Musique électronique expérimentale : quelques démarches actuelles11.1. Introduction
11.2. Fennesz
11.3. Christian Zanési
11.4. William Basinski
11.5. Phil Niblock
11.6. Maja Ratkje
11.7. Ikue Mori
11.8. Steve Roden
11.9. Hanna Hartman
11.10. Carl Stone
11.11. Matmos
11.12. Un minimalisme français : François-Eudes Chanfrault, Sébastien Roux, Romain Kronenberg, Eddie Ladoire
Le symbole Ö avant ou après un mot indique un lien vers une autre fiche des " Les Basiques : La musique électronique ? ".
1. INTRODUCTION
- Une pratique métisse, une évolution virale : Le phénomène de la mondialisation, allié à la formidable croissance de l’Internet et la démocratisation des outils numériques de production, ont entraîné depuis la fin des années 1990 un mouvement complexe de globalisation des pratiques musicales, particulièrement au sein de la scène électronique. Les influences croisées entre les artistes de différents pays et de différents continents, la multiplication des blogs musicaux, l’accès instantané à une multitude de sources, légales ou illégales, accélèrent la circulation et l’expansion de tel ou tel courant musical. Si la musique composée aujourd’hui dans les faubourgs de Londres, Detroit, Luanda ou Rio de Janeiro conserve des attaches liées à son origine géographique, cette même musique peut rapidement inspirer d’autres artistes situés à l’autre bout du monde. Un genre musical peut ainsi rapidement s’exporter, avant de muter tel un virus et de s’exporter à nouveau ailleurs, entraînant une série de mutations esthétiques dont il est difficile de suivre les étapes. Les courants musicaux obéissent donc désormais à des réseaux complexes d’influences et de circulation qui tiennent de moins en moins compte de l’héritage culturel et de l’implantation géographique des artistes.
Une terminologie fluctuante Ö, complexe et souvent opaque pour les non-initiés, témoigne de ces métissages et de cette évolution. Au cours de la fin des années 2000, différents termes, désignant une multitude de genres ou de sous-genres musicaux sont ainsi apparus, comme par exemple fidget-house, cosmic disco, chill-wave, minimal wave, juke music ou skweee, qu’il serait vain de tenter de décrire avec précision, tant ils sont éphémères. Dans ce chapitre, il nous semble en effet préférable de décrire de plus vastes courants esthétiques qui traversent l’ensemble des musiques de ces vingt dernières années, tous genres confondus.
- Le phénomène populaire de la dance-music : Depuis la fin des années 1980 et l’émergence des genres house et techno, une grande partie des innovations de la musique électronique s’est effectué dans le cadre de la dance-music et des styles musicaux popularisés par les DJ. Contrairement aux soixante-dix premières années du 20e siècle, au sein duquel les avant-gardes ont exercé un rôle prédominant dans l’évolution formelle et esthétique de la musique, c’est désormais dans le cadre d’une pratique populaire et festive, que s’invente une grande partie de la musique électronique actuelle.
2. LA CULTURE MONDIALE DE LA GHETTO MUSIC
Depuis le début des années 2000, la musique électronique et la pratique des DJ se sont solidement implantées dans des zones comme l’Afrique, l’Amérique du sud ou les Antilles, engendrant une esthétique musicale métissée et mondialisée dans laquelle se croisent l’influence du rap, du reggae, des musiques traditionnelles, des technologies et des rythmes de la musique électronique. Ce melting-pot musical est particulièrement fertile dans les zones urbaines les plus pauvres de villes comme Luanda, Johannesburg, Rio de Janeiro, Mexico, Buenos Aires ou Kingston. On désigne désormais sous le terme de ghetto music, l’ensemble de ces pratiques populaires comme le Kwaito sud-africain, le Baile Funk et la Tecno Brega brésiliens, la Cumbia Digital d’Argentine, le Kuduro angolais ou la Soca et l’Electro Reggaeton des Antilles.
Ce terme désigne aussi la musique jouée dans les ghettos de villes américaines, comme la Juke Music à Chicago, la B-More à Baltimore ou la Booty Bass à Detroit. Il peut aussi désigner la musique pratiquée dans les quartiers populaires des villes européennes dans lesquels vit une importante population immigrée, comme le Bhangra des immigrés indo-pakistanais à Londres, ou le Coupé-Décalé des Ivoiriens à Paris [1]
Lire aussi à ce sujet mon article International Ghetto Beats publié sur le blog, Global Techno.
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En 2007, le groupe portugais Buraka Som Sistema compose Sound of Kuduro avec M.I.A. et les stars du courant Kuduro angolais : Puto Prata, DJ Znobia et Saborosa. Le clip est tourné dans les ghettos de Luanda et documente l’activité et les danses populaires associées à ce mouvement musical
3. TECHNO MINIMALE
La techno minimale constitue l’un des courants esthétiques majeurs de la scène électronique des années 2000. Il s’inscrit directement dans l’esthétique répétitive de la techno des années 1990, dont il livre une version dépouillée de ses percussions énergiques et de ses motifs emphatiques.
Les artistes de la techno minimale concentrent leur travail sur la structure rythmique des morceaux qu’ils composent, ainsi que sur le timbre et la texture de chacun des rares éléments sonores qu’ils utilisent. Les nouvelles potentialités offertes par les logiciels de composition musicale, notamment en terme de traitement du signal sonore, ont une influence considérable sur le développement de cette esthétique.
Si le genre minimal connaît une grande popularité en Allemagne et dans le reste de l’Europe au cours de la seconde moitié des années 2000, il est important de signaler que le terme apparaît toutefois d’abord chez des musiciens américains affiliés à l’école de la techno de Detroit Ö, comme Richie Hawtin, Daniel Bell, Jeff Mills et Robert Hood, vers le milieu des années 1990.
« And Then We Planned Our Escape » (2008) de Robert Hood
4. Bass music, breakbeat et « hardcore continuum »
Un courant électronique, à la fois riche et inventif, existe sur la scène musicale britannique depuis le début des années 1990. Issu des quartiers populaires dans lesquels vivent les communautés noires originaires d’Afrique et des Antilles, ce courant électronique protéiforme que l’on qualifie parfois sous le terme générique de breakbeat ou bass music, s’est décliné au fil des années sous la forme de multiples sous-genres musicaux à l’existence parfois éphémère, comme le hardcore, la jungle, le drum & bass, le speed garage, le 2 step, le 8 bar, le grime, le techstep, le liquid funk ou le dubstep. Il puise son essence dans la musique dub Ö, à laquelle il emprunte ses basses profondes ainsi que le phrasé vocal de ses toasters et de ses deejays [2]
Dans la tradition jamaïcaine, il est important de préciser que le DJ, tel que nous le connaissons en Europe, est appelé selector. Quant à l’artiste qui prend la parole et le micro, il est désigné sous le terme de deejay. Le toasting désigne la pratique de certains deejay ou d’un artiste vocal, parlant ou chantant généralement de façon monotone sur fond de percussions ou d’instrumentaux musicaux. L'exercice de chant parlé qu'est le deejaying a énormément influencé le hip-hop et influencé le développement de la pratique des MC (pour Master of Ceremony ou Maître de Cérémonie).
, tout en s’inspirant du hip hop, dont il adopte les breakbeats [3]
Le terme de break ou de breakbeat, désigne les passages instrumentaux, rythmiques et percussifs, que l’on trouve sur certains disques de funk, de soul, de rock ou de rhythm & blues, utilisés par les DJ pionniers du hip hop. Ces séquences percussives furent par la suite utilisées ou échantillonnées par les producteurs et les musiciens hip hop, comme base rythmique de leurs compositions.
ainsi que l’art vocal de ses rappeurs.
Dans ses nombreux articles publiés en Angleterre, le critique britannique Simon Reynolds décrit ce phénomène sous le terme de « hardcore continuum », car il prend sa source au début des années 1990, au sein de ce que l’on appelle alors la techno hardcore ou le style hardcore rave, qui se caractérise par un alliage de sons électroniques typiques de la house et la techno américaine, auxquels les britanniques apportent des éléments puisés dans le dub, le reggae, le dancehall [4]
Selon le Dico du Net, le dancehall est un genre musical apparu en Jamaïque dans les années 1980, découlant du reggae mais d'inspiration rap, dont le tempo peut être particulièrement rapide.
et le hip hop. Selon Reynolds, si l’équilibre entre ces différentes influences, tout comme le tempo des morceaux, ont pu varier entre 1991 et 2011, une même esthétique demeure. Elle se caractérise par une recherche poussée en terme de construction ou de déconstruction rythmique, des sons de basses aux puissantes résonances, un style vocal dynamique pratiqué par ses MC (Master of Ceremony ou Maître de Cérémonie), ainsi que l’usage de samples Ö puisés dans la culture populaire (dialogues de films, références télévisuelles, mélodies pop, etc.).
Ce courant essentiellement britannique connaît deux périodes de créativité importantes, au cours desquelles la bass music exerce une influence fondamentale sur la scène électronique mondiale. Tout d’abord au cours de la seconde moitié des années 1990, sous la forme de la jungle ou drum & bass, un style caractérisé par sa grande dynamique percussive ; puis au cours de la seconde moitié des années 2000, sous le terme de dubstep, un style caractérisé par des sons de basses au timbre inédit et des atmosphères sonores que l’on pourrait qualifier de ténébreuses.
« Ni - Ten - Ichi – Ryu » (1997) de Photek, un classique du courant drum & bass
« Hedd Banger » (2008) de Skream, morceau caractéristique du dubstep
5. Le phénomène rétro-futuriste
Depuis le début des années 2000, la musique électronique ne cesse de revisiter son passé et les différents courants qui, autrefois, incarnèrent le futur et la modernité. La critique appelle parfois ce phénomène, rétro-futurisme, par analogie au style rétro-futuriste qui, depuis les années 1980, a marqué les arts graphiques, le cinéma ou la littérature de science-fiction.
Entre 1986 et 1998, la musique électronique populaire, la house, la techno et leurs différents sous-genres, se sont largement bâtis sur une idéologie de l’innovation sonore, faisant table rase de leur passé musical. Fin des années 1990 début 2000, alors que le mouvement électronique montre des signes flagrants d’essoufflement créatif, de nombreux musiciens se tournent vers la musique des années 1970 et 1980 afin de trouver une nouvelle inspiration, voire une nouvelle virginité. La musique électronique pionnière de ces deux décennies, longtemps sous-estimée, apparaît alors paradoxalement plus novatrice aux yeux et aux oreilles d’un nombre croissant de musiciens et de DJ, dont les nouvelles compositions s’inspirent directement de cette époque qualifiée d’âge d’or .
Dans les années 2000, le courant éphémère de l’electroclash remet ainsi au goût du jour les mélodies de la synth-pop Ö du début des années 1980. Quelques temps plus tard, de nombreuses formations électroniques s’inspirent de l’esthétique dite punk-funk, caractéristique de formations rock du New York du début des années 1980. Plus récemment, c’est au tour de l’italo-disco Ö et de compositeurs méconnus de la période disco Ö, d’être remis au goût du jour, sans oublier la période féconde du rock électronique allemand ou kraut-rock Ö des années 1970, qui influence profondément la musique électronique de la fin des années 2000.
6. Bastard pop et mash-up : un phénomène d’hybridation
Le phénomène de la bastard pop (la pop bâtarde) ou du mash up (de l’argot to mash up : broyer) Ö, ne désigne pas un genre mais plutôt une pratique musicale, inspirée par les techniques des DJ et l’esthétique du sampling Ö.
Cette pratique de l’hybridation apparaît sur la scène électronique au début des années 2000. Elle influence profondément l’esthétique musicale de cette décennie, le travail des DJ comme celui des musiciens.
7. L’esthétique du drone
Le terme anglais de drone (en français : bourdon) désigne une pratique musicale réalisée à l’aide de sons graves tenus ou continus, sur lesquels peuvent se greffer des lignes mélodiques. Ces sons tenus peuvent être synthétiques ou acoustiques, obtenus par exemple à l’aide d’un synthétiseur, d’une guitare électrique ou de notes jouées à l’orgue. La pratique du drone constitue l’un des fondements du genre ambient Ö et se retrouve dans de nombreux courants de la scène électronique actuelle, notamment dans ses franges les plus expérimentales. Le drone ne constitue pas un genre en soi, mais bien une esthétique qui traverse un vaste ensemble de pratiques musicales.
La technique du drone se caractérise par la création d’atmosphères sonores immersives, aux harmonies denses et lentes, développées sur de longues durées.
Si le drone est présent dans de nombreuses musiques traditionnelles, comme la musique indienne, il fait son apparition dans la musique occidentale au cours des années 1960, chez des compositeurs se réclamant du minimalisme Ö, comme LaMonte Young, Charlemagne Palestine ou Tony Conrad. Au cours des années 1970 et 1980, l’usage du drone se répand chez des musiciens électroniques issus de l’école allemande de la kosmischemusik (Klaus Schulze, Tangerine Dream), du genre ambient (Brian Eno, John Hassel) ou du courant industriel (Coil, Zoviet France, Merzbow), avant de conquérir le rock (Sonic Youth, My Bloody Valentine) ou la techno des années 1990 (Aphex Twin, Autechre, Robert Henke/Monolake).
“[Flicker]” (2008) ou l’art du drone selon Robert Henke
8. Une dynamique bruitiste
Une frange importante de la musique électronique actuelle s’inscrit dans une esthétique bruitiste. Le bruitisme désigne un genre musical, mais de manière plus générale, un ensemble de pratiques fondées sur l’exploration de la notion de bruit et de sa perception, que l’on retrouve dans la musique expérimentale, les musiques dites improvisées, ainsi que la frange la plus extrémiste de la scène techno, dénommée hardcore. Le bruitisme se caractérise par l’usage de différentes techniques comme le feedback ou larsen [5]
Selon le site Zikinf : le feedback, ou larsen, se produit lorsqu'un micro est trop proche de son ampli. Le son de l'ampli est alors repris dans le micro, qui repasse dans l'ampli, puis dans le micro... Les deux entrent en résonance, et il en résulte un son très fort et très aigu. Le feedback peut être aussi obtenu lorsqu’un signal sortant d’une machine est réintégré dans la même machine.
, la saturation du signal audio, l’usage de bruit blanc [6]
Un bruit blanc est un son composé de toutes les fréquences audibles par l’homme. Certains bruits comme ceux des fontaines, des autoroutes, de la mer ou d’un poste de télévision hors ligne, s’apparentent à des bruits blancs.
, le delay Ö ou la superposition de multiples couches sonores contribuant à créer un effet de mur de sons.
Inspirée du futuriste italien Luigi Russolo en 1913 Ö, la notion de bruitisme réapparaît à partir de la seconde moitié des années 1970 chez des artistes affiliés à la musique électronique industrielle (Boyd Rice, SPK, Clock DVA, Nocturnal Emissions, Whitehouse, Le Syndicat, Merzbow, KK Null), ainsi que chez des musiciens rock d’inspiration avant-gardiste ou issus de l’univers du heavy metal. À partir des années 1990, l’esthétique bruitiste influence de nombreux artistes techno (Autechre, Aphex Twin, Omar Santana, Lenny D, Liza N’Eliaz, Somatic Responses), des musiciens électroniques expérimentaux (Peter Rehberg, Florian Hecker, Pan Sonic, Yasunao Tone) et donne naissance à un courant musical au Japon, communément dénommé, japan noise. Aujourd’hui, de manière générale, le terme de noise s’est d’ailleurs substitué à celui de bruitisme.
Minus Zero (1997) de Merzbow
9. L’électronica et la déconstruction numérique
L’apparition de nouveaux logiciels de composition et de production sonores vers la fin des années 1990 a encouragé le développement d’une scène musicale que l’on décrit communément sous le terme d’électronica. Le travail des compositeurs affiliés à cette scène se caractérise par un traitement numérique du son, dont l’un des traits principaux est la déconstruction du signal audio et le création de nouveaux types de textures sonores Ö.
« Insects All Around Us » (2011) de Poborsk
10. Field recordings et paysages sonores
Le terme de field recordings (littéralement, un enregistrement de terrain) désigne des enregistrements sonores réalisés à l’extérieur d’un studio, en milieu urbain ou sur un site naturel. Depuis les années 2000, l’introduction de ce type d’enregistrement est d’un usage récurrent chez certains musiciens électroniques, qu’ils soient issus du courant expérimental de l’art sonore, de l’électronica Ö, de l’école ambient Ö, de l’univers de la pop ou de la techno.
Les field recordings peuvent ainsi apporter à une composition électronique originale des timbres sonores complexes, une sensation d’espace ou de profondeur, une forme de poésie sonore concrète ou la manifestation d’effets de réels saisissants.
Les field recordings constituent par ailleurs pour de nombreux musiciens comme Chris Watson ou Francisco Lopez, le sujet même de leur travail, que l’on désigne parfois sous le terme de phonographie (par analogie à la photographie), de paysage sonore ou de soundscape. Entièrement réalisées à partir de sons captés en milieu urbain ou naturel, montés ou manipulés par la suite en studio à l’aide de moyens électroniques, ces œuvres témoignent d’une approche naturaliste du matériau sonore.
Vatnajökull (2003) de Chris Watson
11. Musique électronique expérimentale : quelques démarches actuelles
11.1. Introduction
Il existe aujourd’hui de nombreux musiciens électroniques dont la démarche échappe au format de la dance-music et de ses multiples courants, ainsi qu’à l’enseignement et aux règles de la musique contemporaine. Leurs influences et leurs parcours sont variés. Tout en expérimentant une voie singulière, certains d’entre eux se revendiquent de la musique concrète (Christian Zanési, Hanna Hartmann, Matmos), d’autres de la musique ambient (William Basinski), du minimalisme (Phil Niblock), de la musique improvisée [7]
On appelle musique improvisée, un ensemble de courants musicaux centrés autour du format du concert, hérités du free jazz, des musiques électroacoustiques et des recherches formelles de la musique contemporaine.
ou des arts plastiques (Steve Roden, Romain Kronenberg, Eddie Ladoire). Il m’a semblé important de clore ce chapitre en évoquant quelques-unes de ces démarches qui permettent de circonscrire certains des courants esthétiques de la musique électronique actuelle, aux confluents de la musique expérimentale, de la musique électroacoustique et des arts plastiques et sonores.
11.2. Fennesz
Christian Fennesz est un guitariste et musicien électronique autrichien, né en 1962. Il se distingue au cours de la seconde moitié des années 1990, en tant que guitariste, grâce à ses collaborations avec des musiciens comme Jim O’Rourke ou Peter Rehberg, aux confins du rock et de la musique expérimentale. À partir de 2001 et l’album Endless Summer, il soumet son jeu de guitare à une série de traitements sonores obtenus à l’aide de logiciels comme Max/MSP Ö. Dès lors, il est l’auteur d’une musique des plus singulières, parfois bruitiste, parfois ambient, qui se caractérise par des accords de guitare électrique retraités à l’aide de la technologie numérique, tour-à-tour rugueux ou vaporeux.
Outre Endless Summer, considéré comme un disque majeur de la musique électronique des années 2000, citons parmi ses albums de référence, GRM Expérience (2004, composé avec Christian Zanési et Mika Vainio), Cendre (2007, composé avec Ryuichi Sakamoto) et Black Sea (2008).
« Black Sea » (2008) de Fennesz
11.3. Christian Zanési
Christian Zanési est un compositeur français de musique électronique et électroacoustique, né en 1952. En 1976 et 1977, il étudie au Conservatoire de Paris auprès de Pierre Schaeffer Ö et Guy Reibel, avant de rejoindre un an plus tard le GRM (Groupe de Recherches Musicales), dont il occupe désormais le poste de responsable chargé de la direction artistique, des concerts et des programmes radio. Si sa première pièce, Eclisses, date de 1978, il est plus particulièrement remarqué en 1983 avec Stop ! l’horizon (publié sur CD en 1996). Parmi ses autres pièces et albums majeurs, citons 91 98 01 (2002), GRM Expérience (2004, composé avec Fennesz et Mika Vainio) et Soixante dix-huit tours (2009).
Sa musique se caractérise par un travail d’une grande précision sur les matières et les textures sonores, souvent charnelles, parfois stridentes, de l’électronique, et par une grande importance accordée à la spatialisation des sons. Sa musique peut ainsi être perçue comme un paysage de matières et de vibrations sonores, qui met en jeu chez l’auditeur les notions d’espace et de profondeur.
11.4. William Basinski
William Basinski est un compositeur, clarinettiste et saxophoniste américain né en 1958. Il commence à composer dans les années 1980. Sa musique, volontiers ambient et méditative, aux lentes pulsations et aux climats mélancoliques, est basée sur un jeu de boucles sonores soumises à une série d’effets de delay et de feedback, inspirée par les techniques mises au point par le minimaliste américain Steve Reich Ö, ou les travaux de Brian Eno Ö.
Il ne perce réellement qu’à partir de la fin des années 1990, avec des albums comme Shortwavemusic (1998), Watermusic (2000) et The Disintegration Loops (2002).
The Disintegration Loops (2002) de William Basinski
11.5. Phill Niblock
Phill Niblock est un compositeur et cinéaste américain, né en 1933. Après une première carrière de cinéaste, à mi-chemin entre le documentaire et le cinéma expérimental, il compose ses premières pièces à partir de la fin des années 1960, dans lesquelles il superpose à l’aide de magnétophones et de bandes magnétiques, de longs accords d’instruments acoustiques, notamment à cordes. Son travail s’inscrit dans l’esthétique développée par les minimalistes américains Ö des années 1960 et 1970.
S’il écrit parfois pour des quatuors à cordes, des guitaristes ou des orchestres, il poursuit plus particulièrement son travail à l’aide de l’ordinateur et de logiciels qui lui permettent d’explorer de manière plus approfondie les techniques de superpositions de bourdons (ou drones), dont les interactions créent de surprenants effets psychoacoustiques chez l’auditeur. Sa musique ainsi constituée autour de résonances et de masses sonores, ne contient ni rythme ni mélodies à proprement parler. Elle exprime plutôt l’idée du mouvement et de la lenteur.
Citions ses albums Music By Phill Niblock (1993), Touch Three (2006) et Touch Strings (2009).
Five More Strings Quartet (1993) de Phil Niblock
11.6. Maja Ratkje
Maja Solveig Kjelstrup Ratkje est une compositrice et chanteuse norvégienne, née en 1973. Son travail est centré autour de sa voix, dont elle manipule les intonations à l’aide de l’électronique et de l’ordinateur. Elle est remarquée dès son premier album, Voice (2002) qui offre un remarquable panorama de ses techniques et de son esthétique. Déconstruite, démultipliée ou déformée, sa voix se fait tour-à-tour mélodie, rythme, texture, bruit ou bourdon. Cette musique vocale peut parfois flirter avec le bruitisme ou l’esthétique de la noise music ou explorer des climats plus éthérés. Après Voice, elle poursuit ses expériences sur Adventura Anatomica (2006), Mouth River Echoes (2008) ou Cyborgic (2009).
Breathe (2002) de Maja Ratkje
11.7. Ikue Mori
Ikue Mori est une musicienne et percussionniste japonaise, née en 1953. Avec le groupe DNA, elle participe à la fin des années 1970 au mouvement dit no wave new-yorkais, dont la musique se situe à mi-chemin du punk rock, du bruitisme et de la musique expérimentale.
Elle développe au cours des années 1980 et 1990 une création à l’aide de boîtes à rythmes et de percussions synthétiques. Elle joue alors sur des rythmes bancals et déstructurés, qu’elle dynamise à l’aide de collages de samples.
À partir des années 2000, elle s’équipe d’un ordinateur portable et des nouveaux logiciels caractéristiques de la génération électronica afin de poursuivre ses expériences musicales. Sa musique dynamique et parfois ludique, dont la liberté et l’audace peuvent évoquer le free jazz ou la musique électroacoustique, joue sur l’opposition entre de complexes architectures de percussions, des collages de fragments d’instruments acoustiques et des entrechocs de voix et de sons naturels.
Phantom Orchard (2004) de Zeena Parkins & Ikue Mori, au Teatro Fondamenta Nuove de Venise
11.8. Steve Roden
Steve Roden est un compositeur, artiste sonore et plasticien américain, né en 1964. Sa musique, ainsi que les bandes-son de ses installations, sont réalisés à partir de field recordings (enregistrements de terrain), de sons concrets et de sons instrumentaux (notamment des guitares), retraités à l’aide de l’électronique. Il développe de la sorte une musique aux tonalités immersives, dont l’alliage de sons naturels, de fréquences, de résonances et de fragments d’accords instrumentaux composent un véritable paysage sonore. Son travail témoigne d’une approche plastique du son, à l’image de nombreux autres artistes de sa génération, passionnés par la notion de field recordings, qui mènent de front une carrière de musiciens et de plasticiens, comme Janek Schaeffer, Stephan Mathieu, Marc Behrens, Toshiya Tsunoda ou Stephen Vitiello.
Parmi ses albums et ses pièces sonores, citons Forms Of Paper (2001), Resonant Cities (2003) et Airforms (2005).
Hanna Hartman est une compositrice et artiste sonore suédoise, née en 1961. Sa démarche s’inscrit dans la tradition de la musique électroacoustique. Sa musique est entièrement réalisée à partir de sons naturels, retraités et assemblés à l’aide de l’électronique et de logiciels. Elle compose de la sorte des paysages sonores aux sons bigarrés et hétéroclites, dans lesquels s’entrechoquent fragments de matières, sons aériens, crissements et résonances.
Citons ses albums, HannaHartman (2002), Longitude/Cratere (2005), Ailanthus (2007) et H ^ 2 (2011).
Plåtmås (2007) d'Hanna Hartman
11.10. Carl Stone
Carl Joseph Stone est un compositeur américain, né en 1953. Après avoir étudié au début des années 1970 auprès du pionnier de la musique électronique Morton Subotnick et du compositeur et théoricien James Tenney, il est remarqué pour trois pièces, Sukothai (1979), Dong II jang (1982) et Shibucho (1984), dans lesquelles il fait preuve d’un art inédit du collage et du sampling. À partir de fragments d’enregistrement de musiques folkloriques asiatiques, de musiques de la Renaissance ou de succès de la musique noire américaine, Carl Stone créé une musique composite, dynamique et souvent humoristique, basée sur la manipulation, la répétition et le télescopage de ces multiples échantillons.
Il créé parfois une musique électronique à l’abstraction plus affirmée, évoquant le formalisme de l’électronica, à l’aide d’un même système de boucles et de collages de sons hypnotiques.
À partir de la fin des années 1980, il figure parmi les premiers compositeurs à expérimenter les logiciels et les technologies de la musique électronique live (on parle généralement de live electronics), à l’aide de logiciels comme Max/MSP permettant une grande liberté d’improvisation.
Citons ses albums Woe Lae Oak (1983), Four Pieces (1989), pict.soul (2001, avec Tetsu Inoue), Nak Won (2002) et Al-Noor (2007).
Un exemple du travail de déconstruction des mélodies et des rythmes pop, réalisé à l’aide du logiciel MAX/MSP sur « Flint’s » (2007) de Carl Stone
11.11. Matmos
Matmos est un duo américain de musique électronique, composé de Martin Schmidt et Drew Daniel, dont la carrière débute à la fin des années 1990. Leur musique se situe à mi-chemin entre les recherches de la musique électroacoustique, les innovations des avant-gardes du 20e siècle et les figures rythmiques des musiques populaires électroniques des années 1990 comme la techno et ses nombreux dérivés. Matmos se distingue notamment grâce à l’usage de sons tirés de nombreux objets de la vie quotidienne, dont les timbres constituent la base mélodique et rythmique de leurs compositions. Les albums de Matmos rassemblent ainsi des titres aux sonorités hétéroclites et bigarrées, jouant avec humour sur le télescopage des sources.
Citons leurs albums, Quasi-Objects (1998), A Chance To Cut Is A Chance To Cure (2001) et The Rose Has Teeth In The Mouth Of A Beast (2006).
« Spoondee » (2001) de Matmos
11.12. Un minimalisme français : François-Eudes Chanfrault, Sébastien Roux, Romain Kronenberg, Eddie Ladoire
François-Eudes Chanfrault (né en 1974), Romain Kronenberg (né en 1975), Sébastien Roux (né en 1977) et Eddie Ladoire (né en 1975) sont quatre compositeurs français, dont la démarche s’inscrit à la fois dans le champs de la musique et dans celui des arts plastiques. Leur travail, qui se déploie notamment sous la forme d’albums, de musique pour l’image, de dispositifs ou d’installations sonores, se caractérise par une forme minimaliste réalisée à partir de sons et de fréquences électroniques, d’instruments retraités (guitare électrique et instruments acoustiques à cordes) ou de drones. Ces jeunes compositeurs, parfois associés au courant électronica, ont souvent recours à des logiciels comme Max/MSP et à différents procédés de traitement numérique afin de créer des matières sonores synthétiques aux timbres inédits.
Pour François-Eudes Chanfrault, citons les albums, Computer Assisted Sunset (2005) et À l’intérieur (Inside) (2008), qui rassemblent ses musiques de films.
Pour Sébastien Roux, citons les albums Revers Ouest (2007) et Rücksitz (2009, composé avec Sogar) ainsi que .01..05. (2005), composé sous le nom de Heller avec Eddie Ladoire.
Enfin, citons les albums à télécharger en ligne, 2010 Same same but different (2010) et 2009 (2009) de Romain Kronenberg.
François-Eudes Chanfrault, « Artic Love » (2007), extrait de la bande originale du film, À l’intérieur (2007, Julien Maury, Alexandre Bustillo)
1 Lire aussi à ce sujet mon article International Ghetto Beats publié sur le blog, Global Techno.
2 Dans la tradition jamaïcaine, il est important de préciser que le DJ, tel que nous le connaissons en Europe, est appelé selector. Quant à l’artiste qui prend la parole et le micro, il est désigné sous le terme de deejay. Le toasting désigne la pratique de certains deejay ou d’un artiste vocal, parlant ou chantant généralement de façon monotone sur fond de percussions ou d’instrumentaux musicaux. L'exercice de chant parlé qu'est le deejaying a énormément influencé le hip-hop et influencé le développement de la pratique des MC (pour Master of Ceremony ou Maître de Cérémonie).
3 Le terme de break ou de breakbeat, désigne les passages instrumentaux, rythmiques et percussifs, que l’on trouve sur certains disques de funk, de soul, de rock ou de rhythm & blues, utilisés par les DJ pionniers du hip hop. Ces séquences percussives furent par la suite utilisées ou échantillonnées par les producteurs et les musiciens hip hop, comme base rythmique de leurs compositions.
4 Selon le Dico du Net, le dancehall est un genre musical apparu en Jamaïque dans les années 1980, découlant du reggae mais d'inspiration rap, dont le tempo peut être particulièrement rapide.
5 Selon le site Zikinf : le feedback, ou larsen, se produit lorsqu'un micro est trop proche de son ampli. Le son de l'ampli est alors repris dans le micro, qui repasse dans l'ampli, puis dans le micro... Les deux entrent en résonance, et il en résulte un son très fort et très aigu. Le feedback peut être aussi obtenu lorsqu’un signal sortant d’une machine est réintégré dans la même machine.
6 Un bruit blanc est un son composé de toutes les fréquences audibles par l’homme. Certains bruits comme ceux des fontaines, des autoroutes, de la mer ou d’un poste de télévision hors ligne, s’apparentent à des bruits blancs.
7 On appelle musique improvisée, un ensemble de courants musicaux centrés autour du format du concert, hérités du free jazz, des musiques électroacoustiques et des recherches formelles de la musique contemporaine.