Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, p. 116
Ecouter c'est rechercher dans les indices du son sa provenance possible (la causalité) ; ouïr c'est écouter le son sans se poser de question ; entendre c'est pratiquer l'écoute réduite ; comprendre c'est percevoir la signification des sons (langage ou musique). Ces 4 écoutes sont présentent chez le chercheur mais celui-ci laisse une ou plusieurs attitudes prédominer les autres.
La recherche musicale 2 : L'objet sonore et son solfège
L'objet d'observation de l'écoute réduite n'est plus le son tel qu'on le connaissait auparavant, il convient donc de l'en différencier. Pierre Schaeffer le nommera objet sonore. Ce dernier deviendra le centre de la recherche musicale et de la constitution d'un solfège de l'objet sonore. Le chercheur commence par classer les objets sonores principalement en fonction de leur spectre et de leur évolution temporelle dans une typologie. Puis il analyse plus en profondeur l'objet sonore en le décrivant : Pierre Schaeffer donne, dans le Traité des objets musicaux, 7 critères de valeurs :
1) la masse : organisation du son dans la dimension spectrale ;
2) la dynamique : description de l'intensité des différentes composantes du son ;
3) le timbre harmonique : qualités particulières et "couleur" du son ;
4) le profil mélodique : évolution temporelle du spectre global du son ;
5) le profil de masse : évolution temporelle des composantes spectrales internes du son ;
6) le grain : analyse des irrégularités de surface du son ;
7) l'allure : analyse des vibratos (de hauteur et de dynamique) du son.
Ces critères contiennent chacun un certain nombre d'éléments répartis en types, classes, genres et espèces et formant une cinquantaines de points de description morphologique.
Une théorie sur la communication des mass média
Pierre Schaeffer commence à réfléchir sur les nouvelles relations entre les acteurs des nouveaux médias dès les années 1960. Il publie en 1970 le premier tome d'une série de trois ouvrages : Les machines à communiquer.
Il montre que la simplification des relations humaines dans les mass média ne peut plus être cantonnée à une relation entre l'émetteur et le récepteur. Il résume ses positions dans le triangle de la communication :
La relation entre l'auteur et le public passe désormais par un intermédiaire : le producteur. Celui-ci joue le rôle de médiateur et est en relation avec, d'une part le groupe de programmation et d'autre part, le pouvoir politique (les milieux autorisés). Ce triangle se double donc d'un second triangle inversé révélant les relations complexes entre les 5 groupes de protagonistes :
Ce carré peut-être découpé en 4 petits triangles (les 4 zones) mais aussi en 2 grands triangles (milieu autorisé-public-auteur d'une part et milieu du programmateur-auteur-public d'autre part) ou en deux carrés révélant les milieux de la compétence et de pouvoir. Il ne faut pas négliger non plus les deux diagonales (milieu autorisé-médiateur-public et milieu du programmateur-médiateur-auteur) orientant des aller retour entre le pouvoir et le public et entre la programmation et l'auteur.
Le développement fulgurant de la radio et de la télévision depuis les années 1960 pousse Pierre Schaeffer à énoncer une équation qui ne cessera de se révéler exacte :
création x diffusion = constante
ou la multiplication des radios et des chaînes de télévision entraîne inévitablement un nivellement de la production. La baisse constante de qualité des émissions de radio et de télévision sont particulièrement révélatices des enjeux économiques et politiques qui gouvernent la production. Pierre Schaeffer n'a eu de cesse de les dénoncer, a-t-il seulement été entendu ?
L'ingénieur au service de la musique
Pierre Schaeffer, dans le Studio d'Essai puis les studios du G.R.M.C. et du G.R.M., saura s'entourer d'habiles techniciens. Il suscitera la réalisation de diverses machines :
1) les phonogènes (à coulisse, à clavier et universel) : magnétophones à variateur de vitesse conçus et réalisés avec Jacques Poullin en 1951. Le phonogène à clavier permet une transposition chromatique du son, le phonogène à coulisse une transposition linéaire (glissando) et le phonogène universel réalise des transposition sans changer la durée du son ;
2) le morphophone : système d'écho réalisé avec une bande lue par douze têtes de lecture. Réalisé dans les années 60 par Abraham Moles et Jacques Poullin ;
3) le portique potentiométrique de relief (1951) conçu par Jacques Poullin et permettant de redistribuer lors du concert les différentes masses sonores sur quatre haut-parleurs ;
4) la console du studio 54 conçue et réalisée par Henri Chiarucci et Francis Coupigny et opérationnelle en 1970. Elle est constituée d'une vingtaine de modules de génération et de manipulation électronique entièrement interconnectables entre eux (générateurs de son, filtres, modulateurs de forme, modulateur en anneaux, détecteur d'enveloppe, etc.).