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Ce chapitre souhaite rendre plus concrètes les approches du design d’interaction à travers quatre exemples.
Le choix de présenter des cas très différents vient de la volonté de mettre l’accent sur l’aspect polymorphe de la discipline et sur l’étendue de ses applications. Le design d’interaction ne peut pas se résumer à une « méthode » et encore moins à un outil. Il est essentiellement un point de vue, capable d’influencer le projet à tous les stades de son développement en révolutionnant la « manière de penser » avant la « manière de faire ».
Le premier exemple, raconté par Anna Bernagozzi, présente un contexte d’application typique : le design d’interaction est utilisé pour améliorer le service d’un dispositif déjà existant, ici, le stationnement des voitures automobiles. L’intervention du designer Christophe Tallec ne vise pas la création d’un produit physique, mais l’agencement d’un système de produits existants (de la voiture à l’iPhone) selon une nouvelle logique relationnelle, issue de la réalité d’usage de ces produits.
La pharmacie du futur et LifeStream sont deux projets d’Experientia, une équipe internationale basée en Italie, dont l’approche immatérielle du design découle de l’idée même d’expérience. Loin des aspects matériels et fonctionnalistes du design industriel historique, Experientia attaque les problématiques du design contemporain par une étude approfondie du contexte de vie et des comportements des futurs utilisateurs. Ces recherches aboutissent à des résultats très divers en termes « d’outils » délivrés.
Le dernier exemple ne présente pas un projet en particulier, mais l’organisation interne et la « philosophie de conception» de l’agence IDSL, basée à Paris
1. PROJET UINFOPARK
Par ANNA BERNAGOZZI et CHRISTOPHE TALLEC
Uinfopark est un projet de design de services conçu par le designer Christophe Tallec, diplômé et fondateur de la société Utilisacteur. Le projet, qui a été conçu lors du diplôme à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, explore la dynamique du stationnement et du déplacement entre la communauté et la ville. Lors de sa création en 2010, il s’agit du premier service participatif d’information de stationnement prédictif en temps réel. Ce service permet une mise en valeur de l’intelligence collective et une création spontanée de lien social en optimisant le partage des informations entre usagers, une autre version de la ville intelligente où l'humain est au cœur du système.
Faire évoluer les habitudes en proposant des situations préférables
Le projet Uinfopark repose sur le fait qu’il est plus simple de transformer les habitudes par l'usager (en particulier dans le domaine des transports) et que cette approche présente un plus grand potentiel (d’efficacité, d'innovation, d'optimisation des coûts) que d’essayer de changer les infrastructures sur lesquelles les services de mobilité existants proposés par des organisations urbaines ou la ville reposent. C'est un paradigme où les usages des habitants en matière de mobilité peuvent se transformer beaucoup plus vite que l'infrastructure existante.
Face aux enjeux du développement durable, les fondateurs d'Utilisacteur (agence conseil en design de services) et les créateurs du service Uinfopark pensent qu’il est nécessaire d’accompagner les changements d’habitudes sur les questions de mobilité en proposant des alternatives efficaces, souples et désirables du point de vue individuel et collectif. Ils sont convaincus que seul un accompagnement de ce type permettra à des systèmes actuels, favorisant la mobilité individuelle, d’évoluer vers des organisations favorisant une « mobilité participative ». Et cela à l'échelle de la pensée produit-service-système
Un focus sur l'info-stationnement
Le service Uinfopark fait partie d'un ensemble de services que développe Utilisacteur, la communauté de l’infomédiation par l’usager (l'information entre usagers pour fluidifier les déplacements dans la ville) et disponible gratuitement sur I-Phone™ et Internet. Grâce à ce service, présent dans les principales métropoles en France et à l’étranger sous la marque Uinfoshare, les usagers peuvent partager leur temps d'occupation d'un stationnement, une information rendue disponible, géolocalisée et réservable par le reste de la communauté via l'application. Les études s'accordent sur un chiffre de congestion des trafics routiers des villes dû à 30 % à la recherche de stationnement. Si les usagers sont une part du problème qui atteint ses limites d'encombrements, ils sont aussi la solution...
Comment ça fonctionne ?
Le passage d’une mobilité individuelle à une mobilité participative est devenu possible grâce à la démocratisation des technologies de géo-localisation couplée à la communication 3G. Cette communication entre utilisateurs peut être faite directement via l'application sur une carte où l’on peut déposer des repères « Uinfoparks » contenant l'horaire de départ, modifiable, ou vérifier les disponibilités à proximité d’une destination. Un « utilisacteur » partage ses informations avec l’ensemble de la communauté mais dès lors qu'un autre usager réserve son information, une relation pair à pair s'engage, valorisée par des points de confiance entre les utilisateurs ponctuels. Ce service permet aussi d’optimiser la durée et la qualité de leurs déplacements. Les « utilisacteurs » pourront, par exemple, opter pour la solution de covoiturage au sein de l'application pendant les heures de pointe et réduire ainsi l’impact carbone de leurs activités, ou décider de prendre le métro, tout en suivant l'info transport en commun par l'usager.
Projet Uinfopark, Christophe Tallec – Utilisacteur Service Uinfopark disponible sur l'appstore dans l'application "utilisacteur"
Projet Uinfopark, Christophe Tallec – Utilisacteur Paiement par SMS à la borne via un partenariat avec un service de paiement.
Le type d’information participative envisagé par ce service s’inscrit dans le phénomène actuel de la consommation collaborative. Ce phénomène est bien décrit par les auteurs Rachel Botsman et Roo Rogers dans leur récent ouvrage What’s Mine it’s Yours, The Rise of Collaborative Consumption (Ce qui est à moi est à toi, la montée de la consommation collaborative) : « La consommation collaborative correspond au fait de prêter, louer, donner, échanger des objets via les technologies et les communautés de pairs ». [1]
BOTSMAN R., ROGERS R. What’s Mine it’s Yours. The Rise of Collaborative Consumption, Harper Business, 2010
Ce type de consommation modifie les façons de faire des affaires et réinvente non seulement ce que nous consommons, mais aussi comment nous consommons.
2. LA PHARMACIE DU FUTUR par Experientia
Experientia est une agence de conseil en design d’expérience et d’innovation créée à Milan par Pierpaolo Perotto, Mark Vanderbeeken, Michele Visciola et Jan-Christoph Zoels. L’offre de la structure se concentre sur quatre axes : Envisioning (recherche et conception de stratégies d’interaction centrées autour de l’individu) ; Understanding (analyses du contexte de vie et des besoins au travers des méthodologies de la recherche qualitative telles que l’observation ethnographique) ; Design (réalisation de stratégies d’interaction centrées autour de l’individu) ; Prototyping (développement de prototypes, du papier à la vidéo, sous forme de logiciel ou de hardware) ; Testing (test-utilisateur d’outils ou concepts en phase de finalisation).
CVS est une grande chaîne américaine de pharmacie, présente dans le monde entier.
Aux États-Unis, les points de vente CSV sont localisés dans les grands magasins, et les médicaments ne sont pas vendus dans leurs étuis mais, à chaque fois, ils sont transférés manuellement de grands récipients dans des petites bouteilles – qui sont ensuite étiquetées. Ce processus ralentit et complexifie considérablement les activités de vente.
Pour résoudre ce problème, CSV a demandé à une équipe de designers composée d’Experientia, Launch Institute (États-Unis) et Design Academy (États-Unis) de réfléchir, avec les méthodes du design d’expérience, à des procédures alternatives, et définir ainsi un nouveau modèle pour le commerce pharmaceutique, la Pharmacie du Futur
La compréhension du contexte
Le projet se construit à partir de l'idée que le service en pharmacie est une expérience holistique de santé et de bien-être, créée par un ensemble de rencontres critiques, échelonnées dans le temps et utilisant un certain nombre de canaux différents. Le parcours du client ne consiste pas à simplement entrer dans un magasin et acheter un médicament, mais implique tous les points de contacts, ou touchpoints, qui produisent un sentiment positif ou négatif vis-à-vis du fournisseur du service, tels que l’organisation du magasin, l'aide à la vente, le conseil et l'information, la gestion interne des processus de travail, etc.
Pour explorer ces touchpoints, les designers ont conduit des recherches ethnographiques internationales en menant des interviews contextuelles avec des pharmaciens et des clients. Ils ont observé les magasins, les communautés, les environnements de soins et de santé, les lieux de rencontre et d’expériences de santé alternatives. Ces observations ont constitué la base de la compréhension des besoins réels, des attitudes et des comportements en contexte. L’équipe a aussi intégré ces connaissances en explorant quelles sont les différentes attitudes culturelles face à la santé dans des contextes de vie autres que les États Unis.
De la recherche au flux d'interaction
En utilisant les résultats de la phase de recherche, Experientia a développé une série de vidéo-scénarios basées sur les besoins perçus et les désirs concernant les différentes phases d’une visite en pharmacie (tels que les temps d'attente, la sélection des médicaments, etc.). Le Launch Institute a créé une brochure de « Concepts Visionnaires » sur les besoins du client, couvrant la conception des magasins, les flux et les processus de travail, les rapports client/pharmacien et les rôles de la communauté.
La recherche a montré que les clients sont en demande d'informations sur l’emplacement des magasins et sur les médicaments non seulement lorsqu’ils sont sur place mais aussi à d’autres moments et contextes que celui de l’achat. Ainsi, Experientia a proposé des prototypes de SMS afin de pouvoir répondre aux demandes des clients à distance.
Experientia a également créé une « carte d'opportunités », une sorte de plaquette qui présente un choix de développements potentiels pour la société cliente, autant en ce qui concerne le design des magasins que la façon d’être et de rester connecté avec leur réseau de clients. Ces modèles de développements possibles sont censé guider les choix de CVS vers les services d’interactions à adopter dans le futur.
La validation des concepts
Pour s'assurer que le rapport entre recherche et design était juste, Experientia a examiné le concept de service de différentes manières : évaluation heuristique (expert testing), test de scénario (scénarios de type « et-si »), test d’usabilité (est il facile à comprendre et à utiliser ?), analyse de pré-lancement et évaluation successive à l’implémentation (comment « ça fonctionne » et comment pensait-on que cela fonctionnerait ?). Cela a assuré un flux d’interactions agréable et compréhensible, adéquat aux besoins des clients.
3. LIFESTREAM
par Experientia
LifeStream est un projet réalisé en 2008 par l’agence Experientia pour l’opérateur téléphonique italien Vodafone.
La société a consulté Experientia, à propos des possibilités en termes de design d’exploiter et contrôler les données personnelles que nous générons par les actions quotidiennes d’interaction avec les différents moyens de communication et échange à notre disposition. En effet, les technologies courantes nous permettent déjà de stocker de vastes quantités et formats de données, telles des informations personnelles, des images, des traces de conversations… que nous pouvons ensuite exploiter hypothétiquement tout au long de notre vie. Par contre, plusieurs entreprises comme Vodafone s’intéressent de plus en plus aux différentes manières d’exploitation, de tri, de classement et d'accès à ces informations, ce qui représente l’aspect plus difficile à imaginer et à gérer.
Experientia s’est penché spécifiquement sur la façon dont ces données pourraient être visualisées et comment nous pourrions interagir avec elles.
Les besoins réels du stockage de données
Le point de départ original d’Experientia est de se demander si la volonté de stocker ne serait pas tout simplement le résultat du fait de pouvoir stocker.
La quantité de données nous submerge alors que nous n’avons besoin finalement que de retrouver les données qui nous intéressent de manière simple et intuitive. Il s’agirait donc de trouver un moyen pour que les systèmes informatiques soient assez intuitifs et « oublient » les données sans importance pour nous montrer uniquement l'information cherchée.
Avant même de commencer le projet, Experientia a effectué une recherche étendue sur le design concernant : la visualisation de l'information, les interfaces humain-ordinateur efficaces, la nature des données et les manières dont les gens les recherchent. Cette recherche a été formalisée sous la forme d’un « livret d’inspirations ». Destiné à articuler visuellement le projet proposé, ce support contient une galerie de photos qui illustre des développements potentiels d’un côté et les descriptions détaillées de situations d’usage envisagées par Expentientia, aussi bien celles rencontrées pendant la phase d’analyse préalable à la conception, que celles innovantes et prospectives à réaliser.
L'équipe d’Experientia a rapidement compris que les données étaient plus que des bytes : elles sont associées à la valeur émotionnelle de nos souvenirs. Pour qu'un service d'accès aux données soit réussi, il ne doit pas seulement être simple et intuitif - il doit également être beau et respecter la relation affective que l’utilisateur a avec ses données personnelles, voire être en mesure de proposer un critère d’accès émotionnel à ces mêmes informations.
La phase de conception a commencé par un brainstorming sur 7 mini-concepts ou hypothèses de travail considérés comme pertinents et 5 planches d’illustration visuelle de chaque mini-concept. Ensuite, les mini-concepts ont été mis en situation dans un atelier de co-création avec le client. Les mini-concepts les plus appropriés ont été combinés pour faire naître LifeStream, interface qui permet de visualiser les données cumulées dans la vie d'une personne. Le concept valorise les souvenirs importants des personnes et inclus un dispositif qui permet de rendre moins visible l’information jamais ou rarement utilisée par les personnes, de façon graduelle jusqu'à disparaître complètement.
Afin de montrer comment les individus pourraient agir les uns par rapport aux autres, Experientia a créé 10 vidéo-scénarios utilisant les logiciels Flash et Processing. Par ces supports il est possible de fournir des représentations simples et facilement compréhensibles des différents modes d’interactions imaginés qui montrent clairement les caractéristiques des interfaces et des applications à développer pour le projet LifeStream. Les vidéo-scénarios mettent l’accent sur les aspects innovants des méthodes d'interaction proposées et susceptibles d’être employées par les utilisateurs dans un avenir proche, par exemple on retrouve la dimension affective du contact et du geste physique.
LifeStream par Experientia, visualisation
LifeStream par Experientia, visualisation
LifeStream par Experientia, visualisation
LifeStream par Experientia, visualisation
Le projet LifeStream envisage un monde dans lequel la visualisation de l'information n'est pas simplement utile, mais aussi « belle ». Ces modèles organisent l’information et montrent les relations entre les différentes personnes. A l’image de notre mémoire, le modèle [Lien sur http://www.youtube.com/watch?v=blBDUGveTRo&feature=player_embedded] met en avant nos moments favoris et oublie au fur et à mesure ceux qui sont moins importants.
Design du flux
Experentia a développé pour ce projet des concepts et des idées d'interaction en considérant des aspects du contexte d’usage tels que : la forme des kiosques ou les produits finaux pourraient être vendu, les endroits spécifiques de la vente des produits et de leurs utilisation, les aspects impliqués dans l’utilisation des produits finaux dans les espaces publics, semi-publics ou privés, l’aspect visuels des mêmes produits, les outils nécessaires pour les commercialiser/distribuer/utiliser, jusqu’aux plateformes d’aide aux consommateurs dans les phases d’utilisation après la vente.
Une des questions principales a également été d’apporter de la valeur ajoutée aux services et produits proposés. Par exemple, proposer des solutions d’impression des photos personnelles stockées par LifeStream qui aillent au delà de la simple impression numérique des photographies et de leur retrait en point de vente. Idéalement, le verso des photos pourrait contenir des conseils sur la photographie ou la réalisation de cartes postales ou cartes de visite à partir des photos imprimées. L’idée étant d’obtenir à partir de ces photos numériques un « sentiment d'album », avec toute la densité émotionnelle associée à ce support.
Pour synthétiser le processus de réalisation du projet, les flux d’interactions potentiels impliqués par le nouvel outil ont été imaginés préalablement à toute autre phase du développement. Les concepts de design possibles ont été organisés en une série de prototypes. Une visualisation sous forme de scénarios imagés a été créée détaillant le processus créatif suivi par l’utilisateur final. Dans le cas évoqué de photos numériques l’illustration suit l’utilisateur des prises des photos jusqu’au produit final des photos imprimées, des produits réalisables à partir de ces mêmes photos, en passant par le choix des accessoires et des outils nécessaires autant à la réalisation pratique qu’à l’achat des produits proposés.
Tout au long de ce processus, le fait d’intégrer au design d’interaction les phases d’analyse du contexte et de recherche sur l’utilisateur final, garantit que les services développés sont adaptés à celui-ci, à son contexte de vie, à ses besoins et à ses désirs.
4. IDSL
PAR NICOLAS GAUDRON ET VIRGINIA CRUZ
IDSL est une agence de conseil en innovation. Elle intervient en amont, sur la construction de la démarche d'innovation, sur l'exploration et le développement de nouveaux concepts, sur la création d'outils et leur diffusion au sein de l'entreprise ou auprès du grand public. Sur des sujets à plus court terme, elle accompagne ses clients vers la conception d’expériences utilisateur, de services, et de nouveaux modes d’interactions.
IDSL anime aussi des programmes de formation en design d’interaction, de service, et en méthodologie d’innovation ou «design thinking» (par exemple à l'École Polytechnique, depuis 2008).
Le design des interactions
Pour IDSL, il est essentiel de réfléchir aux interactions en tant qu'expérience humaine avant de penser à une solution de mise en forme ou à un support particulier. Si l’on prend comme exemple « l’expérience téléphonique », il est tout d'abord question du lien entre deux personnes à distance, du contexte dans lequel chacune se trouve, de leurs émotions, de la possibilité de se parler ou de s'échanger des messages. L'objet physique « téléphone » est un support possible de cette relation, au même titre qu'un ordinateur, un post-it papier ou une tierce personne qui transmet le message. C'est à partir d’éléments clés de l'expérience vécue que l'on propose le meilleur support. Ce dernier devra être le plus adapté à l’expérience et être incarné par une esthétique fonctionnelle et cohérente.
C'est d'autant plus important dans les projets de recherche et d'innovation, car ceux-ci supposent d'ouvrir le champ des possibles au-delà des solutions existantes. En partant des motivations et du vécu de chacun, tout en respectant le périmètre du projet défini par l’entreprise (champs d'applications et utilisateurs recherchés, expertise et stratégie de l'entreprise, technologies etc...) on peut concevoir des interactions cohérentes soutenant l’expérience adaptée.
Des échelles différentes
Penser les interactions est un travail qui se fait à des échelles très différentes. Il peut s'agir de concevoir la façon dont une personne interagit avec un objet physique, avec d'autres personnes via des objets ou interfaces, mais aussi avec son environnement, avec un système ou même un service. Ces échelles sont complémentaires.
La vision système, ou service, est la vision la plus globale : quel service veut-on offrir et comment pourrait-il faire sens pour ses bénéficiaires et pour l'organisation qui va le mettre sur le marché ? Aussi, ce service se décline en plusieurs petites expériences (ou moments-clés) au cours desquelles l'accès au service se fait à travers des interfaces (objets, lieux ou personnes) que l’on appelle « points de contact ». Ces différentes échelles doivent être cohérentes les unes par rapport aux autres.
Par exemple, travailler sur l'expérience d'un service bancaire nécessite de concevoir en cohérence les distributeurs automatiques, les courriers de la banque dont les relevés bancaires imprimés, l'interface d'accès aux comptes sur internet, sur un ordinateur mais aussi sur une application mobile, l'agencement et l'aménagement des agences bancaires, la façon dont les conseillers financiers s'adressent à leurs clients, etc.
Dans tous ses projets, IDSL travaille simultanément l'échelle globale et la petite échelle (l'interaction avec une interface), pour proposer une expérience du service totale et cohérente (pour l'utilisateur et pour l'entreprise), agréable et qualitative.
Faire preuve d’empathie c’est se placer dans le ressenti physique, l'état d'esprit et les situations des personnes auxquelles s'adresse l'innovation service et/ou du produit pour mieux comprendre les problématiques.
Par exemple, si un projet porte sur de jeunes enfants, la phase de recherche empathique sert à comprendre et ressentir la réalité perçue et vécue par l'enfant. Or il est difficile de se mettre à la place de l'enfant puisqu’on ne peut pas encore se « rapetisser ». En revanche, on peut, dans un premier temps, construire (de façon rapide et rudimentaire) un environnement d'enfant à l'échelle d'un adulte : une chaise en carton de 2m50, une bouteille d'eau d'1 mètre de hauteur, etc. Ainsi les difficultés de l'enfant peuvent être expérimentées et ressenties, comme par exemple lorsqu’il s’agit de se servir un verre d'eau sans en renverser. En anglais, ce genre d'expérimentation porte le nom de « bodystorming », ce qui correspond au fait de se mettre dans la peau, dans le corps des autres.
Un autre exemple d’IDSL est celui d’un projet sur la maison et la vie de famille. Afin d’intégrer les situations, les activités et les petites histoires du quotidien, les plaisirs et les difficultés, l'inattendu, les liens sociaux qui font partie du contexte dans lequel viennent s'intégrer le service et/ou les produits proposés, IDSL a proposé, pour un atelier de créativité, des plateaux représentant les pièces d’une maison. Cela a permis de proposer un décor dans lequel les participants ont « joué » différents rôles au sein d’une famille recomposée : une maman séparée de son premier mari avec qui elle a eu une petite fille, elle est en couple avec un papa lui-même divorcé qui a un fils adolescent, le papa de la petite fille étant lui-même engagé dans une nouvelle relation. Les participants ont ainsi pu travailler sur des situations complexes et réelles de la vie quotidienne de façon plus évidente et intuitive.
IDSL, projet client, 2010
Ainsi, pour bien comprendre les enjeux, une des méthodes d’IDSL consiste à observer en amont les personnes dans leur contexte réel. Un troisième exemple est un projet sur la recharge des équipements mobiles à la maison. IDSL est allé chez des gens voir où étaient stockés ces équipements, les lieux de recharge, discuter de leurs habitudes, etc.
IDSL, projet Charging Up, 2009
2. Le prototypage
Prototyper permet de donner rapidement corps et vie à une idée, de transformer une description verbale en une réalité physique. Pour explorer une idée de produit interactif, une première maquette rapide de l'objet physique et de son comportement interactif est réalisée sans chercher à résoudre toutes les questions. L’aspect interactif est souvent simulé via une vidéo ou un dispositif électronique rudimentaire. Pour explorer une idée de service, une première maquette peut être l'illustration d'un parcours à travers les différents moments et points clés du service, la vidéo d'interactions entre personnes jouant le rôle des acteurs du service.
Le prototypage permet de :
- compléter un raisonnement purement « intellectuel» par l'expérience (« physique », sensorielle ou de situation) de l'objet et du service. Cela permet de tester l'idée concrètement et donc d’anticiper les problèmes, de faire évoluer le concept vers l'expérience utilisateur la plus appropriée, et parfois même de découvrir des opportunités inattendues.
– réfléchir sur les relations entre les différentes étapes ensemble plutôt que comme des chantiers séparés. Prototyper très tôt un objet interactif permet, par exemple, de développer une esthétique en lien avec ses comportements dynamiques, et pas seulement comme l'habillage d'un mécanisme interne.
Prototyper est particulièrement intéressant dans des projet d’équipes multidisciplinaires (ingénierie, marketing, sciences humaines et design sont des disciplines complémentaires en phase projet). En effet, cela permet une représentation commune de l'idée sous forme d’une maquette qui peut être essayée par tous et faciliter la discussion. Elle offre par exemple un support qui permet de dissiper des malentendus liés au vocabulaire propre à chaque métier.
Cette méthode peut aussi être utilisée en amont du travail d'exploration. Dans un projet qu’IDSL a mené pour Orange Labs, il était question de faire émerger des concepts d'applications et de services tirant profit de modes d'interactions tangibles, tactiles et gestuels développés par les équipes de recherche. Dans le cadre d'un atelier de créativité, IDSL a expérimenté un de ses outils (« les open-ended objects » [2]
CRUZ Virginia, GAUDRON Nicolas, "Open-ended Objects: a Tool for Brainstorming",in Proceedings of the 8th ACM Conference on Designing Interactive Systems, Aarhus, Denmark / Bibliographie 2010, pp.85-88 et Sihem Ben Mahmoud-Jouini (HEC, France), Christophe Midler, (CRG, CNRS-Ecole Polytechnique), Virginia Cruz, Nicolas Gaudron, "Creative Artefacts: How stimulators, demonstrators and prototypes contribute to the creative processes?", Proceedings of the EIASM 20th International Product Development Management Conference, 2013, Paris.
) pour amener les participants (dont de nombreux experts techniques) à intégrer dans leurs idées ces modes d'interactions en raisonnant en termes d'émotions, de motivations, de désirs humains et sans jamais parler de solutions techniques. Il s'agissait de plusieurs expérimentations interactives faisant appel à différents sens, émotions et contenus. Par exemple, l'une d'elles était un objet que l'on venait caresser.
Lorsque l'objet était caressé pendant un court laps de temps, il se mettait à vibrer sous la main, avec une sensation physique proche de celle d'un chat qui ronronne (mais sans l'évoquer littéralement). Plus l'objet était caressé, plus la sensation physique du ronronnement s'amplifiait. Si l'on arrêtait, la vibration diminuait progressivement jusqu'à disparaître.
Un autre objet était une matrice de clous, reliée à un ordinateur diffusant la vidéo d'une scène de film brouillée.
Lorsque la main était légèrement appuyée sur les clous, la vidéo était un peu plus visible. En maintenant une forte pression, la douleur était plus vive mais le brouillage de la vidéo disparaissait totalement. Au moindre relâchement, la scène se brouillait.
IDSL, projet pour Orange Labs, 2008
IDSL, projet pour Orange Labs, 2008
A travers ces expériences, les participants ont exploré et intégré un rapport plus émotionnel à l'objet, avec des sensations inhabituelles (pour les réflexions existantes du projet), comme la douleur en relation avec la curiosité, qui ont permis une exploration plus riche de la consultation de contenus vidéos, dans la suite des exercices. Cette ouverture de la problématique a permis de trouver des réponses différentes. [3]
A propos du processus design utilisé en entreprise : BROWN Tim, L'esprit design : Le design thinking change l'entreprise et la stratégie, Pearson Village Mondial, 2010.
La réflexion par l'expérience et les interactions, le va-et-vient entre les différentes échelles, les démarches d'empathie et de prototypage sont les constantes de la démarche d’IDSL, déclinées ensuite en outils adaptés à la nature, à l'avancement du projet et à la culture de l’entreprise.
1 BOTSMAN R., ROGERS R. What’s Mine it’s Yours. The Rise of Collaborative Consumption, Harper Business, 2010
2 CRUZ Virginia, GAUDRON Nicolas, "Open-ended Objects: a Tool for Brainstorming", in Proceedings of the 8th ACM Conference on Designing Interactive Systems, Aarhus, Denmark / Bibliographie 2010, pp.85-88 et Sihem Ben Mahmoud-Jouini (HEC, France), Christophe Midler, (CRG, CNRS-Ecole Polytechnique), Virginia Cruz, Nicolas Gaudron, "Creative Artefacts: How stimulators, demonstrators and prototypes contribute to the creative processes?", Proceedings of the EIASM 20th International Product Development Management Conference, 2013, Paris.
3 A propos du processus design utilisé en entreprise : BROWN Tim, L'esprit design : Le design thinking change l'entreprise et la stratégie, Pearson Village Mondial, 2010.