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PIONNIERS ET PRECURSEURS > IANNIS XENAKIS > SCULPTER LE SON
   



Sculpter le son


Indépendamment de ses pratiques compositionnelles, la musique de Xenakis peut être écoutée et analysée comme son composé. Dans sa musique instrumentale comme dans celle électroacoustique, Xenakis s’inscrit dans et prolonge cette tradition, qui commence avec Debussy, où la composition du son tend à se substituer à la composition avec des sons.

Xenakis a émis l’hypothèse d’une « sonorité de second ordre » (Musiques formelles, p. 122) à propos d’Analogique (1958-1959) : les neuf cordes ne jouent que des sons ponctuels (arcos brefs, pizzicatos ou battutos col legno) et la bande est fabriquée avec des nuages de sinus très brefs ; ces sons ponctuels instrumentaux et ces sinus représentent les « grains sonores » et Xenakis espère que l’oreille les fusionnera pour entendre un son global. Cette hypothèse implique donc que la composition (de l’œuvre entière) est une synthèse (du son) à une échelle supérieure.

Cependant, Analogique constitue une exception chez Xenakis. Le cas le plus général dans sa musique ne fait pas appel à une volonté de fusion (intégration) totale pour l’oreille, où la macrocomposition serait déduite sans médiations de la microcomposition. Plutôt, on peut présenter toute œuvre de Xenakis comme une succession de sonorités, c’est-à-dire de globalités composées qui valent comme son (synthétique) seulement à un niveau métaphorique. Prenons comme exemple le début de Jonchaies (1977), à partir de la mesure 10 et jusqu’à la mesure 62, qui met en scène les cordes. Il constitue une très longue section, quasi monolithique, avec une évolution intérieure progressive très claire, à l’image de l’évolution d’un son unique. Les cordes sont divisées en dix-huit parties qui se doublent ou s’individualisent. La section démarre avec une ligne à l’unisson dans l’aigu qui, suivant un parcours sinueux, descend d’une manière irrégulière vers le grave. Progressivement entrent d’autres lignes qui épousent le même parcours selon une technique qui évoque un canon ou, plus exactement, un discours hétérophonique. Aux mesures 24-29, l’ensemble atteint le registre grave, puis commence une ascension selon la même logique sinueuse et hétérophonique. A la mesure 43, l’une des lignes atteint la note la plus aiguë, suivie progressivement par les autres. Le trajet mélodique piétine ensuite dans l’aigu et enfin, quelques lignes descendent à nouveau vers le grave. Malgré son important étalement dans le temps, le trajet, très continu, est suffisamment schématique pour que l’oreille le suive d’un bout à l’autre, comme le ferait l’œil avec un schéma. Par ailleurs, tout ce passage se fonde sur un crible (échelle) unique (Fig.9), un crible qui, selon Xenakis, serait proche de l’échelle du pelog (cf. ses entretiens avec Varga, p. 162).



Fig.9 : Jonchaies (1977), mesures 10-62 : crible


De toute évidence, le propos n’est pas le crible lui-même, en tant que succession de hauteurs. Du fait qu’il s’étale sur une durée aussi longue, qu’il est exploré patiemment sur toute son étendue d’une manière aussi linéaire et qu’il est traité dans le gigantesque halo sonore que provoque la technique de l’hétérophonie, on dira que ce crible est utilisé pour sa couleur. C’est pourquoi tout ce passage constitue une sonorité : on peut le percevoir métaphoriquement comme un son qui se déploierait progressivement et dont on explorerait, comme au microscope et avec un effet de ralenti, la composition interne ainsi que l’évolution temporelle.

Quelques (rares) pièces de Xenakis épousent d’ailleurs le « modèle du son » : l’œuvre entière simule le déploiement dans le temps d’un seul son —un modèle que réactiveront les musiciens spectraux. C’est le cas d’Eonta (1963-1964) : par exemple, la première grande partie (mesures 1-140), après une longue introduction qui évoque les « nuages de sons » de Herma (1961), est constituée de quatre sections où les cuivres évoluent progressivement de très longues tenues vers des sons brefs et changeant sans cesse de hauteur.

La manière avec laquelle Xenakis développe la conception d’une musique comme son composé (sonorité) est particulière : il travaille à la manière d’un sculpteur. La méthode graphique n’est pas étrangère à cette particularité —pensons aux glissandi de Metastaseis, aux nuages de sons de Pithoprakta, aux arborescences (Fig.8) ou aux compositions réalisées sur l’UPIC, qui se présentent comme des blocs sonores travaillés de l’intérieur.



Fig. 8 : Erikhthon (1974), arborescences : graphique de Xenakis
Source : Iannis Xenakis, Musique. Architecture, Tournai, Casterman, 1976, p. 178


Composée avec ou sans graphique, la musique de Xenakis est aux antipodes de la tradition qui fait de la musique un art du temps : avec lui, elle tend à devenir, en quelque sorte, art de l’espace.




© Makis Solomos & Leonardo/Olats, juin 2007


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