Média, Support, Langage, matière : quelle différence ?
Média
Support
Langage
Nature formelle de l'information (genre)
Matière/Matériau
Sens
Tableau synthétique
Conclusion : ça se complique !
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Média, support, matière, une certaine confusion, pour ne pas dire une confusion certaine, règne entre ces différents termes, souvent utilisés l'un pour l'autre, indifféremment. Ce qui est valide dans certains cas est un contre-sens dans beaucoup d'autres.
Nous proposons ici une catégorisation et des définitions. Nous distinguons entre : média, support, matière/matériau, nature formelle de l'information (genre), langage et sens.
Il s'agit d'une distinction sous-tendue par une analyse et une approche. D'autres sont possibles (notamment pour ce qui relève des notions de langage, de matière et de ce que nous appelons "nature formelle de l'information"). Les choses ne sont pas figées —le débat et la réflexion se poursuivent— ; les frontières entre ces catégories sont quelquefois ténues —les catégorisations sont toujours réductrices et simplificatrices. Celle-ci doit être prise pour ce qu'elle est : une tentative de clarification offrant des "outils" pour une appréhension et une analyse de l'art "multimédia".
MEDIA
|||||||||| Un média est un moyen de diffusion, de transmission et de communication de l'information. Information est ici entendue au sens de la théorie de l'information (un ensemble de "données", quelles que soient leur "matière" et leur "mise en forme", leur organisation et indépendamment de leur sens, de leur signification) et non au sens journalistique du terme.
Quelques exemples de médias (liste non limitative) :
La voix humaine : sans doute le plus ancien.
Le corps : communication non-verbale,[1] WATZLAWICK Paul, Une logique de la communication, avec J. Beavin et D. Jackson, Paris, Le Seuil, Collection Points, 1979.
WATZLAWICK Paul, La réalité de la réalité, Confusion, Désinformation, Communication, Paris, Le Seuil, Collection Points, 1976.
HALL Edward, La dimension cachée et Le langage silencieux, Paris, Le Seuil, Collection Points.
spontanée ou organisée. L'école dite de Palo Alto (en Californie), avec des auteurs comme Paul Watzlawick et Edward Hall, a consacré de nombreuses études à cette communication non-verbale, spontanée. La danse est un bon exemple de communication corporelle non-verbale organisée.
Signaux : de fumées, lumineux, sonores, etc.
Le théâtre : en tant que dispositif de représentation (scène, coulisses, éclairage, salle, etc.) et en général tous les dispositifs pour le spectacle vivant (concert, danse, etc.).
Le livre, le journal, la revue, l'imprimé en général.
Le cinéma : en tant que dispositif de projection (salle, écran, projecteur, etc.).
La radio, la télévision.
Le magnétoscope, le magnétophone, les équipements divers de lecture de produits enregistrés.
Les systèmes de télécommunications : télégraphe, téléphone, fax, Internet.
L'ordinateur.
SUPPORT
|||||||||| Un support est l'objet dans lequel s'incorpore et se stocke l'information à transmettre.
Quelques exemples de support (liste non limitative) :
Le cerveau humain (mémoire).
Le corps humain : support d'inscriptions ou de modifications (des peintures corporelles, tatouages et scarifications au body art et aux piercings), support de la mémoire aussi (le cerveau n'est pas le seul support de la mémoire, le corps tout entier y participe).
Le vêtement : en Afrique, les impressions sur les tissus servant à confectionner les vêtements n'étaient pas purement décoratives.[2] Je me réfère ici à une exposition de tissus anciens organisée au Musée Daepper. Ma connaissance du sujet ne me permet pas de dire quoi que ce soit sur le vêtement contemporain en Afrique, d'autant qu'aujourd'hui au vêtement traditionnel s'ajoute celui issu de l'Occident. Elles communiquaient sur la personne, son statut au sein du groupe, la nature du contexte dans lequel le vêtement était porté, la place qu'occupait la personne dans ce contexte, etc. Cette communication était strictement codifiée. En Occident contemporain, le choix du groupe d'appartenance par le vêtement et les codes vestimentaires sont laissés, relativement, au libre-arbitre des individus.
Le paysage : tas de cailloux pour indiquer un chemin ou un bornage, mais aussi inscriptions graphiques à des fins artistiques, religieuses ou communautaires sur des parois rocheuses (par exemple le dessin du rocher de Bedolina, sorte de carte de la région, dessinée sur un rocher la surplombant) jusqu'au Land art et à l'art dans l'environnement comme les rochers peints en bleu par Verame dans le désert africain.
Le livre, le journal, l'imprimé (affiche, etc.).
Le film (la pellicule).
La bande vidéo.
Le cd, le disque, la cassette, etc.
Le cdrom, le DVD, la disquette, le Zip, etc.
L'ordinateur (disque dur).
LANGAGE
|||||||||| Nous appelons langage, le système de codage de l'information.
Nous avons recensé huit types de langage :
La parole. La parole humaine se structure en différentes langues (français, anglais, chinois, etc.). Il serait sans doute plus juste ici de dire la "langue" au lieu de la "parole", mais nous voulons mettre l'accent sur le fait que cette langue est "parlée" par un système vocal humain.
Le langage corporel : gestuelle, mouvement.
Le langage sonore (non-verbal) : tout ce qui relève de la musique par exemple.
Le langage visuel.
Le langage écrit.
La lumière.
L'informatique, l'ensemble des codes d'écriture des divers programmes.
La biologie (biotechnologie).
NATURE FORMELLE DE L'INFORMATION (GENRE)
|||||||||| Ce que nous appelons nature formelle de l'information est la forme que prend l'information —la matière— une fois codée dans un langage donné. La nature formelle de l'information est un "genre" au sein d'un langage. Celui-ci peut évoluer au cours des siècles et des pratiques et donner lieu à des "styles" selon les auteurs et les artistes. Les langages conditionnent les genres possibles, l'utilisation de certains matériaux et débouchent sur certains types de supports et de médias.
Quelques exemples de nature formelle de l'information ou genre (liste évidemment non limitative) :
Le conte, mais aussi le théâtre radiophonique ou le discours : exemples de nature formelle dans le langage de la parole.
La danse : exemple de nature formelle dans le langage corporel. Il est évident que la danse s'organise elle-même en sous-genres.
Le roman, la poésie : exemples de nature formelle dans le langage écrit.
La peinture, la photographie, l'image en mouvement (ou animée) : exemples de nature formelle dans le langage visuel.
Le chant, la symphonie : exemples de nature formelle dans le langage sonore (non-verbal).
L'hypermédia, le générateur : exemples de nature formelle dans le langage informatique.
Le transgénique : exemple de nature formelle dans le langage techno-biologique.
MATIERE/MATERIAU
|||||||||| La matière —ou le matériau— a ici sa définition classique en art. Là où ça se complique c'est que d'une part, dans l'art non "technologique", matière et média, et matière et support peuvent être la même chose, ce qui n'est pas forcément le cas dans l'art "multimédia" et que d'autre part, dans l'art "multimédia", cette matière est le plus souvent ... immatérielle !
|||||||||| C'est ce que nous avons appelé jusqu'à présent, dans ce texte, "l'information".
Quelques exemples de matière ou matériau (liste non limitative) :
La glaise, le marbre, le bronze.
La peinture à l'huile, acrylique, les pigments, la toile, le film/la pellicule.
Les mots, la syntaxe, la grammaire.
Les sons, les bruits.
Le corps : par exemple dans la danse, la performance, l'opéra, une partie du body art.
L'informatique, le numérique.
SENS
|||||||||| Les sens sont les moyens dont disposent les êtres humains pour percevoir et appréhender le monde et donc les œuvres. On en dénombre cinq reposant sur les capteurs sensoriels (vue, ouïe, toucher, odorat, goût) mais il en existe d'autres dans les muscles, les articulations, l'oreille interne. À cela s'ajoute le "sens du mouvement" ou kinesthésie. Dans la pratique artistique, la vue, l'ouie, le toucher et la kinesthésie sont prépondérants. Le goût et l'odorat ont pu être utilisés de manière expérimentale, mais à notre connaissance non durable.
Aucune œuvre ne peut vraiment exister sans être perceptible par l'un au moins de nos sens, y compris les œuvres qui reposent sur une matière immatérielle et les œuvres conceptuelles.
En Occident, on note une domination de la vue dans la hiérarchie des arts (peinture, lecture/littérature).
L'un des points forts de l'art "multimédia" va être de (re)mettre la pluri-sensorialité dans la pratique et la perception des œuvres. Un autre élément essentiel de l'art des nouveaux médias (et plus largement de nos sociétés technologisées) est le développement d'une perception "prothésée", médiatisée par des techniques, des instrumentations et des dispositifs pour nous permettre d'appréhender ce que nos sens "nus" ne peuvent capter, que ce soit parce qu'il s'agit de phénomènes naturels hors de notre portée (dans l'infiniment grand ou l'infiniment petit) ou les phénomènes technologiques eux-mêmes.
TABLEAU SYNTHETIQUE
Média |
Support |
Langage |
Nature formelle de
l'information
(genre) |
Matière |
Sens |
Voix
Corps
Signaux
Théâtre (dispositif)
Livre
Journal
Cinéma (dispositif)
Radio
Télévision
Magnétoscope, magnétophone, etc.
Télécommunications: télégraphe, téléphone, fax, Internet
Ordinateur |
Cerveau humain
Corps humain
Vêtement
Paysage
Livre
Journal
Film (pellicule)
Bande vidéo
CD, disque, cassette, etc.
CDrom, DVD, disquette, etc.
Disque dur des ordinateurs |
Parole
Langage corporel
Langage sonore (non-verbal)
Langage écrit
Langage visuel
La lumière
Informatique
Bio(techno)logie |
Conte
Danse
Roman
Poésie
Peinture
Photographie
Image animée
Symphonie
Hypermédia
Générateur
Transgénique |
Glaise, marbre, bronze
Béton, acier, verre
Mots
Peinture acrylique, toile
Film, pellicule
Lumière
Sons, bruits
Corps
Numérique |
Vue
Ouie
Toucher
Odorat
Goût |
CONCLUSION : ÇA SE COMPLIQUE !
Média et support peuvent être identiques (et, par commodité de langage ou usage, on utilise souvent l'un pour l'autre), c'est le cas du livre et plus généralement de toute la transmission de l'écrit. C'est le cas également pour la peinture, la sculpture ou les tissus africains. On notera que pour la sculpture, média, support et matière ne font qu'un. La domination de l'écrit et de la peinture nous fait parfois oublier que les deux peuvent être distincts -et cela bien avant l'arrivée des technologies numériques et télécomputationnelles. Ainsi la voix, tout comme le téléphone, est le moyen de diffusion, la mémoire humaine le support de l'information ; le cinéma est le moyen de diffusion du film ; le théâtre celui d'une pièce ; l'ordinateur (UC + périphériques) celui du CD-ROM (le cdrom n'est pas un média, mais un support) ; dans le cas de la radio ou de la télévision, la bande ou le programme (audio ou audiovisuelle) est le support, le système de diffusion est différent. Ce dont rend d'ailleurs bien compte le découpage des sociétés où émetteur des messages (les chaînes) et diffuseur des messages (TDF) sont des organismes distincts.
Par extension, et en se référant peut être inconsciemment à l'écrit, la tendance est d'assimiler les deux, notamment dans le vocabulaire : cas de la radio et de la télévision mais aussi en grande partie de tout ce qui est associé à l'ordinateur alors que, précisément, dans le cas de l'informatique les supports et les médias sont distincts (hormis quand on consulte sur un ordinateur des informations stockées dans le disque dur de ce même ordinateur). Mais si Internet est un média, il n'est certainement pas un support.
Cette même assimilation se retrouve avec les autres termes : le mot théâtre renvoie à une forme particulière de l'écrit (nature formelle de l'information), au support (livre), à un moyen particulier de communication (la représentation) et à au moins deux langages (langage corporel et parole).
Nous recevons, nous percevons l'information via nos sens. Un ou plusieurs peuvent être sollicités pour une même information : la radio, le téléphone mettent en œuvre l'ouie ; l'écrit sollicite la vue ; la télévision stimule ouie et vue, etc.
Il est important de pouvoir effectuer une discrimination entre les termes et notamment de ne pas confondre multi-média et multi-sensoriel. La télévision, instrument multisensoriel n'a jamais été perçue ou décrite comme multimédia mais, précisément, comme "audio-visuelle" (alors qu'elle transmet du son et de l'image pour reprendre une formule consacrée). Nous verrons plus loin Ö
pourquoi l'ordinateur et la communication numérique sont affirmés comme multi média alors que de toute évidence ce n'est pas le cas.
Sommaire
Introduction
Qu'est-ce qu'un média ?
Qu'est-ce que "l'art des nouveaux médias" ?
Quelle est l'histoire de "l'art des nouveaux médias" dans la seconde moitié du XXe siècle ?
Média, support, langage, matière : quelle différence ?
Le "multimédia" est-il multi média ?
Qu'est-ce que l'interactivité ?
Qu'est-ce qu'une interface ?
Le cyberespace est-il ailleurs ?
Quelles sont les formes dominantes de l'art "multimédia" ?
Quelles sont les structures d'écriture de l'art "multimédia" ?
Ressources sur les cd-roms artistiques
Webiographie : information en ligne sur l'art "multimédia" et les sites web artistiques
Bibliographies
© Leonardo/Olats & Annick Bureaud, avril 2004
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