Schlemmer et le Bauhaus
Directeur de l'atelier de peinture murale, 1920-1922
Directeur de l'atelier de sculpture sur pierre, 1921-1929
Directeur de l'atelier de sculpture sur bois, 1922-1926
Responsable de la scène du Bauhaus, 1923-1929
Schlemmer rédigea un manifeste devant faire partie d'un pamphlet de promotion du Bauhaus, à l'occasion de la première exposition du Bauhaus à Weimar en 1923. Après avoir évoqué la situation politique et artistique de l'époque d'après-guerre, Schlemmer y affirme que le Bauhaus est le point de ralliement de ceux qui croient dans le futur et désirent construire la " cathédrale du socialisme ". Craignant que cette expression ne soit interprétée défavorablement, le conseil du Bauhaus, à qui Schlemmer n'avait pas soumis son texte pour approbation, estima qu'il convenait, avant de le distribuer, de retirer du pamphlet la partie contenant ce manifeste. Toutefois, les quelques copies de la version non expurgée qui se retrouvèrent dans les mains du public occasionnèrent de virulentes attaques contre le Bauhaus. Certes le contexte politique est alors des plus tendus, l'Allemagne sort humiliée, désarmée et ruinée d'une longue guerre, la Ruhr est toujours occupée. L'année 1919 qui commença en Allemagne par la répression de l'insurrection de la Ligue spartakiste (devenu un mois plus tôt parti communiste allemand) et l'assassinat de Rosa Luxembourg fut celle de la fondation du Bauhaus à Weimar ainsi que celle de la fondation par Lénine la IIIe Internationale, qui se fixe dès lors comme but d'exporter la révolution russe.
Schlemmer affirme dans son manifeste que le Bauhaus est la première école où les forces créatrices des Beaux-arts doivent exercer leur influence de leur vivant, il n'est plus question d'attendre la postérité car c'est dans l'enthousiasme d'aujourd'hui que se construit le monde de demain. Les métiers d'art des divers ateliers doivent stimuler les beaux-arts et se fondre avec eux dans l'architecture conçue en tant qu'œuvre d'art totale, mettant ainsi fin à l'académisme avili autant qu'à l'artisanat vétilleux. Cet idéal n'est pas nouveau et, par ailleurs, beaucoup des styles tentent maintenant de s'imposer, écrit Schlemmer. Il estime aussi que la nouvelle beauté sera déterminée par la confrontation des idées, car une école qui s'anime autant qu'elle anime son entourage reflète nécessairement les secousses politiques et intellectuelles de son temps.
L’histoire du Bauhaus se confond ainsi, selon
Schlemmer, avec celle de l’art contemporain. D'abord, une période de romantisme
ardent, en tant que rébellion contre le matérialisme et la mécanisation, c’est-à-dire
de crise spirituelle caractérisée par le repli dans l’inconscient, le
mysticisme et le mystérieux. Une période de rejet de l’esthétique classique qui
encourage la recherche de l’infini dans le sentiment que propose l’art
exotique, nègre, naïf, enfantin ou celui de l’aliéné. Ensuite, une période
Dada, l’atmosphère s’allège, on jongle avec les paradoxes. Enfin, arrive une
troisième période, d’influence américaine : la raison et la science sont les
pouvoirs suprêmes de l’homme, l’ingénieur, les mathématiques, la structure et
la mécanisation en sont les éléments. Les phénomènes modernes sont d’acier, de
béton, de verre et d’électricité ; l’argent et le pouvoir les commandent. Le
miracle de l’abstraction est produit par la vitesse des matériaux rigides, la dématérialisation
de la matière et l’organisation de la matière inorganique. Ce sont là, suivant
les lois de la nature, les réalisations de l’esprit dans la conquête de la
nature. Par contre, suivant les lois du capital, c’est le travail de l’homme
contre l’homme, conclut enfin Schlemmer.
Bien que la conception de l’idéal du Bauhaus de
Schlemmer corresponde assez précisément à celle de Gropius, il était davantage
préoccupé par la question de l’abstraction et par une recherche artistique
formelle que par la nécessité d’arriver à une production utilitaire et
fonctionnelle. Si la confrontation des idées a eu une incidence sur le style
Bauhaus, les positions étaient parfois extrêmes et irréconciliables. Pour
Schlemmer, l’artisanat et la production en atelier sont choses du passé.
Journal, novembre 1922 : "Je ne crois pas dans le métier d’artisan. Nous ne
pouvons raviver les métiers du Moyen Age, pas plus que l’art du Moyen Age, ni même
en fournir un équivalent moderne approximatif. Les développements modernes
l’ont rendu désuet. À l’ère de la machine et de la technologie, l’objet d’art
fait à la main serait un produit de luxe pour le riche, sans base populaire ni
racine chez le peuple. L’industrie offre maintenant ce que les métiers d’art
offraient auparavant (ou elle le fera une fois son développement complété),
c'est-à-dire des objets fonctionnels et solides faits de matériaux
authentiques. De même en ce qui concerne l’architecture. Les progrès
technologiques nous ont mené à des innovations audacieuses. Un exemple
magnifique est la maison de campagne de Frank Lloyd Wright".
Schlemmer s’intéresse aux nouveaux matériaux et procédés
pour ce qu’ils offrent à l’art, et l’art est étranger à la question d’utilité.
Il incorpore les nouveaux matériaux de l’art (verre, fer, cuivre, plexiglas) à
ses costumes et non dans des objets utilitaires usinés.
© Marc Boucher & Leonardo/Olats, février 2004
Nos rubriques :
|