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PIONNIERS ET PRECURSEURS > YAMAGUCHI KATSUHIRO > LES ARTS DANS LEUR MILIEU
   



Yamaguchi Katsuhiro : Le Geijutsumura d'Awaji : les arts dans leur milieu


La prolifération des réseaux informatiques semble bien avoir commencé à freiner de nos jours la concentration du travail dans les villes. La transmission des informations peut fort bien s'accomplir aujourd'hui sans qu'il soit nécessaire d'être assis devant le bureau d'une cité administrative. Muni d'un terminal ad hoc, on peut travailler en pleine campagne, au bon air, sans se voir infliger la promiscuité des transports urbains.

L'événement intitulé Awaji shima chiiki telewâku jikken (expérience de "télétravail" dans le périmètre de l'île d'Awaji) eut lieu en novembre 1991, grâce au câble téléphonique. Les élèves de l'école primaire d'Ichinomiya-chô, sur l'île d'Awaji en face de Kôbe, furent les premiers à travailler à distance : on leur donna la possibilité de configurer et d'échanger des images au moyen d'ordinateurs Macintosh et de modems avec les techniciens d'un studio équipé de semblables machines à Tôkyô. Les images transmises par le câble étaient complétées et redéfinies avant d'être renvoyées à leurs jeunes concepteurs. Ce jeu de composition et de transformation en chaîne entendait faire prendre conscience aux enfants, tout comme aux spectateurs de l'événement, de la possibilité de diffuser en temps réel des formes et des couleurs, ainsi que d'en modifier instantanément la teneur.

Cette première tentative, qui avait été organisée par Yamaguchi aidé de la mairie du bourg (chô), préludait à toute une série de réalisations dont la principale serait la création d'un centre artistique, le "village des arts" (Awajishima Geijutsu mura). Le projet fut rendu public dix mois plus tard, en octobre 1992, lors du "premier symposium mondial des arts environnementaux" (Dai ikkai sekai kankyô geijutsu kaigi) toujours à Ichinomiya-chô. Pendant deux jours eurent lieu des conférences et des symposia qui réunissaient des spécialistes mondiaux du domaine des arts et de la technologie –on comptait en effet parmi les intervenants Otto Piene, directeur du C.A.V.S. au MIT de Boston, Sakane Itsuo, alors professeur au département de design informatique de l'université de Keiô, et Rinaldo Bianda, directeur du festival d'art vidéo de Locarno. Ishiyama Osamu, architecte et professeur à l'université de Waseda, présenta des plans précis concernant le développement souhaité du Geijutsumura : un vaste atelier, une bibliothèque, un espace polyvalent utilisé pour les expositions, et une dizaine d'habitations réservées aux artistes en résidence.

Afin d'égayer deux journées de présentations théoriques et de discussions thématiques, on donna un spectacle alliant musique, danse, projections vidéo et laser, installation électronique et plastique, éclairages, avec une fois de plus la participation des enfants de l'école primaire : le Media Opera, Kuni umi no mirai (Media opera : l'avenir du pays fondateur). 1 L'île d'Awaji est en effet considérée comme la première terre japonaise qui ait été créée par les dieux Izanami et Izanagi. Selon la légende, ils se munirent d'une hallebarde et remuèrent les eaux à cet endroit jusqu'à durcir la première parcelle de terre des îles Nippones. Le Media Opera s'inspira librement de cette légende en remplaçant la hallebarde par un faisceau laser et en révélant ainsi toutes sortes de correspondances entre médias, vieux et neufs.

 

***

On peut créer en tout point du globe, affirme Yamaguchi ; le projet de village des arts dans l'île d'Awaji a cependant ses raisons : le nouvel aéroport du Kansai, entre Ôsaka et Awaji, est situé à trente minutes de bateau de l'île, et le pont qui devrait relier au début du XXIème siècle Awaji à Honshû, l'île principale, sera le plus important d'Asie par sa taille. Awaji est cependant un lieu où la nature est encore extrêmement présente; elle offre de ce fait un environnement privilégié à qui veut se concentrer sur la création artistique, tout en demeurant physiquement proche des facilités qu'est susceptible de proposer un environnement urbain.

L'activité artistique ne saurait en effet se déployer à partir du seul génie de l'artiste isolé. La clairvoyance de celui-ci a besoin de s'affiner au contact d'autres créateurs. Yamaguchi veut, avec son "village des arts", créer un environnement propice à l'entrecroisement des énergies ; mais celles-ci ne seront efficacement stimulées que si le champ magnétique qu'elles suscitent trouve à s'irradier sur le plan collectif. Le Jikken Kôbô créé en 1951 n'avait pu véritablement essaimer, car la situation de l'après-guerre l'en avait empêché. Ce n'était pas tant le lieu concret que la communauté de l'esprit d'expérimentation qui en constituait alors l'élément vital. L'"atelier" était en quelque sorte virtuel : il existait à l'intérieur de telles idées. Le Geijutsumura des années quatre-vingt-dix peut être en revanche considéré comme porteur, à terme, d'un œcuménisme décisif; il devrait pouvoir actualiser la sensibilité artistique de son fondateur à l'échelle d'une mégapole.



1 - L'équipe qui réalisa l'événement était composée principalement de Yamaguchi Katshuhiro (direction), Christophe Charles (mise en scène, composition musicale, échantillonneur sonore), Mori Mayumi (éclairages), Minami Ryôichi (laser), Kakiage Nahôko (composition musicale, synthétiseur), Sagara Nami (voix), Kawakita Masumi (danse), Moriwaki Hiroyuki (installation lumineuse), Sanematsu Akira (vidéo) et Minami Ryôichi (LASER).


© Leonardo/Olats & Christophe Charles, octobre 2002


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