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PIONNIERS ET PRECURSEURS > LOIE FULLER > PIONNIERE D'UN ART NOUVEAU, EGERIE DE L'ART NOUVEAU
   



Pionnière d'un art nouveau et Egérie de l'Art nouveau


Dans Le déclin de l’objet, Frank Popper écrit : " La mobilité de l’éclairage a introduit une rénovation mondiale dans la mise en scène ainsi qu’en témoignent amplement les tournées chorégraphiques de Loïe Fuller en Amérique et en Europe à partir de 1892 ". L’émancipation de la lumière des rôles accessoires auxquels elle est habituellement confinée (éclairage et effets d’ambiance) a été réalisée dans les scénographies lumineuses de Loïe Fuller. Cette artiste de variété d’origine américaine fut l’une des artistes les plus réputés de la Belle Époque. Elle inventa une forme d’art interdisciplinaire, à la rencontre de la danse et de la scénographie. Elle eut même son propre pavillon à l’Exposition universelle de 1900. Les historiens du théâtre ignorent qui était Fuller, pourtant elle attirait les foules et inspirait les poètes. Les historiens de la danse, jusqu’à récemment, ne lui ont accordé que très peu d’importance, son art étant considéré trop près du divertissement populaire.

Loïe Fuller inaugure la danse moderne, qu’elle situe dès lors à la conjonction de nouvelles conceptions du mouvement, du corps et de la mise en scène. Dans ses danses, Fuller remplit l’espace du mouvement d’immenses voiles de soie et sculpte la lumière réfléchie sur les tissus en mouvement. Selon une des versions de sa légendaire ascension à la gloire, c’est en tant que comédienne de revue qu’elle aurait découvert sa vocation à New York en 1889, grâce à un costume trop grand. Soucieuse de ne pas trébucher sur sa longue chemise de soie blanche, elle improvise de grands mouvements et le public réagit spontanément en s’écriant " un papillon ! ", " une orchidée ! ". Sa première chorégraphie, La Danse serpentine, créée à New York en 1892 connut un succès tel que de nombreuses imitatrices se l’approprièrent aussitôt. On lit à propos de cette œuvre dans le Dictionnaire de la Danse (Larousse) :

" Emblématique du répertoire fullérien, ce solo est aussi une œuvre clé qui annonce le XXe s. comme époque de fusion de la lumière et des arts cinétiques. "

Fuller connaît la gloire dès ses débuts parisiens en 1892, devenant du coup l’une des artistes les plus importantes et des mieux payées dans le monde du spectacle. La liberté d’invention de Fuller est à l’origine des nouvelles conceptions de la danse. Elle fut la première à réaliser des scénographies d’un genre dont les grands théoriciens de la scène moderne, Edward Gordon Craig et Adolph Appia, avaient rêvé. Ceux-ci accordaient une place importante à la lumière en tant qu’élément fondamental de la représentation car elle permet de créer des espaces. L’avènement de l’éclairage électrique et la liberté d’invention de Fuller opérèrent un véritable saut quantique dans le domaine de la scénographie au tournant du siècle. Dans Loïe Fuller : Danseuse de la Belle Époque, Giovanni Lista écrit : " Ses danses constituèrent une véritable préfiguration de tant de spectacles qui ont fait la modernité populaire de la scène contemporaine, de l’art psychédélique au light-show, des vidéo-clips aux jeux chromo-lumineux des concerts rock. "

Fuller produisait des effets nouveaux et spectaculaires par le reflet de lumières colorées sur des dizaines de mètres de tissu en mouvement. Ce tissu, qu’elle manipulait avec de longues baguettes invisibles au spectateur, était à la fois son accessoire et son costume. Fuller se métamorphosait avec son costume-accessoire, elle emplissait l’espace scénique de ses formes lumineuses en mouvement. Dans certaines de ses pièces, elle démultipliait son image grâce à des miroirs stratégiquement placés et à des jeux d’éclairages savamment étudiés.

Son succès ne fut pas éphémère, mais en tant que danseuse, elle fut éclipsée en 1902 par Isadora Duncan, compatriote qu’elle contribua à faire connaître en Europe. Malgré une longue et impressionnante carrière, Fuller fut pratiquement oubliée après sa mort en 1928. Elle fut pourtant la toute première des pionnières de la danse moderne, même si sa carrière européenne débuta aux Folies Bergère, établissement jusqu’alors considéré comme un lieu de perdition. Le solo dansé était aussi assez nouveau, précédemment exploité que par quelques rares artistes, dont Jane Avril, qu’a immortalisé Toulouse-Lautrec. Fuller est à l’origine des nouvelles conceptions de la danse où les mouvements amples, sinueux et continus sont en opposition avec ceux qui caractérisaient le ballet académique d’alors : restreints, angulaires et saccadés. De plus, Fuller osa danser sans corset, bien avant qu’Isadora Duncan ne le fasse.

Au tournant du XXe siècle, Loïe Fuller fut non seulement une pionnière de l’art technologique et de la transdisciplinarité, mais aussi une des premières grandes vedettes internationales de la scène. En 1892, le tout Paris se jette à ses pieds : on la consacre " Fée Lumière ". Elle apporte à la Ville lumière la première forme de représentation chorégraphique qui intègre l’éclairage électrique au mouvement. Fuller réussit à susciter l’admiration de tous les publics, son art étant " démocratique ". Fuller comptait entre autres Rodin, l’astronome Flammarion et les Curie parmi ses amis et admirateurs. Mallarmé, qui la considérait comme l’incarnation même de l’utopie symboliste, résuma ainsi l’impression que sa danse lui fit : " ivresse d’art et, simultané d’un accomplissement industriel " (Crayonné au théâtre).

Un bon nombre des premières séquences d’images filmées avaient pour sujet des imitatrices de Loïe Fuller exécutant sa célèbre Danse serpentine. Fuller devait sans cesse protéger ses danses et ses innovations des imitatrices sans scrupule. Elle déposa un total de dix brevets et copyright, principalement reliés à ses accessoires et dispositifs d’éclairage, dans quatre pays (États-Unis, France, Allemagne et Angleterre).


© Marc Boucher & Leonardo/Olats, juin 2002


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