La pensée de Henry Cowell
Elle est, pour l'essentiel, contenue dans le livre New
Musical
Resources, publié en 1930 à New York. D'autres écrits, ainsi qu'une
correspondance fournie, donne d'autres éléments de réflexion sur
l'évolution de la pensée du compositeur mais on peut dire que
l'essentiel s'y trouve, bien qu'il soit parfois compliqué d'en
démêler les idées dont la paternité revient à Charles Seeger. On peut
en donner les principaux axes :
1 - La continuité entre vibrations rythmiques et vibrations sonores.
Ce point semble issu de la doctrine théosophique plaidant pour un monde
unitaire et composé de vibrations mais il semble davantage du à la
pensée positiviste de Seeger : "La musique est basée sur, et
conditionnée par les lois physiques des ondes sonores. Ces lois
dévoilent que les sons physiques ont une relation entre chacun
d'eux qui est mesurable par les mathématiques." (NMR, p.3)
Néanmoins, en 1917, le fils de John Varian, Russell Varian, écrit à
Cowell : "Mon idée est d'introduire les mêmes rapports numériques entre
un groupe de rythmes que ce qui existerait en tre les notes d'un
accord."
2 - La
légitimité de la dissonance : le contrepoint dissonant, la
polyharmonie, les clusters.
En se basant sur l'explication classique des sons résultants pour la
fabrication du mode mineur, Cowell en déduit la possibilité de la
polyharmonie (superposition d'accords caractéristiques de tonalités
différentes).
Certains harmoniques présentent des intervalles inférieurs au demi-ton
: ce sera la justification pour l'emploi des micro-intervalles.
Le constat que le contrepoint a stoppé son évolution, à l'exception
notable de Schönberg, invite le compositeur à présenter la théorie du
Contrepoint dissonant :
"Abordons, toutefois,
la
question de savoir ce qui résulterait si nous nous mettions à décaler
franchement le centre de gravité musicale depuis la consonance, au bord
de laquelle il est resté longtemps attaché, vers la dissonance
apparente, au bord de laquelle il repose aujourd'hui. La différence ne
serait pas, pas plus que dans l'art de Bach, une affaire de proportion
numérique entre effets consonants et dissonants, mais plutôt une base
dissonante essentielle, la consonance semblant alors reposer sur la
dissonance pour la résolution. Une étude révélerait, en fait, que
toutes les règles de Bach sembleraient avoir été inversées, non pour
produire le chaos à la place mais pour leur substituer un nouvel ordre.
Le premier et le dernier accord ne seraient plus consonants mais
dissonants : et bien que des accords consonants fussent admis, il
apparaîtrait que des conditions leur fussent appliquées à leur tour,
sur la base de la légitimité essentielle des dissonances comme
intervalles indépendants. Dans ce système, septièmes majeures et
secondes mineures seraient les intervalles fondateurs ; secondes
majeures et neuvièmes, quintes diminuées, et septièmes mineures
seraient utilisées comme alternatives ; toutes les tierces, quartes,
quintes et sixtes seraient admises comme notes de passages ou
auxilliaires. Les octaves seraient si nettement exclues des intervalles
fondamentaux dans un tel système qu'elles sonneraient probablement
creux et ne seraient pas utilisées excepté dans de rares
circonstances." (NMR, p.38-39)
"Let us, however, meet the question of what would
result if we were frankly to shift the center of musical gravity from
consonance, on the edge of which it has long been poised, to seeming
dissonance, on the edge of which it now rests. The difference might not
be, any more than in Bach’s practice, a matter of numerical proportion
between consonant and dissonant effects, but rather an essential
dissonant basis, the conso(39)nance being felt to rely on dissonance
for resolution. An examination in fact would reveal that all the rules
of Bach would seem to have been reversed, not with the result of
substituting chaos, but with that of substituting a new order. The
first and last chords would be now not consonant, but dissonant ; and
although consonant chords were admitted, it would be found that
conditions were in turn applied to them, on the basis of the essential
legitimacy of dissonnances as independant intervals. In this system,
major sevenths and minor seconds would be the foundation intervals ;
major seconds and ninths, diminished fifth, and minor sevenths might be
used as alternatives ; all thirds, fourths, fifths, an sixths would
only be permitted as passing or auxiliary notes. Octaves would be so
far removed from the fundamental intervals in such a system that they
would probably sound inconsistent and might not be used except in the
rarest circumstances. »(NMR, p.38-39)
3 - La recherche de la diversité du son musical
C'est une constante dans la vie du compositeur qui ira jusqu'à tenter
une typologie des sons disponibles dans une maison à partir
d'ustensiles usuels à la place d'instruments de musique.
4 - L'invention d'instruments comme source d'invention musicale.
Cette idée est en partie due à l'imagination fertile de John Varian qui
travailla
pendant plusieurs années autour de 1916 à la réalisation d'une harpe
couplée au clavier d'un piano. Varian imagina d'ailleurs divers
dispositifs couplés à un clavier de piano et c'est avec son fils,
Russell Varian, que Cowell aborda pour la première fois, toujours en
1916, la possibilité de croiser des rythmes complexes à l'aide d'une
machine.
On peut
ajouter à ces quatre aspects un extraordinaire pragmatisme
quant à mener
la tâche qu'il s'est fixé : parmi les nombreuses sociétés musicales qui
naissent dans les années 1920, New Music est une des plus pérennes mais
aussi la seule qui propose, trimestriellement, une partition inédite à
ses abonnés, ainsi que des publications régulières d'oeuvres pour
orchestre.
© Nicolas Viel & Leonardo/Olats, septembre 2007
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