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ETUDES ET ESSAIS > ART ET TECHNOLOGIE : LA MONSTRATION > SECTION V - PUBLICS
   



SECTION V - PUBLICS


[sommaire général] 

 

I - EXEMPLES

A - Voyages Virtuels
1 - La manifestation

2 - Les conditions de l'étude

3 - Analyse des résultats

4 - Conclusion 

B - Espaces Interactifs - Europe

1 - La manifestation

2 - Les conditions de l'étude

3 - Analyse des résultats

4 - Conclusion 

II - QUEL(S) PUBLIC(S) ?

A - Les différents types de publics 

B - Comportements et attitudes 

III - ACCULTURATION/FORMATION

A - Culture populaire et culture savante 

B - De nouvelles compétences : savoir "lire et écrire" 

IV - MONDIALISATION DU PUBLIC

 

V - CONSEQUENCES POUR LA MONSTRATION

 

* * * * * 

Il est important de savoir de quoi l'on parle (les œuvres), où l'on s'exprime et qui parle (les lieux de la monstration) mais aussi à qui on s'adresse pour analyser toute monstration. L'étude des publics est donc indispensable.

 

I - EXEMPLES [sommaire général] [sommaire section]

Nous avons pu proposer un questionnaire identique destiné au public dans deux manifestations parisiennes : Voyages Virtuels et Espaces Interactifs - Europe. Ces deux exemples, n'ont pas un réelle représentativité, mais ils fournissent des indications intéressantes sur le public français et plus spécifiquement parisien. 

A - VOYAGES VIRTUELS [sommaire section] 

1 - La manifestation

Voyages Virtuels est une manifestation organisée par les Virtualistes (Christine Tréguier et Pascal Schmitt). Elle est entièrement sponsorisée par les Trois Suisses. Elle se déroule sur 4 jours avec un jour et demi pour les professionnels.

Voyages Virtuels porte sur l'exploration et la présentation à un grand public des différentes applications de la réalité virtuelle : artistiques mais aussi médicales, architecturales, ludiques, etc. 

2 - Les conditions de l'étude [sommaire section]

Notre étude a porté sur la seconde édition de Voyages Virtuels qui s'est déroulée en octobre 1995 au Monde de l'Art à Paris. Nous avons proposé le questionnaire uniquement lors des journées grand public, ce qui explique certains de nos résultats, notamment la faible représentation du public professionnel.

Le public a identifié le questionnaire comme étant émis par les organisateurs de la manifestation. 

3 - Analyse des résultats [sommaire section]

Ces chiffres sont à prendre avec précaution dans la mesure où :

- nous n'avons eu que 120 réponses et nous ne savons pas si ces 120 personnes constituent un échantillon représentatif du public de Voyages Virtuels

- le questionnaire n'a été remis qu'au grand public (ce qui était notre objectif)

- Voyages Virtuels n'est pas une manifestation uniquement artistique 

Cependant, ces résultats donnent quelques indications précieuses. 

Age : Il s'agit essentiellement d'un public jeune ce qui s'explique aisément par la nature et le positionnement de l'exposition et par le fait que l'information a été faite principalement par l'intermédiaire du magazine NOVA. Les autres sources d'information ont eu un impact beaucoup plus faible comme en témoignent les réponses. Seulement 18% des personnes ayant répondu sont venues suite à une information télévisée alors que Canal Plus a fait un sujet sur l'exposition dans Nulle Part Ailleurs. La presse écrite représente a contrario 46% des sources d'information et nous savons qu'il s'agit essentiellement de NOVA Magazine. 

Sexe : Plus de femmes que d'hommes, ce qui est plutôt étonnant pour une exposition à connotation technologique. 

Profession : Deux constats :

- une majorité d'étudiants due à l'importance du média d'information principal qui cible une population jeune et urbaine et du partenaire qui inscrit cette exposition dans un circuit d'organisation non culturel. Par ailleurs celui-ci diffuse une information différente de celle des institutions culturelles classiques.

- les professionnels de l'informatique, de la culture et les universitaires sont très peu représentés. Ceci s'explique aussi aisément : les professionnels sont venus massivement lors des journées qui leur ont été consacrées et lors desquelles nous n'avions pas mis de questionnaire. 

Provenance du public : L'essentiel des 120 personnes ayant vu l'exposition vient de Paris et de la Région Parisienne, ce qui correspond au positionnement de la manifestation en tant qu'exposition de proximité, locale. 

Autres expositions similaires vues par le public : Les réponses à cette question fournissent un enseignement intéressant pour la monstration de l'art électronique. On constate en effet que seulement 18% déclarent avoir vu une autre exposition similaire et, dans celles mentionnées, on remarque qu'un très faible pourcentage concerne des expositions artistiques.

L'information "artistique" ne passe pas, n'a pas touché ce public : un an auparavant se tenait Artifices à Saint-Denis qui n'a été vu que par une ou deux personnes ayant répondu à notre questionnaire. On aurait pu s'attendre à un taux de réponse beaucoup plus important citant cette manifestation ou La Revue Virtuelle organisée par le Centre Pompidou. La conclusion est donc claire : malgré un engouement des médias pour tout ce qui touche aux technologies, nous sommes en face d'un public jeune qui n'a pas vu d'exposition d'art électronique, qui est donc assez "vierge" et naïf dans ce domaine. On peut supposer qu'il n'était pas venu pour voir des œuvres mais plutôt pour découvrir une technologie. 

Ces éléments nous laissent penser que le public de l'art électronique est un public de professionnels ou semi-professionnels avertis, et que le grand public (y compris les jeunes) reste à former et à conquérir.

Cela signifie que des efforts particuliers doivent être faits au moins dans deux directions :

- la lisibilité des expositions et leur accompagnement explicatif ;

- la formation des médiateurs entre les organisateurs des expositions et les artistes d'une part et le grand public d'autre part, notamment celle des professeurs et éducateurs et des journalistes. 

Les installations les plus aimées et les moins aimées

- le supermarché virtuel arrive largement en tête

- les pièces à valeur artistique ont des scores très faibles, hormis T-Vision d'Art + Com (Orbitez la Terre). En effet elles recueillent les plus faibles pourcentages d'installations les plus aimées et les plus forts pourcentages d'installations les moins aimées. 

L'analyse de ces résultats nous semble la suivante : d'une part les installations artistiques n'étaient pas des plus remarquables (hormis T-Vision), ou alors mal exposées (exemple : Frontiers of Utopia de Jill Scott qui recueille le plus de réponses "d'installation la moins aimée") ou enfin trop difficiles à comprendre ou à explorer pour un public non averti (exemple : le travail de Jenny Holzer, très conceptuel et difficile d'accès pratique ; l'installation d'Ulrike Gabriel, également très conceptuelle bien que plus spectaculaire).

D'autre part, on constate que le public apprécie les installations ludiques (d'où le succès des jeux) et surtout celles qu'il peut relier à quelque chose de familier, quelque chose de sa vie quotidienne (d'où le score du supermarché ou de T-Vision qui s'inscrit dans une image de la Terre proche de celle de la météo à la télévision). Le public répond donc favorablement aux installations qui relient le virtuel au quotidien, qui l'inscrivent dans un continuum familier et aisément compréhensible tant conceptuellement que comportementalement. Ce qui est rarement le cas des œuvres artistiques. 

Equipement : Les réponses sur l'équipement ont également réservé quelques surprises. Sous réserve qu'elles aient été sincères et non une manière de se "faire valoir", nous constatons :

- la télévision et la chaîne Hi Fi arrivent largement en tête de l'équipement, (même si tout le monde n'a pas la télévision), confirmant en cela le fait que nous ayons à faire à un public jeune pour lequel la musique occupe une place essentielle. A souligner également que la télévision est largement accompagnée d'un magnétoscope, on est donc face à un nouveau type de consommation télévisuelle, ce qui corrobore les études générales. En revanche les caméscopes n'ont pas pénétré ce public jeune.

- un taux élevé d'équipement informatique : 67% ont des ordinateurs et 31% des lecteurs de CD-ROM (le deuxième étant de plus en plus inclus dans le premier). Il est clair que nous avons à faire à la "génération de l'informatique". Mais si celle-ci a franchi le pas de l'équipement, elle n'a pas été jusqu'au bout de ses applications ou de ses implications en matière artistique.

Au final, le taux d'équipement est plus élevé que nous le pensions. Le "blocage" à l'accès à l'art électronique semble donc moins dans des problèmes d'équipements que dans une formation et une information. 

4 - Conclusion [sommaire section]

Tout en conservant présent à l'esprit que l'étude du public de Voyages Virtuels telle que nous avons pu la faire n'est pas représentative de l'ensemble du public de l'art électronique, nous pouvons cependant en tirer trois enseignements pour la monstration de l'art électronique. 

Constats :

- un public largement ignorant qui n'a que peu été exposé à l'art électronique

- d'où un public un peu "perdu" quand des installations de différentes natures lui sont proposées sans trop d'explications et qui apprécie donc plus facilement ce qu'il connaît déjà ;

- des relais d'information déficients sur ce type d'événement ;

- un public relativement bien équipé. 

Enseignements pour la monstration :

- Nécessité d'un effort sur la lisibilité des expositions, donc d'un concept fort et d'une mise en espace adéquate ;

- Nécessité d'un effort sur l'accompagnement informatif et explicatif sans être par trop didactique ;

- Nécessité d'un soin tout particulier à apporter à l'information des publics pour les faire venir dans les expositions ;

- Nécessité d'un travail de formation et d'information des médiateurs qui vont servir de relais auprès des publics. 

B - ESPACES INTERACTIFS - EUROPE [sommaire section]

1 - La manifestation

Organisée par ART-EL, Espaces Interactifs - Europe a été une manifestation ponctuelle. Elle s'est déroulée pendant 5 semaines au Pavillon de Bercy, nouveau lieu d'exposition d'art contemporain de la Ville de Paris.

Elle présentait des œuvres d'artistes européens sur CD-ROM, disquettes et Internet. Ses buts étaient de :

- montrer qu'il existe une véritable création au-delà de l'engouement médiatique pour ces techniques ;

- présenter la création et la culture européennes en la matière ;

- proposer les conditions d'une consultation, et donc d'une information, dans un espace public, d'œuvres destinées plutôt à une consommation dans l'espace domestique ;

- s'adresser à un public le plus large possible. 

2 - Les conditions de l'étude [sommaire section]

En dehors du vernissage, 2180 personnes recensées ont vu la manifestation. Le questionnaire était systématiquement remis à tout visiteur ; 163 l'ont rempli, soit 7,5% du public.

Ici aussi, le taux de retour est trop faible pour être représentatif. En revanche, comme deux des auteurs de ce rapport étaient les organisateurs de la manifestation, nous disposons de leurs observations sur place ainsi que de celles du personnel d'accueil et d'accompagnement. De surcroît, un nombre important de visiteurs ayant répondu au questionnaire a ajouté des commentaires personnels spontanés. 

3 - Analyse des résultats [sommaire section]

Comme pour Voyages Virtuels, cette analyse donne plutôt des indications et des tendances que des résultats statistiques précis.

Age : Il s'agit essentiellement "d'adultes en activité" (tranche d'âge 26 à 45 ans). Ce taux exceptionnel peut s'expliquer par deux éléments. L'information s'est faite par l'intermédiaire de la presse écrite (Le Monde notamment). De nombreux enfants et jeunes sont venus voir la manifestation, certains revenant régulièrement (enfants du voisinage) mais aucun n'a rempli le questionnaire. Apparemment seule la tranche d'âge qui est "habituée à écrire" a répondu.

On constate une forte proportion de personnes dans les tranches d'âge plus élevées. Ceci peut s'expliquer par le contexte de la manifestation : public du Parc de Bercy, personnes à la retraite "suivant" les activités de la Ville de Paris (et notamment lisant le magazine de la Ville). 

Sexe : Les hommes sont légèrement plus nombreux que les femmes (55% contre 45%). C'est un résultat classique dès qu'il s'agit de technologie. 

Profession : Il s'agit majoritairement d'un public appartenant à des catégories socio-professionnelles moyennes ou supérieures, au niveau culturel plutôt élevé. Beaucoup viennent des milieux de la culture, de l'enseignement et de l'informatique avec souvent une double appartenance. On constate une proportion appréciable (12%) de personnes du milieu de l'entreprise. En revanche le public étudiant est relativement faible, seulement 15%.

La représentation socio-professionnelle peut s'expliquer par les sources d'information, essentiellement la presse écrite "savante". Pour ce qui concerne les étudiants plusieurs facteurs entrent en jeu : les médias "jeunes" (journaux, radio, télévision) n'ont pas relayé l'information, il s'agissait d'une mauvaise période pour les écoles d'art et les universités (mai/juin), les enseignants n'ont pas amenés leur classes, l'information à leur endroit n'ayant pu être correctement faite. 

Provenance du public : Le public est très majoritairement parisien. Un faible nombre vient de la région parisienne. Une proportion intéressante (13%) est venue de l'étranger et 15% des personnes n'habitant pas Paris ont fait le déplacement exprès (vraisemblablement des professionnels dans ces deux derniers cas). 

Source d'information : La presse écrite arrive largement en tête, ce qui est normal compte-tenu de la nature de la campagne de presse mise en œuvre par les organisateurs, et des résultats obtenus auprès des différents journaux. Elle est suivie par les "amis ou parents".

Deux enseignements : Les médias portant l'information ont une influence considérable sur la composition du public accueilli. Le bouche à oreille est un relais indispensable pour ce genre d'événement, ce qui suppose une durée minimum des manifestations pour lui laisser le temps d'être effectif. 

Autres expositions similaires vues par le public : La moitié du public ayant répondu a vu des expositions similaires, ce qui est nettement plus que pour Voyages Virtuels. Ces résultats sont cependant logiques. En effet ce public était plus âgé, plus cultivé et avec une plus forte proportion de professionnels de la culture comme en témoignent les réponses mentionnant des manifestations à l'étranger telles ISEA, le ZKM ou Ars Electronica. Par ailleurs, c'est le reflet du plus grand nombre de manifestations organisées sur ces sujets et de l'impact de la Biennale de Lyon, d'Artifices et de la Revue Virtuelle, les plus fréquemment citées.

Il reste que pour la moitié du public ayant répondu il s'agissait d'une première rencontre avec ce type de pratiques artistiques, ce qui confirme l'absence de connaissance y compris auprès d'un public cultivé et la nécessité d'une activité de monstration plus importante dans ces domaines, assortie d'une formation et d'une information. 

Intérêt porté à la manifestation : Plus des deux-tiers des personnes ayant répondu déclarent trouver la manifestation intéressante ou très intéressante et seulement 2% sans intérêt. D'une manière générale, elle a été très bien accueillie, elle a suscité la curiosité et proposé une découverte. 

Les œuvres les plus et les moins aimées : Les personnes mentionnent plus volontiers les œuvres appréciées et seulement 88 (soit la moitié de l'échantillon) indiquent une œuvre "qu'ils n'aiment pas". On constate très peu de rejets. Ils correspondent aux œuvres de poésie et à Sphären der Kunst de Richard Kriesche. Dans le premier cas, cela confirme la difficulté de présenter de la poésie dans des espaces publics sauf s'il s'agit de manifestations consacrées au domaine. Pour le second, l'allemand et la nature très conceptuelle de l'œuvre ont été un handicap.

Parmi les œuvres préférées, Rehearsal of Memory de Graham Harwood arrive largement en tête. Les œuvres "fortes", sur le plan du contenu et/ou de la forme, sont les plus appréciées comme celles dont la forme plastique est plus familière (cas vraisemblablement de Pixelismus). Le score relativement faible recueilli par Die Veteranen peut s'expliquer par deux raisons : d'une part, les enfants et adolescents qui ont manifesté un intérêt très vif pour cette œuvre, n'ont pas répondu au questionnaire, d'autre part, elle s'inscrit dans une forme plus déroutante pour une partie du public. D'apparence simplement ludique, il faut une certaine connaissance de l'art électronique et de l'art interactif pour en apprécier la richesse et la complexité. 

Equipement : La télévision et ses équipements associés (magnétoscopes) est loin d'être présente dans tous les foyers. Le pourcentage est encore plus bas que dans le cas du public de Voyages Virtuels. Seulement 14% (contre 25% à Voyages Virtuels) du public d'Espaces Interactifs - Europe dispose du câble.

On constate un bon taux d'équipement son et informatique (y compris en lecteurs de CD-ROM et accès à Internet). 

4 - Conclusion [sommaire section]

- Le public, quel qu'il soit, est encore peu familier de l'art électronique. Une visiteuse indiquait tout me surprend, je ne sais pas encore ce que je préfère.

- Le public répond de manière positive et apprécie des œuvres assez difficiles. Cette remarque vaut également pour le public jeune. Nous avons constaté que, même après l'exploration extensive de Die Veteranen, ce public s'intéressait encore, avec le même sérieux, aux autres œuvres.

- Des manifestations d'une durée assez longue (minimum 5 semaines) sont plus efficaces car elles permettent au bouche à oreille de fonctionner et au public de revenir.

- Le rôle de la médiatisation (et donc des campagnes de presse et de la sensibilisation des médiateurs) est essentiel et doit être faite avec beaucoup de soins.

- Comme nous l'avons vu par ailleurs, la situation du Pavillon de Bercy a été un atout non prévu, attirant un public qui ne serait jamais venu exprès. 

Conclusion générale :

S'il est impossible de comparer les deux manifestations, on constate cependant quelques tendances lourdes :

- la médiatisation de la manifestation est essentielle et conditionne la nature et les composantes du public.

- la possession d'équipements n'est pas discriminante dans la compréhension des œuvres.

- l'information, la formation et l'accompagnement des publics sont indispensables pour tout type de public. 

 

II - QUEL (S) PUBLIC (S) ? [sommaire général] [sommaire section]

 

A - LES DIFFERENTS TYPES DE PUBLICS

"Il faut montrer l'art électronique là où se trouve son public". Cette remarque, entendue plusieurs fois dans les colloques et conférences spécialisés est intéressante car elle sous-entend qu'il y a UN public de l'art électronique. Quel est-il donc ? Potentiellement les 5 milliards d'individus que compte la planète ? Les jeunes, nés avec ces technologies ? Les adultes ayant une culture scientifique et technique ? Les spécialistes ?

Y a-t-il une catégorie d'individus plus à même de comprendre et d'apprécier ces formes d'art ou bien n'est-ce pas là, comme pour toute autre activité, une simple question de rencontres, de connaissances, d'habitudes culturelles, de familiarisation ?

Plutôt que d'un public, il faut parler de publics.

Les types de publics :

Nous en distinguons 6, répartis entre professionnels et non-professionnels.

- Les professionnels de l'art électronique.

- Les professionnels de l'art : manquent souvent de culture scientifique et technologique et restent, pour certains, encore réticents à accepter l'art électronique autrement que comme un épiphénomène passager.

- Les professionnels de l'informatique : manquent de culture générale et artistique, connaissent bien la "cuisine" mais peu ont une connaissance et une réflexion théoriques et critiques sur leurs disciplines.

- Le public non professionnel, avec une "culture classique".

- Le public non professionnel, avec une "culture technologique".

- Le public non professionnel "non cultivé". 

Chacun de ces publics a des connaissances, des attentes et des besoins différents. La nature des manifestations, les exigences et les lieux de la monstration ne sont pas forcément identiques pour tous. 

La segmentation par âges :

On peut distinguer trois groupes : enfants & adolescents, jeunes adultes et adultes.

Les enfants et adolescents peuvent apparaître comme un public "naturel" et plus "facile"car, nés avec la technologie, ils sont familiarisés ne serait-ce que par les jeux vidéo. Il faut cependant nuancer ce point de vue. La catégorie socio-professionnelle des parents est aussi à prendre en compte, tous les enfants ne sont pas égaux devant l'accès aux nouvelles technologies. Mais savoir utiliser une technologie n'implique pas une connaissance de l'art, ni a fortiori une maîtrise des concepts. L'art électronique est bien souvent aride, loin du ludisme des jeux vidéo. 

Types de publics et segmentation par âges se combinent pour donner des publics variés, fréquentant des lieux culturels différents, avec des niveaux de culture divers. La monstration de l'art électronique, comme de toute autre forme d'art, doit tenir compte de ces éléments. Les expositions d'art électronique reposent sur deux systèmes de valeurs symboliques : le monde de l'art et de la culture, porteur de valeurs humanistes, et d'un autre côté, le monde de la technologie se référant davantage au monde scientifique et technique. 

B - COMPORTEMENTS ET ATTITUDES [sommaire section]

De manière empirique, on constate des attitudes et des comportements récurrents chez les différents publics, quels que soient les pays et les cultures d'origine. 

Ouverture et curiosité : à partir du moment où on a réussi à faire venir le public, il manifeste de l'intérêt mêlé de curiosité et de questionnements. Contrairement à l'art contemporain traditionnel, il y a peu de rejets violents de l'art électronique. La détérioration porte sur le vol d'équipements qui nous semble être moins vécu comme le vandalisme d'une œuvre que comme l'acquisition à bon compte de matériels "disponibles". Le bris de matériel est le plus souvent dû à sa fragilité, dans le cas de manipulations intensives, qu'à une volonté délibérée de détruire. 

Les "biais" culturels : les adultes professionnels et amateurs d'art comme d'informatique sont déjà structurés intellectuellement. Ils appréhendent l'art électronique par le biais de leur compétence. Les professionnels de l'art sont les plus critiques et les plus enclins à dénigrer les œuvres. 

Peurs et inhibitions : il est évident que nombre d'installations interactives qui impliquent une "exhibition" corporelle peuvent être inhibantes 1, notamment pour un public adulte et dans des sociétés (ou des catégories sociales) où il est malvenu de se "donner en spectacle". Ces œuvres, en rupture avec l'idée d'une contemplation respectueuse de l'art, en sont d'autant plus perturbantes.

La peur de la technologie -peur de ne pas comprendre, de ne pas savoir manipuler- ainsi que la crainte de s'ennuyer parce que les écrans ressemblent à ceux du travail quotidien sont les attitudes les plus faciles à modifier par un accompagnement pédagogique et d'accueil des publics. 

La "frénésie" de l'interactivité : Mary Anne Farah faisait remarquer 2que les expositions d'art interactif prenaient parfois l'allure de salles de jeux d'arcade. On observe aussi que certains publics "touchent frénétiquement tous les boutons" jusqu'à ce qu'ils estiment avoir "compris comment ça marche" avant de passer à une autre installation et de répéter le processus. L'artiste Mogens Jacobsen écrivait à propos de son expérience à ISEA 95 à Montréal : There I exhibited the installation The Entropy Machine. During my stay in Montreal, I realised that exhibiting this work was difficult. The words "interactive computer-based art" have come to mean interacting with a work using mouse, keyboard, dataglove, etc ; and getting an instant feedback. My viewers kept trying to find hidden buttons to push, not knowing that their mere presence was sufficient. And not knowing their interaction actually changed the work in a very subdued and slow way. But will interactive works have to end as cultural video-games ? And exhibitions as game-arcades ? 3 

Mary Anne Farah et Mogens Jacobsen soulèvent une question essentielle. L'aspect salle de jeux d'arcade peut être résolu par la mise en espace des œuvres (personne n'a jamais pris Artifices pour une salle de jeux). La frénésie de l'action passe par une meilleure connaissance de ce type d'œuvres pour aller vers une appréhension plus profonde des contenus, au-delà de la compréhension immédiate du "comment ça marche". Ceci ne peut se faire que par une formation et une acculturation progressive des publics. 

 

III - ACCULTURATION/FORMATION [sommaire général] [sommaire section]

L'art électronique, en empruntant aux différents registres de la société (jeu, art, science, technologie), redéfinit les frontières entre culture savante et culture populaire. L'une n'est plus exclusive de l'autre, ce qui ne veut pas dire que la "lecture" ou la compréhension des œuvres est plus facile mais qu'elle met en branle de nouvelles compétences, de nouveaux savoirs, croisés. 

A - CULTURE POPULAIRE ET CULTURE SAVANTE [sommaire section]

La culture "savante" est la seule valorisée dans notre société, la culture populaire n'y est digne d'intérêt que passée, quand elle peut faire l'objet de thèses et d'analyses relevant de la culture d'élite. Dans le même temps, l'art électronique "savant" n'est pas réellement reconnu par le milieu de l'art et donc, d'une certaine façon, son caractère d'art ou de culture digne d'intérêt lui est dénié, par sa relégation à une "gadgétisation". Cependant, la différence entre "savant" et "populaire" dans l'art électronique est parfois floue et une même œuvre peut appartenir aux deux registres. 

Dire que les instruments de l'art électronique sont ceux du quotidien ne suffit pas. Le point important est que l'art électronique repose sur une techno-culture en train de modifier notre "être au monde", les rapports sociaux, l'organisation politique, sociale et culturelle et que, dans cette réorganisation, la perméabilité entre culture populaire et culture savante est symptomatique. On la retrouve à quatre niveaux : 

* L'art électronique savant reprend les signes de la culture populaire et les intègre dans une critique, ou plus simplement comme élément formel d'une culture partagée. Les jeux vidéo en constituent une base et un réservoir inépuisable :

- instrumental : reprise des interfaces classiques comme le joystick.

- logique : l'œuvre est construite comme un jeu. Exemples : Fruit Machine d'Agnes Hegedüs qui recourt à l'aspect ludique pour faire passer une situation de tension ; Utopia de Max Almy qui se sert de la violence symbolique de certains jeux pour dénoncer la violence réelle de la société américaine et des jeux eux-mêmes, All New Gen de VNS Matrix, bâti comme un jeu vidéo pour dénoncer de manière humoristique et ironique le machisme et les clichés technologiques.

- esthétique : le langage visuel, iconique, est repris, soit simplement comme code culturel partagé mais pour exprimer un autre type de message comme avec Idea-ON>! de Troy Innocent ou Dazzeloids de Rodney Alan Greenblat ; soit dans une critique même de ce code comme avec All New Gens de VNS Matrix.

Plus largement, la cyberculture telle que définie dans la science-fiction (Gibson, Sterling), les bandes dessinées et "zines" (voir le film Tank Girl), ou encore dans le magazine Wired, constitue un point d'ancrage fort. 

* La culture populaire reprend des éléments de la culture savante

L'écriture audiovisuelle contemporaine est issue d'expérimentations dans la culture savante (tout le travail de la vidéo, du cinéma expérimental pour ne mentionner que cela). Il est frappant de constater que l'audiovisuel commercial a intégré, développé et popularisé ces formes d'écriture visuelle, par exemple dans les génériques de MTV, les clips vidéo, ou encore une série télévisée comme New York Police Blues, etc. 

* Déplacement de la culture savante dans ses instruments d'expression. Ainsi les danseurs et chorégraphes Nicole et Norbert Corsino ne se produisent plus sur scène mais utilisent la vidéo et les programmes informatiques de danse pour créer leurs œuvres, qui ne sont pas tout à fait de la vidéo-danse, mais certainement plus du spectacle vivant ni une documentation sur une performance comme la vidéo a pu l'être dans les années 60. 

* La création ne réside pas forcément uniquement dans la culture savante.

Dans le cas de l'image de synthèse, il existe deux catégories de créateurs et de créations : la création "noble", artistique et la création commerciale. Dans ce domaine, les travaux les plus intéressants ne sont pas forcément dans la catégorie artistique. Ainsi les vidéo-clips largement diffusés sur MTV et autres chaînes musicales sont bien souvent plus consistants que nombre d'œuvres présentées dans des festivals artistiques (exemple les clips de Peter Gabriel). Il en est de même pour certains effets spéciaux comme ceux de Terminator 2, film pourtant considéré comme sans intérêt par nombre d'intellectuels.

Ceci ne veut pas dire qu'il n'y a pas de créateurs en image de synthèse dans le monde de l'art stricto sensu (Exemples : Tamas Walicsky, Peter Callas ou Michaèl Gaumnitz) mais simplement qu'il est nécessaire de prendre en compte non seulement la création "artistique" mais aussi la création "commerciale", sans a priori.

Il faudrait également considérer tout le champ des jeux vidéos et informatiques non plus comme des sources reprises par l'art savant mais comme une écriture et une esthétique à part entière. A cet égard, Frank Popper avait intégré ces jeux (alors bien simplistes et balbutiants) dans sa réflexion pour l'exposition Electra qu'il a réalisée au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 1983. Il écrit : Bien qu'elles n'aient pas encore été reconnues comme œuvres d'art, ces activités [les jeux] n'en symbolisent pas moins l'entrée de l'art dans un nouveau statut. On doit également tenir compte de ce que les jeux sur micro-ordinateurs invitent rigoureusement les joueurs à devenir eux-mêmes inventeurs, créateurs, artistes, contribuant ainsi à abolir les frontières toutes artificielles entre créateurs, techniciens et joueurs 4 . 

Nous ne suivrons peut-être pas Frank Popper dans l'intégralité de son raisonnement, cependant, de manière apparemment anodine, cette perméabilité de la culture populaire et de la culture savante, bouleverse ce que nous avions l'habitude d'appeler "art" et renforce le processus de dissolution des disciplines artistiques : sculpture, peinture, musique…

Plus largement, la culture populaire a influencé dans sa terminologie mais aussi dans ses directions de recherche tout un pan de la culture savante et réciproquement. 

B - DE NOUVELLES COMPETENCES : SAVOIR "LIRE ET ECRIRE" [sommaire section]

Appréhender une œuvre d'art requiert de la part de l'artiste et de son public le partage d'une même culture et de mêmes compétences 5 La culture est le contexte de l'œuvre, elle permet au public de "savoir lire". Pendant des siècles elle reposa sur le catholicisme ou les valeurs judéo-chrétiennes. L'art contemporain classique, largement auto-référencé, a introduit une première rupture dans la lecture des œuvres, ouvrant un fossé plus grand entre art d'élite et art de masse. Seuls les gens cultivés, initiés ont une chance de décrypter cet art dans toutes ses composantes et il reste hermétique à une grande partie de la population non éduquée. Dans un premier temps, l'art électronique renoue avec un contexte culturel partagé, quotidien, celui de la société technologique, qui rend les œuvres compréhensibles par tous, au moins à un premier degré (ne serait-ce que par l'aspect ludique que beaucoup d'entre elles contiennent).

En s'inscrivant dans une culture artistique mais aussi technique et scientifique, l'art électronique engendre en revanche une nouvelle rupture contextuelle qui transcende la coupure art savant/art populaire antérieure.

Le public, qu'il appartienne aux couches cultivées ou incultes, se retrouve donc largement démuni dès qu'il s'agit d'une perception plus fine des œuvres. Ce qui entraîne des comportements de rejet pour certaines œuvres dont il ne comprend pas la signification ou, à l'inverse, une fascination technologique.

Par ailleurs, comme le note Simon Penny, not only are understandings about the dynamics of the interactive experience very limited among artists, but the "techniques of the user" are non-existent. What results is a crisis of meanings : the work cannot "mean" because the user doesn't speak the language 6.

Depuis des millénaires nous avons l'habitude de percevoir et de décrypter des images (qu'elles soient religieuses ou laïques). L'art électronique exige l'apprentissage de nouvelles compétences, de "parler la langue". Devenir un "lettré" en ce domaine va au-delà de la manipulation d'une interface d'ordinateur. Il s'agit de saisir la logique des œuvres électroniques et la nouvelle place de l'image. Par exemple, lors de l'exposition Espaces Interactifs - Europe, une journaliste faisait remarquer qu'il y avait beaucoup de textes dans ces œuvres et que l'image n'était pas assez travaillée sans comprendre que le texte était partie intégrante de l'œuvre et que l'image n'était qu'une composante. L'essentiel résidait dans l'interactivité, dans la façon dont elle créait du sens, dans la relation forme/contenu de l'œuvre. En outre, certaines œuvres, notamment sur le réseau, demandent de connaître un minimum d'informatique, de traitement de l'image et du son si l'on veut non seulement les voir mais aussi participer au processus mis en place par l'artiste (voir supra, section III, Espace domestique). Avec l'art électronique il faut non seulement comprendre le contexte de l'œuvre ("savoir lire") mais aussi en partie "savoir écrire" ce qui n'était pas le cas pour l'art traditionnel. 

 

IV - MONDIALISATION DU PUBLIC [sommaire général] [sommaire section]

L'art électronique est toujours créé dans un contexte culturel particulier et, pour l'observateur attentif, les œuvres d'artistes d'origine différente présentent des thèmes, des formes et des contenus également différents par delà la personnalité du créateur. En d'autres termes, la diversité culturelle est préservée.

Cependant, cette création s'inscrit dans un processus de mondialisation. Les techniques sont identiques. Quels que soient les pays, la techno-culture transcende les états-nations et les cultures locales, devenant une méta-culture trans-nationale. Le corpus d'œuvres circule dans les diverses manifestations dans le monde entier de manière encore plus systématique que dans l'art contemporain traditionnel.

Pour les manifestations organisées dans le monde physique, le public reste local mais il ne peut appréhender un certain nombre d'œuvres sans avoir une connaissance du contexte général (la techno-culture) et du contexte culturel de l'artiste. 

Dans le cas d'Internet, la question est d'autant plus aiguè que l'œuvre est créée à l'échelle mondiale et vue simultanément dans les environnements locaux différents. La seule étude sur le public de l'art en ligne dont nous disposons a été réalisée en mars 1995 par Ann Peterson Bishop sous la direction de Joseph Squier à l'université de l'Illinois à Urbana-Champaign 7. Elle a porté sur une galerie traditionnelle ayant ouvert un site Web, une galerie numérique (@art Gallery 8 ) créée à l'université de l'Illinois par Squier et ses collègues et par le site de Squier où il présente une création spécifique au réseau 9.

76% de ceux qui ont répondu à l'enquête étaient des hommes. Presque la moitié avait plus de 35 ans. Un cinquième était des artistes et une bonne proportion venait de la communauté de l'enseignement. Les autres montraient une grande diversité professionnelle : zoologiste, ingénieur, milieu des affaires, programmeur, bibliothécaire, historien d'art, écrivain, courtier, physicien, infirmière, avocat, musicien. 70% étaient des utilisateurs quotidiens du réseau et si près de la moitié était des utilisateurs expérimentés, un pourcentage équivalent n'était en ligne que depuis moins de 6 mois.

D'après l'étude, il s'avère que beaucoup surfent sur le réseau dans un but de distraction. 76% de ceux qui ont répondu ont indiqué que c'était la première fois qu'ils venaient sur la galerie concernée mais 12% venaient pour la troisième fois. Un tiers disait surfer sur le réseau à la recherche d'art mais un nombre conséquent semblait être venu parce qu'on lui avait indiqué le site. Plus qu'un but éducatif, la distraction et l'appréciation personnelle de l'art semblaient être la motivation de la visite. Mais cette situation ne diffère peut-être en rien de la visite à un musée traditionnel où beaucoup de gens vont également pour la distraction et grapillent de l'information de-ci de-là, à travers les expositions.

La majorité de ceux qui ont répondu (71%) indiquent aller voir une exposition d'art en ligne chaque semaine et plusieurs fois par an dans les galeries et musées traditionnels. Internet permettrait donc d'accroître l'accès à l'art pour des gens qui n'iraient pas ou moins autrement [et nous rajoutons : il s'agit d'un public qui fréquente apparemment déjà les lieux de l'art, Internet permettrait d'accroître la consommation de ceux qui ont déjà une pratique en la matière].

Les trois quart des visites viennent des Etats-Unis 10. Chaque galerie reçoit des visites de plus de 50 domaines non américains. Les pays anglophones arrivent en premier, suivis par l'Europe du nord et les pays industrialisés en général. 

En un an le nombre et la nature des œuvres sur le réseau ainsi que le nombre de connectés ont considérablement évolué. Au fur et à mesure qu'artistes et publics maîtrisent mieux le medium, de nouveaux comportements et habitudes de création et de "consommation" émergent et de nouveaux publics apparaissent. Gageons cependant que pour quelque temps encore, le public de l'art sur Internet sera majoritairement masculin ; probablement un peu plus jeune que celui représenté par l'étude de l'UIUC ; pour une grande part issu de la communauté artistique et enseignante ; majoritairement américain (mais probablement dans une plus faible proportion) mais proviendra toujours des pays industrialisés ; il viendra toujours à parts égales : par hasard, à la recherche d'un site précis, en surfant à la recherche "d'art sur le réseau" ; et aura une pratique régulière du réseau. 

 

V - CONSEQUENCES POUR LA MONSTRATION [sommaire général] [sommaire section]

 Médiatisation : définir son ou ses publics est la première condition. Certains lieux, comme des musées, ont déjà un public habituel. Mais faire venir le public, et surtout celui que l'on cible, à une manifestation nécessite une politique de communication précise. Nous avons vu à travers les deux exemples analysés le rôle de la presse (NOVA Magazine pour l'un et Le Monde pour l'autre) dans la nature du public présent. La presse artistique ne s'ouvre que depuis peu en France à ces pratiques artistiques ; l'audiovisuel préfère les "coups" médiatiques, spectaculaires ; la presse généraliste ne sait pas toujours où caser les articles (dans la rubrique art, société ou communication…). Il existe aussi d'autres relais que la presse. D'une manière générale, aucun n'est facile à atteindre et des actions de sensibilisation et de formation doivent être mises en œuvre pour les toucher.

Formation-information :

- un personnel d'accueil et d'accompagnement compétent doit être présent sur place. Il ne s'agit plus d'avoir de simples gardiens qui surveillent mais des individus capables d'expliquer, de commenter les œuvres.

- l'information dans l'espace des œuvres aujourd'hui se heurte à deux écueils : trop d'information sur les cartels qui induisent une perception de l'œuvre a priori sans laisser la part d'expérience, de découverte et de jugement personnel ; information lapidaire (nom de l'artiste et titre de l'œuvre) ou technique (équipements sur lesquels l'œuvre a été créée) qui ne donne au final aucune indication sur l'œuvre elle-même. Entre le "mode d'emploi" et le simple titre, la marge de manœuvre est délicate. La solution du "petit journal" fourni gratuitement est intéressante, échelon intermédiaire entre le catalogue (souvent cher) et le cartel trop succinct.

- l'accompagnement des manifestations par des conférences. L'exemple de la Revue Virtuelle, comme des soirées Imagina au Carré Seita, semblent largement probant.

- la monstration sur le réseau dans des espaces publics implique un accompagnement plus important du public, et dans une certaine mesure et pour un temps au moins, des actions associées, sous forme d'ateliers par exemple. 

Dans tous les cas, une grande partie de l'acculturation des publics échappe à ceux qui organisent la monstration et relève de l'enseignement et d'une politique de l'éducation, de politiques culturelles plus larges, de politiques industrielle et commerciale, de l'attitude des médias et aussi de celle des intellectuels qui s'y expriment.

 

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Annick Bureaud <bureaud@altern.org> - Janvier 1998.

 

 

 

1 - Par exemple l'installation Nord versus Sud de Piero Gilardi, présentée à Artifices 2 en 1992, impliquait que l'on se déchausse et que l'on se couche sur une plate-forme sur laquelle étaient figurés les continents.

2 - FARAH Mary Anne, Feature article, Leonardo Electronic Almanac, Volume 3, n° 10, October 1995.

3 - J'y ai exposé l'installation The Entropy Machine. Pendant mon séjour à Montréal, j'ai réalisé combien il était difficile d'exposer ce travail. Par l'expression "art interactif" on entend de plus en plus l'interaction avec une œuvre par le biais d'une souris, d'un clavier, d'un gant de données, etc. avec l'obtention d'une réponse immédiate. Les spectateurs de mon installation s'évertuaient à chercher des boutons cachés à pousser, ne sachant pas que leur présence même suffisait. Et ne sachant pas qu'en fait leur interaction changeait la pièce d'une manière douce et lente. Mais est-ce que les œuvres interactives doivent finir en jeux vidéo culturels ? Et les expositions en salles de jeux d'arcade ?

Correspondance privée avec l'artiste du 15 octobre 1995.

Traduction : Annick Bureaud.

 

4 - POPPER Frank, Electra, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1983.

5 - Cf. SQUIER Joseph, GOGGIN Nan, CHMELEWSKI Kathleen, Electronic Culture and the Training of the 21st Century Artist, in Speculations in Art Education, Vol. 1, n° 1, Fall 1994.

6 - PENNY Simon, From A to D and back again : the Emerging Aesthetics of Interactive Art, in Leonardo Electronic Almanac, Vol. 4, n° 4, April 1996.

Non seulement la compréhension de la dynamique de l'expérience interactive est limitée parmi les artistes mais "la technique des utilisateurs" est inexistante. Il en résulte une crise du sens : l'œuvre ne peut rien "signifier" car l'utilisateur n'en parle pas la langue.

Traduction : Annick Bureaud.

 

7 - BISHOP Ann, op. cité.

Traduction : Annick Bureaud.

 

8 - http://gertrude.art.uiuc.edu/@art/gallery.html

9 - The Place, http://gertrude.art.uiuc.ludgate/the/place.html

10 - Mais les domaines comme org, net, etc. qui ne permettent pas d'identifier le pays n'ont pas été pris en compte.

   



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