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ETUDES ET ESSAIS > LES BASIQUES : ART "MULTIMEDIA" > QUELLE EST L'HISTOIRE DE "L'ART DES NOUVEAUX MEDIAS" DANS L'ART DE LA SECONDE MOITIE DU XXE SIECLE ?
   
< - Sommaire - > -    

  
 





Quelle est l'histoire de "l'art des nouveaux médias" dans l'art de la seconde moitié du XXe siècle ?



  • Les courants et les mouvements
  • L'art cinétique
    L'art conceptuel
    Fluxus
    Happening & performance
    Land art

  • Les groupes et les institutions de l'art technoscientifique
  • Black Mountain College
    Jikken Kôbô
    E.A.T., Experiments in Art and Technology
    C.A.V.S., Center for Visual Advanced Visual Studies

  • Idées, principes et concepts
  • Les matériaux de l'art
    Les lieux de l'art
    Objets finis versus processus
    Le temps
    L'espace versus les espaces
    Le multi media
    Dématérialisation de l'œuvre
    Nouvelle position de l'artiste
    Nouvelle position du spectateur

  • Conclusion : quelles filiations dans les analyses théoriques ?

  • Le symbole Ö avant ou après un mot indique un lien vers une autre fiche du module.


     

    L'art des nouveaux médias s'inscrit dans une histoire de l'art des médias technologiques mais aussi dans un ensemble de courants et de mouvements artistiques autour des années 60 dont il a fait partie et dont sont issus des concepts qu'il a contribué à définir et que nous retrouvons aujourd'hui.

    L'objectif n'est pas ici de reprendre en détail l'histoire de l'art de la seconde moitié du XXe siècle mais d'indiquer quelques points de repères et éléments clés. Pour une base de départ nous renvoyons à l'excellent Groupes, Mouvements, Tendances de l'Art Contemporain depuis 1945 (MAC), publié par l'Ensba sous la direction de Mathilde Ferrer.

     

     
    LES COURANTS ET LES MOUVEMENTS

     

  • L'art cinétique

    Il naît dans les années 50 et trouve sa filiation dans les travaux du Bauhaus (ex : Moholy-Nagy), des constructives russes (ex : Naum Gabo) ou encore du mouvement De Stijl.

    "L'intervention du spectateur, la recherche du mouvement et la transparence des matériaux sont les composantes de cet art du mobile", écrit Cléo Armstrong dans le MAC. Les phénomènes optiques, la lumière, les machines et l'électronique (Nicolas Schöffer), les forces magnétiques (Takis), le temps, sont les nouveaux matériaux de ces œuvres dont certaines ouvrent la voie à ce qui deviendra l'art de la programmation : construites selon des règles strictes de comportement de leurs éléments, leurs différents "états" et la succession de ceux-ci ne peuvent être contrôlés par l'artiste (ex : CYSP de Nicolas Schöffer) .


    " CYSP1 "
    Nicolas Schöffer
    © Schöffer

    " Away from the Earth II "
    Frank Malina
    Lumidyne System. 5 disques.
    200 x 100 cm
    © Frank Malina

    De très nombreux artistes ont fait partie de l'art cinétique, il serait impossible de les mentionner tous, citons : Pol Bury, Julio Le Parc, Frank Malina, François Morellet, Abraham Palatnik, Nicolas Schöffer, Jesús Rafael Soto, Jean Tinguely, Wen-Ying Tsaï.

    Le mouvement s'étendit à l'ensemble de la planète. Paris y occupa une place de choix, notamment par le rôle que jouèrent la Galerie Denise René et le théoricien Frank Popper, et le fait que beaucoup des artistes sud-américains y vivaient.

    L'ouvrage clé sur le sujet est celui de Frank Popper, L'art cinétique, Paris, Gauthier-Villars, 1970. On se réfèrera aussi aux trois catalogues d'expositions plus récents : Force Fields, Phases of the Kinetic, Londres, Hayward Gallery, 2000, Denise René, l'intrépide : une galerie dans l'aventure de l'art abstrait, 1944-1978, Paris, Centre Pompidou, 2001 et Lanterna Magika. Nouvelles technologies dans l'art tchèque du XXe siècle, Paris, Espace EDF Electra, 2002.

     

  • L'art conceptuel

    L'art conceptuel est né au milieu des années 60 aux Etats-Unis avant de s'étendre principalement en Europe (Angleterre et France notamment). Il remet en cause l'objet comme finalité de la pratique artistique et pose que l'idée, le concept peuvent être des œuvres. Dans ces années où la consommation s'envole, il met à la question le système marchand de l'art. "Dressant la critique de la circulation de l'œuvre et de la spéculation dont elle est l'objet, les conceptuels formulaient également la disparition de leur statut de créateurs" écrit Sylvie Couderc pour le MAC.

    Parmi les artistes conceptuels, on mentionnera Sol LeWitt, Joseph Kosuth, On Kawara, Lawrence Wiener.

    Si d'innombrables articles ont été publiés dans toutes les langues, les ouvrages anglophones restent prépondérants comme Conceptual Art: A Critical Anthology, sous la direction d'Alexander Alberro & Bake Stimson, Cambridge, MIT Press, 1999.

     

  • Fluxus

    Issu de la musique expérimentale, Fluxus naît en 1961, ainsi nommé par George Maciunas. Fluxus n'est pas un mouvement aux contours délimités, avec une liste de membres mais plutôt une nébuleuse d'artistes, d'écrivains, de cinéastes, de musiciens, etc. —parmi lesquels Dick Higgins, Yoko Ono, Robert Filliou— aux pratiques éclectiques.

    Contre un ordre bourgeois, un art dans une sphère isolée du reste de la société et de la vie, "Fluxus était anti art, surtout s'agissant de l'art considéré comme la propriété exclusive des musées et des collectionneurs. Il s'attaquait au sérieux et à la gravité du modernisme et, à la suite de Duchamp, tentait d'affirmer l'existence d'un lien essentiel entre les objets et les événements du quotidien et l'art". [1]

    Performances, happenings, événements (dans lesquels le spectateur n'est plus un "public récepteur" mais un participant actif), mais aussi installations et innovations dans le cinéma puis la vidéo, sont au cœur des pratiques Fluxus.

     

  • Happening & Performance

    * Happening

    Le mot "happening" vient du verbe anglais "to happen" : ce qui arrive, ce qui advient. Allan Kaprow écrit [2] : "les happenings sont des événements qui, pour dire les choses simplement, ont lieu". Claude Gintz, dans le MAC, date leur apparition de 1952, moment de la rencontre, au Black Mountain College de Merce Cunningham, John Cage et Robert Rauschenberg.

    Les happenings furent des événements de toutes sortes, ils ont en commun un certain nombre de caractéristiques ou principes de base :

    - il s'agit d'un ensemble d'actions non reproductibles (on ne peut pas le faire deux fois) et non répétables (on ne peut pas faire des répétitions préalables) à la différence du théâtre, mais aussi en partie des performances qui peuvent être reproductibles ;

    - le "lieu" du happening peut être n'importe où (la rue, un champ, un garage, un appartement, etc.), dans des lieux qui ne sont pas nécessairement consacrés à l'art ;

    - si un "canevas", des directions fixées ou notées comme une partition sont élaborées par l'artiste, le happening laisse une grande part à l'improvisation, à l'imprévu, à l'inattendu, à l'indéterminé ;

    - il n'y a plus de "public" proprement dit. On ne "regarde" pas un happening comme un spectacle, on est "là", on y participe ;

    - le happening ne produit pas un "objet" mais un événement qui ne perdure que dans la mémoire de ceux qui y assistèrent, laissant la place à l'élaboration de la légende et du mythe ;

    - n'importe quel matériau est utilisable ;

    - la durée est variable (de 10 minutes à plusieurs heures, pas forcément connue à l'avance) et rompt avec la convention des 1h30 de moyenne de la durée habituelle d'un spectacle.

    Allan Kaprow le résume en écrivant [3] : "Au début des années 60, les happenings les plus expérimentaux et les Events Fluxus avaient éliminé, non seulement les acteurs, les rôles, l'intrigue, les répétitions et les reprises, mais aussi le public, l'espace scénique unique et le bloc de temps usuel d'une heure ou à peu près".

    Parmi les artistes ayant réalisé des happenings, citons : Allan Kaprow, Dick Higgins, La Monte Young, aux Etats-Unis ; Robert Filliou, Jean-Jacques Lebel en France ; le groupe Gutaï au Japon.

    Parmi les références bibliographiques, mentionnons : Allan Kaprow, L'art et la vie confondus, textes réunis par Jeff Kelley, traduction française Jacques Donguy, Paris, Centre Pompidou, 1996 et Le Happening par Jean-Jacques Lebel, Paris, Denoël, 1966

    * Performance

    Apparue à la fin des années 60 - début des années 70, la performance s'inscrit dans la suite du happening. "La Performance est exactement ce que signifie en anglais le mot "performance" : un "accomplissement". Sa définition encyclopédique pourrait être celle-ci : accomplissement public en tant qu'œuvre d'art, ne nécessitant aucun savoir-faire particulier, sans fonction sinon d'exister fugitivement, multi-disciplinaire ou tendant au niveau zéro de l'expression" écrit Arnaud Labelle-Rojoux dans le MAC.

    La performance est, d'une certaine manière, plus "organisée" que le happening. Elle est notamment "reproductible", comme les performances de Charlotte Moorman brisant un violon ou jouant du violoncelle sur le dos de Nam June Paik qui furent "refaites" en 1990, lors de la manifestation Art Transition qui s'est tenue au C.AV.S. au M.I.T. Elle peut ne mettre en jeu que l'artiste, ou un groupe d'artistes, la place et le rôle du public pouvant y être de différente nature, de la participation à la simple position de spectateur. Allan Kaprow distingue deux sortes de performance. Il écrit[4] : "Habituellement une performance est une sorte de pièce de théâtre, de danse ou de concert présenté à un public —même dans l'avant-garde. Mais actuellement il y a deux types de performance faites couramment par les artistes : une à prédominance théâtrale, et une non-théâtrale moins reconnue". La performance "théâtrale" s'inscrit dans des modèles connus, répertoriés du spectacle vivant, même si elle s'en éloigne par certains aspects, elle est variation autour de la convention. La performance non-théâtrale ne "préconditionne" pas le public par la mise en œuvre de codes connus, intégrés, elle "sort du cadre".

    Parmi les artistes "historiques" de la performance, citons : John Cage, Allan Kaprow, Meredith Monk, Chris Burden, Laurie Anderson (Etats-Unis) ; Orlan, Jean-Jacques Lebel, Joël Hubaut (France) ; Richard Martel (Québec) ; Ulay et Abramovic (Pays-Bas) ; Groupe Gutaï (Japon).

    Parmi les références bibliographiques, mentionnons : L'acte pour l'art, d'Arnaud Labelle-Rojoux, Paris, les Editeurs Evidant, 1988 et deux ouvrages plus récents, Out of Actions: Between Performance and the Object, 1949-1979, Londres, Thames & Hudson, 1999 (catalogue d'exposition) et Performance, l'art en action, de Roselee Goldberg, Paris, Thames & Hudson, 1999.

     

  • Land Art

    Sortir l'art des "lieux de l'art" (galeries, musées) est le leitmotiv des années 60. L'environnement urbain (rues, terrains vagues des villes, lofts, centres commerciaux, boutiques, etc.) devient le territoire privilégié mais non unique de la recherche d'autres types de lieux pour l'art. À ses côtés on trouve aussi l'environnement immatériel des mass médias (télévision) et le "territoire de la nature". "La notion de Land Art s'est développée aux Etats-Unis à la fin des années 60, a essaimé en Europe au début des années 70 et n'a cessé, depuis, d'inspirer des interventions dans le paysage. Issue d'une conception minimaliste de la sculpture qui rompait avec une tradition décorative, elle s'inscrit dans ce vaste mouvement du non-art ou de l'Anti-form qui parcourt alors l'art contemporain. S'insurgeant contre une économie de marché et résultant d'une fuite hors du musée et des galeries, elle s'associe à une conscience écologique du territoire et à une redécouverte des cultures archaïques" écrit Anne Dagbert dans le MAC.

    Robert Smithson, Robert Morris, Richard Long, Christo font partie des artistes du Land Art.

    De très nombreux articles et ouvrages ont été publiés sur le Land Art, notamment par les artistes eux-mêmes (Robert Morris par exemple). On retiendra ici deux ouvrages : Land art de Gilles Tiberghien, Paris, Carré, 1993 et En chemin, le Land art d'Anne-Françoise Penders, Bruxelles, La Lettre volée, 2000.

     

     
    LES GROUPES ET INSTITUTIONS DE L'ART TECHNOSCIENTIFIQUE

    Fin des années 50 - début des années 60 des groupes d'artistes ou des lieux plus institutionnels se forment et conduisent une recherche artistique avec les technologies. Nous en présentons quatre ici. Trois sont américains. Cette disproportion ne traduit pas une activité qui aurait été plus importante aux Etats-Unis, mais le biais d'une histoire de l'art dominée par un pays et une langue. D'autres groupes existèrent en France (le G.R.A.V), au Royaume-Uni, en Allemagne, en Yougoslavie (Groupe de Zagreb), en Australie, etc. Leur histoire est en train d'être établie par diverses personnes et institutions dans le monde. Le projet Pionniers & Précurseurs de Leonardo/Olats en fait partie tout comme le Media Art Net sous la direction de Dieter Daniels et Rudolf Frieling en Allemagne.

  • Black Mountain College, (1933 - 1957), Etats-Unis

    Situé en Caroline du Nord, le Black Mountain College a été fondé par John Rice (lettres) et Theodore Dreier (physique). Sa singularité repose sur une nouvelle approche de l'enseignement en général (organisé autour de l'idée de communauté, dans une nouvelle relation enseignants-étudiants, une évaluation des étudiants sur la réalisation d'un projet, etc.), et de l'enseignement de l'art en particulier dans une approche multi-disciplinaire (mathématique, art, littérature, poésie, physique, musique, philosophie, danse, linguistique, psychologie, théâtre, engineering font partie des matières au programme).

    Parmi les enseignants, dès l'origine, on retrouve un nombre important d'artistes du Bauhaus ayant fui l'Allemagne nazi : Josef et Anni Albers (cette dernière enseigne le tissage), Theodore Dreier (physique), Heinrich Jalowetz (musique, disciple d'Arnold Schoenberg), Albert Levi (philosophie) mais aussi l'Américain Charles Olson (poésie).

    Si la première phase du Black Mountain College est essentielle dans l'histoire de l'art et de son enseignement, notamment aux Etats-Unis, c'est après guerre qu'il a joué un rôle crucial dans l'émergence de nouvelles formes d'art, d'expérimentations, avec ses "classes d'été", dont la première eut lieu en 1944. Parmi ses enseignants on y retrouve John Cage, Merce Cunningham, Richard Buckminster Fuller, tous trois en 1948— et parmi ses étudiants —Robert Rauschenberg ou David Tudor. Le happening y naît en 1952 sur une initiative de Cage.

    Pour une information plus complète sur le Black Mountain College on se réfèrera aux deux ouvrages clés :

    The Art at the Black Mountain College de Mary Emma Harris, Cambridge, MIT Press, 1988 et Black Mountain: an Exploration in Community de Martin Duberman, New York, W.W. Norton & Company Inc., 1993 ;

    ainsi qu'aux deux sites web, Black Mountain College Museum & Arts Center et Black Mountain College Project

     

  • Jikken Kôbô (Experimental Workshop ou Atelier Expérimental), 1951 - 1958), Japon

    Le Jikken Kôbô fut créé en 1951 par un groupe d'artistes provenant de différentes disciplines : poésie, peinture, musique, photographie, travail sur la lumière, théâtre. Groupe interdisciplinaire, il se distingue des autres en ce sens que, s'il inclut les nouvelles technologies et les idées du début de la seconde moitié du XXe siècle, il ne vise pas à associer artistes et ingénieurs mais différentes disciplines artistiques.

    L'idée clé du Jikken Kôbô est la notion d'expérimentation en art, comme processus, comparée à cette même notion en science, de l'utiliser pour une pratique artistique et de réfléchir aux changements que cela peut induire pour l'art et l'œuvre en tant que telle.

    L'histoire du Jikken Kôbô est une des expériences les moins connues de l'histoire de l'art électronique. Pour Katsuhiro Yamaguchi, un de ses fondateurs et un des rares artistes à avoir poursuivi dans cette voie, les principales raisons en sont "que ses activités recouvraient des spectacles musicaux et théâtraux et qu'il était donc difficile de les discuter uniquement en termes d'art ; la seconde est qu'il mixait une approche constructiviste avec un intérêt pour les médias et la technologie et la troisième que le style de chacun des membres était très différent et qu'il n'y avait donc pas de d'identité formelle Jikken Kôbô aisément reconnaissable ; enfin, nombre de ses activités étaient éphémères plutôt que des objets durables et il n'y a donc que peu de documentation sur le travail accompli".[5] L'activité du groupe a cessé en 1958. Outre Yamaguchi, artiste visuel, les musiciens furent les seuls à poursuivre dans le domaine de l'art électronique (parmi eux Takemitsu et Yuasa).

     

  • E.A.T., Experiments in Art and Technology, (1966 - 1972-78)

    En octobre 1966, 9 soirées furent organisées à New York pour démontrer les relations entre le théâtre et la technologie. E.A.T. naquit un an plus tard en octobre 1967, créé par Billy Klüver et Robert Rauschenberg, tous deux à l'initiative des manifestations d'octobre 1966. La raison d'être d'E.A.T. était d'étudier les possibilités nouvelles offertes par la technologie : holographie, laser, son et images électroniques, études optiques de la lumière et de la couleur, afin de produire des œuvres qui seraient le fruit d'un langage commun entre l'art, la science et la technologie et d'instruire une véritable collaboration entre artistes et ingénieurs.

     

  • C.A.V.S., Center for Advanced Visual Studies, Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.), Cambridge (1967 - *)

    Le C.A.V.S. a été fondé en 1967 par Gyorgy Kepes. Il s'agissait, à l'origine, de créer un institut de recherche pour un travail de création interdisciplinaire dans les domaines de l'art, de la science et de la technologie avec une collaboration entre artistes, scientifiques et ingénieurs (puisant dans ce réservoir immense qu'est le M.I.T.).

    Cette "vision" de Kepes et la réponse -que l'on peut toujours considérer comme étonnante- d'une institution vouée à la recherche scientifique et à l'enseignement technique de haut niveau, a effectivement engendré de nombreuses collaborations et projets. D'une certaine façon, la consécration en est peut-être le premier doctorat (Ph.D) délivré en art par le M.I.T. à l'artiste Todd Siler en 1986.

    La production artistique du C.A.V.S. fait une large part à la lumière dans ses différents aspects technologiques (holographie, laser, cinétisme, etc.), certainement à cause de l'origine et des intérêts de Kepes et ensuite d'Otto Piene, deuxième directeur du C.A.V.S. (de 1974 à 1994) et premier "Fellow" non américain du Centre en 1968. Piene influença le Centre de manière considérable en l'orientant notamment vers un art environnemental et en introduisant de nouvelles technologies, au fur et à mesure de leur apparition. Une autre des grandes tendances du Centre au cours des "années Piene" fut les grands projets réalisés en collaboration non seulement avec des scientifiques et ingénieurs mais surtout par tous les artistes du Centre. On peut ainsi mentionner parmi les réalisations majeures : les Sky Art Events (une des directions de recherche de Piene) dont la clôture des Jeux Olympiques de Munich en 1972, le Centerbeam à la Documenta 6 de Kassel en 1977 et Desert Sun, Desert Moon en 1986 où toute l'équipe du C.A.V.S. se déplaça près du Mont Whitney, dans des collines désertiques à la frontière de la Californie et de l'Alabama.

    Le C.A.V.S. aura compté comme "Fellows" parmi les plus grands artistes liés à ces disciplines. Outre le fondateur Gyorgy Kepes, on peut citer Peter Campus, Catherine Ikam, Dieter Jung, Piotr Kowalski, Charlotte Moorman, Antoni Muntadas, Nam June Paik, Takis, Tsai et bien d'autres.

    Contrairement à d'autres groupes d'artistes, ou même à d'autres centres, le C.A.V.S. est un des rares à avoir eu une telle longévité et à poursuivre des activités aujourd'hui.

     

     
    IDEES, PRINCIPES ET CONCEPTS

    Amorcée dans la première partie du XXe siècle (avant-gardes historiques : Futurisme, Constructivisme, Bauhaus, etc.), l'évolution de ce qui "fait art",[6] de ce qui "fait œuvre" prend une dimension plus radicale dans la seconde moitié du siècle, notamment autour des années 60/70, dans tous les champs de la pratique artistique, utilisant ou non les technologies contemporaines. Il s'agit d'une "évolution", c'est-à-dire de la maturation d'idées émises tout au long du siècle et qui trouvent leur aboutissement, qui peuvent se "concrétiser" dans des œuvres quand les moyens l'autorisent (ainsi des créations de radio art des Futuristes qui restèrent à l'état de "partitions" jusqu'à ce que les techniques radiophoniques permettent leur réalisation effective). Ces filiations conceptuelles ne signifient pas pour autant que "rien ne change" et que les artistes d'aujourd'hui ne font que reprendre les notions établies par leurs aînés. Idées et contextes (culturel, social, économique, politique) changent, tout comme la technologie, engendrant ainsi de nouvelles possibilités, de nouvelles questions et de nouvelles réponses.

    Cependant, certaines "lignes de force" restent pertinentes aujourd'hui et traversent l'art contemporain, technologique ou non. Nous allons en pointer quelques-unes, sans prétendre à l'exhaustivité, ni à une analyse en profondeur de leurs interactions.

    Les matériaux de l'art

    Tout peut être matériau, support, média pour l'art. Il n'y a plus de matériaux "nobles" et d'autres qui seraient triviaux. C'est ainsi que des hélicoptères (matériaux a priori très éloignés de l'art) furent utilisés par Sam Francis (Helicopter painting event, 1966) ou Karlheinz Stockhausen (Helicopter-Streichquartett, partie de Mittwoch aus Licht, 1992).

    Plus encore, l'artiste doit s'approprier les matériaux actuels pour s'inscrire réellement dans la contemporanéité.

     

  • Les lieux de l'art

    N'importe quel lieu, n'importe quel espace peut devenir, être, un lieu pour l'art. Née d'une part de la contestation du système marchand de l'art et de ses espaces dédiés, "consacrés" (galeries, musées), et d'autre part de la position que l'art n'était pas une activité "à part", détachée, isolée de la vie, mais au contraire "dans" la vie, cette idée a été portée notamment par les Happenings, le Land art, par des artistes comme Jenny Holzer qui utilise les murs de la ville ou les panneaux publicitaires.

    Elle retrouve aujourd'hui une pertinence avec Internet. En effet, Internet constitue un espace "commun" (au sens politique de ce terme, comme dans "Commune") qui accueille tout type d'activités. Cliquer sur le site de la Sncf ou sur un site artistique, sur une œuvre, est le même type d'acte, qui va s'inscrire de la même façon sur le même écran, dans la même fenêtre. Le contexte, associé à la capacité à lire, à déchiffrer ce que l'on voit, deviennent des clés quant à la réception de l'œuvre et à son interprétation en tant qu'art.[6b] Il existe néanmoins une différence essentielle d'avec l'art des années 60/70. Pour celui-ci, il s'agissait d'un geste politique, idéologique, conceptuel, d'opposition énoncée par rapport aux lieux du système dominant de l'art. Le Net art, lui, est consubstantiel au média : il s'inscrit de facto dans un environnement non artistique. Dans le champ du Net art, on retrouve ainsi la différence entre un art "semblable à l'art" et un "art semblable à la vie" (Allan Kaprow), dans une filiation avec le non-art. Dans le registre d'un "art semblable à la vie", ces œuvres peuvent être, par exemple, d'ordre politique et jouer sur la confusion —et la distanciation— avec les sites non artistiques (RTmark, les Yesmen) ou encore s'inscrire dans la lignée du geste quotidien, de sa banalité et de son observation systématique (ADaM de Timothée Rolin)

    Ce déplacement des lieux de l'art, tout comme la diversité des matériaux possibles, n'est pas sans susciter des contradictions, déjà relevées par Allan Kaprow : bien que s'opposant ou rejetant les instances traditionnelles de l'art, les artistes cherchent malgré tout une reconnaissance de celles-ci. Par ailleurs, beaucoup d'œuvres "semblables à la vie" reposent en fait sur des modèles d'un art "semblable à l'art".

     

  • Objets finis versus processus

    L'objet fini et unique n'est plus le seul modèle, la seule définition de l'œuvre d'art. L'acte, l'action, le processus constituent des alternatives essentielles.

    Ceci résulte en grande partie d'un changement de point de vue sur le monde —que l'on retrouve dans les sciences et dans la culture— et pas uniquement de la contestation d'un art comme marchandise. Ce qui, auparavant, était considéré comme remarquable, comme permettant d'expliquer le monde, était l'invariant, le stable, le fixé. Le XXe siècle prend conscience que l'instable, l'incertitude, ce qui bouge, ce qui est en mouvement, le flux offrent une autre explication du monde, tout aussi, sinon plus, pertinente.

    Cette dissolution de l'objet fini n'est elle-même pas sans contradiction, de la part du milieu traditionnel de l'art cette fois. De part sa fonction de conservation, le musée cherche à préserver, à collectionner, y compris "l'inconservable" en tant que tel. Quand l'œuvre n'est plus un objet cernable, on préserve sa ou ses "trace(s)" ou "états" pour les œuvres numériques, aboutissant quelquefois à une nouvelle fétichisation de l'art. [7]

    Aujourd'hui, les questions de la préservation du Net art, de sa collection, de son archivage[8] sont centrales.

     

  • Le temps

    Avec des œuvres centrées sur le processus et le flux, le temps devient, dans les arts plastiques,[9] un nouveau matériau de l'art, une nouvelle composante de la création.

     

  • L'espace versus les espaces

    À la remise en cause de l'objet fini et unique, à l'œuvre comme processus, correspond également la dissolution de l'espace unique, la multiplicité simultanée des lieux d'accomplissement, de réalisation de l'œuvre. Un happening pouvait "s'éclater" dans divers lieux simultanément, le radio art a exploré ces espaces distincts au sein d'une même création (le ou les studios de radio partis prenantes, les lieux physiques de réception dans lesquels sont les auditeurs, l'espace "immatériel" de la diffusion de la radio), etc. Internet ouvre sur le cyberespace, espace sans lieux, et sur des possibilités inégalées de Ö téléprésence.

    Occupant des espaces multiples, l'œuvre n'est plus perceptible dans son entièreté, dans sa globalité, mais seulement par fragments, par morceaux, selon l'endroit où se trouve le spectateur. On soulignera, encore une fois, que si la technologie le permet de manière constitutive, inhérente, d'une part cela ne signifie pas que toutes les œuvres technologiques utilisent cette propriété et, d'autre part qu'il soit besoin de technologies pour l'accomplir. Par exemple, en 1990, Christo réalise The Umbrellas. Dans ce projet, il installe des parasols en Californie et dans la Préfecture d'Ibaraki. La couleur des parasols (jaunes aux Etats-Unis, bleus au Japon), leur implantation, la distance entre eux, leur densité, etc., non identiques dans les deux pays, sont autant d'éléments qui renvoient à la différence dans les paysages, la structure de l'agriculture, le climat, etc. dans les deux régions concernées. De part et d'autre du Pacifique, le projet ne se comprend que dans cet écho, dans cette dualité, dans cette opposition et dans cette différence entre les deux territoires. Mais combien de personnes virent les deux espaces ?

     

  • Ö Le multi média

    L'œuvre, non seulement peut perdre sa qualité d'objet unique, mais en outre, elle peut également se composer de multiples éléments hétérogènes : diapositives, films, voiles divers formant écrans, ordinateurs, bicyclette (Legible City de Jeffrey Shaw, 1989 ),


    " Legible City "
    Jeffrey Shaw, 1989.
    © Jeffrey Shaw


    plantes vertes (Interactive Plant Growing de Sommerer & Mignonneau, 1992 ), etc.


    " Interactive plant Growing "
    Installation interactive
    Collection du Musée des Médias du ZKM/Karlsruhe
    © 1992, Christa Sommerer & Laurent Mignonneau

  • Dématérialisation de l'œuvre

    La dématérialisation de l'œuvre va de pair avec la fin de l'objet et la mise en avant du processus comme acte artistique, avec les pratiques de l'art conceptuel et celles du happening, et bien sûr avec l'introduction du numérique dont la "matière" est l'immatérielle impulsion électrique. Pour reprendre la formule de Michael Punt "dans un ordinateur il n'y a ni zéros, ni uns, mais des impulsions électriques auxquelles on donne une valeur" (intervention à transmediale, Berlin, 2001).

    Il faut néanmoins nuancer cette idée : toute œuvre numérique n'est pas nécessairement et/ou uniquement immatérielle.

     

  • Nouvelle position de l'artiste

    La disparition de l'auteur, puis celle de l'artiste, est une autre antienne. Que des créations collectives aient lieu —et qu'elles bousculent la sacro-sainte image de l'artiste comme génie isolé, véhiculée dans les arts plastiques— est une évidence. Il reste néanmoins, un ou des individu(s) qui conçoit(vent) une "règle du jeu", ou en langage artistique un "dispositif" dans lequel d'autres (d'autres artistes ou le public en général) vont s'inscrire. Ce qui change est moins la disparition de l'artiste que sa nouvelle place, sa nouvelle position dans la création. La formulation selon laquelle l'artiste devient créateur de contextes plutôt que de contenus nous semble beaucoup plus juste.

     

  • Nouvelle position du spectateur

    De la même manière, la position du spectateur n'est plus la même. Plutôt que co-auteur de l'œuvre, notion également à nuancer comme la disparition de l'artiste, nous mettons l'accent sur le fait qu'il devient un élément, un matériau de l'œuvre. Ces points sont développés dans la fiche Ösur l'interactivité.

     

     
    CONCLUSION : QUELLES FILIATIONS DANS LES ANALYSES THEORIQUES ?

    D'une manière schématique, on peut distinguer deux approches dans les analyses théoriques de l'art des nouveaux médias. La première dresse une filiation avec la photographie et le cinéma, considérés comme les premiers médias "techniques" dans l'art, ceux qui introduisent une médiation entre la main —le geste— de l'artiste et l'œuvre. L'appareil, l'instrumentarium, y "fait" l'œuvre tout autant que l'artiste. À cet égard, les écrits sur l'objectif de l'appareil photo ou de la caméra comme substitut à l'œil et sur l'aspect mécanique de la prise de vue sont nombreux.

    Ce courant est illustré par des auteurs comme Michael Rush qui fait référence aux travaux de Muybridge, Marey ou Eisenstein et Lev Manovich qui établit des rapprochements très élaborés avec l'avant-garde russe et surtout le cinéaste Dziga Vertov.

    Cette approche, aussi intéressante soit-elle, me paraît rencontrer des limites. Photographie et cinéma traitent certes du temps (temps "mort" et figé de la photographie, le "ça-a-été" de Barthes, temps en mouvement du cinéma) mais ils restent dans l'image. Cette dernière est maintenue comme finalité en soi, comme but de la création et analysée en tant que telle, avec des critères pertinents pour la photographie ou le cinéma mais qui le deviennent nettement moins dans le cas de l'art "multimédia" (la notion de collage ou celle de montage par exemple). Par ailleurs, dans beaucoup d'œuvres d'art des nouveaux médias, l'image n'est plus une fin en soi. Elle devient une composante de l'œuvre, au même titre que d'autres éléments, elle est une lettre d'un nouvel alphabet qui n'est plus seulement visuel, ce dont peine à rendre compte cette approche. Tout comme l'objet fini, l'image finie et immuable n'est plus le seul modèle de la création.

    Une autre approche, qui s'ancre dans la cybernétique, dans l'idée du traitement du signal, du traitement de l'électron, du flux me semble offrir des outils conceptuels plus appropriés pour conduire une analyse esthétique et théorique de l'art des nouveaux médias. On y retrouve, entre autres, des auteurs comme Roy Ascott. Le lien technologique historique se fait alors avec des médias de communication (comme le téléphone ou la radio) et non avec des supports d'inscription des œuvres.

    Cette seconde approche, qui permet notamment de mieux appréhender les installations ou encore des œuvres sur Internet ou sur cd-rom dans lesquelles l'image est présente mais seconde, ouvre à l'instable, aux systèmes dynamiques et à l'appréhension de l'œuvre comme processus.

     

     
    Références :

    • Groupes, mouvements, tendances de l'art contemporain depuis 1945, sous la direction de Mathilde Ferrer avec Marie-Hélène Colas-Adler et Jeanne Lambert-Cabrejo, Paris, Ensba, 2001

      La "bible" en la matière, souvent copié, jamais égalé. Des notices synthétiques assorties de bibliographies de base sur chaque groupe ou mouvement.

    • RUSH Michael, Les nouveaux médias dans l'art, Paris, Thames & Hudson, 2000. Edition originale en anglais, New Media in Late 20th Century Art, Londres, Thames & Hudson, 1999

      Ce livre, qui a connu un véritable succès, a un titre qui peut engendrer quelques malentendus. Il est une bonne introduction aux divers courants des années 60. Ses trois premiers chapitres sur la performance, l'art vidéo et les installations vidéo sont bien documentés et apportent nombre d'informations. En revanche, le dernier chapitre sur l'art numérique est beaucoup plus faible et lapidaire et présente même quelques erreurs.

     

     
    Sommaire

  • Introduction

  • Qu'est-ce qu'un média ?

  • Qu'est-ce que "l'art des nouveaux médias" ?

  • Quelle est l'histoire de "l'art des nouveaux médias" dans la seconde moitié du XXe siècle ?

  • Média, support, langage, matière : quelle différence ?

  • Le "multimédia" est-il multi média ?

  • Qu'est-ce que l'interactivité ?

  • Qu'est-ce qu'une interface ?

  • Le cyberespace est-il ailleurs ?

  • Quelles sont les formes dominantes de l'art "multimédia" ?

  • Quelles sont les structures d'écriture de l'art "multimédia" ?

  • Ressources sur les cd-roms artistiques

  • Webiographie : information en ligne sur l'art "multimédia" et les sites web artistiques

  • Bibliographies



    © Leonardo/Olats & Annick Bureaud, avril 2004
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