Dans ses très nombreux écrits, Xenakis a développé plusieurs thèmes. Parmi les plus importants, tels qu’ils se présentent dans leur développement plus ou moins chronologique :
- Une conception globale du son
A ses débuts, Xenakis a insisté sur une conception globale de la musique, qu’il envisage comme « masse, surface » (cf. « La crise de la musique sérielle », repris dans Kéleütha, p. 39-43). C’est par l’introduction des probabilités qu’il a pu composer des « nuages sonores » (cf. le premier chapitre de Musiques formelles).
- Formalisation
Grâce à Musiques formelles, cette expression fit fortune, et l’on a tendance parfois à l’identifier à toute l’entreprise xenakienne. Il n’est pas difficile de comprendre les raisons de ce succès : le travail avec l’ordinateur a conduit la musique à rechercher à formaliser ce qui, par le passé, relevait de codifications implicites. Il faut cependant souligner le fait que, chez Xenakis, la notion de formalisation ne constitue pas une notion homogène. Elle comprend au moins trois sens :
a) l’idée « d’axiomatiser » la musique, de la fonder (au sens du débat épistémologique autour des mathématiques). L’écrit qui va le plus loin dans ce sens est l’article de 1966 « Vers une philosophie de la musique » (repris dans Musique. Architecture, p. 84-92) ;
b) l’idée de fabriquer un « mécanisme » (un automate), une « boîte noire » qui, après l’introduction de quelques données, produirait une œuvre musicale entière. C’est ainsi qu’il faut comprendre la quête de « phases fondamentales d’une œuvre musicale » et du « minimum de contraintes » à propos d’Achorripsis (cf. Musiques formelles, p. 33-36) ainsi que le programme GENDYN, où Xenakis reprendra les termes utilisés pour Achorripsis : « […] le défi consiste à créer de la musique en commençant, autant que cela est possible, avec un minimum de prémisses, mais qui seraient “intéressantes” du point de vue d’une sensibilité esthétique contemporaine, sans emprunter aux chemins connus ou être piégé par eux » (Formalized Music, p. 295) ;
c) le troisième sens est le plus général : il s’agit tout simplement de l’utilisation des mathématiques pour composer (sur ce point, il faut préciser que seule une petite partie de la musique de Xenakis utilise des mathématiques au sens strict du terme).
- Du dionysiaque
« L’art (et surtout la musique) a bien une fonction fondamentale qui est de catalyser la sublimation qu’il peut apporter par tous les moyens d’expression. Il doit viser à entraîner par des fixations-repères vers l’exaltation totale dans laquelle l’individu se confond, en perdant sa conscience, avec une vérité immédiate, rare, énorme et parfaite », lit-on dans l’introduction de Musiques formelles (p. 15). Les assertions de ce type, qui contrebalancent les références aux sciences, ne sont pas rares dans les écrits de Xenakis, bien qu’elles ne soient jamais développées. Elles suggèrent l’aspect dionysiaque de Xenakis, attiré par une nature orgiaque : « L’auditeur sera […] soit perché sur le sommet d’une montagne au milieu d’une tempête l’envahissant de partout, soit sur un esquif frêle en pleine mer démontée, soit dans un univers pointilliste d’étincelles sonores, se mouvant en nuages compacts ou isolés », écrit-il à propos de Terretektorh (pochette du disque ERATO STU 70529).
- Hors-temps/en-temps
Xenakis développe cette dichotomie dans sa seconde critique de la musique sérielle (cf. l’article de 1967 « Vers une métamusique », repris dans Musique. Architecture, p. 59), qu’il accuse d’avoir accéléré l’évolution de la musique occidentale tendant à évacuer les structures hors-temps. Voici sa définition de cette dichotomie : « Il faut distinguer deux natures : en-temps et hors-temps. Ce qui se laisse penser sans changer par l’avant ou l’après est hors-temps. Les modes traditionnels sont partiellement hors-temps, les relations ou les opérations logiques infligées à des classes de sons, d’intervalles, de caractères…, sont aussi hors-temps. Dès que le discours contient l’avant ou l’après, on est en-temps. L’ordre sériel est en-temps, une mélodie traditionnelle aussi » (Kéleütha, p. 68).
- Alliages arts/sciences
C’est à l’occasion de la soutenance de sa thèse sur travaux que Xenakis forgea cette belle expression —la plus belle qu’il ait jamais utilisée quant à ses emprunts à la sphère des sciences : l’art-science, s’il devait survenir un jour, serait un « alliage », qui plus est, pluriel (« alliages ») et non une synthèse parfaite. Le fondement de ces alliages serait « une nouvelle relation entre arts et sciences, notamment entre arts et mathématiques, dans lesquelles les arts “poseraient” consciemment des problèmes pour lesquels les mathématiques devraient et devront forger de nouvelles théories » (Arts/Sciences. Alliages, p. 14).
- Pour une morphologie générale
C’est également dans Arts/Sciences. Alliages que Xenakis explicite son intérêt fondamental pour une théorie des formes : « Il est […] temps de fonder une nouvelle science de “morphologie générale” qui traitera des formes et des architectures [… des] diverses disciplines, de leurs aspects invariants et des lois de leurs transformations qui parfois ont duré des millions d’années. La toile de fond de cette science nouvelle devra être faite des condensations réelles de l’intelligence, c’est-à-dire de l’approche abstraite, dégagée de l’anecdotique de nos sens et de nos habitudes. Par exemple, l’évolution formelle des vertèbres des dinosaures est un des documents paléontologiques à verser aux dossiers de la science des formes » (Arts/Sciences. Alliages, p. 14).
- Le temps
Les textes tardifs de Xenakis laissent percer une interrogation sur la notion de temps. Son article de 1988 « Sur le temps » (repris dans Kéleütha, p. 94-105) s’ouvre ainsi : « Le temps n’est-il pas simplement une notion-épiphénomène d’une réalité plus profonde ? »
- De l’originalité
La notion d’originalité occupe également certains textes tardifs, où Xenakis sous-entend que la création artistique doit être à l’image d’une démiurgie, d’une originalité absolue (cf. son article 1984, « Musique et originalité », repris dans Kéleütha, p. 106-111).
© Makis Solomos & Leonardo/Olats, juin 2007
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