À ses débuts, Scriabine appartient comme Liapounov, Rebikov et Rachmaninov à une nouvelle musique russe influencée par Chopin, Liszt, Wagner et Debussy.
Puis, dès 1907 avec le Poème de l'extase, et surtout à partir de 1911 avec la Sonate n°6 et Prométhée, il évolue vers un courant moderniste. Sur les plans harmonique et rythmique, l'œuvre de Scriabine contient des éléments innovants, comme la polymodalité, la polyrythmie, le dodécaphonisme, les échelles symétriques.
Bien que la forme générale semble toujours extérieurement liée aux formes classiques comme la sonate, il remplace la thématique traditionnelle par des blocs sonores harmoniques et rythmiques. La fonction de la tonique disparaît au profit de pôles tonals étagés par tierces, par quartes. Il utilise les modes de manière à la fois harmonique et mélodique. Les mêmes intervalles servent alors à l'élaboration des accords et des thèmes.
La structure formelle de son œuvre notamment après Prométhée, multiplie les constructions liées aux proportions numériques, à la symétrie, au nombre d'or, aux séries de Fibonacci.
Ainsi, dans le Poème de l'extase, les pulsations des différentes sections de l'œuvre sont liées au nombre 36 (comme ce sera le cas aussi pour les Deux Poèmes op.63), qui selon Platon symbolisait l'harmonie universelle, double " tétrakys " pythagoricien (1+3+5+7 et 2+4+6+8). D'un point de vue harmonique, toute la pièce repose sur un accord " synthétique " de six quartes superposées : do-fa dièse-si bémol-mi-la-ré. Cet accord fondamental dans l'écriture de Scriabine est parfois appelé aussi " accord mystique ".
Le nombre d'or se retrouve à deux niveaux : d'une part, il sépare les deux parties de la pièce et se situe, par rapport au schéma de la sonate, à la réexposition (mesure 375); d'autre part, il distingue dans la partie " luce " (la partie lumineuse) les moments de bleu pur (début et fin) des autres couleurs du spectre : il y a 374 mesures consacrées à ces dernières.
La Septième Sonate, également bâtie sur des étagements de tierces et de quartes, développe une grande virtuosité rythmique, avec de nombreuses superpositions de métriques différentes.
Dans le cycle des Cinq Préludes op.74, ainsi que dans les esquisses de l'Acte préalable, on trouve des agrégats dodécaphoniques.
© Nathalie Ruget-Langlois & Leonardo/Olats, février 2002
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