Dès 1942-43, Svoboda
travaille sur un projet de scénographie intégrant des projections d’images pour
une pièce qui ne sera pas montée à cause de la censure de temps de guerre. Les
idées qu’il développe pour cette pièce sont de toute manière en avance sur les
technologies disponibles à l’époque. Il réussit à les actualiser partiellement
en 1950, avec Le onzième commandement. Dans cette œuvre, un film projeté
sur un écran en fond de scène montre des personnages qui dédoublent ceux qui se
trouvent sur scène; le jeu des personnages réels est en relation étroite
avec celui des personnages virtuels.
C’est en 1958 que Svoboda
parvient à réaliser une scénographie cinétique, multidisciplinaire et
multimédia qui correspond aux idées qu’il entretient depuis longtemps. Ce
projet nommé Laterna Magikafait
appel à la projection panoramique (Cinémascope) mais aussi à un système de
projection fragmentée sur plusieurs écrans, grâce à huit projecteurs
synchronisés : le Polyécran. Évoquant la lucerna magica, dispositif de
projection d’images mis au point par le père Kircher (1602-1680), la Laterna
Magika est une forme de spectacle multimédia développée avec le metteur en
scène Alfred Radok en 1957 pour le Pavillon tchécoslovaque de l’Exposition de
Bruxelles de 1958.
Le Polyécran constitue alors
un nouveau concept de représentation de l’image projetée, une forme d’art
audiovisuel. Dans la première version du Polyécran, d’après un scénario
intitulé Le Printemps de Prague d’Emil Radok, huit écrans, carrés et
trapèzoïdes, forment une composition plastique fragmentée et décentrée, qui
s’apparente au cubisme. Une multitude de points de vue s’offrent au spectateur
selon les angles, les distances et les inclinaisons qui le séparent des écrans.
Sept projecteurs de films et huit projecteurs de diapositives synchrones, tous
reliés par un axe électrique commun, créent un contrepoint rythmique des
contenus visuels variés. Une constellation de hauts parleurs crée un espace
acoustique résonnant. Le programme est contrôlé par un circuit à mémoire
spécialement conçu afin de synchroniser les projections et la trame sonore
stéréophonique. Ce dispositif n’est pas sans évoquer les installations pour
lesquelles Nam June Païk sera célèbre à partir des années 60.
Laterna Magika propose un dialogue entre
l’écran de projection et l’acteur, elle constitue un véritable collage
audiovisuel et cinétique, d’ordre multidisciplinaire et multimodal. Elle
combine le théâtre, la musique, la danse ainsi que la projection : la
projection de films panoramiques (Cinémascope) et la projection de diapositives
sur divers écrans. Le film a une fonction dramatique essentielle à l’œuvre,
au-delà du simple décor d’images-mouvement. L’ensemble des éléments forme une
composition plastique, cinétique et dramatique où se rencontrent les
interprètes vivants et les interprètes virtuels, le son en direct et le son en
différé. Dans ce que Svoboda qualifie d ’” espace psycho-plastique ”, la
scène est cinétique, elle est composée de tapis roulants et d’écrans de
projections mobiles (rotatifs ou coulissants) sur divers plans et axes. Laterna
Magika est un nouveau médium hybride et prometteur, mais des considérations
d’ordres politique, pratique et financier nuisent à son développement. Elle ne
demeure, somme toute, qu’un attrait touristique de foire internationale.
Le système du Polyécran a
ensuite été adapté et amélioré par Svoboda pour le théâtre, afin d’intégrer l’image
à la représentation, permettant à celle-ci d’offrir de nouveaux points de
repère à l’action. Pour Leur Jour de Topol, dans une mise en scène
d’Otomar Krejca en 1959, Svoboda a recours à divers écrans mobiles inclinés
selon différents axes ou plans -pouvant recevoir des images diapositives et des
images filmées- ainsi qu’à un plateau de scène glissant et à un plateau
rabattable.
Pour la production de Boston
de l’opéra Intoleranza en 1965, Svoboda développe des idées qui
s’inscrivent dans la continuité de la Laterna Magika, adaptées aux
nouvelles technologies. Il a recours à la projection d’images vidéo en direct
captées par des caméras disposées à l’intérieur et à l’extérieur du théâtre,
ainsi qu’à des images préenregistrées. Grâce à la technique télévisuelle en
circuit fermé, des images provenant de la rue, du public, d’un local de
répétition ou de la scène elle-même sont projetées sur les nombreux écrans
disposés sur la scène. Les techniques de la télévision sont aussi combinées aux
principes de la Laterna Magika par Svoboda pour la production de Les
derniers à Prague en 1966, sauf qu’il n’a alors recours qu’à une seule
surface de projection qui, étant froissée, donne une certaine texture à
l’image.
En 1967, il réalise quatre
installations pour le pavillon tchécoslovaque de l’exposition de Montréal, dont
le système Diapolyekran qui sert alors à la représentation de La Création du
Monde d’Emil Radok, d’une durée dix minutes et qui utilise 30 000
diapositives. Ce système est composé de 112 cubes mobiles et contigus, chacun
pouvant recevoir les images des deux projecteurs de diapositives qui lui sont
couplés, l’ensemble formant une murale lumineuse et cinétique. La surface
totale est rythmée par le mouvement des cubes et la succession des images, à chaque
cube correspondent deux projecteurs. Chaque cube peut avancer ou reculer de 1
m. de la surface de la murale, celle-ci étant haute de 8 cubes et large de 14
(5.5 m. X 9 m). Les images se succèdent
rapidement (1/25e de s.) dans chaque cube, la composition de l’ensemble pouvant
former une image globale et homogène, ou fragmentée et discontinue.
L’automatisme du programme est possible grâce à un système composé d’un panneau
de cellules photoélectriques sur lequel est projeté un film codé de sorte à
enclencher les diverses commandes électromécaniques.
La Polyvision est un
environnement audiovisuel aussi conçu pour l’Exposition de Montréal, regroupant
quatre installations différentes. L’installation principale s’inscrit dans un
vaste espace à trois dimensions, (16.6 m. X 6 m. X 6 m.) composé de formes
cinétiques (pleines et ajourées) pouvant se déplacer horizontalement et
verticalement. Les images synchronisées des 11 projecteurs cinématographiques
35 mm et des 28 projecteurs de diapositives sont projetés sur un grand nombre
de surfaces, pour la plupart mobiles : sur un écran carré, sur les faces de 13
volumes simples (cubes et prismes) ainsi que sur des formes ajourées, faites de
lattes ; sphère, cylindres et hyperboloïdes. Deux grands miroirs semi-transparents
et croisés démultiplient les images de ce programme intitulé Symphonie.
Dans les années 1970,
Svoboda réalise des scénographies pour des spectacles de divertissement
familial. Le jeu des rapports dynamiques et narratifs entre les personnages sur
scène et des séquences d’images-mouvement projetées créent des univers
caractérisés par l’humour et la féerie. Dans la Reine des neiges (1979), une douzaine de danseurs
évoluent dans un espace bordé de panneaux verticaux de chaque côté et à
l’arrière, sur lesquels sont projetées des images-mouvement.Le synchronisme avec les actions
pantomimiques, acrobatiques ou dansées des interprètes est assuré par une trame
sonore. Pour Le Cirque enchanteur
(1977), Svoboda a recours à un vaste écran en fond de scène, tendu de
façon à suggérer un chapiteau, et qui peut être soulevé par les interprètes
pour révéler un nouvel espace scénique, une scène en fond de scène. Les
séquences projetées modulent ou amplifient l’action sur scène, soit par
l’évocation de divers lieux, par les mouvements dans l’image ou par la
succession des personnages à l’écran. Des effets de magie sont créés par le jeu
des entrées et sorties des personnages qui passent d’un espace à un
autre ; l’espace scénique, l’espace filmique et l’espace derrière la toile
de fond (espace gigogne ou de mise en abyme).
Svoboda ne fait pas un usage
systématique de la projection d’images-mouvement ; il y a recours de façon
ponctuelle, selon les besoins des œuvres. C’est à la lumière qu’il s’intéresse
d’abord. Véritable touche-à-tout, Svoboda est familier avec tous les procédés
techniques issus des développements dans les domaines de la mécanique, de
l’électronique ou de l’optique. Il possède aussi les connaissances
scientifiques qui les sous-tendent. Sa démarche s’apparente à celle des maîtres
de la scénographie renaissante et baroque qui étaient à la fois architectes et
ingénieurs.
© Marc Boucher & Leonardo/Olats, avril 2002
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