exemples

2 - Les conséquences pour la monstration 

II - LES LIEUX SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES

A - Musées des sciences et des techniques
1 - Exemple : l'Exploratorium de San Francisco

2 - Les limites et les conséquences pour la monstration

B - Laboratoires privés et publics

1 - Exemple : le programme PAIR du Xerox PARC

2 - Les limites et les conséquences pour la monstration 

III - LIEUX COMMERCIAUX ET TECHNIQUES

A - Foires, salons et conférences professionnels
1 - Exemple : SIGGRAPH

2 - Les manifestations professionnelles : "un espace naturel" pour l'art électronique ?

3 - Les limites et les conséquences pour la monstration

B - Entreprises

C - Cybercafés 

IV - LIEUX DECALES

A - Exemples
1 - Realidad Virtual, Madrid, 1995

2 - ISEA, Montréal, 1995 klk mlm

B - Le lieu décalé comme espace privilégié

V - LES LIEUX SPECIFIQUES DE L'ART ELECTRONIQUES

A - Festivals et manifestations régulières
1 - Exemples

2 - Les conséquences pour la monstration

B - Lieux de création et/ou de monstration

1 - Exemples

2 - Les conséquences pour la monstration 

VI - LES LIEUX"TECHNOLOGIQUES"

A - Espace domestique

B - Cyberespace

1 - L'espace du cyberespace

2 - La création dans l'espace du cyberespace

3 - Le cyberespace est un media

4 - Le cyberespace est un langage

5 - Conséquences pour la monstration  

Après l'analyse des œuvres et des conditions intrinsèques de monstration, nous abordons les différentes expériences de monstration. Nous avons distingué six types d'espace : les lieux "habituels" de l'art, les lieux scientifiques et techniques, les lieux "décalés", les lieux spécialisés dans l'art électronique et enfin ce que nous qualifions de lieux "technologiques". Pour chacun, nous présenterons des exemples avant d'évaluer les conséquences sur la monstration de l'art électronique. 

 

I - LES LIEUX DE L'ART [sommaire général] [sommaire section]

 

Nous avons identifié trois lieux classiques de monstration de l'art : le musée et centre d'art, la galerie et la foire d'art, l'espace public 

A - MUSEES ET CENTRES D'ART [sommaire section]

1 - Le paysage français : analyse de l'enquête

Nous avons adressé un questionnaire à une sélection de musées, les centres d'art et les FRAC métropolitains. Ce questionnaire, très large, comportait des questions fermées et ouvertes. Il portait sur des aspects matériels et de politique artistique, sur les réalisations et les projets des institutions en général. Nous y avions défini l'art électronique de manière souple pour ne pas donner d'orientations trop fortes a priori afin de faire remonter le maximum d'informations. 

Nous avons obtenu un faible taux de réponses (24 sur 86 envois). Deux institutions ont renvoyé le questionnaire en indiquant qu'elles ne pouvaient y répondre : Le Quartier de Quimper, car un nouveau directeur venait d'arriver et le CIRVA car il ne propose pas d’œuvres d’art électronique. Nous avons aussi enregistré un refus de réponse (par téléphone) de la part de la Galerie nationale du Jeu de Paume. Par ailleurs, un certain nombre d'institutions (comme le Centre Pompidou) ont fait l'objet d'interviews.

Une partie de notre échantillon ne s'est sans doute pas sentie concernée car n'ayant jamais eu d'expérience de monstration de l'art électronique ou pensant ne pouvoir en organiser à cause de moyens humains, techniques et financiers limités (c'est sans doute le cas des centres d'art, 6 seulement ont répondu mais ils s'avèrent être parmi les plus ouverts et les plus dynamiques en la matière). Ce faible taux de réponse peut aussi refléter le simple manque d'intérêt d'un certain nombre d'institutions à l'égard de ces formes d'art. Par ailleurs, notre questionnaire pouvait paraître trop long à remplir à des institutions composées de petites équipes. 

Bien qu'il soit difficile de conduire une analyse poussée à partir de ce taux de retour, les résultats nous semblent cependant intéressants et riches d'enseignement. Ils confirment ce que nous pressentions : les lieux de l'art en France sont largement inadaptés à la monstration de l'art électronique mais certains manifestent un degré d'ouverture et d'intérêt que nous ne soupçonnions pas aussi important. 

Moyens matériels et humains :

* Matériels

Hormis dans les musées, les espaces disponibles sont relativement réduits (de l'ordre de 100 à 600 m2 pour les centres d'art) ce qui limite d'autant les possibilités de monstration donc les choix de politique artistique.

Les budgets moyens par exposition s'élèvent à 100 000 F pour les centres d'art et de 140 000 F pour les FRAC, ce qui reste des sommes assez faibles pour toute une catégorie d'art électronique. La fourchette budgétaire des musées est trop large pour qu'une moyenne soit pertinente. D'une manière générale, leurs budgets sont plus importants. Les financements des expositions reposent majoritairement (à 85%) sur des fonds classiques (donc publics) et le mécénat reste exceptionnel.

On constate un sous-équipement en matière de matériel audiovisuel (magnétoscopes, moniteurs, vidéo-projecteurs). Ceci est surtout vrai pour les musées ; les centres d'art ont l'air mieux lotis (mais c'est sans doute dû au fait que les réponses proviennent de centres qui se sont intéressés à ces formes d'art).

L'équipement informatique, très faible, est réservé aux tâches administratives. En 1995, au moment de l'enquête, aucune institution n'était connectée à Internet et une seule envisageait une connection future. 

* Moyens humains

On constate une grande disparité entre les différents types de lieux mais d'une manière générale le fonctionnement de ces institutions repose sur de petites équipes.

Les équipes techniques permanentes sont en moyenne de 2 personnes, une seule pour les FRAC, soit presque autant que le personnel administratif.

Si les musées sont plus organisés en matière d'accueil, le statut de ces personnels est très varié (vacataires, CES, enseignants, ...) et, au fond, peu professionnalisé. Un responsable de centre d'art soulignait d'ailleurs qu'un animateur spécifique serait souhaitable pour les manifestations d'art électronique.

La plupart des structures disposent d'un poste de documentaliste. 

L'information et la formation des responsables restent limitées : 14 indiquent lire parfois des revues et catalogues relatifs à l'art électronique, 3 jamais, et un seul centre d'art régulièrement. On observe la même ventilation pour les contacts avec les artistes (2 musées n'ont aucun contact). L'information sur l'art électronique se fait également par les expositions à équivalence avec la lecture (ce qui laisse rêveur compte-tenu du nombre d'expositions en France et de la très faible représentation française dans les manifestations à l'étranger).

A la question "Estimez-vous être suffisamment informé", les réponses s'équilibrent entre les oui et les non. En revanche, pour ce qui concerne "la réflexion théorique à propos de l'art électronique", les réponses négatives sont le double des réponses positives (13 non pour 6 oui). Globalement, si la moitié de l'échantillon estime avoir une information factuelle satisfaisante (production artistique, manifestations nationales et internationales), les deux tiers sont insatisfaits de l'information de réflexion dont ils disposent. Notons quand même que 3 musées s'estiment bien informés sur cet aspect.

Les souhaits de "meilleure information" portent majoritairement sur les artistes et les manifestations. Les centres d'art sont les plus demandeurs (y compris d'ailleurs d'informations sur les publications existantes, donc sur un apport plus théorique).

A la question sur l'intérêt qu'ils auraient pour une formation par la participation à des colloques et séminaires ou à des voyages d'études, on constate que les centres d'art sont les plus ouverts, que ce sont les mêmes structures/personnes qui veulent plus d'information et plus de formation et, il semble que ce sont ceux qui ont déjà eu le plus de contacts avec —et d'actions à propos de— l'art électronique. 

Politique artistique, réalisations et projets :

Aucune structure, sauf exception (CREDAC, Le Creux de l'Enfer), n'a de politique artistique en matière d'art électronique et n'a jamais réellement envisagé la question en ces termes. Les musées sont plus réservés, les centres d'art voudraient bien développer une politique mais relèvent le manque de moyens techniques et financiers

On constate une programmation plutôt timide où la vidéo est largement dominante. Les musées ne prennent aucun risque et montrent surtout des artistes connus. S'ils accueillent des œuvres, aucun n'en a produit ou co-produit contrairement aux centres d'art qui s'impliquent plus (15 productions et 7 co-productions).

Les manifestations incluent des œuvres d'art électronique et des œuvres d'art classique. Elles sont plutôt longues et durent en moyenne 7 semaines. La mise en œuvre est majoritairement réalisée par des équipes internes : 4 (dont 2 centres d'art) ont fait appel à des scénographes extérieurs contre 18 à des équipes internes ; 10 ont fait appel à des techniciens extérieurs contre 33 à un travail avec les équipes internes et les artistes. 

Les musées qui ont eu des expériences en matière d'art électronique ne les ont pas renouvelées. Peu ont des projets (même à moyen ou long terme). Les centres d'art et les FRAC font preuve d'une certaine opiniâtreté : ils ont tenté plusieurs expériences et espèrent continuer. Beaucoup ont des projets mais de façon ponctuelle et non sur une base régulière et aucun en production propre (ce qui leur serait probablement impossible) mais plutôt en co-production. 

Les questions soulevées :

Tous soulignent les problèmes budgétaires. Les aspects matériels sont aussi largement mentionnés : suivi des études et montages plus compliqués ; modification de l'espace : obturation des ouvertures, adaptation des lieux ; il a fallu veiller aux interférences entre les œuvres ; problèmes de branchements électriques dans un lieu ancien ; nécessité de faire appel à des sous-traitants, problème de maintenance ; besoin de gardiennage supplémentaire, d'animateur spécifique. Les centres d'art soulignent que si cela suscite de nouvelles formes de présentation des œuvres, ils doivent se contenter de leurs espaces.

Personne ne pense acquérir du matériel spécifique (ce qui peut paraître logique dans un fonctionnement au coup par coup). Les solutions techniques passent par le recours à du personnel spécialisé sous-traitant. Il serait en effet absurde d'embaucher dans le cadre d'une politique d'actions ponctuelles d'autant plus que les budgets et les équipes permanentes sont limités. 

Les réactions du public mentionnées sont plutôt positives : venue d'un public spécifique lors d'une exposition qui se tenait en même temps que le festival vidéo de Clermont-Ferrand ; public amusé ; exposition plutôt mieux acceptée ; vif intérêt pour l'interactivité ; surcroît de curiosité de la part du public ; le public consacre plus de temps à la visite ; il est plus enclin à exprimer ses réactions face aux œuvres

Les limites et les conséquences pour la monstration :

- Faible intérêt de ces structures pour l'art électronique (si l'on en juge par le taux de réponses et les réponses elles-mêmes) et, sauf exception, politique timide ou frileuse dans un cadre balisé (artistes connus) ou classique (présentation d'œuvres objectales ou déjà acceptées comme la vidéo).

- Absence quasi totale de moyens matériels (équipements) et conditions d'espace difficiles (lieux petits, pas adaptés).

- Manque de compétences techniques et de personnels spécialisés.

- Les financements des expositions restant d'ordre classique, cela soulève la question de la place de l'Etat et des collectivités publiques. S'il est souhaitable que le mécénat et le partenariat privé se développent, ils ne peuvent atteindre un niveau suffisant et demeurent étrangers aux pratiques habituelles de financement de la culture en France.

- Information et formation (tant théoriques, que factuelles ou techniques) des responsables restent limitées.

On constate donc une inadaptation des structures et un contexte peu favorable. On découvre cependant une ouverture de la part de quelques centres, certes en nombre restreint, mais qui font preuve d'un vrai intérêt et de dynamisme et qu'il pourrait être bon de soutenir. 

2 - Exemples [sommaire section]

Nous avons choisi quatre exemples représentatifs de la monstration de l'art électronique dans les musées et centres d'art : le MOMA (Museum of Modern Art, New York) et le SFMOMA (San Francisco Museum of Modern Art) ont tous deux une politique ancienne et permanente en la matière et des départements et des conservateurs spécialisés. La Biennale de Lyon est l'exemple d'une manifestation ponctuelle, organisée dans deux lieux très différents, sous la direction de commissaires venant du milieu de l'art traditionnel. L'exposition d'ISEA à Helsinki présente la particularité d'avoir été organisée dans un musée, sous l'égide d'une institution spécifique de l'art électronique mais en forte collaboration avec des conservateurs du milieu de l'art classique. 

Museum Of Modern Art (MOMA), New York

Le MOMA est parmi les premiers musées, sinon le premier, à avoir intégré de manière suivie l'art technologique dans ses murs. En 1968, il accueillait l'exposition Art as Seen at the End of Mechanical Age et c'est en 1971 que démarre la série "Projects". "Projects" est confié à un comité de jeunes conservateurs. Les expositions (environ 6 par an pour une durée de 2 mois chacune) sont décidées moins d'un an à l'avance afin de conserver une souplesse. Elles se déroulent dans un espace dédié, au rez-de-chaussée du musée. Chaque exposition est consacrée à un artiste. "Projects" est consacré à l'art récent, technologique ou non.

Le programme vidéo du MOMA est né de la série "Projects" avant d'être rattaché au département Film.

La présentation et l'acquisition de l'art électronique au MOMA se fait aussi en collaboration avec le département Peintures et Sculptures.

Le MOMA est clairement centré sur la vidéo (bandes et installations) même s'il s'ouvre progressivement à un art reposant plus sur l'informatique. Barbara London est favorable à une introduction de l'art électronique de manière homéopathique et à une politique d'intégration sans rupture, ni conceptuelle, ni dans les espaces physiques. Selon elle, il faut éviter la "ghettoïsation" tout en soulignant les confrontations, ruptures et filiations de ces pratiques artistiques avec le reste de l'art contemporain.

Le MOMA développe une double politique de conservation (surtout pour ce qui concerne la vidéo) et d'expérimentation (notamment par le biais de la série "Projects" et surtout du programme de conférences). 

San Francisco Museum Of Modern Art (SFMOMA)

L'histoire de la collaboration du musée avec des artistes travaillant avec de nouveaux médias (notamment les installations sonores) remonte aux années cinquante. Mais c'est en 1988 que le Media Arts Department fut créé sous la direction de Bob Riley.

Comme le MOMA, le SFMOMA est plutôt tourné vers la vidéo (avec davantage d'installations : 18 contre 4). Il commence à s'ouvrir aux autres formes d'art électronique avec beaucoup de prudence.

Dans les nouveaux locaux du musée, le Media Arts Department dispose d'un espace spécifique (de l'ordre de 200 m2) en forme de L qui permet d'isoler ou d'ouvrir la plus petite salle selon les besoins. Derrière ces salles, se trouve un petit local technique. Pour Bob Riley, l'existence d'un espace dédié est très positive, même si ces "boîtes cubiques" sont un peu rudes

Biennale de Lyon - Décembre 1995

La troisième édition de la Biennale d'art contemporain de Lyon, rassemblant pendant 2 mois 70 artistes internationaux autour du thème de l’image mobile, a été un événement majeur en matière d’art électronique en France. La manifestation s'est déroulée dans deux lieux différents, séparés d'une centaine de mètres : le musée d’art contemporain, tout neuf, et le Palais des Congrès, en passe d’être détruit. Le premier, signé Renzo Piano, est une illustration réussie d’une post modernité rangée : façade néo classique du 19ème siècle, corps du bâtiment en brique rouge et ossature métallique. Le Palais des Congrès est, lui, un témoignage émouvant d’une architecture moderniste et grandiloquente des années 60.

Le premier a été conçu pour conserver et montrer de l’art contemporain alors que le deuxième a été complètement réaménagé pour l’occasion. L’épreuve des œuvres, la plupart électroniques, aboutit à un douloureux paradoxe : le vieux palais offre au final de meilleures conditions d’exposition que le musée. En effet, dans les espaces semi-clos du musée, les œuvres se parasitent les unes les autres ou sont simplement mal montrées. Les espaces blancs, ouverts les uns sur les autres, contribuent à une impression de confusion dans un brouhaha permanent. Au contraire, le vieux Palais des Congrès, promis à la destruction, labyrinthique et disparate, permet une véritable confrontation entre l’œuvre et le visiteur dans un climat à la fois intime et étrange. Les organisateurs ont pu retravailler les espaces et isoler les œuvres si bien que chacune peut être perçue sans être perturbée par une autre.

Comme on a déjà pu le constater lors de Realidad Virtual à Madrid en 1995 (voir infra : Lieux décalés) ou lors de l’exposition d’ISEA '95 à l’école Cherrier à Montréal (voir infra : Lieux décalés), les œuvres électroniques gagnent à être montrées dans des lieux "habités" et hétérogènes.

La maintenance a été un autre problème important lors de la Biennale : nombre d'œuvres ne fonctionnaient pas pendant des temps assez longs, quand ce n'était pas du tout, comme pour La Région Centrale de Michael Snow.

Par ailleurs, il reste indispensable qu'une attention particulière soit portée à l'information du public. Hormis le catalogue, les documents d'accompagnement de la Biennale donnaient des indications succintes et souvent peu explicites et le personnel sur place, bien que nombreux, était plus là pour le gardiennage et n'avait pas de vraies réponses aux questions des visiteurs 1.

Cette manifestation exceptionnelle en France par son ampleur, nous semble donc illustrer très clairement trois points essentiels à la monstration d’œuvres électroniques dans un contexte d’exposition grand public : une mise en espace permettant l’isolation sonore et visuelle des œuvres ; la prise en compte des contraintes de temps liées à la perception de certaines œuvres ; une bonne médiatisation écrite mais aussi orale autour des œuvres. 

ISEA 94, Musée d'art contemporain d'Helsinki

L'exposition d'ISEA à Helsinki se déroulait au Musée d'Art Contemporain. Elle a été montée selon les critères habituels d'ISEA, c'est-à-dire une sélection à partir d'un appel à participation. Contrairement aux autres éditions d'ISEA, le choix final n'a pas incombé uniquement aux spécialistes de l'art électronique partie prenante dans l'organisation de la manifestation, les conservateurs du musée d'Helsinki ont influé sur les décisions et se sont impliqués dans sa réalisation matérielle.

Pour l'occasion, des espaces inhabituels du musée ont été utilisés, comme l'escalier principal, truffé de capteurs devenu le site d'une œuvre de Christian Möller.

Le reste de l'exposition était de facture classique : de grandes salles ouvertes les unes sur les autres avec des cloisonnements pour les œuvres qui l'exigeaient (mais surtout pour assurer le noir et en aucune façon pour répondre à un problème de pollution sonore entre les œuvres), le tout dans la pénombre habituelle des expositions d'art électronique. D'une façon générale, il y avait trop d'œuvres pour la surface au sol (environ une trentaine). Certaines œuvres, surtout celles sur CD-ROM, étaient présentées sur des ordinateurs posés sur un muret entre des colonnes, comme des sculptures sur un socle, très proches les unes des autres, le public étant debout en face des œuvres pour manipuler les souris. 

3 - Les limites des musées et centres d'art, conséquences pour la

monstration [sommaire section]

Les limites des musées et centres d'art quant à la monstration de l'art électronique sont de deux ordres, d'une part intellectuelles et de compétences et d'autre part architecturales et contextuelles. 

Intellectuelles et de compétences

Le reproche le plus fréquemment formulé à l'encontre des lieux institutionnels de l'art est celui d'incompétence.

Les conservateurs sont globalement peu ouverts, ce que reconnaissent d'ailleurs ceux qui défendent l'art électronique au sein des musées. Leurs connaissances de ces pratiques artistiques sont pour le moins sommaires et reposent largement sur l'idée qu'ils s'en font plus que sur la réalité. Ils font peu d'efforts pour combler leurs lacunes et ce n'est que depuis très récemment (environ depuis 1994/1995) qu'on les rencontre plus fréquemment et plus nombreux dans les manifestations, expositions et festivals.

Surtout, ils restent dans une logique et dans des modèles intellectuels antérieurs de l'art et ils appliquent leur propre système de valeurs à l'art électronique sans intégrer réellement la nouvelle nature de ces formes d'art. Ce modèle est celui du marché de l'art, d'objets finis, uniques et signés. Herbert Franke écrit : The attitudes of many of these new experts are still rooted in conventional ways of thinking, and even when confronted with computer graphics and video sequences they are thinking in concepts of "originals" and unique works. The possibility of "unlimited reproductibility", as Walter Benjamin put it, is a thorn in their sides. But even worse : many of them are trying to introduce the criteria of the present-day official art style into computer graphics. This is reflected in the selection of pictures for exhibitions, in publications, at the awarding of prizes to artists ; it directs the distribution of support and assistance 2.

Il conclut (un peu férocement) : But somewhere, in the rooms of museums, there will still be "dinosaur-experts" sitting in front of installations of piled-up monitors with flickering screens -after all, it is the hardware that characterizes these works as art. Only in the hardware will yesterday's elite be able to find the originals and the unique artworks 3.

Les conservateurs, et encore plus les musées en tant qu'institutions, reposant culturellement et idéologiquement sur cette prévalence de l'objet ne peuvent qu'être réticents devant des œuvres processus, fondées sur l'information et difficilement conservables.

Ils intégrent donc essentiellement des œuvres objectales, dont les installations vidéo. Plus encore, les jugements qu'ils émettent reposent sur les critères esthétiques et artistiques de l'art contemporain traditionnel.

Le schème de l'objet signé (si possible par quelqu'un de connu) fait tellement partie de notre culture que l'on constate cette dérive y compris dans des structures spécialisées dans l'art électronique. La collection du futur musée d'art contemporain du ZKM en est l'exemple le plus flagrant (mais son directeur est issu de cette élite de l'art et de l'histoire de l'art). 

D'une manière générale, les conservateurs manquent de connaissance et de savoir dans la "techno-culture". Ils peuvent se sentir menacés dans leur pouvoir (notamment dans celui de validation culturelle) face à des sujets qu'ils ne maîtrisent pas et qui leur paraissent souvent triviaux, ou étrangers à l'essence de l'art, et face à de nouveaux "acteurs culturels" qui ne sont pas issus du sérail 4.

Pour certains, l'intérêt des musées pour l'art électronique est vue comme une "coquetterie", comme une "obligation", parce que le sujet est à la mode. Selon la position des interlocuteurs, cette obligation est positive, "ce sont les médias qui forcent les musées à enfin s'intéresser à l'art électronique", ou négative car "dans ce cas on rencontre les pires difficultés matérielles" 5

Le manque de matériels et d'équipes techniques compétentes est le second leitmotiv à propos des musées. La nécessité de disposer d'au moins un petit atelier technique est soulignée par tous : artistes mais aussi conservateurs et responsables de programmation que nous avons interviewés. 

Architecturales et contextuelles

Rappelons que la fonction première du musée est de sélectionner, conserver et montrer des objets dont la destination, pour ce qui concerne l'art contemporain, est précisément le musée lui-même. Il est donc normal que l'architecture se soit adaptée en conséquence et qu'elle se soit développée au travers de la muséographie contemporaine.

L'inadaptation de l’espace muséal à l’art électronique est une conséquence logique du changement de nature de ce type d’œuvre. Cela modifie profondément les contraintes muséographiques de l’art contemporain : obscurité et non plus salle lumineuse ; isolation phonique, création d'espace pour les installations interactives, intimité entre l'œuvre et son public contre les espaces ouverts des musées contemporains ; temporalité des œuvres qui implique de prendre des dispositions matérielles (sièges, indications de la durée...) contre une organisation de la déambulation. 

L’art de l’objet avait inventé des lieux les plus neutres possible (le "cube blanc"), opérant une coupure entre l’œuvre montrée et l’extérieur. L’objet d’art doit se détacher des murs qui l’entourent et qui ne doivent pas intervenir dans le processus de perception de l'œuvre. Le contexte de monstration incite à la contemplation, le silence, la blancheur baignée d’un éclairage diffus participent à la création d'une ambiance de recueillement 6.

En invitant à l’interaction ou en proposant des mondes ouverts et animés, les œuvres électroniques ne fonctionnent plus dans ce dispositif. L’immersion du visiteur se fait soit par sa participation physique au travail artistique proposé, soit parce que la coupure du réel est intrinsèque à l’œuvre comme par exemple dans les environnements virtuels ou encore lorsque l’œuvre englobe entièrement un espace par la projection d’images, la diffusion de sons. Il n'est donc plus nécessaire que le lieu désigne l'œuvre. Devenues elles-mêmes des dispositifs, les œuvres doivent être isolées, phoniquement et visuellement, les unes des autres, mais elles peuvent, en revanche, être installées dans un environnement "vivant". La confrontation qui en résulte participe de leur nature même. Une mise en espace dans un lieu "habité" permet de mettre en valeur la nature de "passage" de beaucoup d’œuvres électroniques, passage d’une réalité à une autre, d’un temps, d’un espace et d’un lieu à d’autres. Par ailleurs, la "froideur" des interfaces électroniques (moniteurs, écrans, casques) lorqu’elles sont visibles, est absorbée par un lieu plus chaud. En isolant les œuvres de la vie, les espaces muséaux contemporains ne prennent pas en compte la dimension de liaison et d’échange contenue dans les œuvres électroniques. 

"Le contact d'une main, même propre, endommage les sculptures" disait l'écriteau à l'entrée de l'exposition Un siècle de sculpture anglaise qui s'est tenue à la Galerie nationale du Jeu de Paume en 1996 7.

"Le contact d'une main, même sale, est indispensable aux œuvres interactives" pourrait être le panneau à l'entrée des manifestations d'art électronique.

Comment montrer dans le même endroit des œuvres qui relèvent d'une attitude aussi opposée par rapport à l'art ? Créer des départements, sections ou salles spécialisées ne suffit pas : quand on entre dans un musée on sait qu'il ne faut pas toucher les œuvres.

De la même façon quand on entre dans un musée ou dans une exposition d'art on sait que l'on va être dans un processus de déambulation et non dans celui d'une lecture ou d'une consultation plus longue. Comment mélanger ces deux types de pratique de l'art ?

Le musée émet a priori un code culturel, un discours qui induisent des comportements physiques et intellectuels. Lieu de validation d'une certaine forme d'art, il biaise la perception de nouvelles formes par les références implicites à des modèles antérieurs inhérents à sa nature. 

Institution de pouvoir, appartenant à une culture "savante", le musée d'art contemporain s'adresse à un public particulier. Franchir la porte d'un musée est déjà un acte culturel en soi. Y montrer l'art électronique est donc cibler le public destinataire. 

La discussion sur les limites des musées pour la monstration de l'art électronique n'est pas nouvelle. En 1988, Patric Prince 8 proposait un article sur ce sujet. Une grande partie de ses arguments sont exactement les mêmes presque dix ans plus tard. L'évolution est pour le moins lente. 

B - GALERIES, FESTIVALS ET FOIRES D'ART CONTEMPORAIN [sommaire section]

Les festivals et les foires d'art contemporain étant l'émanation du marché et du système de l'art, nous n'évoquerons que les galeries.

L'art électronique a peu d'objets à vendre et le galeriste étant par définition un "marchand", la rencontre entre les deux est pour le moins improbable. Pourtant des galeries s'y intéressent. Nous devons en distinguer deux sortes : la galerie alternative et la galerie classique. La première, comme la galerie Donguy, s'inscrit dans un courant militant et fonctionne selon d'autres logiques financières. Elle attire un public de connaisseurs (amateurs ou professionnels). La seconde, comme l'Espace d'Art Yvonamor Palix effectue un travail plus habituel. Si elle montre des travaux expérimentaux, elle gomme, atténue, ces aspects par la présentation et le contexte. D'une certaine façon, elle permet l'intégration en douceur, sans rupture, de l'art électronique à l'ensemble de l'art contemporain. 

Les conséquences pour la monstration

La galerie reste un lieu problématique pour l'art électronique. En effet, elle suscite des œuvres "conçues pour elle" 9 et tend à renforcer le fétichisme de l'objet. Par exemple, la Randolph Street Gallery de Chicago, productrice de l'œuvre The File Room de Muntadas a vendu les casiers —numérotés— composant l'installation présentée dans ses locaux. Si c'est parfaitement compréhensible d'un point de vue financier, cela, en revanche, n'a aucun sens d'un point de vue artistique. 

On assiste aujourd'hui à la naissance de galeries ayant un espace physique et une présence en ligne comme la Dotcom Gallery de New York 10. Il est beaucoup trop tôt pour savoir si cela peut constituer une direction intéressante, tant pour les galeries que pour les artistes. Dans tous les cas il est indispensable d'envisager d'autres formes de rémunération pour les deux. La monnaie électronique et la sécurisation des paiements peut apporter à terme des solutions nouvelles. La galerie retrouverait son rôle de découverte, de promotion et d'intermédiaire pour les artistes en les déchargeant des tâches administratives. Elle serait capable d'offrir des moyens de création aux artistes (et notamment de l'espace disque ou de l'aide technique) tout en ayant un retour financier (voir infra, les lieux "technologiques", le cyberespace).

Pour ce qui concerne les produits multimédia, vendables par excellence, encore faudrait-il qu'il y ait un marché pour que les galeries puissent réellement y trouver leur compte autrement que par des actions militantes (voir infra, Les lieux "technologiques", espace domestique). 

C - ESPACE PUBLIC [sommaire section]

Depuis toujours l'espace public, en extérieur ou dans les circulations des bâtiments, a été le lieu de l'art. L'art contemporain, notamment en France, a largement poursuivi cette tradition et l'art électronique ne fait pas exception à la règle. 

1 - Exemples [sommaire section]

Oeuvres en extérieur

Outre les installations sonores en plein air comme celles réalisées par Julius, l'holographie est le meilleur exemple parmi ces pratiques artistiques à être "sortie des murs", de manière temporaire ou durable. Citons les hologrammes d'Harriet Casdin-Silver dans le cadre du projet du CAVS Centerbeam sous la direction d'Otto Piene à la Documenta en 1977, les Solar Markers de Margaret Benyon en 1979 dans le bush australien, ou encore Encounter de Setsuko Ishii au Musée de Plein Air Hakone au Japon ainsi que son installation dans les grottes de Retretti en Finlande en 1994 11

Aéroport, gare, métro, etc.

Toutes les œuvres que nous connaissons dans ce type de lieux ont toujours été des réalisations in situ ou pour un projet donné, comme celui d'Alan Rath à l'aéroport international de San Francisco ou l'installation vidéo d'Iwai dans une gare. Lieux de passage, bruyants, ils ne peuvent accueillir qu'un type d'œuvres bien particulier qui doivent s'adapter aux conditions de l'environnement. L'installation d'Iwai est l'exemple d'un succès : le public qui n'aurait jamais été voir une exposition, s'arrêtait surpris et ravi.

Grands magasins

Le grand magasin joue un rôle dans la monstration de l'art seulement au Japon où il fait partie des institutions culturelles. Dans tous les cas, y compris dans ce pays, il n'est pas un lieu adapté à l'art quel qu'il soit (bruit, annonces du magasin, architecture inadaptée) sauf à créer, comme Seibu, un musée ou un espace d'exposition distinct des zones d'achats. 

Centres commerciaux

Nous ne connaissons aucun exemple d'œuvres présentées dans un centre commercial mais ces derniers sont souvent évoqués comme lieux de socialisation et d'atteinte du public des classes moyennes. Cependant, à l'examen, il apparaît que, comme les grands magasins, ils n'offrent pas les meilleures conditions de monstration de l'art sauf à y recréer des galeries ou des centres d'art ce qui ne présente aucun intérêt aux yeux de ceux que nous avons interviewés. 

Les cafés

Nous aborderons la question des cybercafés dans la troisième partie de cette section. Le café comme lieu de monstration peut sembler une idée saugrenue ; l'Ikon Cafe à San Francisco prouve le contraire.

Situé dans un quartier où l'on retrouve bon nombre des galeries alternatives, l'Ikon Cafe est un restaurant et un bar "cosy" et chaleureux avec des meubles en bois contrastant avec le décor "high tech" d'une cyberculture californienne. On y trouve pêle mêle des images infographiques au mur, un moniteur qui diffuse des animations en image de synthèse, de petites installations-sculptures posées sur le bar ou sur des éléments du mobilier, une ou deux plus grandes installations dans des espaces libres dans un coin du restaurant, une table où les couverts ont été remplacés par un ordinateur connecté à Internet et un présentoir avec des informations sur les programmes des différents groupes ou espaces alternatifs de la ville.

L'atmosphère conviviale du lieu permet une intégration "naturelle" des œuvres à l'environnement. Il faut cependant préciser que l'Ikon Cafe n'est pas un bar banal. Il a disposé dans le passé d'une galerie plus grande et a toujours été associé à des actions artistiques. C'est un des premiers lieux à avoir proposé des œuvres d'artistes sur des "billboards" (grand panneau d'affichage publicitaire) sur sa façade.

Même si son cas ne peut pas être généralisé ou systématisé, il montre que l'art électronique peut s'intégrer dans des contextes extrêmement variés sans y perdre son âme. 

Les universités

Comme pour les grands magasins, les universités ne jouent un rôle réel dans la monstration que dans certains pays (Etats-Unis, Canada, Brésil) où elles disposent de galeries. Il est dommage qu'elles soient absentes des habitudes culturelles françaises car elles constituent une base particulièrement intéressante pour l'art sur le réseau. 

2 - Les conséquences pour la monstration [sommaire section]

Tous ceux que nous avons interviewés, et notamment les artistes, sont attirés par des espaces "autres", à la rencontre du public, là où il se trouve, dans un idéal démocratique d'un art pour tous, d'un art mêlé au quotidien, sans médiateur culturel — ou le moins possible. Cependant personne n'envisage ces lieux comme vraiment praticables pour l'art électronique ou au cas par cas, pour des créations in situ.

Tout en reconnaissant les limites de ces lieux et l'impossibilité d'une systématisation, il faut cependant en souligner certains avantages. Ce sont tous des lieux de passage, de déambulation, de mélange des publics dans une large mesure en état de "disponibilité mentale". Nous avons pu constater, lors de la manifestation Espaces Interactifs - Europe organisée par ART-EL en mai-juin 1996, que la localisation du bâtiment dans un parc était un atout non négligeable. Une partie du public, promenant son chien ou ses enfants, ou faisant son jogging, entrait dans le Pavillon de Bercy par curiosité et restait (ou revenait) par intérêt. La gratuité de la manifestation était évidemment un facteur important. Sous certaines conditions et pour certains types d'œuvres, il nous semble que des espaces de monstration peuvent être aménagés dans des lieux de passage et c'est pourquoi l'existence de "zones" dans des centres commerciaux n'est pas aussi absurde qu'il y paraît. Il peut être intéressant de ré-inventer une forme de "kiosque" artistique comme autrefois les kiosques musicaux dans les jardins publics. L'opposition que nous avons rencontrée, notamment auprès de certains artistes ou opérateurs culturels, relève plus d'une attitude épidermique face à ce qui est une désacralisation de l'art, à ce qu'ils jugent être mettre l'art au rang de jeu d'arcade, qu'à une incompatibilité fondamentale. Des projets de ce type ne peuvent évidemment pas être mis en œuvre de manière systématique et doivent être réalisés avec une rigueur encore plus grande. 

 

II - LES LIEUX SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES [sommaire général] [sommaire section]

Tout art est un art du présent, du maintenant, du "nunc". Tout art appartient à une époque donnée d'une société donnée. Il s'inscrit donc dans les croyances, systèmes de valeurs, connaissances, mythes et techniques de son époque. Il ne les reflète pas plus qu'il ne les crée ou les conditionne, il en fait partie. Ceci est vrai pour l'art électronique comme pour toutes les autres formes d'art du passé et le sera pour celles du futur 12. Le 20ème siècle a été marqué par de grandes révolutions scientifiques, par un développement technologique et par l'hybridation des deux. L'art fait donc partie de ce nouveau contexte. Par ailleurs, quand les techno-sciences modèlent le vivant, quand les ingénieurs re-conçoivent les systèmes de communication entre les humains, quand les artistes ont aussi une formation scientifique, où est la création, qui sont les créateurs, où doit se situer l'art ?

Après quelques siècles de spécialisation, où l'art avait trouvé sa place dans une activité distincte, conduite par un groupe de gens "initiés" et montrée dans des lieux ad hoc, les catégories se troublent.

Pour certains, l'art électronique trouverait le mieux sa place dans les lieux d'expression "naturels" des techno-sciences, à savoir les musées des sciences et des techniques et les laboratoires de recherche qu'ils soient publics ou privés. 

A - MUSEES DES SCIENCES ET DES TECHNIQUES [sommaire section]

1 - Exemple : l'Exploratorium de San Francisco 13

Créé en 1969 par Frank Oppenheimer, l'Exploratorium a pour vocation l'apprentissage, par l'expérience, des phénomènes naturels et des perceptions humaines. Dès le début, la relation science-art a été prise en compte. Ainsi l'année de son ouverture, il accueillait l'exposition Cybernetic Serendipity que Jasia Reichardt avait initialement organisée à Londres. Des collaborations furent également établies avec des membres d'EAT (Experiment in Art and Technology) et avec le conservatoire de musique de San Francisco. Cette même année 1969, l'artiste Bob Miller y présenta ses expériences avec la lumière et l'ombre ce qui déboucha sur la première œuvre, Sun Painting, commandée par l'Exploratorium. 

Depuis 1974, l'artiste Peter Richards est le directeur du Arts Programs dont l'instrument principal est le Program of Artists-In-Residence. AIR accueille chaque année dans son atelier de 4 à 6 artistes qui créent, en étroite collaboration avec le personnel de l'Exploratorium, des installations qui seront ensuite présentées de manière permanente dans le lieu. Par ailleurs, deux autres programmes existent : ARP (Artist Research Program) pour les performances et certaines installations et l'Exploratorium Film Program qui accueille des artistes travaillant de manière expérimentale avec le film, la vidéo et les nouveaux media. 

L'Exploratorium se présente comme un immense hangar dans lequel les différentes manipulations 14 sont installées dans une scénographie très ouverte avec peu de cloisonnements ou de salles distinctes. L'endroit est grand, d'aspect brut (sols en béton, poutrelles métalliques grises, préfabriqués de chantier au milieu pour l'administration, etc.), sonore, bruyant (ce qui est renforcé par la zone cafétaria, simplement séparée des installations par des cordes symboliques). Il ressemble plus à une usine qu'à un musée, contrairement à la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette, d'apparence nettement plus aseptisée.

Les explications textuelles sont limitées au minimum, quand il y en a. Les œuvres des artistes, mélangées au reste des manipulations, ne sont pas identifiées en tant que telles, sauf exception. 

La philosophie présidant à l'ensemble du lieu et aux œuvres artistiques est très précise. Il s'agit avant tout de donner au grand public les moyens et les instruments d'un apprentissage scientifique non-didactique, par l'expérience personnelle, en suscitant des sentiments d'émerveillement, de plaisir, de curiosité et d'étonnement.

Les artistes sont choisis selon les préoccupations de l'Exploratorium et doivent se conformer à son cahier des charges 15. Notamment, les artists within the program assume a scientific attitude by adopting the methods and standards of science. They investigate their problems by developing hypotheses, building prototypes, and testing them 16

2 - Les limites et les conséquences pour la monstration [sommaire section]

Les limites de ce type de lieux sont évidentes : d'une part une tendance à l'instrumentalisation de l'art au profit de la science s'y fait jour, d'autre part le lieu induit une lecture a priori de son contenu qui défavorise la perception des œuvres. Ceci est vrai pour l'Exploratorium qui nous sert de base d'analyse mais aussi pour la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette. Ces deux lieux constituent les seuls exemples que nous connaissons. 

Dans A Curious Alliance, The Role of Art in a Science Museum on peut lire : The AIR has often seemed virtually invisible to some of the art world because its works have been "camouflaged" as science exhibits" 17. C'est bien là tout le problème. Faire appel à des artistes pour concevoir des manipulations scientifiques dans un musée des sciences et des techniques est une chose tout à fait défendable et légitime. En revanche présenter des œuvres "comme des démos" les réduit véritablement à de simples "démos". Et c'est bien à cela que le point de vue de l'Exploratorium ramène l'art. Dans la même brochure précédemment citée on peut lire : The artistic frames the scientific with delight, cultural commentary or metaphor 18. Est-ce cela le rôle de l'art ? Dans tous les cas ce ne sont pas des artistes, des groupes d'artistes ou des couples artistes-scientifiques qui s'expriment à travers ces œuvres, qui donnent un point de vue différent mais l'institution Exploratorium elle-même, ce que reconnaît Goery Delacôte : Ce n'est pas eux [les artistes et scientifiques qui vont travailler sur le thème de la génétique] qui parlent, c'est nous [l'équipe de l'Exploratorium]. On en prend toute la responsabilité.

Enfin, il nous semble qu'obliger les artistes à travailler selon les méthodes et les protocoles scientifiques n'est pas forcément la meilleure démarche. 

Le public fréquentant ce type de musées, vient voir des installations scientifiques. Le lieu crée un contexte de perception extrêmement fort. Le problème se pose donc pour un art qui est jeune, peu codifié et repose sur les mêmes moyens que ceux de la science. Nous avons des siècles d'habitude de lecture de la peinture et de la sculpure classiques, une acculturation inconsciente qui nous conduit à reconnaître ces pratiques artistiques dans n'importe quel contexte. En revanche, l'art électronique a à peine 30 ans et il est difficilement perçu en tant que tel dans ce genre d'endroit. 

Mais faut-il nécessairement percevoir l'art en tant qu'art ? Ce présupposé n'appartient-il pas à une autre époque, à une autre façon de penser ? N'est-il pas une mauvaise compréhension de la nouvelle place que l'art est en train de prendre dans nos sociétés, de son nouveau rôle ?

Il nous est impossible de répondre pour le futur. Pour le présent (et sans doute encore le moyen terme) sur des sujets aussi sensibles et dans la cacophonie ambiante, il est extrêmement important de savoir "qui parle", d'où (culture, pays, institution), la position que le locuteur occupe pour avoir un regard critique. A cet égard la position d'un scientifique dans un laboratoire donné, celle d'une institution muséale et celle d'un artiste reste un élément déterminant. 

Les musées des sciences et des techniques ne sont cependant pas à éviter à tout prix pour l'art électronique. Ils constituent des espaces de rencontre privilégiés entre les deux communautés, des lieux essentiels pour la création (et c'est largement le cas de l'Exploratorium qui offre à des artistes la possibilité d'effectuer un travail d'expérimentation avec des moyens et des soutiens incomparables).

Y respecter l'art, non plus comme rédempteur ou au service de la science mais sur un pied d'égalité, signifie des conditions de monstration différentes, par exemple dans des lieux séparés ou en identifiant clairement les œuvres. 

B - LABORATOIRES PRIVES ET PUBLICS [sommaire section]

De nombreux laboratoires accueillent des artistes de manière ponctuelle ou selon des programmes suivis. Citons le Bell Lab (lieu "historique") de la société de téléphone Bell, IBM, le Lawrence Livermore Laboratory, MIT Media Lab, ATR (Advanced Telecommunications Research lab, près de Kyoto), Xerox PARC ou encore la NASA. 

1 - Exemple : le programme PAIR du Xerox PARC [sommaire section]

Au début de 1994, la compagnie Xerox annonçait 19 le lancement d'un nouveau programme d'artistes en résidence au Xerox PARC (Palo Alto Research Center) de la façon suivante : 

 "Le Xerox PARC est heureux d'annoncer la création de PAIR, le programme d'artistes en résidence du PARC et d'annoncer également la première sélection d'artistes pour cette première année. Ces artistes viendront au PARC et travailleront directement avec les scientifiques et les chercheurs dans le laboratoire de recherche. Nous espérons que ce programme permettra la production de nouvelles créations, de nouvelles recherches et, plus important, d'un réel dialogue entre ces deux disciplines critiques que sont l'art et la science. 

Le modèle pour PAIR est de sélectionner des artistes qui ont déjà utilisé la science dans leurs travaux et de les mettre en "paire" avec des scientifiques et des chercheurs qui travaillent sur des technologies similaires, utilisant les moyens techniques comme langage commun. S'il est vrai que les arts et les sciences ont beaucoup en commun, il existe également beaucoup de différences qui ont rendu la communication entre les deux domaines difficile et rare. Cependant, la récente explosion d'un art reposant sur la science, y inclus la musique électronique, la sculpture interactive, la vidéo en temps réel, le multimedia, l'infographie, la réalité virtuelle et les hyper textes, fournit un pont solide que PAIR peut utiliser pour forger de nouvelles relations entre les arts et les sciences. 

Nous pensons qu'il est important que les artistes et les chercheurs puissent travailler directement ensemble sur leurs propres idées et projets, reposant sur leurs propres centres d'intérêts et leurs travaux actuels. L'art et la recherche doivent ainsi pouvoir bénéficier des relations personnelles et directes qui s'établiront et de la découverte par les participants de "nouvelles façons d'apprendre" qu'apporte une telle expérience. [...] 

PARC est un centre de recherche reconnu internationalement avec plus de 250 scientifiques travaillant dans des domaines qui incluent l'anthropologie, la philosophie, la psychologie, la perception, la vidéo, l'imagerie électronique, la linguistique, le multimedia, les sciences de l'information, les réseaux, l'informatique, les nano-technologies, la cristallographie pour n'en citer que quelques uns. PARC est reconnu pour avoir posé les fondations de la révolution de l'ordinateur personnel avec notamment la métaphore du desktop, Ethernet, l'impression laser et la technologie du CD-ROM. [...] 

Les artistes sélectionnés pour cette première année sont tous originaires de la région de San Francisco et ont été choisis par un collège composé d'artistes, de commissaires d'expositions, d'éditeurs d'art et d'administrateurs de diverses origines (des musées aux centres alternatifs, des magazines underground aux écoles d'art). Ces artistes ont tous visité le PARC et rencontré les chercheurs. De ces réunions nous avons essayé de définir les meilleures "paires" possibles. Avec beaucoup de difficultés nous avons réduit les 12 artistes de départ à 4. Ces quatre artistes vont venir au PARC pour une résidence de 2 mois. Les 8 autres sont invités au PARC pour des visites courtes d'environ 3 jours. [...] 

2 - Les limites et les conséquences pour la monstration [sommaire section]

En 1995, nous avons rencontré deux des artistes du programme PAIR, Judy Malloy et Stephen Wilson 20. Tous les deux ont travaillé avec deux chercheurs sur des projets différents et rapportent une expérience très positive —tant de leur point de vue que de celui des chercheurs— malgré quelques difficultés d'adaptation pour l'une des quatre "paires" (encore une part de déséquilibre dans la relation artiste/chercheur, problème de disponibilité du chercheur). Les contacts ont été poursuivis au-delà de la durée du programme initial.

Tous les deux, comme tous ceux que nous avons interviewés, ont montré de l'étonnement quant aux laboratoires de recherche comme lieux de monstration. Personne ne l'a vraiment envisagé. Judy Malloy regrettait qu'on veuille "lui faire faire des installations" alors que son travail est par essence fluide et mieux sur le Web, sur CD-ROM ou sur disquette. Elle notait qu'en fait les meilleurs outils pour montrer ses œuvres étaient les nouveaux systèmes en expérimentation à Xerox PARC mais elle n'avait jamais pensé présenter son travail dans le cadre du laboratoire même.

Stephen Wilson souligne que leurs travaux et ceux des chercheurs devraient être présentés ensemble (ce qui d'ailleurs est un des objectifs du programme).

Deux raisons essentielles font que les laboratoires ne peuvent être stricto sensu des lieux de monstration :

- ce ne sont pas des lieux d'accueil du public et ils ne sont pas organisés pour cela. S'ils veulent le devenir cela implique que la monstration se passe dans un lieu annexe et cela devient une fondation d'entreprise, en tout cas quelque chose "d'autre".

- il faudrait mobiliser du temps et de l'énergie des chercheurs et cela ne fait pas partie des objectifs et des perspectives des laboratoires. 

Ce sont cependant des lieux de création essentiels comme en témoignent les diverses expériences. La monstration des œuvres, qui demeure problèmatique quand les systèmes de production sont trop spécifiques, peut se faire dans d'autres types de lieux, plus "culturels" ou spécialisés dans l'art électronique comme dans le cas de Brain Opera de Tod Machover.

Elle ne pourrait se dérouler dans les laboratoires (sous réserve que ceux-ci le veuillent) que comme "visite d'atelier" pour un public très précis. Certains artistes soulignent que le public ne va pas voir la peinture dans l'atelier du peintre, alors pourquoi irait-il dans les laboratoires ? 

 

III - LIEUX COMMERCIAUX ET TECHNIQUES [sommaire général] [sommaire section]

Reposant souvent sur des équipements fabriqués par l'industrie et vendus dans le circuit commercial, l'art électronique est également présent dans les lieux du commerce et de l'industrie que ce soient les foires, salons et conférences professionnels, les entreprises ou, plus récemment, les cybercafés. 

A - FOIRES, SALONS ET CONFERENCES PROFESSIONNELS [sommaire section]

Les foires, salons et conférences professionnels constituent des lieux actuels de la monstration de l'art électronique, essentiellement pour ce qui concerne l'image de synthèse, l'art interactif, les œuvres de réalité virtuelle ou sur Internet ainsi que, mais dans une plus faible proportion, l'holographie. Parmi les grandes manifestations accueillant ce type d'art, on compte la C. Bit à Hanovre en Allemagne, SIGGRAPH aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, Imagina et NICOGRAPH ainsi que nombre de salons plus modestes.

Jusqu'à il y a environ deux ans et la remise en cause publique par certains artistes de SIGGRAPH, ces lieux avaient été considérés comme "espace naturel" pour l'art électronique.

Nous prendrons appui sur l'exemple de SIGGRAPH pour examiner les raisons du choix de ces manifestations comme lieux d'exposition de l'art électronique et tenter d'appréhender une évolution possible. 

1 - Exemple : SIGGRAPH [sommaire section]

Créé en 1974, SIGGRAPH, Special Interest Group in computer GRAPHics, de l'ACM (Association for Computer Machinery, fondée en 1947) est la plus grande manifestation annuelle concernant l'imagerie informatique et les technologies interactives. Elle se tient tous les ans dans une ville différente des Etats-Unis et réunit entre 25 000 et 30 000 personnes en cinq jours. SIGGRAPH est aussi une nébuleuse de revues, publications, activités diverses, sans oublier un site Web 21

A - Historique des expositions artistiques à SIGGRAPH 22

Avant même l'introduction officielle de l'art dans le cadre de SIGGRAPH, des œuvres étaient montrées ponctuellement dans les conférences organisées par l'ACM.

C'est en 1981, à l'initiative de l'artiste Darcy Gerbarg, que SIGGRAPH inclut de manière permanente une exposition artistique à la conférence. La première année il s'agit uniquement d'œuvres en infographie 2D.

L'exposition de 1982, sous la direction de l'artiste Copper Giloth, fut la première organisée exclusivement pour SIGGRAPH.

L'exposition artistique est organisée de manière identique aux autres sections de SIGGRAPH : un comité, autour d'un ou d'une président(e), sélectionne les œuvres proposées.

Les expositions sont présentées soit uniquement dans le Centre de Congrès où se déroule la conférence, soit en partenariat avec des musées dans les villes concernées. Il ne semble pas y avoir de politique bien définie en la matière. Les contenus évoluent selon le comité de sélection, le (ou la) président(e) de l'exposition artistique et la personnalité du président de la conférence. Il faut cependant noter que, dans l'exposition artistique proprement dite, l'accent est mis sur des œuvres en infographie qui peuvent "s'accrocher" à un mur. Par ailleurs nombre d'installations se retrouvent dans d'autres sections de SIGGRAPH.

L'exposition artistique n'est pas composée par un commissaire qui choisit des œuvres selon un concept ou une thématique -ou même simplement la production récente. Le choix des œuvres est effectué par un comité au sein des propositions faites par les artistes. 

B - SIGGRAPH '95 à Los Angeles

L'exposition artistique de SIGGRAPH en 95 à Los Angeles semble assez représentative de la façon dont SIGGRAPH intègre l'art.

Un espace du Centre des Congrès, assez excentré dans la circulation générale de la conférence a été dévolu à l'exposition artistique qui se compose majoritairement d'œuvres infographiques, de 3 installations et de quelques CD-ROM. Les œuvres sont accrochées à des cimaises sur les murs et sur des panneaux peints en gris.

L'ensemble reflète une conception archaïque de ce que doit être une exposition et une position plutôt conservatrice de l'art. En effet, l'art reste un objet que l'on accroche à un mur, il est mis un peu à l'écart des choses "sérieuses" de la conférence et constitue une sorte de "récréation" pour les participants. Par ailleurs, les œuvres qui sont présentées en quantité assez importante, ne relèvent d'aucun parti pris esthétique, ni dans les choix, ni dans l'accrochage et les oppositions ou rapprochements qui pourraient être faits. D'une manière générale, l'ensemble de l'exposition dégage un certain classicisme dans l'image infographique et ne prend pas en compte les évolutions de la création la plus récente. Enfin, aucun effort de scénographie n'est fait et la présentation appartient à un modèle muséal abandonné depuis longtemps.

Les CD-ROM et les installations présentés, à l'exception d'une installation, sont parmi les plus inintéressants d'un point de vue artistique dans ce que nous avons pu voir ces dernières années.

Parallèlement, on trouve dans d'autres sections de SIGGRAPH des œuvres innovantes, expérimentales et d'un intérêt artistique certain, notamment dans "Interactive Communities" et "Digital Atelier". Dans la première se mêlent installations interactives artistiques, techniques, scientifiques et ludiques. Dans la seconde, relativement difficile à trouver, sont concentrées des expériences plus modestes mais particulièrement inventives, présentées comme sur un stand de matériel.

Dans ces sections, la monstration des œuvres soulève un certain nombre de problèmes. Toutes les installations sont présentées comme des "démos" techniques, mêlées les unes aux autres sans distinction de contenu. Aucune n'a d'isolation phonique ou visuelle, le tout baigne dans un brouhaha permanent. Comme aucun espace n'a été créé pour permettre de créer une intimité, de préserver l'univers de l'œuvre, les diverses installations sont ainsi en compétition les unes avec les autres pour attirer l'attention des participants. Certaines installations requérant une surface au sol importante ont été "tronquées" (avec l'accord des artistes) dans leur dimension spatiale. 

C - SIGGRAPH et l'art

Quinze ans après sa première entrée officielle à SIGGRAPH, l'art électronique y est toujours présenté dans des conditions affligeantes.

A cet égard, "Machine Culture" organisée par l'artiste Simon Penny en 1993 fait figure d'exception et reste dans les mémoires comme l'exposition réussie à SIGGRAPH. Les raisons de ce succès sont simples. Pressenti comme président de l'exposition artistique, Simon Penny avait répondu favorablement à quatre conditions 23:

- l'exposition serait organisée selon un principe différent : il y aurait un commissaire (lui-même) et non une sélection sur dossier par un comité et un thème ;

- les artistes verraient leur voyage et séjour payés et auraient une entrée gratuite à l'ensemble de la conférence (ce qui n'est pas le cas dans le cadre de l'exposition artistique habituelle) ;

- l'exposition serait ouverte non seulement aux participants de SIGGRAPH mais au public en général ;

- le catalogue et la bande vidéo seraient aussi accessibles internationalement pour le public de l'art qui ne participe pas à SIGGRAPH.

Malgré le fait que la vidéo n'a jamais été éditée alors que tous les éléments en étaient prêts et que le catalogue n'a été diffusé qu'aux gens participants à —ou en relation avec— SIGGRAPH, "Machine Culture" a été une réussite parce qu'il y avait un concept, un commissaire d'exposition compétent, un respect des artistes et des œuvres et aussi (ou surtout ?) un réel budget.

En 1994, des artistes contestèrent la position de SIGGRAPH à l'égard de l'art. Un débat animé suivit, via Internet, et un groupe de discussion en ligne fut ouvert. Aujourd'hui SIGGRAPH inclut une section "ACM SIGGRAPH Artists Connection" sur son site Web avec des rubriques alléchantes comme "Events Calendar", "Online Gallery" ou encore "Internet Art Guide". Simplement, aucune des rubriques n'a été mises à jour depuis le 16 mai 1995 24. Cette partie du site ayant été montée par des étudiants de l'université de Syracuse on peut penser que le projet s'est arrêté faute de nouveaux étudiants motivés. SIGGRAPH reposant sur une armée de bénévoles, on peut aussi penser que personne n'a vraiment cherché de nouveaux volontaires, ni même de s'associer avec d'autres acteurs de l'art électronique comme FineArt Forum, Leonardo, ISEA, YLEM ou d'autres. 

D'une manière générale, SIGGRAPH pose de manière emblématique la question de la monstration d'œuvres artistiques dans un Centre de Congrès et dans un salon professionnel.

Un Centre de Congrès est un espace ouvert, très haut de plafond, sans isolation phonique ou visuelle particulière, sans équipe technique et de montage. Présenter des œuvres dans ce contexte nécessite d'abord une construction appropriée : cloisonnements, faux plafonds, isolation, en bref scénographie et mise en espace. Ceci est vrai de tout espace mais plus particulièrement sensible dans ce type d'endroit.

Un salon professionnel ou une conférence comme SIGGRAPH accueillent des conférences dans des salles ad hoc ou des exposants qui arrivent avec des stands prêts à monter. Les organisateurs sont donc habitués à des partenaires autonomes, connaissent mal les besoins des artistes et les contraintes des expositions artistiques. Les artistes sont donc traités comme les autres exposants, sans qu'un budget spécifique soit dégagé pour l'organisation de l'exposition artistique, sans qu'aucune équipe soit mise à disposition.

Par ailleurs, l'attitude générale (hélas non spécifique à ce type de manifestation) considère que la visibilité offerte par le fait d'exposer dans une manifestation aussi prestigieuse suffit comme considération pour les artistes. Leur travail —et la rémunération afférente— n'est pas reconnu comme tel, ni l'évolution des œuvres qui fait qu'il y a de moins en moins d'objets "vendables" et donc de ressources financières potentielles pour les artistes. 

2 - Les manifestations professionnelles : "un espace naturel" pour l'art électronique ? [sommaire section]

Pour trois raisons principales, les manifestations professionnelles sont considérées comme un "espace naturel" de l'art électronique, notamment pour l'art visuel : les conditions matérielles et d'environnement qu'elles fournissent, des raisons plus idéologiques et enfin, des raisons historiques.

A - Conditions matérielles et d'environnement

Les manifestations professionnelles réunissent plusieurs avantages non négligeables dans la monstration de l'art électronique.

Tous les constructeurs et fabricants participant à ce genre d'événements, les moyens techniques (ordinateurs, logiciels, équipements spéciaux) ainsi que les équipes techniques sont de fait plus facilement accessibles puisque sur place. Les constructeurs qui, de toute façon, apportent beaucoup de matériel, peuvent en prêter plus aisément pour une exposition ou accueillir des œuvres sur leur stand.

Par ailleurs, à tort ou à raison, il a toujours été considéré que les aspects financiers pouvaient être plus facilement résolus puisque ce sont des manifestations commerciales au budget conséquent.

Le public de ces manifestations, de par ses compétences techniques et sa familiarité avec l'informatique, est vu par beaucoup comme le plus à même de comprendre et d'apprécier ce type d'art et de servir de relais d'opinion auprès d'un public plus large.

Enfin, la présence de la presse, tant spécialisée que générale, offre une possibilité de visibilité aux artistes sans effort spécifique. 

B - Raisons idéologiques

De même que pour les musées des sciences et techniques, ce sont des raisons plus idéologiques qui font que les foires et salons peuvent être perçus comme les lieux naturels de l'art électronique.

Les notions de l'art comme activité séparée du reste des activités humaines, de l'artiste comme "être à part" sont battues en brèche. L'art fait à nouveau partie de la vie, existe dans un contexte social et ne peut plus être mis à l'écart dans un temple spécialisé que l'on appelle musée.

L'identité des moyens utilisés, notamment de l'informatique, ferait que l'endroit le plus approprié pour montrer ces œuvres est celui où l'on montre des ordinateurs, l'art n'étant qu'une sous-section parmi les diverses applications de l'informatique.

On est en droit de se demander si cette attitude n'est pas tout simplement la conséquence des réticences du monde de l'art contemporain traditionnel à l'égard de l'art électronique. Elle a été renforcée par la position des artistes —et théoriciens— de l'art électronique revendiquant ces pratiques comme une autre façon d'utiliser la technologie, comme un détournement des instruments et outils poussés à leurs limites, comme un regard essentiellement critique à l'égard de cette technologie et de son impact sur la société. 

C - Raisons historiques

Des raisons historiques pratiques sont sans doute déterminantes dans la perception des foires et salons comme "lieux naturels" de l'art électronique et expliquent pour une part les raisons idéologiques.

Dans les années 80 et 90, ils ont constitué une position de repli pour l'art électronique à un moment où les lieux de monstration n'étaient pas si nombreux, hormis quelques grands festivals et manifestations spécialisées comme Ars Electronica.

Dans le même temps, l'informatique a progressé de manière spectaculaire et les constructeurs en mal de "démonstrations" brillantes des capacités de leurs machines et logiciels ont montré un intérêt tout particulier pour les artistes considérés comme "fournisseurs de contenus" (content provider) et comme vecteurs de communication.

Création et monstration, intérêt des artistes et intérêt des fabricants ont convergé au cours de ces années. 

3 - Les limites et les conséquences pour la monstration [sommaire section]

Faut-il condamner SIGGRAPH et les manifestations similaires ? Tous ceux que nous avons interviewés, ou presque, sont très réservés. Ils pensent que les manifestations professionnelles techniques ne sont pas les meilleurs lieux pour l'art électronique... mais pas forcément pour les mêmes raisons. 

Le premier problème est celui de l'espace, du lieu d'accueil. Tout le monde s'accorde pour reconnaître que les conditions matérielles de présentation sont déplorables : bruit, nécessité de constructions et de scénographie élaborées dans un Centre de Congrès qui n'est pas fait pour cela mais pour accueillir des stands tout prêts, incompétence des équipes techniques, etc. 

L'attitude des organisateurs est également en question : ils ne s'intéressent pas vraiment à l'art, d'où l'absence de vrais commissaires. Ils ne comprennent pas la nature de l'art électronique et ont des positions encore largement archaïques sur l'art en général. Ils ne respectent pas les artistes et leur travail et considérent ces derniers comme des fournisseurs de contenus 25 ou encore ils les exploitent 26. Ces manifestations sont même considérées par certains comme des endroits où les artistes se font voler leurs idées qui deviennent un an plus tard des produits commerciaux 27

On peut noter que deux des éléments qui militaient en faveur de ce type de lieux, ne tiennent pas dans la pratique :

- le public, professionnel, serait plus réceptif que le grand public ou même le public de l'art traditionnel. Dans les faits, ce public a certes des compétences techniques mais il lui manque des références culturelles.

- rassembler des œuvres d'art et des installations techniques et commerciales sous prétexte qu'elles reposent sur la même technique ne suffit pas. Les œuvres sont ainsi mises au rang de "démos" ou "d'applications" informatiques. Or ce n'est pas la technique seule qui fonde l'œuvre.

Si l'on considère que l'art électronique appartient globalement à un univers techno-scientifique en cours de constitution, et que l'on choisit l'option de la mixité, de la confrontation, encore faut-il élaborer un discours autour, établir une distanciation. Celle-ci est d'autant plus nécessaire si l'on pense que ceux qui créent l'art et la culture aujourd'hui ne sont pas les seuls artistes mais aussi certains chercheurs et ingénieurs ou scientifiques. Montrer ces pratiques dans un univers technologique équivaut à montrer une peinture dans l'atelier de l'artiste, chose possible mais réservée à un public de professionnels avertis qui possède les éléments de distanciation et d'acculturation nécessaires. 

On constate par ailleurs une ambiguïté dans la position des artistes 28. Les jeunes artistes sont plus enclins à trouver un intérêt à SIGGRAPH que les artistes plus confirmés (y compris ceux qui y ont exposé). Parmi ces derniers, certains considèrent, tout en étant très critiques, que SIGGRAPH reste un formidable tremplin pour des artistes peu connus mais qu'eux-mêmes n'y ont plus leur place, qu'ils doivent être dans des lieux plus "culturels". Les artistes issus du milieu de l'art sont beaucoup plus réservés et sceptiques que ceux ayant aussi (ou en premier) une formation technologique. 

Ces manifestations, et SIGGRAPH tout particulièrement, présentent une situation paradoxale. Pendant près de quinze ans, elles ont été un des rares endroits de monstration de l'art électronique. Bien ou mal, les artistes avaient peu le choix, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Mais si les espaces se multiplient, ils demeurent malgré tout en nombre limité (alors que la production artistique augmente). Par ailleurs, les professionnels de l'art (électronique ou traditionnel) fréquentent de plus en plus ces salons, foires et conférences qui restent de fait une plateforme internationale pour la découverte de jeunes artistes mais aussi pour des créations expérimentales, nouvelles, d'artistes plus reconnus.

SIGGRAPH est un des lieux où se rencontrent ceux qui définissent et conçoivent notre futur et il est sans doute souhaitable que la parole des artistes s'y exprime aussi. Et même si le public principal de ces manifestations n'a pas une idée très claire de la signification des mots "contenu", "sens" et "art", il était flagrant, à Los Angeles en 95, qu'il est conscient de ses manques et de la nécessité de prendre en compte d'autres dimensions pour l'avenir même de sa discipline. 

Cependant, l'art électronique ne peut s'inscrire pleinement dans ce type de lieux qu'à trois conditions : choix d'un commissaire compétent, mise à disposition d'un budget, aménagement d'un espace ad hoc (que ce soit au sein du centre de congrès ou dans un autre lieu). Sauf exception, cela nous semble relever actuellement du voeu pieux. 

B - ENTREPRISES [sommaire section]

L'entreprise, tout comme les laboratoires de recherche et pour les mêmes raisons, n'est pas un lieu de monstration, ou alors dans des conditions particulières, et pour certaines œuvres in situ comme par exemple les hologrammes que Setsuko Ishii a créé pour le siège social d'une société.

On constate plusieurs positions de l'entreprise par rapport à l'art électronique :

- aides financières et prêts de matériels, qui relèvent du mécénat classique ;

- aides techniques à la création : toujours au cas par cas ;

- politique réelle et dans ce cas, les sociétés créent des structures indépendantes, centres de recherche, de création et quelquefois de monstration comme ICC (InterCommunication Center fondé par l'opérateur de télécom japonais NTT), Art Lab (financé par la société Canon) qui deviennent des lieux spécifiques de l'art électronique et que nous analyserons dans cette optique.

Il est à noter que le rôle des entreprises dépend largement de la culture des pays concernés, beaucoup plus présent aux Etats-Unis et au Japon qu'en France par exemple. 

C - CYBERCAFES [sommaire section]

Au cours du dernier trimestre 1995, nous avons systématiquement "visité" tous les cybercafés de Paris. Il pourrait être simple de proposer une sélection d'œuvres en ligne, aucun ne le fait vraiment. Le Web Bar a une section "art" dans sa page d'accueil qui était la moins mal faite, l'Orbital à la Bourse proposait aussi une rubrique "art et culture" mais plutôt tournée vers "les grands musées en ligne" ou "le porte folio en ligne" que vers la création. En fait, aucun n'a de connaissance en ce qui concerne l'art sur le réseau (y compris Cyberia au Centre Pompidou). Le souci pédagogique, d'apprentissage n'est même pas toujours au coeur de leurs préoccupations ce qui remet en cause l'idée selon laquelle ils pourraient constituer des lieux de familiarisation avec Internet. Nous n'avons pas d'indication sur le public qui utilise les ordinateurs dans ces cafés. Il semble que ce soient malgré tout des gens avertis qui ne disposent pas de connection par ailleurs ou des "consommateurs ponctuels" (comme dans les cinémas).

La conclusion est claire : ce sont des lieux commerciaux qui "vendent de la connection".

Le cybercafé ne peut être utile qu'au sein d'une institution qui développe soit une politique de sensibilisation et de formation au réseau, soit une politique artistique (comme la Cité des Arts et des Nouvelles Technologies de Montréal). 

 

IV - LIEUX DECALES [sommaire général] [sommaire section]

Par lieux "décalés" nous entendons des espaces qui ont eu, ou ont encore, une autre fonction, une autre destination que l'art : une station de métro désaffectée, une école, une usine, etc.

L'art électronique n'a pas été le premier à occuper de tels locaux (voir supra, Art et monstration à l'âge moderne). Cependant la place qu'ils occupent aujourd'hui par rapport l'art électronique est suffisamment importante pour que nous les présentions de manière distincte. 

A - EXEMPLES [sommaire section]

1 - Realidad Virtual, Madrid, 1995

Sous la direction artistique de Rafael Lozano-Hemmer, Realidad Virtual s'est tenue dans une station du métro de Madrid provisoirement fermée pour rénovation. Le lieu était donc une vaste galerie en béton, un peu dégradée.

Les œuvres étaient disposées sur les rails dans des sortes de cages en fer grillagé suffisamment éloignées les unes des autres pour ne pas se polluer réciproquement. Elles formaient comme des wagons d'un train. Quelques œuvres (essentiellement pour des raisons techniques) étaient sur le quai. Le public descendait donc sur les rails pour accéder aux œuvres. A un bout de la station, on pouvait voir le métro circuler normalement. A l'autre bout, une pièce de Pedro Garhel créée pour la manifestation prolongeait symboliquement l'espace.

Le mobilier (console, chaises, commode mais aussi lustres pour les éclairages) avait été pris dans les réserves du mobilier national espagnol.

D'une durée d'environ 4 semaines, l'exposition présentait un choix cohérent entre des œuvres connues et des créations nouvelles. Elle offrait un bon équilibre entre les différents types d'œuvres (installations vidéo, installations interactives, œuvres de réalité virtuelle, animations, œuvres sonores), entre des œuvres plus "faciles" et ludiques et des œuvres plus "sérieuses", entre celles qui n'admettaient qu'une personne à la fois et celles qui permettaient au public de participer plus nombreux. 

Realidad Virtual est l'exemple d'une manifestation réussie malgré les énormes difficultés techniques auxquelles les organisateurs eurent à faire face (interférence des champs magnétiques du métro avec les ordinateurs et moniteurs notamment).

Deux explications à cela : d'une part la compétence du commissaire et d'autre part le choix et l'utilisation du lieu.

Une station de métro apparaît comme un lieu très décalé pour ce type d'art. Par ailleurs si tout le monde a l'habitude, dans une grande ville, de prendre le métro, personne ne va normalement sur les voies. Cela donnait par contrepoint, une valeur plus humaine aux œuvres, leur conférait une certaine familiarité. Cela aidait également à une désinhibition du public : descendre "sous terre" pour "jouer à l'avion" (Myron Krueger) ou "toucher des plantes" (Sommerer-Mignonneau) est suffisamment inhabituel pour diminuer la peur de "se donner en spectacle" en public tout en court-circuitant l'effet "jeu/foire" présent dans certains lieux "au niveau du sol".

Le contraste esthétique entre le lieu brut, les œuvres avec leurs composantes technologiques et les éléments de décor, ainsi que le télescopage des époques créaient un contexte particulier. Le lieu devenait une sorte d'espace atemporel au sein duquel chaque œuvre avait son espace sans être isolée des autres puisqu'on pouvait toutes les "apercevoir" —plus ou moins— au travers des grilles. L'ensemble de l'exposition restait perceptible "d'un seul coup d'oeil" tout en préservant la respiration et l'isolation nécessaire de chaque pièce.

Il faut enfin noter que Realidad Virtual a connu une médiatisation exceptionnelle dans la presse ce qui a largement contribué à son succès en terme de fréquentation du public 29

2 - ISEA Montréal, 1995 [sommaire section]

L'exposition de Montréal s'est tenue dans une école (apparemment un lycée ou un collège) provisoirement désaffectée, qui devait redevenir un lieu d'enseignement. Chaque installation occupait une salle de classe (d'où une isolation phonique et visuelle parfaite), la porte de chaque classe avait été remplacée par des bandes de caoutchouc noir ce qui permettait une isolation et une notion "d'entrée et sortie" de l'espace. A l'intérieur de chaque salle, la mise en scène était identique pour toutes les installations : hormis l'obturation des fenêtres pour certaines et pas pour d'autres et l'utilisation des tableaux noirs par les artistes, selon les œuvres, les salles étaient en l'état et toutes identiques.

Les œuvres en images fixes ou les sculptures se trouvaient dans les couloirs de circulation.

Une grande partie des CD-ROM était présentée dans une salle à part, au rez-de-chaussée, sous la forme d'une batterie d'ordinateurs disposés sur deux rangées de tables.

ISEA Montréal présentait plus de 60 œuvres dans l'Ecole Cherrier dont plus des deux tiers étaient des œuvres interactives. 

Si l'on compare les deux éditions d'ISEA qui s'y prêtent, celle d'Helsinki et celle de Montréal, on constate que les deux rencontrent la même difficulté inhérente à la structure de la manifestation elle-même : faute d'une véritable sélection des œuvres autour d'un thème, d'un propos ou d'un concept, l'ensemble manque de cohérence. L'avantage de Montréal réside dans le choix de l'Ecole Cherrier, lieu neutre pour l'art, tout en n'étant pas un lieu neutre d'un point de vue culturel et de l'imaginaire collectif ou individuel. Avec une bonne utilisation de l'architecture, il a permis une présentation des œuvres dans le respect du travail des artistes.

L'exemple de Montréal n'est cependant pas exempt de tous problèmes. S'il constituait un excellent espace pour un public averti (les délégués de la conférence), il restait "perturbant" pour un public moins connaisseur qui, sans vision d'ensemble de l'exposition (rendue impossible par les locaux mêmes) avait un peu le sentiment de "perdre le fil" contrairement à Helsinki.

Pour tous les publics, le nombre d'œuvres étaient beaucoup trop élevé et le cheminement dans les escaliers, d'un étage à l'autre et d'un couloir à l'autre, pas toujours très clair.

Enfin l'Ecole Cherrier était assez loin du lieu de la conférence et dans un endroit un peu excentré par rapport aux activités culturelles habituelles de Montréal. Il ne nous a pas semblé que les montréalais soient venus nombreux au rendez-vous. 

B - LE LIEU DECALE COMME ESPACE PRIVILEGIE [sommaire section]

Tous ceux que nous avons interviewés s'accordent pour dire que les lieux décalés sont les meilleurs espaces pour montrer l'art électronique, au moins à court et moyen termes.

Pourquoi des espaces qui ne sont pas faits pour l'art (comme les musées ou les galeries) ou qui n'ont pas de fonction d'exposition ou de monstration (comme les musées des sciences et des techniques ou les foires et salons professionnels) semblent-ils actuellement plus adaptés pour l'art électronique quel que soit le soin (ou l'absence de soin) apporté dans la présentation intrinsèque des œuvres ?

Trois raisons se dégagent.

L'absence de connotation culturelle, sociale, politique et esthétique par rapport à la manifestation est la première caractéristique de ces lieux. Ils ne rajoutent donc pas un discours a priori sur les œuvres, en les cataloguant à l'avance.

Ils permettent un "libre choix" des œuvres par le (ou la) commissaire contrairement aux musées d'art contemporain qui ont des difficultés à intégrer des œuvres non-objectales ou plus expérimentales, ou aux musées des sciences et techniques, comme l'Exploratorium, au cahier des charges contraignant.

Leur architecture, non conçue pour l'art ou dans une approche muséographique, offre une plus grande souplesse de "mise en espace", d'expérimentation dans la présentation et n'influe pas a priori sur la lecture esthétique des œuvres. Ils permettent ainsi à l'art électronique d'exister en soi, mettent en valeur les propriétés particulières (nature, forme, esthétique) de ces pratiques artistiques et favorisent la perception des nouveaux critères d'appréciation et d'évaluation en émergence. Celle-ci peut alors reposer sur la "valeur" intrinsèque des œuvres et leur valeur relative. La validation relève en grande partie de la réputation du (ou de la) commissaire et de la structure organisatrice.

Ils peuvent permettre d'atteindre un public plus large, moins réticent à aller dans un lieu "neutre" que dans un lieu déjà culturellement connoté.

La médiatisation importante et les budgets conséquents qu'exige la monstration dans des lieux décalés sont les seuls défauts de ces espaces. Ils ne peuvent de surcroît accueillir que des manifestations temporaires (sinon, ils deviennent des lieux spécialisés comme le ZKM qui occupera les locaux d'une ancienne usine d'armement).

Notons cependant que les budgets pour des manifestations dans des lieux de ce type sont identiques à ceux des événements qui se déroulent dans des structures classiques qui ne disposent ni de matériels ni de personnels. 

Les exemples que nous avons développés portaient sur des manifestations d'ampleur importante. D'autres formes d'expériences sont également intéressantes comme celle d'ART-EL conduite en juillet 1996 avec le CCAS (Caisse Centrale d'Activités Sociales du personnel d'EDF et de GDF). Dans un centre de vacances de cette structure, un atelier d'images numériques animé par des artistes et une sélection de CD-ROM artistiques montrés sur moniteur (un par œuvre) ont été proposés aux vacanciers. L'accueil et les réactions ont été très positifs, plus à cause de la nature contextuelle du lieu (centre de villégiature), que du bâtiment ou de l'espace lui-même. Les gens en vacances, sans idée préconçue, avec une totale ouverture d'esprit, les uns "apprenant" aux autres, venaient voir ce qui était présenté comme une "activité parmi les activités". Ce dispositif a permis la sensibilisation d'un public qui n'aurait jamais été voir une "exposition d'art électronique" en tant que telle et a suscité des attitudes de curiosité, puis d'intérêt et enfin des discussions spontanées. 

La réussite d'une manifestation n'est évidemment pas uniquement liée au lieu où elle se déroule. Les compétences des organisateurs, le choix des œuvres, le soin apporté à leur présentation ainsi que la mise en espace sont essentiels. 

 

V - LES LIEUX SPECIFIQUES DE L'ART ELECTRONIQUE
[sommaire général] [sommaire section]

Depuis 1979, l'art électronique a également développé ses propres lieux par l'intermédiaire d'événements ponctuels mais récurrents comme les festivals et autres manifestations régulières ainsi que par la création de centres permanents spécialisés. 

A - FESTIVALS ET MANIFESTATIONS REGULIERES [sommaire section]

Les festivals et manifestations régulières sont les lieux spécifiques de l'art électronique les plus nombreux et les plus anciens. Nous avons sélectionné 5 exemples représentatifs des diverses formes qu'ils peuvent revêtir. 

1 - Exemples [sommaire section]  

Ars Electronica, Linz, Autriche

Plus ancien festival dans le domaine des arts électroniques, Ars Electronica a été créé en 1979 par Hannes Leopolseder (Directeur de l'ORF, télévision régionale de Haute-Autriche), Hubert Bognemeyer (musicien) et Herbert Franke (un des pionniers de l'art informatique et notamment de l'image numérique).

Biennal au début, il est rapidement devenu annuel.

Ars Electronica était jusqu'en 1995 conjointement organisé par l'ORF (à l'origine de sa création) et la LIVA (organisme public gérant les activités culturelles de la ville de Linz). Il se déroulait dans les locaux de l'ORF et à la Brucknerhaus, bâtiment dédié à la musique. Il y a quelques années, le Landesmuseum (musée très traditionnel) est devenu un des lieux d'exposition du festival. Depuis 1994, le nouveau Design Center de Linz a lui aussi accueilli une partie de l'exposition. Par ailleurs, depuis le début, le festival a organisé des opérations et des actions en extérieur, dans la ville. 

Au fil des ans, Ars Electronica est devenu le festival de référence pour les arts électroniques. Hormis la période 93/95 où il s'est déroulé en juin, il se tient normalement en septembre, pendant une semaine. A partir de 1996, le festival va connaître de profondes transformations avec l'ouverture de l'Ars Electronica Center. Les changements concerneront les lieux accueillant les expositions et les équipes dirigeantes, avec notamment un nouveau directeur du Centre, Gerfried Stocker, qui est également à la direction du festival. 

Ars Electronica peut être considéré comme un festival d'exploration et d'avant-garde, ce qui n'est pas sans entraîner certaines contradictions : financé par les collectivités locales (le Centre aura également un financement de l'Etat fédéral) et le sponsoring privé, Ars Electronica est avant tout un festival de professionnels alors que les organisateurs souhaiteraient avoir une emprise plus grande sur les publics locaux. 

Ars Electronica est structuré autour d'un thème (La réalité virtuelle en 1990, Out of Control en 1991, Les nanotechnologies en 1992, La vie artificielle en 1993, Memesis en 1996, etc.) avec quatre pôles principaux :

- une conférence de deux jours, portant sur le thème général, à laquelle sont invités des scientifiques, des chercheurs et des artistes travaillant dans le domaine.

- le Prix Ars Electronica, organisé par l'ORF et décerné par un jury sélectionné par les responsables de la chaîne. Historiquement le prix concernait 3 catégories : images fixes (computer graphics), images animées (computer animation) et musique (computer music). En 1990, fut introduite la catégorie art interactif. En 1995, la catégorie images fixes est supprimée et celle de sites Web introduite.

Les œuvres lauréates sont exposées pendant le festival. Les images fixes, les animations et la musique se trouvaient jusqu'à présent dans les locaux de l'ORF. Les installations d'art interactif ont trouvé leur place dans le Landesmuseum. En 1995, les sites Web furent présentés dans les locaux de l'AEC (Ars Electronica Center) et à la Brucknerhaus, le thème général retenu était celui des réseaux.

Une rencontre avec les artistes lauréats (Künstler Forum) se déroule pendant deux jours (4 fois une demi-journée, correspondant aux 4 prix) dans les locaux de l'ORF.

Enfin, toutes les œuvres entrées en compétition sont accessibles à la demande dans les locaux de l'ORF.

- Des œuvres (quelquefois en production ou co-production) se rapportant autant que possible au thème général font l'objet d'une exposition qui se déroulait à la Brucknerhaus et, l'année de son ouverture, également au Design Center.

- Des spectacles et performances sont présentés chaque soir dans diverses salles de la ville. Enfin, certaines actions se déroulent dans des lieux publics (Hautplatz, place centrale de la ville par exemple). 

Comme tous les festivals, Ars Electronica n'a pas de lieu propre 30 et doit s'installer dans divers endroits de la ville qui présentent des contraintes irréductibles. A cet égard le Landesmuseum restera toujours un endroit poussièreux et largement inadapté contrairement à la Brucknerhaus ou au Design Center qui permettent des aménagements de l'espace. Il est intéressant de noter que la Brucknerhaus est un lieu de spectacles et de concerts, qu'elle dispose d'équipes rôdées à l'installation de matériel technique et de salles modulables. Pendant des années, cela a constitué un atout non négligeable pour le festival.

A Ars Electronica, la monstration revêt donc un caractère particulier. Ce ne sont plus les lieux où l'on montre qui sont les émetteurs d'un discours mais le festival lui-même.

Ars Electronica est un festival spécialisé et d'expérimentation. Il s'adresse avant tout à un public de professionnels 31 qui savent ce qu'ils viennent voir et peuvent plus facilement faire abstraction de certaines conditions de monstration médiocres, comme au Landesmuseum. Ils sont aussi prêts à accueillir les expériences conduites par les organisateurs : festival ouvert 24h/24 en 1991 avec une partie des œuvres "in progress", élaborées au cours de la semaine ; œuvres sur le réseau en 1995 avec des ordinateurs répartis sur l'ensemble du premier étage de la Brucknerhaus autour de canapés et d'un "bar" ; utilisation des souterrains ou du parc du château, d'usine ; voyage en bateau sur le Danube, etc.

Ars Electronica a été et reste un festival essentiel pour l'art électronique car il soutient activement la création par la production ou la co-production d'œuvres et par les commandes qu'il passe aux artistes. 

Multimediale, ZKM, Karlsruhe, Allemagne

Créée en 1989, Multimediale est une manifestation un peu "hybride" : sans théme général, elle constituait une préfiguration du ZKM et montrait le travail réalisé dans les laboratoires au cours des deux années précédentes. Elle se déroulait jusqu'à présent dans des lieux de type industriel, avec une présentation "brute", sans fioriture ni mise en scène particulière.

Multimediale prendra certainement une autre dimension avec l'ouverture du ZKM en 1997.

Notre analyse portera sur l'édition 1995. 

Le choix du lieu ne sert ni ne dessert les œuvres présentées. Il reste "étranger" aux œuvres qui semblent être là comme dans une zone de transit, en attente de leur destination et présentation finale. Ceci est sans doute dû au choix d'une scénographie "brute".

L'ensemble laisse une impression d'inachevé, d'oppression, de lourdeur qui n'aide pas à "l'épanouissement" des œuvres. Cela renforce leur côté technologique au détriment de leurs aspects poétique, esthétique, de contenu, de discours. Si les œuvres fortes s'en sortent, car par leur puissance elles transcendent le lieu et la présentation, en revanche les autres sont étouffées. 

La manifestation étant composée de plusieurs parties, il est nécessaire de souligner certains aspects valables uniquement pour certaines d'entre elles.

- Dans neuFundland II (présentant les travaux de l'Institut des Médias), les œuvres étaient regroupées au centre de l'espace (grande salle rectangulaire) et la circulation du public se faisait sur le pourtour extérieur. Ce choix a été très dommageable pour certaines pièces que l'on traversait pour aller à la suivante. Pour d'autres, c'était seulement perturbant.

En résumé, l'isolation des œuvres (leur espace "naturel") et la circulation du public n'ont pas été suffisamment pris en compte.

- Le Salon Digital, présenté dans le café/restaurant, montrait une série de travaux sur Internet. La présentation physique est un échec clair : ordinateurs en rang d'oignons, des chaises hautes et inconfortables, le tout dans un lieu bruyant.

En revanche du point de vue de l'accès aux œuvres elles-mêmes, un point très positif est à noter : après quelques temps de non utilisation (soit entre 2 personnes) le système se remettait automatiquement au début. En outre, une fonction "exit" permettait de revenir au sommaire à tout moment.

Ce petit développement informatique permettait au public de ne pas se perdre dans le cyberespace et de pouvoir reprendre une œuvre au début (donc avec une plus grande chance de comprendre ce dont il s'agissait). 

Un effort dans la présentation pourrait donner de meilleurs résultats car le lieu est culturellement neutre et décalé. En plus du commissaire, il est indispensable d'avoir un designer d'exposition compétent en art électronique pour organiser ce type de manifestations. S'appuyer sur des équipes techniques, aussi qualifiées soient-elles, n'est pas suffisant. 

Images du Futur, Montréal, Canada 32

Images du Futur a été fondée en 1985 par Hervé Fischer et Ginette Major. Annuelle, elle appartient plus à la catégorie des manifestations régulières que des festivals. Résolument grand public, elle se déroule l'été, sur plus de deux mois et connaît un nombre de visiteurs élevé. Elle associe œuvres artistiques et applications scientifiques ou commerciales.

Jusqu'en 1994, Images du Futur s'est tenue dans un ancien entrepôt du vieux port de Montréal. Depuis 1995, la Cité des Arts et des Nouvelles Technologies dispose d'un bâtiment (autrefois industriel) dans le vieux Montréal. La manifestation s'y déroule désormais.

Bien que dans un lieu "décalé", la présentation dans les anciens entrepôts du port était problématique pour deux raisons : absence d'une scénographie forte et le mélange des genres entre œuvres artistiques et autres types d'applications qui donnait un peu l'impression d'une vaste foire. Il faut cependant noter que le public y venait très nombreux, en famille, et qu'il appréciait ce qu'il voyait 33.

Les nouveaux bâtiments sont permanents et transforment de fait l'ensemble en un lieu spécialisé dans lequel on va, une fois par an, voir une "grande exposition". L'endroit, neutre, plus petit, plus intime, oblige à séparer davantage les œuvres artistiques des autres installations ce qui permet une lecture plus facile des unes et des autres. Il offre à chaque œuvre son espace, même si le problème de la pollution sonore entre les œuvres persiste. Il semblerait cependant qu'en se transformant en "lieu dédié", il devienne plus intimidant et perde de ce fait une partie du très grand public des entrepôts. En revanche, notamment avec le Cybercafé, il offre une possibilité plus grande de sensibilisation et de formation. 

ARTEC, Nagoya, Japon

Soutenue par le grand quotidien Chunichi Shimbun, la direction artistique d'ARTEC est assurée par un directeur opérationnel membre du journal et un conseil de personnalités japonaises et étrangères, spécialisées dans l'art életronique. La première édition d'ARTEC, manifestation grand public biennale, a eu lieu en 1989. ARTEC se tient dans le musée d'art contemporain, dans le musée des sciences et techniques et dans le parc avoisinant. Elle attire des milliers de visiteurs.

Notre analyse portera sur la deuxième édition de 1991.

Le parti pris des organisateurs a été de donner un espace équivalent à chaque œuvre (on ne comprend pas bien pourquoi).

Les œuvres résistent assez bien à l'architecture de type "cube blanc". L'ensemble donne cependant une impression clinique de propreté, de froideur. L'image qui reste est celle d'une débauche de machines, alors que le câblage et les équipements sont masqués. 

ISEA, International Symposium on Electronic Arts

ISEA a été créé en 1988 par une équipe néerlandaise. Biennale les premières années, la manifestation est devenue annuelle à partir de sa troisième édition à Sydney en 92. Chaque édition d'ISEA se déroule dans une ville différente organisée par une équipe différente. A partir d'ISEA Minneapolis en 93, il fut décidé qu'elle se tiendrait alternativement d'une année sur l'autre en Europe et sur un autre continent. Les éditions d'ISEA furent : Utrecht en 88, Groningue en 90, Sydney en 92, Minneapolis en 93, Helsinki en 94, Montréal en 95, Rotterdam en 96. Les prochaines sont prévues à Chicago en 97, à Manchester/Liverpool en 98.

Parallèlement à ISEA-symposium, la même équipe néerlandaise a fondée ISEA-association (Inter Society for Electronic Arts), qui sert de garant à l'esprit de la réunion et choisit les équipes organisatrices (et donc les villes) des éditions à venir. En 1996, le secrétariat d'ISEA a été transféré à Montréal.

A l'origine ISEA a été conçu pour être, comme son nom l'indique, un symposium. Les arts électroniques avaient leurs manifestations de monstration et d'exposition mais il n'existait pas de rencontre de haut niveau, pour la réflexion et l'échange. Il s'agissait donc d'organiser une conférence, de type universitaire, devant apporter une réflexion sur l'art électronique. ISEA a pris comme modèles l'ICMC (International Computer Music Conference) et SIGGRAPH. 

Les deux premières éditions au Pays-Bas restèrent strictement dans le cadre. Des communications de fond, d'une durée assez longue (de 20 à 40 minutes), étaient présentées en séances plénières. En outre, et c'était particulièrement vrai à Groningue, l'accent était mis sur des présentations courtes (de 10 à 15 minutes) et simultanées (parallel poster sessions) de la part des institutions et surtout des artistes avec des documents classiques d'accompagnement (vidéo, diapositives, transparents, etc.). Ces séances parallèles avaient pour vocation d'informer les délégués sur les diverses activités et créations dans le monde. Ce système a particulièrement bien fonctionné. Des débats, rencontres et échanges d'informations spontanés naissaient après chacune des sessions.

Par ailleurs, une très petite exposition (essentiellement d'images fixes) et des spectacles peu nombreux (à Groningue il s'agissait d'une performance de Stelarc et du traditionnel "film show" montrant les réalisations en animation en images de synthèse) accompagnaient le symposium, plutôt à titre d'exemples. L'accent étant mis sur les rencontres, le programme des délégués restait raisonnable pour permettre les échanges impromptus inter-individuels.

Le changement s'est opéré avec ISEA Sydney, quand la partie exposition s'est développée. Pour les Australiens, isolés géographiquement, ISEA était l'opportunité d'une part, de montrer la création nationale et, d'autre part, d'apporter au public local une ouverture sur la création internationale, par delà la discussion de fond sur l'art électronique. A Sydney, l'exposition fut conséquente et éclatée dans divers lieux dans la ville.

De ce fait, il est très difficile d'élaborer une véritable analyse de la monstration lors d'ISEA à Sydney. On peut néanmoins retenir quelques éléments : toutes les expositions étaient intéressantes et bien conçues. La fragmentation avait permis de faire des sous-ensembles cohérents. Les œuvres ne se perturbaient pas les unes les autres et avaient largement assez d'espace pour exister. Les lieux étaient tous différent : ils créaient autant d'expositions, avec leur identité propre et leur atmosphère particulière. Cependant, cet éclatement ne permettait pas une vision d'ensemble et de revenir voir les œuvres facilement. La relation entre les débats et les travaux s'en trouvait amoindrie. 

Avec Helsinki en 94 et plus encore avec Montréal en 95, la partie exposition d'ISEA occupe une place égale à celle du symposium. A Montréal, un certain nombre de personnes se sont déplacées pour venir voir l'exposition sans pour autant assister à la conférence, ou seulement de manière marginale. Il ne nous appartient pas de dire ici si cette évolution est positive par rapport aux objectifs initiaux d'ISEA qui se voulait plus un instrument de réflexion que d'exposition, mais désormais ISEA devient une institution à prendre en considération dans une étude de la monstration.

Notre analyse d'ISEA en tant que "lieu" de monstration, déjà présentée, a porté sur les deux dernières éditions d'Helsinki et de Montréal. 

2 - Les conséquences pour la monstration [sommaire section]

Le festival, ou la manifestation régulière, joue un rôle différent dans la monstration de l'art électronique selon la nature de l'événement. Nous en dégageons trois types. Chacun a des publics, des objectifs, et donc une fonction de monstration, différents.

- "découverte et expérimentation" : Ars Electronica en est le meilleur exemple. Il s'adresse à un public de professionnels qui viennent y faire leur "marché" et ne touche que marginalement le grand public. Il joue un rôle important comme co-producteur d'œuvres et comme lieu de découverte de nombreux artistes. Dans certains cas, il peut s'apparenter, dans la monstration, à "l'atelier" d'un artiste et présente des œuvres encore inachevées ou prototypales 34.

- "nouveautés" : comme Multimediale ou ISEA. Manifestations "intermédiaires" entre les deux autres catégories, elles montrent une production récente mais reposent sur d'autres bases (une institution de création pour l'un, une conférence pour l'autre). Elles s'adressent à un public plus large, mais néanmoins un peu connaisseur.

- "tendances en cours" : dans ce cas il s'agit plus de ce que nous avons qualifié de "manifestations régulières" que d'un festival proprement dit. Entrent dans cette catégorie Images du Futur, Artifices, Voyages Virtuels, Art Futura. Totalement grand public, ils jouent une fonction de validation à l'extérieur du milieu de l'art électronique. 

Pour une grande partie des personnes que nous avons interviewées, le festival est un lieu pour démarrer, pour se faire connaître, il est largement considéré comme un lieu expérimental.

Il nous semble que sa fonction est plus importante. Le festival, ou la manifestation régulière, joue un rôle essentiel de validation culturelle que ce soit auprès du milieu de l'art électronique ou vers l'extérieur selon sa nature et ses caractéristiques. En outre, par leur fréquence et leur régularité, les festivals restent jusqu'à aujourd'hui les rares endroits où la continuité de la présentation de l'art électronique est assurée. 

B - LIEUX DE CREATION ET/OU DE MONSTRATION [sommaire section]

Tous les types de lieux que nous avons analysés jusqu'à présent, y compris les festivals et manifestations régulières spécialisés, restent dans une logique d'événements ponctuels. Certains prennent mieux en compte que d'autres l'art électronique, ou semblent plus adaptés à sa monstration. Deux éléments essentiels leur font défaut : une présence permanente et la prise en compte de la relation création/monstration inhérente à beaucoup d'œuvres.

Les centres permanents dédiés peuvent apporter une réponse à ces faiblesses.

Nous en excluons les laboratoires de recherche et les entreprises qui accueillent des artistes comme Xerox PARC, Interval Research Laboratory, ATR, Art + Com Berlin, le GMD ou le Media Lab du MIT pour deux raisons : l'activité artistique n'est pas leur fonction première et ce ne sont pas des lieux de monstration.

Ces centres sont actuellement peu nombreux. Il s'agit du ZKM (Zentrum für Kunst und Medientechnologie), de l'ICC (InterCommunication Center), d'Art Lab, de l'AEC (Ars Electronica Center) et de V2.

Notons qu'hormis Art Lab et V2, aucun de ces centres n'a encore un fonctionnement normal. L'AEC a ouvert le 2 septembre 1996. Le ZKM et ICC ouvriront en 1997 mais ils ont déjà conduit des actions de préfiguration. 

1 - Exemples [sommaire section]

AEC, Ars Electronica Center, Linz, Autriche 35

L'AEC se situe dans le prolongement du festival. Il représente pour ses initiateurs une forme de démocratisation des activités d'Ars Electronica pour aller à la rencontre des besoins des gens de la région. En tant que musée en évolution (museum in progress), le Centre repose sur le concept d'un changement continu. Les locaux sont conçus pour être utilisés de manière conviviale. Le Centre se positionne comme une interface interdisciplinaire et intégratrice entre la science et la recherche, le commerce et l'industrie, les arts, les loisirs et les media électroniques. Le Centre a une politique de formation et de sensibilisation des publics locaux, associée à un programme d'artistes en résidence, de création et d'expérimentation. Il est fortement axé sur le réseau et la réalité virtuelle. L'AEC n'a pas de vocation muséale et n'aura pas a priori de collection permanente. 

Il se compose de :

- une "Zone de réalité virtuelle" avec The Cave ;

- la Cyber City où sera présenté un panorama des instruments de réalité virtuelle au service des urbanistes et des architectes avec comme exemple la ville de Linz ;

- le Knowledge Net, projet multimedia pour de nouvelles structures d'apprentissage et de coopération ;

- Sky Media Loft qui présente les derniers développements en matière de technologies de communication. 

L'AEC se positionne comme un lieu de connaissances et de savoirs, en constante évolution, dans une perspective de nouveaux modèles d'apprentissage, de relations humaines et de création. Il vise des interventions au niveau local (au coeur de la ville de Linz) et global (sur le réseau Internet). Ars Electronica Center définit un nouveau type d'institution culturelle, non plus fondée sur le figé, la collection d'objets, mais sur le flux des informations. Il propose un nouveau rôle à l'architecture culturelle qui devient un point nodal du réseau et un "abri", un lieu de convivialité dans l'espace physique de la ville. 

L'Ars Electronica Center est doté de moyens matériels haut de gamme et d'équipes spécialisées.

La construction du Centre aura coûté 100 millions de Shillings autrichiens (soit environ 50 millions de francs) et l'équipement 80 millions de Shillings autrichiens (soit environ 40 millions de francs).

Laboratoire de création, d'expérimentation et de formation, il fonctionne en étroite symbiose avec le festival aussi bien pour la monstration que pour l'archivage et la conservation des traces du passé dont le site Web est le principal instrument 36

ZKM, Zentrum für Kunst und Medientechnologie, Karlsruhe, Allemagne

Le ZKM associe une politique de recherche et de création dans différents domaines (images, son, interactivité, réalité virtuelle) à une volonté de monstration par le biais de deux musées : le Musée d'Art Contemporain (MAC) sous la direction d'Heinrich Klotz et le Musée des Media (MM) sous celle de Hans-Peter Schwarz. Le MAC a une politique d'achat d'œuvres d'art, dont des pièces historiques. L'objectif du MM est la production de pièces ayant comme sujet l'influence des media sur l'art. Les grandes sections du Musée des Media incluent :

- le Salon Digital consacré au réseau Internet ;

- la Galerie d'Art Interactif avec des œuvres exemplaires de l'utilisation des nouveaux media par les artistes ;

- l'Univers des Jeux où des jeux commerciaux seront présentés et analysés selon une grille thématique (il ne s'agit pas de faire une salle de jeux supplémentaire) ;

- le Musée Virtuel de l'Architecture ;

- une section Film et Film Interactif. 

Les budgets du ZKM sont conséquents : 150 millions de DM (soit environ 525 millions de francs) pour la rénovation du bâtiment ; 10 millions de DM (soit environ 35 millions de francs) de budget annuel et 1 million de DM (soit environ 3,5 millions de francs) pour le budget de production du Musée des Media. Ces deux derniers budgets augmenteront à l'ouverture. Nous n'avons pas pu connaître le budget d'acquisition du Musée d'Art Contemporain. 

En ce qui concerne l'équipement, le ZKM a une politique d'achat. Pour Bernhard Serexhe 37, directeur adjoint du Musée des Media, comme nous produisons, nous avons besoin du parc technologique. L'équipement sera plus important à l'ouverture car toutes les installations doivent être indépendantes. Nous achetons l'équipement. Il n'y a pas d'autre solution, cela coûte plus cher de louer. Et comme le matériel est rapidement obsolète, nous n'avons pas de solution miracle, il faudra toujours un budget d'investissements important. Mais il faut rester raisonnable et continuer à montrer le plus possible les œuvres sur l'équipement d'origine

En matière de personnel, le ZKM distingue les techniciens de maintenance de ceux pour le laboratoire de production. Il envisage une dizaine de spécialistes pour le laboratoire et de 5 à 6 techniciens pour la maintenance. 

L'espace de monstration sera d'environ 6000 m2 pour chacun des musées avec des installations permanentes et des espaces modulables. Les solutions pour la mise en espace sont à l'étude, notamment pour le Salon Digital où il y aura de 20 à 50 terminaux selon les besoins, mais où il ne faut pas qu'une personne soit isolée devant son écran 38.

Le ZKM sera donc un lieu de production, de monstration et de conservation hautement spécialisé, doté de moyens techniques, humains et spatiaux qui lui confèrent une large autonomie. 

ICC, InterCommunication Center, Tokyo, Japon 39

ICC ouvrira également en 1997. Comme l'AEC, ICC est fondé sur les communications électroniques et a pour but la promotion du dialogue entre science, technologie, art et culture dans le contexte d'une société future riche en imagination et en créativité.

Deux types de présentation se côtoieront dans le centre : une exposition permanente, tournée vers le futur, explorera les nouvelles possibilités d'expression scientifique et technologique par le biais de travaux incorporant les technologies les plus avancées telles que la réalité virtuelle et l'interactivité. Les expositions spécifiques présenteront les artistes pionniers, feront le point sur les tendances et les travaux expérimentaux et exploreront de nouveaux thèmes qui ne peuvent être inclus dans le cadre de catégories existantes.

Par ailleurs, une Biennale complètera le dispositif. La première aura lieu en 1997 sur le thème "Communication/Discommunication".

ICC s'est également doté d'une revue de réflexion trimestrielle en japonais avec un "résumé" annuel en anglais. 

ICC disposera de trois salles d'expositions (une pour les expositions spéciales, une pour l'exposition permanente, une pour les expositions thématiques), d'un atelier de création, d'un auditorium et d'une bibliothèque électronique avec une vaste base de données. 

V2, Rotterdam, Pays-Bas 40

V2 a été fondé en 1981 par un groupe d'artistes à 's-Hertogenbosch. Contrairement aux centres que nous venons d'évoquer, il est issu du courant des lieux alternatifs particulièrement actifs en Europe du nord (Pays-Bas, Allemagne) ainsi qu'au Canada. Il a fonctionné jusqu'à très récemment sur de faibles budgets et sur une base d'engagements personnels et de bénévolat. En s'installant à Rotterdam en 1995, V2 acquiert une dimension nouvelle grâce à des moyens financiers et des équipements plus importants. Plus de 10 ans de travail sont enfin reconnus. 

Au départ centré sur des présentations "intermedia", V2 s'est progressivement impliqué dans les relations art et technologie dont les technologies de la communication et des media. En 1987, il organisait la première Manifestation for the Unstable Media qui devenait un festival annuel avant de prendre, en 1995, le nom de DEAF (Dutch Electronic Arts Festival).

V2 est organisé autour de trois structures :

- V2 Organisatie qui organise les manifestations et les colloques, rencontres, etc. ;

- V2 Audio-visueel qui s'occupe de l'atelier électronique où les artistes disposent de matériel audiovisuel et informatique professionnel. Par des collaborations avec des techniciens, des nouveaux logiciels et équipements techniques sont développés. Ainsi les artistes peuvent adapter du matériel standard à leurs besoins de création. Avec l'implantation à Rotterdam, cet atelier devrait se développer.

- V2 Archief, qui a pour vocation de produire et distribuer des publications liées aux sujets couverts par V2. 

La perspective de V2 est d'être une plateforme pour la discussion et la présentation de productions autour des media électroniques. Le travail avec les réseaux occupe une position centrale dans la réflexion et les projets. V2 ne veut pas simplement refléter l'état des lieux de la technologie. Il souhaite être un centre où se forgent les relations et les connections entre les différentes disciplines artistiques et où s'exposent les développements pratiques et théoriques, côte à côte, afin de participer à une analyse critique de ces media. 

V2 a toujours fonctionné selon les principes d'un centre alternatif : une structure flexible, une perspective interdisciplinaire, une monstration organisée autour de concepts forts, un atelier, une dialectique entre des présentations théoriques et "pratiques", un travail de recherche. Son déménagement à Rotterdam lui permet de mettre ce programme en œuvre sur une plus grande échelle.

ART LAB, Tokyo, Japon

Créé par Canon en 1991, ART LAB est un centre permanent associant étroitement artistes et informaticiens pour la recherche et les nouvelles possibilités de créations artistiques liées aux nouvelles technologies. C'est également un lieu de recherches théoriques sur les changements dans l'environnement et la société induits par l'ordinateur.

Art Lab est placé sous la direction artistique de deux jeunes commissaires spécialisés : Yukiko Shikata et Kazunao Abe. Les techniciens viennent de la société Canon.

Le principe de fonctionnement d'Art Lab repose sur la sélection d'un certain nombre d'artistes qui travailleront en coopération avec des ingénieurs, pour créer de nouvelles œuvres, montrées dans d'autres espaces.

Depuis 1991, Art Lab a ainsi produit un certain nombre d'expositions d'artistes japonais mais aussi étrangers. La ligne directrice est plutôt expérimentale (œuvre mettant en jeu les ondes cérébrales, etc.), loin de la technologie des copieurs, produit phare de la firme. 

2 - Les conséquences pour la monstration [sommaire section]

Chacun de ces centres, qui en sont à leurs débuts, a ses spécificités mais on peut néanmoins dégager des points communs.

Deux centres sont publics (ZKM et AEC), deux sont privés (ICC et Art Lab), un (V2) est un lieu alternatif soutenu par des fonds publics. Il n'y a pas de solution idéale. La situation reflète les habitudes culturelles des pays dans lesquels ils sont implantés. Les sources de financement sont donc indifférentes à la politique menée et au degré de liberté dont ils disposent dans la programmation et les choix de contenu. En revanche, tous sont dotés de budgets permettant un réel fonctionnement. Tous disposent d'équipements adaptés (même si certains sont plus équipés que d'autres) et de personnels compétents tant d'un point de vue technique qu'intellectuel (beaucoup des responsables sont des artistes).

Si Art Lab est plus un centre de création (il ne dispose pas de locaux dédiés pour la monstration) et V2 actuellement plus un lieu de monstration, tous associent les deux dimensions (création et monstration) et prennent en compte les nouvelles directions de l'art que ce soit sur le Web ou les installations nécessitant un équipement haut de gamme. 

Hormis le cas particulier d'Art Lab, ils renouvellent la fonction de l'architecture culturelle :

- par des bâtiments adaptés aux nouvelles technologies ;

- par la conception du centre non plus comme un lieu fermé et "contenant" mais comme un lieu qui "abrite" (parce que machines et humains en ont besoin). A cet égard le ZKM semble le plus "lourd" et se rapproche d'une architecture culturelle classique avec ses deux musées. Mais, contrairement au musée d'art contemporain, le ZKM est aussi un lieu de création et de recherche, deux missions placées sous la responsabilité d'artistes. Par ailleurs, il est le seul à avoir vraiment une politique de conservation des œuvres historiques de l'art électronique, ce qui nécessite un espace différent ;

- par la conception d'un centre comme un point de rencontre entre l'espace physique —le local— et l'espace des réseaux —le global ;

- par l'intégration du Web comme espace de création et d'expérimentation mais aussi de conservation et d'archivage (voir infra : section IV, monstration présente et conservation) ;

- par l'expérimentation de nouveaux modèles de fonctionnement, aucun n'ayant été conçu selon des schémas pré-existants. 

Pour certains, ces centres peuvent apparaître comme les ghettos d'un art qui ne saurait pas s'intégrer au reste de l'art contemporain. Ceci nous semble un "vrai faux problème". L'art électronique comme le film, le spectacle vivant ou l'art plastique requiert des lieux ad hoc. La question de la ghettoïsation est moins celle d'un espace spécialisé que de choix des contenus. Actuellement, ils représentent des lieux de pérennité, d'expérimentations, d'actions à long terme et de suivi des politiques artistiques. Ce sont des lieux de validation culturelle et d'acculturation. Ils associent art, science et technologies mais en les sortant chacun de leurs espaces "naturels" respectifs pour mieux les confronter. En leur donnant un autre contexte, ils en permettent une autre lecture ; ils leur offrent une distanciation indispensable. Christine Schöpf 41 déclare : il faut beaucoup d'autres centres comme ceux-là. Dans cette période où l'industrie domine et où elle est très intéressée, il faut des cellules intellectuelles liées entre elles qui élaborent des contenus et des pensées critiques. Sinon c'est l'industrie qui gagne tout. [...] Je ne sais pas pour le futur, mais actuellement il faut que des lieux physiques spécialisés existent qui démontrent que là, on élabore des choses liées au monde numérique qui ne sont pas des produits industriels

Un autre reproche adressé à ces centres est qu'ils favorisent les aspects "high tech" et qu'ils sacrifient aux dernières technologies à la mode. C'est un reproche quelquefois justifié qui est cependant atténué par la diversité des centres. En outre, en tant que lieux de recherche et d'expérimentation, il semble préférable qu'ils se situent "à la pointe" de la recherche artistique et esthétique. De cette manière, ils soulèvent et traitent des questions qui ne peuvent —et ne sont— pas abordées par d'autres.

Actuellement nous avons recensé 5 centres dignes de ce nom dont 2 au Japon, aucun en France, aucun dans les pays latins. Si on prend aussi en compte les autres lieux de création, on constate une domination de trois zones : Europe du nord avec l'Allemagne (ZKM, GMD, Art + Com), l'Autriche (AEC) et les Pays-Bas (V2), Japon (ICC, Art Lab, ATR) et, dans une moindre mesure, les Etats-Unis où n'existent que des laboratoires de recherches ayant une autre vocation que l'art (Xerox PARC, Interval Research Laboratory, Media Lab à MIT). La diversité culturelle est loin d'être représentée. 

 

VI - LES LIEUX "TECHNOLOGIQUES" [sommaire général] [sommaire section]

Par l'expression de lieux "technologiques" nous entendons des espaces de monstration qui sont la conséquence directe de l'existence des technologies télécomputationnelles. Le premier est l'espace domestique (la maison) et le second, le cyberespace. 

A - ESPACE DOMESTIQUE [sommaire section]

L'art électronique, avec ses installations compliquées et son absence d'objets à vendre, n'était pas réputé pouvoir entrer dans les foyers privés. Tout un pan de la création aujourd'hui (notamment les œuvres sur écran) redonne à l'espace domestique un rôle de consommation de l'art.

Pour nombre d'œuvres, la maison est bien le meilleur endroit pour être appréciées, réellement perçues. Là seulement, on peut prendre le temps de les parcourir en plusieurs fois, effectuer les "re-lectures" indispensables, être, comme pour la lecture, seul(e) dans une relation intime à l'œuvre, dans un tête-à-tête avec l'écran-miroir.

Cependant, la possession privée d'œuvres d'art, quelles qu'elles soient, a toujours été l'apanage des classes aisées (aristocratie, bourgeoisie). A cet égard, malgré les discours démocratiques enthousiastes, il se peut que l'art électronique ne fasse pas exception, même si les barrières ne sont plus exactement les mêmes (le coût de l'œuvre devient un facteur négligeable).

Le mode de consommation de l'art électronique (et donc sa monstration) dans l'espace domestique soulève de nouvelles questions.

En France, le taux d'équipement des ménages en matière d'ordinateurs et de lecteurs de CD-ROM, sans parler des accès à Internet, est particulièrement faible. Malgré les efforts commerciaux des constructeurs, les Français rechignent à s'équiper 42. Selon un article du Monde daté du 27 janvier 1996 et reposant sur un sondage réalisé par l'institut d'études marketing GFK entre le 7 et le 17 décembre 1995 : Pas plus de 1% des foyers français sont certains de s'équiper rapidement en micro-informatique. [...] 15% des foyers français sont équipés d'un micro-ordinateur. Ce taux atteint 39% aux Etats-Unis, 27% aux Pays-Bas, 25% en Allemagne, 21% en Belgique et 16% en Grande-Bretagne. [...] Si le coût excessif demeure un obstacle pour 35% des foyers interrogés, 49% déclarent "ne pas avoir l'usage" d'un ordinateur et 30% affichent "leur manque d'intérêt pour l'informatique". [...] Le plus fort taux d'équipement (42%) concerne les foyers qui gagnent plus de 40 000 francs par mois. Parmi ceux dont le salaire mensuel est inférieur à 10 000 francs, seulement 12% sont équipés.

Si l'on peut penser que le taux d'équipement des Français augmentera à moyen et long termes, l'accès à l'équipement informatique reste socialement discriminant. 

Par ailleurs, l'utilisation de la micro-informatique et des logiciels d'accès à Internet ne sont pas de plus en plus simples. Il ne suffit pas d'avoir "un ordinateur, une ligne de téléphone et un modem". Bien au contraire, les couches logicielles s'ajoutent les unes aux autres, ne sont pas toujours compatibles, créent un magma inextricable et suscitent des bugs aussi savoureux qu'inexplicables quand ils ne sont pas insolubles. A cela s'ajoute le fait que les artistes proposent des œuvres en ligne de plus en plus élaborées, nécessitant le téléchargement de logiciels ou utilitaires et surtout leur installation 43

L'information sur l'existence des œuvres (sur CD-ROM, sur disquette ou en ligne) se fait aujourd'hui principalement par l'intermédiaire de publications spécialisées dans l'art électronique. La plupart est en langue anglaise et sur le réseau Internet. L'information est donc principalement accessible à un public de professionnels ou à ceux qui, sans être des spécialistes de l'art électronique, ont accès au réseau et sont un peu curieux. 

Si les œuvres sur Internet sont visibles à partir du moment où on est connecté et où on connaît leur existence, le marché du CD-ROM artistique reste hypothétique. Il peut se passer pour le CD-ROM artistique ce qui s'est produit pour la vidéo : un marché commercial s'est installé (films, clips) mais point de marché artistique. La nature des œuvres interactives peut cependant favoriser un circuit commercial parallèle, identique par exemple à celui de toute une partie de la musique contemporaine ou de la poésie informatique (qui reste un des rares cas, actuellement, où la monstration domestique supplante une monstration publique). Les consommateurs se recruteront donc encore dans un public informé, formé et sensibilisé. 

Enfin, quelle que soit la situation actuelle ou à venir, la place de l'ordinateur dans l'espace privé joue un rôle essentiel dans la "lecture" et la perception des œuvres. A défaut d'études sur le sujet, nous pouvons évoquer un certain nombre de questions : où est l'ordinateur à la maison ? dans un endroit associé au travail (bureau) ou à la distraction ? dans un endroit confortable où l'on peut "s'installer" ou dans un endroit "transitoire" ? dans un endroit où l'on peut s'isoler (comme pour la lecture) mais d'où l'on peut aussi "partager" ses "découvertes" ? qui y accède, comment se fait le partage de l'accès au matériel ? 

Les conséquences pour la monstration

Au moins pour quelques années encore, il apparaît indispensable que les espaces publics relaient l'espace domestique dans l'information, la formation et la consultation des œuvres à défaut d'une vraie monstration qui ne peut effectivement s'opérer que chez soi. 

B - CYBERESPACE [sommaire section]

Nous ne prétendrons pas, dans le cadre de ce rapport, épuiser les composantes, les recherches et les débats au sujet du cyberespace. Nous essaierons simplement de pointer quelques uns des éléments qui nous semblent les plus importants pour la monstration d'œuvres existant dans cet espace, pour et par lequel elles ont été créées. 

Le cyberespace est un espace, un media et un langage. Nous l'aborderons sous ces trois angles. Il se compose par ailleurs de trois éléments :

- une réalité physique : il s'agit de l'ensemble des ordinateurs dispersés sur la planète et reliés entre eux par des moyens de communication.

- un espace "culturel" composé de données, d'informations et de savoirs (on passe de la notion de "data base" à celle de "knowledge base"). Et, comme le souligne Tom Sherman 44, les artistes, travailleurs du savoir, créent de l'information par la transformation des données en formes.

- un mythe. Le roman Neuromancien de Gibson (qui en constituerait la Bible) n'a fait que mettre un nom sur un processus en cours et en proposer une description sur laquelle se sont appuyés recherches, rêves et désirs et à partir de laquelle se sont construits toute une littérature et un vocabulaire plus ou moins fantaisistes ou au contraire très sérieux. Le mythe ne doit pas être négligé. Il permet aux sociétés humaines de se construire, d'élaborer le mode symbolique d'échanges, en bref de construire le monde dans lequel elles vivent et de se doter des moyens de le comprendre. 

1 - L'espace du cyberespace [sommaire section]

Le cyberespace est un espace paradoxal car il est immatériel en tant qu'espace de l'œuvre mais il exige néanmoins deux lieux physiques : celui dans lequel se trouve le terminal d'accès à l'œuvre et celui du serveur sur lequel est stockée l'œuvre.

Non-espace ou a-espace, il peut être décrit comme un ensemble de points, d'univers autonomes (les "monads") 45 entre lesquels l'information circule. L'ensemble de ces points est en constante expansion et en évolution tout comme chaque point lui-même (similitude du cyberespace et de l'univers ?).

Chaque point est accessible simultanément par plusieurs personnes. Mais ces personnes ne "vont" pas "dans" le lieu spatial du stockage des informations. Ce sont les informations qui "s'étirent" jusqu'à elles, jusqu'à leur ordinateur qui constitue un autre point dans l'ensemble du réseau, dans l'ensemble du cyberespace.

Dans le cyberespace, ce ne sont pas les gens qui voyagent mais les informations. Pour reprendre l'expression de Nicholas Negroponte, on ne transporte plus des atomes mais des bits 46. Le cyberespace tout entier est contenu potentiellement dans l'ordinateur sur lequel vous travaillez et sur lequel viennent s'afficher les informations que vous avez appelées. L'on passe ainsi subtilement d'un nomadisme des personnes à un nomadisme de l'information et des savoirs, à une société info-nomade. A la notion d'espace se substitue celle du temps. Le cyberespace n'existe que dans l'actualisation de liens, à un moment donné, par une personne donnée. Il n'existe, en tant qu'espace, que dans l'espace physique et numérique de la personne concernée (donc de l'ensemble des personnes connectées à un moment donné). Le cyberespace est là où je suis quand je suis connecté. Par ailleurs, le cyberespace, "objet" perpétuellement éphémère 47, est différent pour chaque personne car il se forme par les liens qu'elle tisse avec les savoirs qui la concernent, lesquels sont également en constante évolution intrinsèquement et au fur et à mesure de la progression individuelle. Marcos Novak écrit à ce sujet : The key metaphor for cyberspace is "being there", where both the "being" and the "there" are user-controlled variables. 48 

Si le cyberespace est un non-espace ou un a-espace, il n'est pas nécessaire que les lois de la physique s'y appliquent (notamment la gravité). Sa conception (la visualisation et l'organisation des données, l'organisation des accès, etc.) peut donc être totalement différente d'une architecture physique. Cependant le cyberespace, en tant qu'espace culturel, doit respecter un certain nombre de codes, un certain sens commun, afin de ne pas créer une désorientation plus grande. Un des débats en cours est la construction et l'architecture du cyberespace et, en fait, selon quelles méthodes et quels principes on élabore une architecture de l'information. Pour Marcos Novak, there are no hallways in cyberspace, only chambers, small or vast. Chambers are represented as nodes within my navigator. Chambers allow different users to share the same background, as well as encounter and interact with the same objects 49. Actuellement, c'est un des problèmes du cyberespace, s'il y a un "territoire", les "cartes" font encore défaut. Dans l'espace physique, la délimitation d'une exposition est immédiatement perceptible, dans le cyberespace, l'utilisateur n'a que peu d'indications sur la dimension d'un site ou d'une œuvre. Certains en jouent pour "perdre" volontairement le public dans le labyrinthe du réseau ou de l'œuvre, d'autres commencent à apporter des solutions graphiques (écran fragmenté qui permet de conserver le sommaire toujours présent, multifenêtrage automatique par exemple) ou indicatives (taille des images). Pour l'heure, si "l'horizon n'est rien de plus que la limite de notre vision", il n'y a pas d'horizon dans le cyberespace. 

Par ailleurs, le cyberespace est un espace social qui reprend une partie des codes en vigueur dans les sociétés de l'espace physique mais qui crée également ses propres codes sociaux. Un second débat porte donc sur l'identification et l'analyse de ces codes (notamment toute la question de l'identité). 

2 - La création dans l'espace du cyberespace [sommaire section]

La création dans l'espace du cyberespace présente des caractéristiques singulières. Nous en avons distingué six.

* Les œuvres dans le cyberespace sont de fait des créations in situ qui dépendent de la nature même de l'espace dans lequel elles existent. 

* Dans l'espace du réseau, créer revient à montrer et montrer, à créer. Il n'y a plus de notion d'espace de monstration de l'œuvre comme élément distinct de sa forme intrinsèque. La notion centrale devient celle de l'accès à l'œuvre. 

* Certaines œuvres n'existent que sur le réseau, d'autres s'inscrivent également dans l'espace physique. Dans tous les cas, l'accès à l'œuvre dans le cyberespace proprement dit se fait par l'intermédiaire d'un écran et donc la forme de toute œuvre en ligne est étroitement associée à celui-ci, quels que soient sa nature, son contenu, son concept et son esthétique. Ceci induit une relation à la fois intimiste et distanciée à l'œuvre (écran miroir/écran vitre). 

* L'artiste perd une partie du contrôle de la façon dont l'œuvre sera vue. Celle-ci n'est plus remise entre les mains du public à strictement parler mais elle dépend de la nature de son équipement (logiciels de navigation, configuration de ces derniers, type d'écran, divers plugs-in, etc.). Certains artistes commencent à concevoir des œuvres avec différentes versions selon le matériel dont peut disposer l'utilisateur. 

* La visibilité de l'œuvre, son "exposition" (au sens où l'on s'expose au soleil) est d'emblée à l'échelle mondiale, indépendamment de toute notion de culture et de nationalité. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de segmentation du public, comme pour tout autre type de lieu (voir infra : section V, les publics). Mais, tout comme l'utilisateur ne sait plus a priori la dimension et les limites de l'œuvre quand il arrive sur un site, l'artiste ne peut plus "voir" ou "connaître" son audience de manière immédiate. En revanche, il peut communiquer directement avec elle, sans intermédiaire. 

* La création sur le réseau supprime en apparence la nécessité des médiateurs culturels. Pour nombre d'artistes qui se sentent contraints par, ou ont vécu des expériences difficiles avec, les conservateurs et les commissaires d'exposition, il s'agit d'une libération. Ils peuvent mettre leur œuvre à disposition du public sans intermédiaire, sans bureaucratie et sans jouer le jeu de légitimation des institutions culturelles. Ann Peterson Bishop écrit : All the artists interviewed were excited by the ability of the network to break down what was seen as an elitist control of art by organizations (ranging from museums to the National Endowment for the Arts to agent, commercial publishers and distributors) 50.

Contourner les médiateurs culturels ne signifie cependant pas qu'il n'y a plus de médiateurs, ou que toutes les difficultés sont aplanies. Les artistes interviewés par Ann Bishop reconnaissent que the network itself is still open only to those with substantial technical skills and financial resources ; thus, access to art on the Internet is still severely limited to an elite group of artists and viewers 51. Aujourd'hui si la création peut se faire sur des équipements de moyen de gamme, il est encore nécessaire d'avoir un serveur et de savoir utiliser les outils. Les possesseurs de serveurs deviennent donc de facto les nouveaux médiateurs et les informaticiens spécialisés peuvent jouer un rôle essentiel (facilitateurs ou freins, selon les cas).

En outre, ce n'est pas parce qu'une œuvre est sur le réseau qu'elle est vue. Encore faut-il que les internautes soient informés. L'information peut se faire également en évitant les médiateurs classiques, par le biais de courriers électroniques directs et de listes de diffusion (mailing lists). Cependant, ces listes et courriers ne touchent que le public déjà répertorié comme intéressé, et non l'ensemble de la communauté connectée et l'on voit ainsi apparaître un nouveau type de médiateurs : les revues, magazines et lettres d'information électroniques, les institutions en ligne, spécialisées ou non, qui vont pointer sur les sites des artistes et enfin les moteurs de recherches. 

3 - Le cyberespace est un media [sommaire section]

D'une certaine façon, le cyberespace est un media sans support, un media où il n'y a plus de distinction entre le support et le contenu de l'œuvre, l'œuvre elle-même.

C'est aussi un media paradoxal. Sur Internet "voir c'est posséder" mais les œuvres ne peuvent être ni possédées ni conservées en tant que telles du fait de leur évolutivité ou des hyperliens qu'elles établissent avec d'autres éléments du réseau. 

En tant que media, le cyberespace conditionne également la construction et le contenu des œuvres. Les artistes interviewés par Ann Bishop recognized that they needed to gain much more experience with the medium before they could understand its "subtle potential". One artist commented that the worked she displayed at the @art Gallery was originally created for another medium. She felt that next time she'd have a better idea of what to do, such as using smaller images that would be quicker to download and easier to see on the screen and creating links more intrinsic to the nature and theme of the work. Another artist noted that "I haven't got the right form yet" or even the "right concepts" for breaking out of the mindset of physical spaces and objects in connection with art 52.

Judy Malloy qui écrit de l'hyperfiction et qui a une habitude du réseau depuis de nombreuses années indique qu'elle a insensiblement commencé à faire des pages-écrans plus courtes, des liens plus attrayants, des phrases plus longues 53

L'accès des artistes à ce media, donc à un serveur, reste une des questions clés. Aux Etats-Unis, les universités sont les principaux relais. Partout, des organisations ouvrent leurs disques aux artistes : entreprises privées dans le domaine de l'informatique, lieux spécialisés en art électronique, ainsi que des fournisseurs d'accès (providers). 

4 - Le cyberespace est un langage [sommaire section]

Comme tout langage, il doit faire l'objet d'un apprentissage tant de la part des artistes que de celle du public. Et comme pour tout langage, cet apprentissage est double : technique (la grammaire et le vocabulaire) et culturel (l'appréciation du "style"). Se servir des logiciels, télécharger et faire fonctionner les éléments dont on a besoin constituent la grammaire et le vocabulaire de base à la différence près qu'avec le réseau la technique évolue constamment et que l'apprentissage n'est jamais terminé. L'avantage est que les aspects "stylistiques" s'acquièrent simultanément. 

5 - Conséquences pour la monstration [sommaire section]

* Pour les artistes :

- L'aide à la monstration équivaut à une aide à la création et réciproquement.

- L'aide à la création doit aussi être une aide à la formation et un soutien technique. 

* Pour le public :

Il n'y a plus de public mais des individus indépendants et chaque personne devient, de fait, commissaire de son exposition virtuelle personnelle selon ses goûts et l'information dont elle dispose. Plus que d'exposition virtuelle, il faudrait parler de "collection virtuelle" symbolisée par les bookmarks dans le logiciel de navigation. 

* Le nouveau rôle des médiateurs et des organisations :

- Les institutions et les médiateurs culturels ne sont plus les seuls à pouvoir intervenir, à offrir une visibilité et une validation.

- La multiplication de l'offre d'espace virtuel (autrement dit d'espace-disque sur des serveurs) pour les artistes est plus que souhaitable. Elle peut être le fait de n'importe quel type d'institutions. Cette diversité peut s'avérer stimulante mais c'est aussi une opportunité, pour les institutions culturelles classiques, de jouer un rôle actif dans l'art en train de se faire.

- Organiser une exposition dans le cyberespace n'a pas grand sens en tant que tel. En revanche, les institutions et les médiateurs, quels qu'ils soient, peuvent avoir une fonction de mise en valeur, de mise en exergue d'œuvres. Il ne s'agit plus de concevoir une mise en espace (et donc d'ajouter un discours au contenu des œuvres comme c'est souvent le cas dans les expositions d'art) mais de sélectionner de l'information, comme un responsable de journal, ou plus encore de sélectionner des espaces, des micro-espaces sur le réseau. C'est ce que font un certain nombre de galeries en ligne, de centres spécialisés, de revues (comme Leonardo) mais aussi simplement d'individus. La réputation de ces médiateurs a un effet de validation culturelle des œuvres.

- On peut imaginer, avec le développement du paiement électronique sécurisé et de la rémunération à la consultation ou à la quantité d'informations téléchargées, que certaines institutions puissent jouer un rôle d'agent pour les artistes en gérant leurs œuvres en ligne.

- Les institutions ont également un rôle pédagogique à jouer ainsi qu'un rôle de démocratisation dans l'accès des publics au réseau.

- L'espace physique public (par opposition à l'espace domestique) devient un abri pour les terminaux et les personnes et surtout un espace de socialisation, de rencontres.

 

 

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Annick Bureaud <bureaud@altern.org> - Janvier 1998.

 

 

1. Etat de fait que nous avons pu vérifier sur place lors de nos visites de la Biennale effectuées à des moments différents (au tout début, au milieu et le dernier week-end).

2. FRANKE Herbert, The Latest Developments in Media Art, Leonardo Electronic Almanac, Vol. 4, n° 4, April 1996.
L'attitude de beaucoup de ces nouveaux experts est encore ancrée dans des façons de penser conventionnelles et, même lorsqu'ils sont confrontés avec des images numériques et des séquences vidéo, ils pensent encore en terme "d'original" et de pièces uniques. La possibilité de "reproductibilité illimitée", selon le terme de Walter Benjamin, est une épine dans leur pied. Mais pire encore : beaucoup essaient d'introduire les critères de style de l'art officiel actuel dans les images numériques. Ceci se retrouve dans la sélection des images pour les expositions, les publications, dans les prix remis aux artistes ; cela préside à l'attribution de bourses et de soutiens.
Traduction : Annick Bureaud.

3. Mais quelque part, dans des salles de musées, il y aura toujours des "experts-dinosaures" assis en face d'installations de moniteurs empilés avec des écrans clignotants -après tout, c'est le hardware qui caractérise ces œuvres en tant qu'art. C'est seulement dans le hardware que l'élite du passé sera capable de trouver les originaux et les pièces d'art uniques.
Traduction : Annick Bureaud.

4. cf. HEINICH Nathalie et POLLAK Michael, From Museum Curator to Exhibition Auteur - Inventing a singular position, in Thinking About Exhibition, opus cité.

5. Les termes entre guillements sont extraits des interviews que nous avons réalisées.

6. D'où l'image "d'hopitaux" fréquemment associée à la monstration de l'art électronique dans les musées d'art contemporain.

7. La sémantique de ce texte est particulièrement riche et significative d'une certaine attitude des musées d'art contemporain. Il aurait pu dire "les sculptures sont fragiles, ne pas les toucher" ce qui aurait été une position de responsabilisation et d'implication des visiteurs. Dans sa formulation, il exclut le public "aux mains sales" et implique que même si nous sommes entre personnes "aux mains propres", les œuvres restent intouchables, sauf par les conservateurs du musée.

8. PRINCE Patric, The Aesthetics of Exhibition : A Discussion of Recent American Computer Art Shows, Leonardo, Supplemental Issue, Electronic Art, FISEA Utrecht, 1988.

9. Nous avons entendu plusieurs fois dans la bouche d'artistes : "oh ça, c'est une œuvre que j'ai faite pour la galerie, ils voulaient des objets".

10. http://www.dotcomgallery.com/

11. Voir à ce sujet l'excellent article d'Andrew Pepper, Beyond the Gallery Ghetto publié dans The Creative Holography Index, Volume 2, n° 2, 1994 qui expose les différents exemples.

12. C'est pourquoi des expressions comme "images du futur" ou "images qui dépassent l'imagination" ou "art du futur" s'inscrivent dans une représentation historique et futuriste de l'art mais sont des aberrations conceptuelles.

13. Sources : A Curious Alliance, The Role of Art in a Science Museum, brochure publiée par l'Exploratorium en 1994 et interview de Goery Delacôte, directeur de l'Exploratorium, le 3 août 1995.

14. "Manipulation" et son raccourci "manip" sont des termes constamment utilisés, notamment par Goery Delacôte, pour nommer les installations scientifiques et/ou artistiques de l'Exploratorium.

15. The museum context requires that each work produced by these artists communicates successfully to as large a cross-section of the general public as possible and that each relates in a significant way, to current interests (in A Curious Alliance, the Role of Art in Science Museum).
Le contexte du musée exige que chaque pièce produite par ces artistes soit aussi grand public que possible et que chacune soit en relation significative avec ses centres d'intérêt actuels.
Traduction : Annick Bureaud.

16. Les artistes au sein du programme doivent se conformer à une attitude scientifique en adoptant les méthodes et les protocoles de la science. Ils effectuent leur recherche en développant des hypothèses, en construisant des prototypes et en les testant (in A Curious Alliance, the Role of Art in Science Museum).
Traduction : Annick Bureaud.

17. Le programme AIR a souvent été virtuellement invisible pour certaines personnes du monde de l'art parce que ses œuvres sont "camouflées" en manipulations scientifiques.
Traduction : Annick Bureaud.

18. L'artistique donne un cadre de plaisir, de commentaire culturel ou métaphorique au scientifique.

19. Leonardo Electronic Almanac, Vol. 2, n° 1, January 1994.
Traduction : Annick Bureaud.

20. Références : courrier électronique de Stephen Wilson à Annick Bureaud du 21 avril 1995 ; interview de Stephen Wilson le 1er août 1995 et de Judy Malloy le 2 août 1995.

21. http://www.siggraph.org/

22. Le rappel historique des expositions à SIGGRAPH repose sur deux articles de Patric Prince publiés dans la revue Leonardo :
PRINCE Patric, The Aesthetics of Exhibition : A Discussion of Recent American Computer Art Shows, Leonardo, Supplemental Issue, Electronic Art for FISEA, Utrecht, 1988.
PRINCE Patric, A Brief History of SIGGRAPH Art Exhibitions : Brave New Worlds, Leonardo, Supplemental Issue, Computer Art in Context for ACM SIGGRAPH '89, 1989.

23. Interview avec l'artiste, 5 octobre 1995.

24. A la date où nous écrivons, soit en juillet 1996.

25. Extraits d'interviews. Toutes les citations sont exprimées en français, quelle que soit la langue d'origine de nos interlocuteurs.

26. idem.

27. ibid.

28. D'après nos interviews.

29. Il semble que le public de l'exposition ait été très large dans ses composantes socio-professionnelles et socio-culturelles. Pour l'anecdote, c'est la première fois que nous avons vu des policiers "en tenue", et n'appartenant pas à la sécurité de l'exposition, visiter une telle manifestation.

30. L'ouverture du Centre ne change pas les choses en profondeur. Si l'AEC offre un lieu d'expérimentation largement équipé, il reste trop petit pour les dimensions du festival qui doit s'étendre à d'autres lieux de la ville.

31. Le public local ne fréquente vraiment que certains spectacles et concerts, ou les événements en plein air.

32. Images du Futur a cessé en 1997.

33. D'après les comportements que nous avons pu observer.

34. Comme ce fut le cas pour A-Volve de Christa Sommerer et Laurent Mignonneau, présentée à Linz alors que tous les développements de l'œuvre n'étaient pas terminés.

35. Sources : documents écrits et site Web, Ars Electronica.
Traduction : Annick Bureaud.

36. http://www.aec.at

37. Interview le 18 mai 1995.

38. Interview de B. Serexhe.

39. Sources : documents et brochures ICC.
Traduction : Annick Bureaud.

40. Sources : interview avec Alex Adriaansens le 22 juin 1995, documents écrits et site Web de V2, http://www.v2.nl
Traduction : Annick Bureaud.

41. Interview le 23 juin 1995.

42. Comme en témoignent les déboires financiers à l'été 1996 d'un certain nombre de sociétés spécialisées dans la fourniture d'accès et de services en ligne. Il faut cependant souligner que la politique de l'opérateur français des télécom ne favorise pas un taux d'expansion élevé, ni la politique de la TVA, ni l'attitude des médias et d'un certain nombre d'intellectuels.

43. Angoisse des "read me first" et des "known incompatibilities" ; affres des "reboot" ; saveur d'un vocabulaire abscons qui n'appartient même plus à l'anglais, tant décrié par nos académiciens toujours en retard d'une guerre, mais à "l'informaticien", bien pire, mais que nous utilisons tous, par incantation, feignant d'organiser, par le langage, ce que nous ne comprenons pas ; bataille pour trouver les bons "plugs-in", les rapatrier, les installer de façon à ce qu'ils veuillent bien fonctionner ; délice des "aides en ligne" où un petit malin, à l'autre bout du monde, a trouvé la solution et a la bonté de la partager avec le reste de la planète ; frisson et plaisir du milieu de la nuit quand, enfin, l'œuvre se révèle dans son entière plénitude, et que le "Mac cesse de planter".

44. SHERMAN Tom, The "Finished" Work of Art is a Thing of the Past, Actes du 6ème Symposium des Arts Electroniques, ISEA 95, Montréal.

45. cf. HEIM Michael, The Erotic Ontology of Cyberspace, in BENEDIKT Michael, edited by, Cyberspace, First Steps, Cambridge, MIT Press, 1991.

46. NEGROPONTE Nicholas, L'homme numérique, Paris, Robert Laffont, 1995 (édition originale Being Digital, New York, Alfred A.Knopf, 1995).

47. cf. BENEDIKT Michael, Introduction, in Benedikt Michael, op. cité.

48. NOVAK Marcos, Liquid Architecture in Cyberspace, in Benedikt Michael, op. cité.
"Etre là" est la métaphore clé pour le cyberespace, où tant "être" que "là" sont des variables contrôlées par l'utilisateur.
Traduction : Annick Bureaud.

49. NOVAK Marcos, in Benedikt Michael, op. cité.
Il n'y a pas de corridors dans le cyberespace, seulement des pièces, petites ou grandes. Ces pièces sont représentées par des noeuds dans mon logiciel de navigation. Ces pièces permettent à des utilisateurs différents de partager le même univers ainsi que de se renconter et d'interagir avec les mêmes objets.
Traduction : Annick Bureaud.

50. BISHOP Ann Peterson, SQUIER Joseph, Artists on the Internet, étude réalisée à l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign, communiquée lors de la conférence de l'Internet Society, INET, en 1995 et accessible à : http://www.isoc.org/in95prc/HMP/PAPER/057/abst.html
Tous les artistes interviewés étaient excités par la possibilité qu'offre le réseau de rompre avec ce qui est perçu comme un contrôle élitiste des institutions (que ce soient les musées, le NEA, les agents, les éditeurs et les distributeurs).
Traduction : Annick Bureaud.

51. BISHOP Ann, op. cité.
Le réseau lui-même n'est ouvert actuellement qu'à ceux qui ont des compétences techniques et des ressources financières certaines : l'accès à l'art sur le réseau est encore largement réservé à une élite d'artistes et d'utilisateurs.
Traduction : Annick Bureaud.

52. BISHOP Ann, op. cité.
[les artistes interviewés] reconnaissent qu'ils doivent avoir plus d'expérience avec le medium avant de pouvoir comprendre la subtilité de ses potentiels. Une artiste remarque que le travail qu'elle a montré à @art Gallery avait été originellement créé pour un autre medium. Elle pense que, la prochaine fois, elle saura mieux ce qu'elle doit faire, comme utiliser des images plus petites qui seront plus rapides à télécharger et plus faciles à voir sur l'écran et aussi créer des liens plus spécifiques à la nature et à la thématique de l'œuvre. Un autre artiste note "qu'il n'a pas encore trouvé la bonne forme" ni même "les bons concepts" pour rompre avec l'habitude mentale qui consiste à associer l'art avec des espaces physiques et des objets.
Traduction : Annick Bureaud.

53. Interview avec Judy Malloy le 2 août 1995.

   



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