1898 : Naissance de sa première fille, Rimma (1898-1905). Scriabine pose sa candidature au Conservatoire de Moscou, et obtient le poste de professeur de piano.
Troisième sonate op.23. : Cette sonate porte le sous-titre Etats d'âme, et, selon Boris de Schloezer, " cette sonate nous livre la structure psychologique et spirituelle de toutes les sonates que Scriabine écrira plus tard. Structure qui se ramène à un drame aboutissant à travers des péripéties à l'affirmation d'une libre volonté 3. "
Rêverie op.24 pour orchestre : délicatesse de thèmes tendres évoquant sa jeune famille.
1900 : Naissance d'Elena Alexandrovna
En juillet, Scriabine visite à Paris l'Exposition universelle. Il y voit le Palais de l'électricité, construction de verreries et de miroirs éclairée par douze mille lampes.
En septembre, il est nommé inspecteur de la musique à l'institut Sainte-Catherine de Moscou.
Il devient également membre de la Société de philosophie Présidée par Sergueï Troubetzkoï. Il lit alors énormément les philosophes grecs antiques, la philosophie allemande, Ludwig Feuerbach, des commentateurs de Kant.
Première symphonie pour mezzo-soprano, tenor, chœur mixte et orchestre, op.26 : pièce exaltée, comportant un Hymne à l'Art, peu reconnue à l'époque.
1901 : Naissance de Maria.
Symphonie n°2, op.29. D'influence wagnérienne, elle est jouée en janvier 1912 à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou en avril, à chaque fois sous une pluie de sifflets et de cris. On lui reproche le plus souvent des dissonances acides et maladives.
1902 : Naissance de Lev (1902-1910).
Scriabine, lassé des jalousies et attaques perfides, démissionne du Conservatoire.
1903 : Sonate n°4, op.30, Préludes pour piano, op.31, op.33, op.35, op.37, op.39.
Poème satanique pour piano, op.36, en référence à Liszt.
Symphonie n°3, ou Poème divin, pour orchestre, op.43 : symphonie aux accents wagnériens dont le programme montre l'évolution ou plutôt la libération de l'esprit humain, l'émergence d'un " surhomme " nietzschéen, créée en mai 1905 au théâtre du Châtelet à Paris avec un accueil mitigé.
Rencontre avec son élève Tatiana de Schloezer.
Décès de Belaïev : désormais, les éditions Belaïev, dirigées par Rimsky-Korsakov, Glazounov et Liadov, soutiendront beaucoup moins Scriabine.
Son élève Margarita Morozova, une très grande admiratrice, lui restera fidèle de très longues années et saura l'aider financièrement à de multiples reprises.
1904 : Assiste au Congrès international de philosophie de Genève, avec notamment la conférence de Henri Bergson (Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique), et celle du professeur Flournoy sur le Panpsychisme.
A partir de 1904 : Tient un journal, un carnet où il note toutes ses idées et ses impressions, réflexions musicales, métaphysiques, et visions poétiques à la recherche de la Vérité du monde.
1905 : Il quitte sa femme pour Tatiana ; grossesse de Tatiana. Vera refusera de divorcer.
Décès de la petite Rimma.
Alexandre et Tatiana s'installent à Bogliasco, sur la Riviera italienne.
Véra est nommée professeur de piano au Conservatoire de Moscou.
Naissance d'Ariane en octobre.
En décembre, le jury de la fondation Glinka, composé de Rimsky-Korsakov, Glazounov et Liadov, décerne le premier prix de 1000 roubles pour sa 2° Symphonie.
Rencontre et amitié avec Gueorgueï Valentinovitch Plékhanov (1856-1918), fondateur de la social-démocratie en Russie, défenseur du marxisme russe et premier traducteur de Marx.
Découverte de la théosophie et de sa fondatrice, Helena Blavatsky.
1906 : Installation à Servette, près de Genève. Il est très étroitement surveillé par la police suisse qui le considère comme un individu suspect, surtout à cause de sa correspondance avec Plékhanov, à qui Lénine a confié en 1900 la rédaction du journal clandestin Iskra (" l'Etincelle "), alors que les problèmes politiques du monde n'intéressent guère Scriabine.
Fréquentations d'exilés russes, comme le sculpteur Auguste de Niederhaüsen dit Rodo (1863-1913). À Genève, on le considère surtout comme un excellent pianiste, mais on trouve ses compositions peu originales et très redevables à Chopin.
Adepte de la théosophe russe Hélène Petrovna Blavatsky, à qui Scriabine empruntera le terme Manvantara (apparition), cycles cosmiques rythmés par l'alternance de principes contraires, qui, réunis dans un mouvement contradictoire de tous les opposés, créent l'Extase : ces idées sont à l'origine du Poème de l'extase pour grand orchestre, op.54 (1904-1907), d'abord appelé Poème Orgiaque.
Chacune des sections de l'œuvre, articulée en forme sonate élargie, révèle un nombre multiple de 36, dont les rapports expriment l'accord parfait.
1906 : Scriabine, invité par son ami Modeste Altschuler pour une série de concerts, part à New York, où il retrouve Safonov, maintenant chef d'orchestre de la New York Philharmonic Society. Puis, Chicago, Cincinnati, Washington, Détroit. Malheureusement sa musique est mal accueillie, et les Américains font des gorges chaudes de l'arrivée de Tatiana, qui n'est pas sa femme.
1907 : Obligés de repartir plus tôt que prévu, Scriabine et Tatiana sont à Paris en avril 1907, puis en Suisse pendant l'été, dans des conditions de vie de plus en plus précaires.
Sonate n°5 pour piano, op.53.
1908 : Création du Poème de l'extase le 10 décembre à New York, sous la direction de Modeste Altschuler. Désastre : voici ce qu'en dit un journaliste de l'Evening Sun du 11 décembre : " La plupart du temps, les violons ne poussaient que murmures et plaintes d'âmes perdues, tandis que de bizarres mélodies, ondulantes et imprécises, planaient parmi les instruments à vent. Un solo de violon se fit occasionnellement entendre, gémissant de plus en plus avant de disparaître dans un torrent d'harmonies acides, hurlées par des violons torturés. Tout cela ressemblait à tout ce qu'on veut, sauf à de l'extase. "
Installation à Bruxelles. Scriabine fréquente assidûment les milieux théosophiques. Il y fait connaissance avec le peintre symboliste Jean Delville et le linguiste Emile Sigogne : avec ce dernier, il essaie de créer un langage nouveau, universel, mythique, essentiel. Puis, il s'intéresse au symbolisme des couleurs, qui sera à l'origine de son travail sur les correspondances et la synthèse des arts, puisque, selon lui, tout se retrouve dans tout.
Il note dans son carnet 4 : " La vibration relie les états de conscience entre eux et constitue leur seule substance. " Il y a pour lui des correspondances entre les vibrations humaines et les vibrations produites par l'univers. Puisque tout phénomène s'exprime par sa vibration, tout est son ou résonance.
Rencontre avec Serge Koussevitsky, propriétaire de la nouvelle Edition Russe de Musique qui lui propose un contrat d'exclusivité.
1909 : Accueil chaleureux à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou, du Poème de l'extase.
Retour en Belgique, où il découvre le sonnet des Voyelles de Rimbaud.
Scriabine découvre les écrits du Père Louis-Bertrand Castel (1688-1757), inventeur d'un clavecin oculaire (1734), où des couleurs sont associées aux touches : accord parfait (do-mi-sol) = bleu-jaune-rouge, et une palette de couleurs pour la gamme chromatique suivante : bleu, céladon, vert, olive, jaune, fauve, nacré, rouge, cramoisi, violet, agate, gris, bleu. Il imagine aussi un orgue à couleurs de douze octaves avec 144 couleurs correspondantes créées par un système de verres, de miroirs et de bougies. Enfin, un clavecin olfactif était aussi à l'étude.
C'est en voyant le dernier tableau de Delville représentant Prométhée que Scriabine a l'idée de son prochain poème symphonique Prométhée ou le Poème du feu. Le peintre lui propose alors un dessin qui servirait de frontispice et d'explication symbolique à l'œuvre musicale. Ainsi, il n'y aura pas de texte, mais seulement ce dessin, ainsi que quelques indications de tempo ou de caractère telle que " voluptueux ", " étincelant "…
Scriabine prévoit alors une projection de couleurs en osmose avec la musique. Ces lumières sont conçues à la fois comme un prolongement et une symbolique sous-jacente, par rapport au sens musical ; elles sont l' " aura " de sa musique.
Il adopte finalement la correspondance suivante :
SONS et COULEURS
Do : rougefa dièse : bleu clair
Sol : orangéré bémol : violet
Ré : jaune brillantla bémol : lilas
La : vertmi bémol : bleuâtre métallique
Mi : bleu légèrement blancsi bémol : bleuâtre encore plus métallique
Si : blanc bleuâtrefa : cramoisi
Scriabine imagine deux projections de lumière simultanées qui pourraient créer de nouvelles couleurs, l'une réagissant aux notes, et l'autre, plus statique. Il note la partie lumineuse sur sa partition " luce ".
La symbolique des couleurs associe le début de l'œuvre au bleu, qui symbolise la douceur, l'intériorité, et surtout la spiritualité. Le centre est dans les différentes nuances de rouge (sang et passion), jusqu'au violet ou au jaune dans les extrêmes : cette partie symbolise la chair, la matérialité. Puis, la dernière partie revient vers le bleu spirituel et serein du début, couplé au blanc pur et presque violent de " l'Extase ".
1910 : En janvier, Scriabine retourne à Moscou, où il continue de travailler à Prométhée.
1911 : Naissance de Marina. Tournée en Allemagne, où il revoit le peintre Robert Sterl (1867-1932) rencontré l'année précédente, qui fait de lui un deuxième portrait.
Les pièces de Scriabine ont maintenant un grand succès, et il est adulé partout.
15 mars : Création de Prométhée ou le Poème du feu pour grand orchestre et piano avec orgue, chœurs et piano à lumières (op.60) à Moscou, sous la direction de Serge Koussevitsky. Malheureusement, pour la partie lumineuse, le constructeur Alexandre Mozer ne termine pas à temps le piano à lumières. Malgré cela, la pièce est acclamée par le public.
Poème-Nocturne pour piano, op.61.
Sonate n°6 pour piano, op.62 : régie par un accord-mode unificateur (qui est une succession de tons et demi-tons : fa, sol, la bémol, si bémol, do bémol, ré bémol, ré bécarre, mi ), la sonate comporte un seul mouvement au lieu de quatre.
Deux poèmes pour piano (Masque et Etrangeté), op.63 : très impressionistes.
Scriabine commence à travailler au Mystère qui ne sera jamais achevé.
1912 : 7eSonate pour piano op.64, particulièrement mystique, sous-titrée " Messe blanche ".
Le compositeur et musicologue Léonide Sabaneïev écrit un article sur Prométhée pour Kandinsky dans l'almanach Der blaue Reiter 5. Arnold Schoenberg s'en inspirera plus tard pour son Echelle de Jacob.
Trois Etudes pour piano op.65.
Tournée en Hollande, avec notamment Prométhée.
1913 : Prométhée est donnée à Londres.
8°Sonate pour piano op.66 : travail sur la variation et la transformation presque géométrique de la thématique, notamment à partir de procédés de miroirs.
9°Sonate sous-titrée " Messe noire " op.68.
10eSonate op.70 : A propos de cette sonate, Scriabine explique dans une lettre à Sabaneïev :
" Tous les animaux et les plantes sont une manifestation de notre psychisme.[…] Les insectes sont nés du soleil qui les nourrit. Ils sont les baisers du soleil, comme ma 10eSonate qui est une sonate d'insectes. […] Je les éparpille aujourd'hui comme j'éparpille mes caresses.[…] Et le dernier jour, dans cette danse finale, moi-même et tout le reste, nous serons différents à la fin du " Mystère ". Ce ne seront plus des personnes, mais tout sera des caresses d'animaux, des baisers d'oiseaux, des serpents. 6 "
Il travaille à l'Acte préalable, et notamment au texte.
1914 : À Londres, Scriabine rencontre les milieux théosophiques. Il y expose ses projets pour l'Acte préalable du Mystère : construction d'un temple en Inde, à Adyar, dans le parc de la Société de théosophie, situé près de l'océan indien.
De retour à Moscou, il assiste à la représentation de Sakountala devant Shiva, par Inayat Khan, d'après un poète hindou du Ve siècle. Le chanteur y interprète notamment un qawwali, chant religieux soufiste qui doit amener ses auditeurs à une sorte de transe mystique. Scriabine reçoit l'artiste qui lui explique la signification des chants et de la gestuelle.
Deux Danses pour piano op.73
Cinq Préludes pour piano op.74 : basés sur une série de Fibonacci et le nombre 7.
Scriabine continue à travailler à l'Acte préalable, qu'il conçoit de plus en plus comme un spectacle d'art total avec poésie, couleurs, parfums, danses, et même attouchements des participants.
Décès de son père en décembre.
1915 :Dernier concert à Pétrograd en avril.
Décès de Scriabine le 14 avril, d'une pleurésie.
Il faut attendre 1962 pour que soit donné à Kazan un Prométhée respectant les intentions du compositeur.
1 KELKEL, Manfred : Alexandre Scriabine, Fayard, 1999, p.27.
2 KELKEL, Manfred : Alexandre Scriabine, Fayard, 1999, p.63.
3 SCHLOEZER, Boris de, " Alexandre Scriabine ", Musique russe, Paris, P.U.F., 1953, p.240
4 SCRIABINE, Alexandre, Promotheische Phantasien, Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 1924, pp.97-98.
5 SABANEÏEV, Leonid, " Prometheus von Skryabin ", Der Blaue Reiter, éd. Par V. Kandinsky et Franz Marc, München, 1912, nouvelle édition München Verlag H. Piper, 1965.
6 KELKEL, Manfred : Alexandre Scriabine, Fayard, 1999, p. 207, in SABANEJEV, Leonide : Vospominania o Skriabinie (Mes souvenirs de Scriabine), Moscou, Musikalaniye Sektor, 1925.
© Nathalie Ruget-Langlois & Leonardo/Olats, février 2002
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