BILLY KLÜVER, Notes biographiques et parcours
J. Wilhem Klüver est né à Monaco en 1927. Ses parents se sont rencontrés à San Sebastian. Son père était norvégien et sa mère suédoise. Il passe la plus grande partie de son enfance en Suède où ses parents étaient hôteliers. En 1939 la famille déménage à Stockholm. C’est dans cette ville que Billy Klüver fréquente le Royal Institute of Technology qui lui décerne, en 1951, un diplôme en génie électrique. Bien qu’étudiant dans les sciences du génie, il est, dès un très jeune âge, attiré par les arts. C’est ainsi qu’en 1947 et 1948, il est président de la Stockholm University Film Society. Aussi en 1949, à ce titre, il organise un voyage pour ses membres à Londres, Paris, Bruxelles, Amsterdam et Copenhague afin de leur permettre de visiter les archives des cinémathèques de chacune de ces villes. En 1950, il fonde la Federation of Film Societies de Suède. À Stockholm, Billy Klüver rencontre Pontus Hultén qui devient plus tard le directeur du Moderna Museet. C’est le début d’une longue amitié qui mènera les deux compatriotes vers des collaborations fertiles où, entre autres, Klüver sera le commissaire de deux expositions présentées au Moderna Museet, Art in Motion en 1961, également présentée à Amsterdam et au Danemark, et Four Americans (Alfred Leslie, Richard Stankiewicz, Jasper Johns et Robert Rauschenberg) en 1962.
Klüver vit à Paris pendant deux ans (1952,1953) au cours desquels il travaille comme assistant de recherche au Laboratoire de développement de la télévision à la Compagnie française Thompson-Houston. C’est durant ce séjour qu’il rencontre l’artiste suisse, vivant à Paris, Jean Tinguely.
En 1953, Billy Klüver émigre aux États-Unis où il obtiendra son Ph.D. en génie électrique de la University of California à Berkeley en 1957. Un an plus tard il se retrouve dans la région de New York, plus précisément à Murray Hill au New Jersey, où il devient membre de l’équipe technique au département des communications et de la recherche de la compagnie Bell Telephone Laboratories. Il travaillera aux Bell Labs pendant dix ans.
C’est au cours de cette période que Billy Klüver, sur certaines des recommendations de son ami Hultén, va à la rencontre des artistes de New York. Non seulement est-il témoin de la période trépidante des Happenings, mais il y participe pleinement, notamment, sous la férule de Claes Oldenburg. En 1960, il collabore à la construction et au " suicide " de la pièce auto-destructrice de Jean Tinguely Homage to New York, présentée le 17 mars au Musée d’art moderne de New York, devant un public médusé.
Au cours des années soixante Billy Klüver mène deux vies, non pas parallèles mais convergentes, tant à son travail chez Bell Labs qu’à New York avec des artistes tels Andy Warhol, pour qui il conçoit des sculptures flottantes à l’hélium Silver Clouds (1965-1966) ; Jasper Johns pour qui il fabrique des lettres en tube néon " portables " (sans fil) pour ses pièces Field Painting et Zone (1963-1966) ; Robert Rauschenberg avec qui il participe à sa pièce sonore Oracle (1962-1965) qui est présentée pour la première fois à la galerie de Léo Castelli le 15 mai 1965 ; Yvonne Rainer, chorégraphe à la Judson Church, pour lui permettre de transmettre les sons de sa respiration pour sa pièce At My Body’s House (1963) ; John Cage et Merce Cunningham pour une pièce musicale et chorégraphique Variations V présentée au Linclon Center en juin 1965.
À l’automne 1962, Billy Klüver est commissaire consultant pour la première exposition sur le Pop Art, Art 1963 – A New Vocabulary présentée par le conseil des arts de la Young Men’s Hebrew Association (YHMA) à Philadelphie. L’année suivante, il sera commissaire consultant pour l’exposition Popular Image de la Washington Gallery of Modern Art et en 1964, co-commissaire (" commissaire américain ") avec Pontus Hultén pour American Pop Art, présentée au Moderna Museet de Stockholm.
Amoureux de l’art et des artistes, il veut mettre ses connaissances scientifiques et techniques à profit pour les réalisations de ceux-ci lorsqu’elles requièrent des moyens hors de leur portée.
C’est ainsi que ces collaborations aboutiront dans la série de performances présentées entre les 13 et 23 octobre 1966 à New York, et maintenant qualifiées d’historiques par les dix mille personnes qui y ont assisté. La série Nine Evenings : Theatre and Engineering, est présentée dans le lieu emblématique du 69th Regiment Armoury à New York, l’endroit même qui reçut, cinquante-trois ans plus tôt, soit en 1913, Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp. 9 Evenings, est un événement d’une envergure phénoménale qui met à contribution dix artistes, John Cage, Lucinda Childs, Öyvind Fahlström, Deborah Hay, Alex Hay, Steve Paxton, Yvonne Rainer, Robert Rauschenberg, David Tudor et Robert Whitman, ainsi qu’une équipe de trente ingénieurs. Les critiques de ce marathon sont pour le moins mitigées, mais suscitent des réactions fort enthousiastes de la part des artistes, constatant l’éventail des possibilités technologiques qui s’ouvre à eux.
C’est sur cette lancée que Billy Klüver, son collègue à Bell Labs l’ingénieur Fred Waldhauer et les artistes Robert Rauschenberg et Robert Whitman, décident de fonder Experiments in Art and Technology en novembre 1966.
En 1968, Billy Klüver quitte Bell Telephone Laboratories pour se consacrer exclusivement à E.A.T.. Il en devient le président-directeur-général.
À titre de p.d.g. de E.A.T., Klüver réalisera un très grand nombre de projets permettant d’établir des liens entre les artistes et le milieu des sciences et de la technologie. Il serait pertinent d’établir ici, une brève nomenclature de certaines de ces réalisations pour donner une idée de l’envergure et de la diversité des projets et des champs d’action auxquels ils étaient destinés.
Dès 1968 Klüver et E.A.T. lancent une compétition pour déterminer la meilleure contribution d’un ingénieur à une œuvre d’art conçue et réalisée en collaboration avec un artiste. Les travaux des tandems artistes/ingénieurs lauréats de cette compétition sont présentés dans le cadre de l’exposition The Machine : As Seen at the End of the Mechanical Age au Musée d’art moderne de New York, tandis que toutes les œuvres des équipes artistes/ingénieurs inscrites à la compétition sont exposées concurremment, sous l’égide de Klüver au Brooklyn Museum of Art sous le titre Some More Beginnings. Fait important à noter, Klüver est embauché à titre de consultant par le MoMA pour l’exposition The Machine.
De novembre 1968 à mars 1970, Klüver, à titre d’organisateur et d’administrateur principal de E.A.T., travaillera sans relâche, avec des équipes multidisciplinaires à la conception et à la réalisation du Pavillon de Pepsi Cola pour l’exposition internationale d’Osaka au Japon, inaugurée en avril 1970. En 1972, il contribue avec la critique d’art Barbara Rose et son associée Julie Martin à la publication d’un ouvrage intitulé Pavilion, regroupant des textes, outre les siens et ceux de Barbara Rose, signés par divers artistes, ingénieurs et scientifiques, relatant les différentes étapes de ce projet à grand déploiement.
De la fin des années soixante au début des années quatre-vingts, Billy Klüver élabore, toujours sous les auspices de E.A.T., plusieurs autres initiatives qu’il regroupe sous le vocable Projects Outside Art (POA). Ces projets, tels Children and Communication, City Agriculture et autres entreprises à vocation sociale comme The Anand Project in India, American Artists in India, Telex : Q &A, Artists and Television, etc. revêtaient une importance capitale pour Klüver. En effet, il croyait à l’époque, et croit toujours, que l’artiste, en tant que citoyen, détient un devoir moral de contribuer à la société dans le but d’améliorer les conditions de vie. E.A.T., par le biais de P.O.A., devient le canal idéal permettant à l’artiste d’offrir sa contribution citoyenne à la société, à travers ses collaborations avec des équipes multidisciplinaires, dans des projets qui, bien souvent, avaient fort peu à voir avec l’art.
Klüver est consultant technique pour l’installation de l’exposition permanente du Musée national d’art moderne, lors de l’ouverture du Centre Georges- Pompidou à Paris en février 1978. Également dans le cadre de l’inauguration du Centre Georges-Pompidou, le Musée national d’art moderne fait appel à lui à titre de consultant technique pour l’exposition Marcel Duchamp. Soulignons au passage, pour l’anecdote, que Billy Klüver a rencontré, Duchamp à ce moment et que l’artiste lui aurait remis un billet signé de sa main, le remerciant pour ses services,.
Jusqu’en 1980, Klüver cultive ses contacts avec le milieu de la danse new yorkais et supervise pour la Trisha Brown Company l’installation d’une Cloud Sculpture de Fujiko Nakaya. 1 Cette sculpture atmosphérique servait de décor pour la pièce chorégraphique de Brown, intitulée Opal Loop, créée au 55 Crosby St. à New York et présentée plus tard au cours de la même année au Brooklyn Academy of Music. Encore une fois pour Trisha Brown, Klüver collabore en 1989 avec Robert Rauschenberg et l’ingénieur Pier Biorn à la conception du décor de Astral Convertible, une installation sonore et lumineuse interactive. Cette chorégraphie est présentée pour la première fois au Festival de danse de Montpellier le 22 juin 1989.
Parallèlement à toutes ces activités Klüver publie avec Julie Martin Kiki’s Paris : Artists and Lovers, 1900 - 1930 chez Harry N. Abrams en 1989. La traduction française paraît la même année chez Flammarion sous le titre Kiki et Montparnasse. Des traductions allemande, espagnole et suédoise paraissent en 1989 et en 1990. Ce livre d’art bellement illustré relate la chronique de la vie du célèbre modèle, et de ses non moins célèbres employeurs (Picasso, Modigliani, Man Ray, etc. – ce dernier, dont elle fut la compagne pendant neuf ans), dans le Paris/Montparnasse du début du 20ème siècle. Ce livre vient tout juste d’être publié en version poche aux États-Unis. La galerie Zabriskie de New York en a profité pour monter une exposition d’œuvres, pour lesquelles Kiki avait posé, sous le commissariat de Billy Klüver.
Autre publication récente de Klüver, A Day with Picasso, est lancée en plusieurs langues, dont en français chez Hazan (1994) et en anglais au M.I.T. Press (1997). Ce livre regroupe une série de photographies que Jean Cocteau a prises au même endroit d’un secteur du quartier Montparnasse au cours d’une seule journée. Selon les estimations de Klüver, calculées en fonction des angles de la lumière et des ombres portées, (les calculs sont reproduits dans le livre avec force diagrammes), les photos auraient été prises entre la mi-août et le début du mois de septembre, entre dix heures du matin et quatre heures de l’après-midi. Cette chronique relate d’une façon tout à fait moderne et ironique, les activités de Picasso au cours de cette journée ensoleillée, croquant non seulement les variations de la lumière mais aussi les humeurs des modèles, amis de Cocteau et de Picasso.
Billy Klüver, qui a soixante-quinze ans aujourd’hui, vit toujours dans sa maison de Berkeley Heights au New Jersey avec sa troisième épouse Julie Martin, une collaboratrice de la première heure de E.A.T.. Il aura eu deux autres épouses Hill Gerber et Olga Adorno avec qui il a eu deux enfants. Il vient d’être reçu Chevalier de l’Ordre de la Légion d’honneur en France (mai 2002).
Bibliographie
Martin, Julie. Billy Klüver and EAT : Time Line Biography Document d’archives (non publié) provenant de la collection personnelle de Billy Klüver et Julie Martin.
N.B. : Plusieurs éléments de cette notice proviennent également de nombreux documents inclus au Fonds documentaire EAT de la Fondation Daniel Langlois, Montréal.
1 - La même artiste ayant enveloppé le Pavillon PepsiCo à Osaka en 1970.
© Sylvie Lacerte & Leonardo/Olats, juin 2002
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