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PIONNIERS ET PRECURSEURS > YAMAGUCHI KATSUHIRO > LA NAISSANCE DE L'ART VIDEO AU JAPON
   



Yamaguchi Katsuhiro : La naissance de l'art vidéo au Japon (1971-1974)


- De célèbres points de vue revisités
- Communication globale et problèmes sociaux

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De célèbres points de vue revisités

L'Expo 70 encouragea les artistes à laisser derrière eux les problèmes qui avaient été posés dans les années soixante. La principale question qui se posait maintenant concernait l'art et la communication. La conquête de l'environnement qu'avaient entreprise dans les années soixante les arts plastiques, s'imposait comme une ambition première, comme s'imposait la nécessité de réaliser un circuit concret de communication afin de cerner les problèmes que posait cette orientation. Lors de l'avènement de la vidéo, on se demanda s'il ne serait pas possible de l'utiliser comme un outil afin que cette nouvelle forme d'expression plastique pût servir la communication entre artistes et public. Le médium vidéo s'insinuait entre le filmer et l'être filmé, entre le voir et le produire : la relation entre l'acte créateur d'image et l'image qui naissait sur le moniteur vidéo était désormais vivante, car elle se réalisait en direct.

Yamaguchi effectua en 1971 un voyage qui le conduisit une fois encore en Amérique et en Europe. Après être rentré à Tôkyô, il eut dans la nuit du 22 novembre, et il s'agit là d'une date singulièrement précise qui semble avoir valeur historique, l'idée d'une Jôhô kôsei chôkoku (sculpture à structure informationelle) qu'il transcrivit immédiatement. Il s'agissait d'un système capable de

"proposer une communication plastique, supposant une participation du public, à partir d'un projet d'espace de performance en temps réel, mêlant appareils vidéo et œuvres plastiques" 1.

Cette idée devait trouver presque immédiatement une matérialisation sous la forme de la performance Eat, puis quelques années plus tard avec l'installation Las Meninas. Yamaguchi appelle ainsi Vidéorama

"une série de travaux démontrant une forte conscience de la direction que peuvent prendre les œuvres plastiques tridimensionnelles, en s'agençant vis-à-vis d'un espace concret ou d'un lieu de communication, que l'art vidéo construit. Un Vidéorama est une sculpture utilisant des images vidéo, qui se développe suivant un assemblage de moniteurs vidéo multiples et d'effets kaléidoscopiques obtenus à l'aide de miroirs" 2.

Le Vidéorama s'intéresse désormais ouvertement aux problèmes d'environnement, tout en poursuivant les investigations développées lors de la conception des Vitrines des années cinquante, puis des sculptures qui utilisaient la lumière dans les années soixante.

C'est à l'occasion de l'exposition Do it yourself Kit, qui avait lieu du 24 février au 5 mars 1972 dans l'espace de promotion du matériel Sony (Sony Biru) de Ginza, que Yamaguchi Katsuhiro, assisté de Kobayashi Hakudô, réalise la performance vidéo Eat, en s'inspirant du tableau des Joueurs de cartes de Cézanne. 3 Les deux hommes, assis à une table couverte de victuailles, se filment tour à tour à l'aide d'une caméra portable. Une seconde caméra surveille la scène dans son ensemble, à la place de celle qu'aurait prise Cézanne s'il s'était mis à la peindre. Les images de la deuxième caméra apparaissent sur des moniteurs en nombre, situés non loin des deux personnages. Selon Yamaguchi, les deux points de vue rendent compte de la peinture de Cézanne selon les possibilités du médium vidéo, et "ouvrent médiatiquement" 4. la structure du tableau.

En octobre de la même année, 45 moniteurs furent mobilisés afin de donner une vue de Tôkyô à 360º. Cette œuvre a été réalisée sur le mode de la performance : Yamaguchi s'est rendu en des points stratégiques de la métropole, pour y effectuer à chaque fois une rotation complète avec sa caméra vidéo. Ce Tôkyôrama, présenté à l'American Center de Tôkyô, utilisait des moniteurs d'une taille comparable à celle des écrans à cristaux liquides que l'on construit aujourd'hui (environ 8 x 10 cm), chacun d'eux reproduisant la même image, reflétée par des miroirs aux inclinaisons diverses.

L'événement le plus important eut lieu en mai 1974. La Daijûikkai Nihon kokusai bijutsuten (Onzième exposition internationale d'art au Japon) ouvre en effet une section vidéo. Yamaguchi Katsuhiro y présente l'installation Las Meninas, avec laquelle il entend susciter ce qu'il appelle une "nouvelle prise de conscience de l'homme dans son environnement" 5, en élaborant, dix-sept ans après Picasso, une nouvelle interprétation de la toile de Velasquez. L'auteur affirme par ailleurs que c'est à la lecture de quelques remarques de Michel Foucault qu'il en imagine une version adaptée aux possibilités actuelles de la technique :

"La représentation est représentée en chacun de ses moments : peintre, palette, grande surface foncée de la toile retournée, tableaux accrochés au mur, spectateurs qui regardent, et qui sont à leur tour encadrés par ceux qui les regardent ; enfin au centre, au cœur de la représentation, au plus proche de ce qui est essentiel, le miroir qui montre ce qui est représenté, mais comme un reflet si lointain, si enfoncé dans un espace irréel, si étranger à tous les regards qui se tournent ailleurs, qu'il n'est plus que le redoublement le plus frêle de la représentation. Toutes les lignes intérieures du tableau et surtout celles qui viennent du reflet central pointent vers cela même qui est représenté, mais qui est absent. À la fois objet – puisque c'est ce que l'artiste représenté est en train de recopier sur sa toile – et sujet – puisque ce que le peintre avait devant les yeux, en se représentant dans son travail, c'était lui-même, puisque les regards figurés sur le tableau sont dirigés vers cet emplacement fictif du royal personnage qui est le lieu réel du peintre, puisque finalement l'hôte de cette place ambiguë où alternent comme un clignotement sans limite le peintre et le souverain, c'est le spectateur dont le regard transforme le tableau en un objet, pure représentation de ce manque essentiel" 6.

La première version, sous-intitulée Video Exercise (1974), comportait une seule reproduction de la toile originale, devant laquelle Yamaguchi s'asseyait, et attendait ses victimes. Lorsqu'un visiteur consentait à s'asseoir dans l'un des fauteuils, il entrait dans le tableau par l'intermédiaire d'une caméra et de trois moniteurs, et il était dès lors convié à faire part de ses idées et de ses impressions, et pouvait ouvrir un dialogue avec l'auteur de ce dispositif.

Pour la deuxième version, Yamaguchi réalise deux reproductions grandeur nature de la toile, une en couleur, une en noir et blanc. Nous pouvons nous identifier au prince et à la princesse, qui apparaissent dans les deux moniteurs placés à droite et à gauche, à notre niveau, devant la reproduction en couleur. Yamaguchi se met à la place de Velasquez, et creuse la place du miroir dans la reproduction en noir et blanc pour y placer une caméra. Les images transmises par cette caméra apparaissent sur le moniteur placé au centre des deux autres, devant la reproduction en couleur non creusée. Quelqu'un qui regarde la reproduction en couleur se voit ainsi simultanément de dos sur le moniteur. La fonction "réfléchissante" du tableau est ainsi mise en évidence : le spectateur est pris dans la structure du tableau, en même temps qu'il est invité à en découvrir les différentes strates spatiales, et à en faire l'expérience.

"Il apparait clairement que Yamaguchi a voulu procéder, à l'aide de la vidéo, à une objectivation du "drame" du point de vue caché dans le tableau, en tant que structure et processus de reconnaissance" 7.

Las Meninas, dans sa version extensive (une caméra, trois magnétoscopes, six moniteurs), sera primée lors de la lors de la XIIIe Biennale de São Paulo en 1975.

 

Communication globale et problèmes sociaux

À partir de novembre 1971, le Canadien Michael Goldberg, du groupe de télévision "alternative" Intermedia, basé à Vancouver, fait un séjour de quatre mois au Japon. Il avait l'intention d'établir des contacts, afin de compléter son International Video Exchange Directory. Le Japon était en effet un "trou noir sur la carte de la vidéo" : on ne connaissait au Canada des productions japonaises que les Hi no ibento de Yamamoto Keigo. Goldberg venait donc transmettre les informations qu'il possédait sur les activités des groupes de vidéastes d'Amérique. Il se proposait de réunir ceux qui au Japon s'y intéressaient, afin de manifester l'existence de possibilités réelles de création artistique, inhérentes à la vidéo.

Aidé de Nakaya Fujiko et de Yamaguchi Katsuhiro, Goldberg organise l'exposition-atelier Video Communication : Do-It-Yourself Kit, qui se tint en février 1972 au Sony Building de Ginza. Treize artistes se rassemblèrent alors pour participer à cette exposition, et formèrent le groupe Video Hiroba (nommé par Tôno Yoshiaki, où Hiroba signifie place, terrain de jeu, ou communauté), qui comptait, outre Nakaya et Yamaguchi, Hagiwara Sakumi, Kawanaka Nobuhiro, Kobayashi Hakudô, Kômura Masao, Matsumoto Toshio, Matsushita Tetsuo, Matsushita Shôko, Nakahara Michitaka, Miyai Rikurô et Tôno Yoshiaki.

Les activités les plus remarquables du groupe eurent une orientation résolument sociale. Dans un Japon sujet à des transformations radicales sur le plan économique, et subissant de plus une médiatisation sans égale de la vie quotidienne, plus brutale encore qu'aux États-Unis, il fallait rappeler, redécouvrir, redéfinir le rôle que devraient jouer les artistes. Le principal objectif semblait donc être la mise en évidence d'une "écologie", intérieure aux systèmes sociaux, afin de rechercher une communication "authentique" à l'échelle humaine.

Ce souci de communication globale, qui, dans la tradition mcluhanesque, préfigurait les expériences de Nam-June Paik avec les satellites de communication, avait déjà été révélé en juillet 1971 avec le projet Utopia Q.& A., grâce à un réseau de télex reliant Tôkyô, New-York, Stockholm et Bombay. Sur une idée du groupe E.A.T. (Experiments in Art and Technology) , Nakaya Fujiko, Kobayashi Hakudô, Morioka Hiroshi et Yamaguchi Katsuhiro organisèrent cet événement avec le soutien financier de Fuji-Xerox depuis le même bâtiment Sony. Le thème en était : "1981, futur proche : questions et réponses toutes catégories" 8.

Les activités sociales du Video Hiroba, aidé du Tôtaru Media Kaihatsu Kenkyûjo (Institut de recherche sur le développement d'un média total) se poursuivirent avec plusieurs projets, visant à améliorer la communication entre habitants des régions urbaines en cours de réaménagement. La première expérience fut menée à Yokohama en mars 1973, dans le secteur de Noge, sous l'intitulé Chiiki kaihatsu keikaku ni okeru jûmin sanka no shuhô toshite no video (La vidéo, comme outil de participation des habitants, dans le cadre des plans de développement régional), avec l'aide financière de la Commission Attachée à l'Agence de Planification Économique. Une des activités proposées consistait à interviewer les habitants, à trier les matériaux ainsi recueillis, puis à organiser des projections à l'usage de ces mêmes habitants.

À partir de mars également, Enomoto Kazuko, Kobayashi Hakudô, Kawanaka Nobuhiro, Matsushita Akiko, Nakaya Fujiko et Yamaguchi Katsuhiro, établirent un Video Community Center dans le bâtiment de la Tôhoku Denryoku Shisha (Filiale de la Compagnie d'Électricité du Nord-Est) de Niigata. Ils produisent alors des documentaires pour témoigner de leurs recherches sur la communication à l'aide de la vidéo, au niveau local. L'expérience se poursuivra pendant une année environ.

Puis ce fut la fin de leur collaboration, même si, en 1974 et 1975, il y eut quelques tentatives pour former des réseaux de communications concrètes entre artistes, ou bien entre les artistes et le grand public. Au delà de 1975, les membres de Video Hiroba ne se retrouvèrent qu'à l'occasion de conférences ou de symposiums, c'est-à-dire de rencontres relativement conventionnelles. 9



1 - Yamaguchi Katsuhiro, Bideoâto no jidai (L'époque de l'art vidéo), in Yamaguchi Katsuhiro no âto-wâku sanjû nen, op.cit., p. 45
2 - Yamaguchi Katsuhiro, Bideoâto no jidai, p. 45
3 - Yamaguchi Katsuhiro, Eat, in Expansion & Transformation-Nihon no bideo âto ansolojî (Anthologie de l'Art vidéo japonais), The 3rd Fukui International Video Biennale, 1989, p. 169
4 - Yamaguchi Katsuhiro, Pafômansu Genron, op.cit., p. 168
5 - Yamaguchi Katsuhiro, Pafômansu Genron, p. 168
6 - Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966 : La place du Roi, pp.318-319
7 - Matsumoto Toshio, Genshi no Bigaku (Esthétiques de l'illusion), Tôkyô, Firumu âto sha, 1976, p. 221
8 - Yamaguchi Katsuhiro, Kiroku , in Yamaguchi Katsuhiro 360º, op.cit., p. 40
9 - Ainsi les concours organisés pour le grand public par JVC. Nakaya et Yamaguchi firent régulièrement partie des jury chargés de primer les meilleures vidéos.


© Leonardo/Olats & Christophe Charles, octobre 2002


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