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ETUDES ET ESSAIS > LES BASIQUES > LA MUSIQUE ELECTRONIQUE > COMMENT L’ELECTRONIQUE EST-ELLE DEVENUE POP ? (1968-1988)
   
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Comment l'électronique est-elle devenue pop (1968-1988) ?







  1. Le cinéma comme chambre d'écho
  2. Des francs-tireurs à l'écart des institutions
  3. La démocratisation du synthétiseur
  4. Œuvres symboliques et transitoires
  5. Expérimentations pop et psychédélisme
  6. Kraftwerk et le nouveau rock allemand
  7. Le mariage du jazz et de l'électronique
  8. Brian Eno et l'ambient music
  9. Les innovations du dub jamaïcain
  10. La musique disco
  11. Années 1980 : postpunk, synth-pop, musique industrielle et electro body music
  12. Postpunk européen et japonais
  13. Du hip hop à l'Electro


Le symbole Ö avant ou après un mot indique un lien vers une autre fiche des " Les Basiques : La musique électronique ? ".




À partir de la fin des années 1960, les innovations techniques et esthétiques de la musique électronique ne sont plus l’apanage des avant-gardes et des studios de recherche. Grâce au développement des techniques de studio et la démocratisation d’outils comme le magnétophone à bande magnétique et le synthétiseur, elles vont peu à peu pénétrer l’univers de la musique populaire, à travers le cinéma tout d’abord, puis les premiers succès de la pop music, suivis par le mouvement psychédélique, la musique jamaïquaine, le disco, la new wave ou le hip hop.





1. Le cinéma comme chambre d’écho

À partir de la fin de la seconde guerre mondiale, le cinéma permet de faire découvrir à un large public les sons novateurs de la musique électronique. Le theremin est le premier instrument électronique dont les tonalités futuristes sont utilisées dans les bandes originales de film. Ses harmonies éthérées et ses fréquences aériennes trouvent une application rêvée dans les effets sonores du cinéma fantastique ou au cours de séquences dans lesquelles les réalisateurs et les compositeurs tentent de dépeindre le trouble psychologique de leurs personnages. Parmi ses utilisations, citons le thriller psychanalytique d’Alfred Hitchcock, La maison du Dr Edwards (Spellbound, 1945) ; Le poison (The Lost Weekend, 1945) de Billy Wilder ; La chose d’un autre monde (The Thing, 1951) de Christian Nyby ; Le jour où la terre s’arrêta (The Day the Earth Stood Still, 1951) de Robert Wise ou la série télévisée des années 1960, My Favorite Martian.

En 1956, Planète Interdite (The Forbidden Planet) est le premier long-métrage de l’histoire du cinéma dont la bande-son, les effets sonores comme la musique, est intégralement composée à l’aide de l’électronique, et ne se limite pas au seul Theremin. Le couple Louis et Bebe Barron Ö, fondateurs du premier studio électronique américain, s’inspire de ses recherches menées dans le domaine de l’avant-garde, pour mettre en musique ce film de Fred Wilcox, dans lequel l’équipe d’un vaisseau spatial découvre une planète dont le peuple, les Krells, ont disparu depuis des siècles, laissant derrière eux les traces d’une technologie des plus sophistiquées.



Le thème principal du film Planète Interdite (1956, Fred Wilcox), dont Louis et Bebe Barron ont composé les effets sonores et la musique.


La même année, Vladimir Ussachevsky et Otto Luening, fondateur du studio de l’université de Columbia-Princeton Ö composent une Suite pour bande magnétique destinée à la pièce de théâtre Le Roi Lear (1956, Orson Welles). En 1963, Oskar Sala, compositeur et inventeur du Mixturtrautonium, utilise la grande variété de tonalités de son instrument, afin de créer les effets sonores horrifiques du film Les oiseaux (The Birds) d’Alfred Hitchcock.

Cependant, la plus célèbre bande-son de ces années est composée par Walter Carlos en 1971 pour le film Orange Mécanique (A Clockwork Orange) de Stanley Kubrick. Ses compositions originales, ainsi que ses transcriptions électroniques de la Neuvième Symphonie de Beethoven ou de l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini, connaissent un immense succès international qui fait alors beaucoup pour la popularité de la musique électronique.



La bande-annonce du film Orange Mécanique (1971, Stanley Kubrick), sur l’air de Guillaume Tell de Rossini, joué au synthétiseur Moog par Walter Carlos





2. Des francs-tireurs à l’écart des institutions

Au cours des années 1950 et 1960, quelques pionniers de la musique électronique échappent au cadre des institutions, des studios et des laboratoires de recherche, menant leur carrière en solitaire, le plus souvent au service de la télévision, de la publicité ou du marché de la pop music.

- Raymond Scott (1908-1994) fait partie de ces francs-tireurs, souvent oubliés par les historiens de la musique électronique. Ce musicien américain débute en tant que jazzman à succès au sein du Raymond Scott Quintette au cours des années 1930 et 1940, avant de fonder en 1946, Manhattan Research Inc., une compagnie et un studio de création sonore dédiés à l’audiovisuel. Dès lors, il signe de très nombreux jingles, effets sonores et musiques d’illustration à l’aide de nouveaux instruments dont il est l’inventeur. Jusqu’au début des années 1970, il conçoit ainsi, outre différents modèles de sonnettes ou de boîtes à musique, un séquenceur Ö nommé The Circle Machine, une variante de l’orgue électronique nommé Clavivox, aux fonctions proches du sampler Ö appelé The Orchestra Machine ainsi que l’Electronium, un puissant instrument développé entre 1954 et 1972 qui préfigure les futurs synthétiseurs des années 1980 et 1990. Si sa production musicale jazz et pop est pléthorique, ses compositions électroniques se limitent à des milliers de jingles souvent très inventifs et à quelques créations pour la télévision. Il signe néanmoins en 1964 une série de trois albums de musique électronique destinée à l’éveil des tout-petits, Soothing Sounds for Babies. Ces compositions ludiques aux timbres inédits, rééditées en CD dans les années 1990, l’imposeront alors comme l’un des pionniers méconnus de la musique électronique.



« The Happy Whistler » (1963) de Raymond Scott, extrait de la collection de disques Soothing Sounds for Babies, destinés aux tout-petits


- Joe Meek (1929-1967) est un producteur et un auteur de chanson à la carrière fugace (il se suicide à l’âge de 38 ans) qui innove dans l’usage des nombreuses fonctionnalités du studio qu’il met au service de formations pop et rock des années 1960. Il expérimente les effets de distorsion, d’écho et de réverbération, ébauche des premières tentatives de sampling, mêle instrumentation électrique et électronique sur I Hear a New World, son album concept composé en 1959, et Telstar, le tube des Tornados qu’il produit en 1962.



« I Hear a New World » (1959) de Joe Meek


- Jean-Jacques Perrey, compositeur français né en 1929 se forme au cours des années 1950 à l’Ondioline, un tout nouvel orgue électronique à base de tubes à vide, et étudie les techniques de la musique électroacoustique Ö auprès de Pierre Schaeffer. Il apprécie néanmoins peu le sérieux de la musique savante et préfère partir travailler aux États-Unis où il compose de nombreux jingles pour la publicité et diverses musiques d’accompagnement, notamment pour le compte de la compagnie Walt Disney. Il expérimente le montage et le bouclage sur bande magnétique, qui préfigurent les techniques du sampling, avec une version humoristique du Vol du bourdon de Korsakov et l’album The In Sounds From Way Out qu’il compose en 1966 aux côtés de Gershon Kingsley. Ses albums suivants comme The Amazing Electronic Pop Sounds of Jean-Jacques Perrey (1968) ou Moog Indigo (1970) l’imposent comme un interprète inspiré du synthétiseur Moog et comme un compositeur électronique, ou plutôt électro-pop, à l’inspiration espiègle et enfantine.



« E.V.A. » (1973) de Jean-Jacques Perrey


- Roger Roger et Eddie Warner : à la même époque, le domaine de la Library Music, la musique d’illustration destinée à la radio et à l’audiovisuel, donne naissance à quelques expériences singulières et parfois humoristiques, qui tentent de marier les structures de la pop aux sons novateurs de l’électronique. Le français Roger Roger (1911-1995) compose par exemple en 1969, sous le nom de Cecil Leuter, un album nommé Pop Électronique, suivi en 1971 par Eddie Warner avec 100% Electronic. Toutefois, les inventions de cette musique fonctionnelle, réservée au documentaire, à la publicité et au reportage télévisé, ont peu d’influence sur les musiciens de l’époque.

- Bruce Haack : dans le même registre que Roger Roger et Jean-Jacques Perrey, le compositeur canadien Bruce Haack (1931-1988) refuse d’être cantonné dans le domaine de la musique savante. Au cours des années 1950, il signe quelques pièces de musique concrète et expérimentale, avant de s’illustrer dans les années 1960 et 1970 dans de nombreux autres registres, comme la publicité, la chanson, le rock psychédélique ou la musique pour enfants avec Dance, Sing & Listen (1963) et The Electronic Record for Children (1969). Comme Raymond Scott qu’il fréquente dans les années 1970, Haack est un inventeur. On lui doit par exemple le Dermatron, un prototype de synthétiseur et le Farad, un boîtier permettant la modulation synthétique de la voix humaine. Ses albums des années 1970 comme Electric Lucifer ou Dance to the Music préfigurent la vague électronique des années 1980 et 1990, par son mélange de mélodies pop et de rythmes synthétiques.

- Tod Dockstader (né en 1932) est un compositeur américain autodidacte, qui débute sa carrière en tant qu’ingénieur du son au sein de l’industrie cinématographique et musicale. À New York, il utilise les ressources des studios Gotham en dehors de ses heures de travail pour expérimenter et composer à l’aide de magnétophones et de bandes magnétiques. Dans une esthétique proche de la musique électroacoustique, il signe en 1960 son premier album, Eight Electronic Pieces, qui démontre une maîtrise exceptionnelle de l’électronique et du collage sonore. Son talent de compositeur se confirme dans ses œuvres suivantes comme Drone (1962), Water Music (1963) ou Quatermass (1964), une pièce de 46 minutes considérée comme son chef d’œuvre. Dans chacune de ses pièces, il fait preuve d’une grande invention dans le maniement de masses sonores abstraites, jouant avec les perceptions de l’auditeur et créant d’étonnants effets de spatialisation et de profondeur. Cependant, en raison de son parcours non universitaire, il ne peut poursuivre ses expériences au sein de studios institutionnels comme ceux de Columbia-Princeton qui refusent de l’accueillir. Ce n’est qu’au cours des années 2000 qu’il reprend ses activités de compositeur avec des pièces comme Aerial#1 (2005), Pond (2004) et Bijou (2005), poursuivant ses expériences des années 1960, cette fois à l’aide de l’ordinateur.



« Water Music (Part 3) » (1963) de Tod Dockstader





3. La démocratisation du synthétiseur

À partir de 1964, grâce à l’invention et la commercialisation en série des premiers synthétiseurs modulaires, dits analogiques, la pratique des instruments électroniques ne se limite plus aux laboratoires institutionnels ou universitaires qui accueillaient depuis l’après-guerre les compositeurs d’avant-garde. Les outils conçus par des ingénieurs comme Robert Moog et Donald Buchla aux États-Unis ou Paolo Ketoff à Rome, révolutionnent la pratique de la musique électronique. De taille réduite, ces instruments offrent aux artistes un contrôle accru des différents paramètres du son, ainsi qu’une stabilité nouvelle en terme de timbre ou de tonalité. Les musiciens peuvent enfin créer, filtrer et modifier aisément des sons électroniques et également disposer d’une palette de sonorités et d’effets réellement novateurs pour l’époque.

À la fin des années 1960, l’arrivée sur le marché de nouveaux modèles de synthétiseurs, tout aussi maniables et souvent moins chers, conçus par des compagnies comme Yamaha, Roland, Korg, Arp, EMS et Oberheim, accentuent ce mouvement de démocratisation des technologies électroniques.



Le documentaire What the Future Sounded Like retrace l’aventure de la compagnie britannique EMS et de son fondateur Peter Zinovieff, concepteur à la fin des années 1960 des synthétiseurs VCS 3 et Synthi, deux instruments adoptés par les musiciens pop de l’époque comme Pink Floyd, Brian Eno, Kraftwerk, Hawkwind ou Roxy Music





4. Œuvres symboliques et transitoires

À partir de 1967, la musique électronique s’émancipe du cadre des studios de recherche et gagne un nouveau public, au-delà des amateurs de musique contemporaine ou expérimentale.

Silver Apples Of The Moon (1967), composée par Morton Subotnick est l’une des premières pièces de musique électronique savante à connaître le succès au-delà du cercle restreint de ses auditeurs habituels. Les timbres synthétiques et les pulsations rythmiques de ce disque pionnier aiguisent la curiosité d’un public qui découvre à la même époque les audaces formelles de la pop psychédélique, conçue à Londres et à San Francisco.

Le duo new-yorkais Silver Apples [1] est à ce titre le premier groupe issu de cette scène psychédélique, à opérer une fusion inédite entre le rock et l’électronique. Sur ses deux premiers albums, Silver Apples (1968) et Contact (1969), la voix et la batterie de Dan Taylor se mêlent audacieusement aux riches textures électroniques d’une étrange machine composée de neufs oscillateurs Ö, The Simeon, inventée par Simeon, le second membre du groupe.

Également en 1967, Pierre Henry (né en 1927) délaisse un temps ses expériences de musique concrète afin de faire équipe avec le compositeur et arrangeur, Michel Colombier (1939-2004). Ensemble ils signent une série de « jerks électroniques » destinés au ballet de Maurice Béjart, Messe pour le temps présent. Avec des tubes comme Psyché Rock, Teen Tonic ou Too Fortiche, les deux artistes marient avec jubilation les accords entêtants de la musique pop des années 1960 aux sons des machines électroniques. Au-delà du cercle de la musique contemporaine, cette bande-son connaît rapidement un grand succès auprès de la jeunesse française et internationale. Ariel Kyrou [2] , voit dans cet album une œuvre symbolique du passage de l’électronique savante au cercle des musiques populaires, préfigurant la révolution techno des années 1990.



« Jericho Jerk » (1968) de Pierre Henry et Michel Colombier


Cependant, ce sont plus souvent des interprétations au synthétiseur de célèbres mélodies classiques qui vont permettre au public de se familiariser avec les sons de l’électronique. Le premier grand succès international du genre est publié en 1968 par le jeune compositeur Walter Carlos (né en 1939), devenu au début des années 1980, Wendy Carlos. Avec son premier album Switched-on Bach, il crée à l’aide d’un synthétiseur Moog, une série de relectures de thèmes de Bach comme Sinfonia To Cantata No. 29 ou le Concerto Brandebourgeois. Le succès est immédiat et inespéré. Trois ans plus tard, Carlos connaît la consécration grâce à la bande originale du film Orange Mécanique de Stanley Kubrick, composée de deux pièces originales et de versions électroniques de thèmes de Purcell et de Beethoven.

Le compositeur japonais Isao Tomita (né en 1932) connaît un succès comparable avec son album Snowflakes are Dancing (1974). Il réussit sur ce disque aux timbres éthérés, à transcrire avec invention des œuvres de Claude Debussy comme Jardins sous la pluie, Des pas sur la neige ou La fille aux cheveux de lin.

Autre transfuge des laboratoires de recherche, Delia Derbyshire Ö (1937-2001), issue du BBC Radiophonic Workshop, l’atelier de création sonore de la radiodiffusion britannique, crée en 1969 avec David Vorhaus sous le nom de White Noise, An Electric Storm, un album qui marrie les refrains de la pop et les inventions de la musique concrète, évoquant tour-à-tour les Beatles psychédéliques de Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band (1967), les comptines synthétiques de Jean-Jacques Perrey ou les sons éthérés de la bande originale de Planète Interdite.

À partir du début des années 1970, de nouveaux titres permettent à l’électronique d’élargir son public. En 1972, l’éphémère formation Hot Butter reprend au Moog, Popcorn, une amusante comptine synthétique de Gershon Kingsley, que le compagnon de route de Jean-Jacques Perrey a composé en 1969.



« Popcorn » (1972) de Hot Butter


Cependant, la décennie 1970 est plus encore marquée par un style que l’on qualifie de cosmique ou plus souvent de planant. Dans ce registre, citons trois albums clés : Phaedra de Tangerine Dream (1974), Oxygène de Jean-Michel Jarre (1976) et Albedo 0.39 de Vangelis (1976). Avec ces albums entièrement instrumentaux, ces musiciens connaissent un immense succès, tout en tournant délibérément le dos aux recettes et aux structures de la pop music. Sans voix et ni refrains, développée sur de longues durées et de longs motifs, leur musique se caractérise par un alliage de nappes synthétiques et d’arpèges aériens qui séduisent un large public et fait entrer de plain pied l’électronique dans la sphère des musiques populaires.



« Oxygène 1 » (1976) de Jean-Michel Jarre





5. Expérimentations pop et psychédélisme

Les innovations esthétiques et techniques de la musique électronique, issues des travaux de recherche réalisés dans les laboratoires de l’après-guerre, pénètrent l’univers de la musique pop dès la seconde moitié des années 1960. Même si la majorité de ses artistes se contentent de suivre le format du couplet-refrain, d’autres explorent la matière du son, notamment la notion de timbre, de texture et de masse orchestrale, ainsi que de nouvelles structures formelles ou rythmiques. Grâce aux studios et aux tables de mixage multipistes qui apparaissent à l’époque, aux techniques de collage et de bouclage sur bande magnétique, sans oublier les innovations sonores offertes par la mise au point d’effets de filtre, de delay ou de réverbération Ö, les Beach Boys (et en particulier Brian Wilson) apportent une nouvelle dimension à leurs chansons pop sur Pet Sounds (1967). À la même époque, les Beatles et leur producteur George Martin utilisent les mêmes techniques sur leurs albums de légende comme Revolver (1966), Magical Mystery Tour (1967), Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967) ou The Beatles (1968),que l’on désigne communément sous le terme d’album blanc. Ce dernier comprend d’ailleurs un titre singulier, « Revolution 9 », signé John Lennon. Cette pièce de tape music, composée à l’aide de voix radiophoniques, de masses et d’effets sonores saisissants, de mélodies empruntées au répertoire classique, et plus généralement de sons trouvés, spatialisés ou retraités, fait écho aux expériences menées à la même époque par Pierre Henry ou Karlheinz Stockhausen.

Cet éventail de techniques initiées dans le rock par les Beatles et les Beach Boys se retrouve chez de nombreux groupes de la fin des années 1960 et du début des années 1970 qui se revendiquent d’une esthétique psychédélique.

Le rock psychédélique, qui fait parfois usage des premiers instruments électroniques produits en série, se distingue par ses structures rythmiques répétitives jusqu’à la transe, la durée inhabituellement longue de ses morceaux et les multiples effets de distorsion apportés à la voix comme aux instruments. Parmi les albums de référence du genre, citons Their Satanic Majesties Request (1967) des Rolling Stones ; We’re Only in it for the Money (1967) de Frank Zappa ; Electric Ladyland (1968) de Jimi Hendrix ou The Soft Machine (1968) de Soft Machine. Cependant, ce sont sans doute les Pink Floyd qui figurent parmi les groupes les plus inventifs et attestent, grâce à leur immense succès public, de l’émergence d’une nouvelle esthétique au sein de la musique populaire. Le rock psychédélique de leurs premiers albums comme The Piper at the Gates of Dawn (1967) et A Saucerful of Secrets (1968) laisse peu à peu la place à des albums dont certains titres puisent directement leur inspiration dans les expériences de la musique concrète ou les textures inédites de la musique électronique. Parmi ces albums, citons Ummagumma (1969), Atom Heart Mother (1970) et bien sûr The Dark Side of the Moon (1973), vendu à plus de quarante millions d’exemplaires. Les collages sonores que l’on retrouve sur certains de ses titres comme « Speak To Me », « Money » ou « Time » annoncent les futures révolutions du sampling. Les pulsations synthétiques de « On the Run » préfigurent quant à elles l’esthétique techno des années 1990.



« Time» (1973) de Pink Floyd





6. Kraftwerk et le nouveau rock allemand

À partir de la fin des années 1960 et au cours des années 1970, de nombreux musiciens allemands issus du rock, apportent une nouvelle dimension à la musique populaire. Influencés par le courant psychédélique, ces musiciens se révèlent formellement plus audacieux, et surtout plus expérimentaux, que leurs confrères anglo-saxons. Ils utilisent et développent les techniques initiées par les Beatles, les Beach Boys ou les Pink Floyd, comme le traitement des masses sonores, le montage et le bouclage de bandes magnétiques, la genèse d’effets de delays, d’échos, de réverbération ou de distorsion. Mais surtout, ils recourent de façon plus importante aux instruments électroniques et puisent leur inspiration hors des frontières de la musique pop, comme dans le jazz, les créations de Stockhausen, ainsi que dans le champs des arts plastiques. À l’époque, la poésie insolente et iconoclaste du mouvement Fluxus, l’activisme et l’enseignement sociopolitique de l’artiste Joseph Beuys, ainsi que les expériences scéniques pratiquées par les plasticiens dans le domaine du happening et de la performance, ont en effet un profond écho chez les musiciens. La musique composée par des groupes comme Can, Faust, Ash Ra Tempel ou Neu !, que l’on a souvent étiqueté sous le terme péjoratif de Kraut-Rock (le « rock-choucroute »), est en effet marquée par une volonté de recherche caractéristique de l’art des années 1970 : remise en cause de la tradition classique, politisation, dérision, jeux avec le hasard, ouverture aux cultures et aux philosophies non occidentales, sans oublier l’exploration des effets des drogues. Cependant, cette ambition formelle n’entend pas renouer avec l’élitisme des avant-gardes de l’après-guerre. Il s’agit bien pour la majorité de ces groupes de faire le lien entre les pionniers des années 1950 et 1960, et la culture populaire du rock.

Parmi les albums de référence de ce mouvement de rock inventif et expérimental, citons Monster Movie (1969), Tago Mago (1971) et Soon Over Babaluma (1974) de Can ; Phallus Dei (1969) d’Amon Düül II ; Klopfzeichen (1970) de Kluster ; Neu 2 (1973) de Neu ! ; Ash Ra Tempel (1971) d’Ash Ra Tempel et Faust (1971) de Faust.



« Für Immer » (1973) de Neu !, extrait de l’album Neu 2


Une partie de cette nouvelle génération allemande s’affranchit toutefois ouvertement de l’influence du rock ou du jazz, et compose une musique entièrement électronique, volontiers planante et méditative (on parle alors de kosmische muzik), à l’image du groupe Tangerine Dream, de son fondateur Edgar Froese et de Klaus Schulze. Electronic Meditation (1970), Phaedra (1974) et Stratosfear (1976) de Tangerine Dream ; Irrlicht (1972) et Timewind (1975) de Klaus Schulze ou Aqua (1974) d’Edgar Froese constituent les albums de référence de cette musique synthétique aux climats éthérées.



Extrait de « Wahnfried 1883 », sur l’album Timewind (1975) de Klaus Schulze


Conrad Schnitzler, ancien élève de Joseph Beuys, qui participe un temps à Kluster et à Tangerine Dream, explore quant à lui une veine plus expérimentale, inspirée par les expériences de Stockhausen et de la musique électroacoustique, sur des disques comme Rot (1973) et Blau (1974).

Mais le groupe majeur de cette période est sans conteste Kraftwerk. Ses premiers albums comme Tone Float (composé en 1968 sous le nom d’Organisation), Kraftwerk 1 (1970), Kraftwerk 2 (1971) et Ralf & Florian (1973), marient instruments électroniques et acoustiques dans la lignée expérimentale de leurs compatriotes du « kraut rock ». Mais à partir d’Autobahn (1974), le groupe pose les bases d’une nouvelle esthétique. Avec Radio-Activity (1975), Trans Europe Express (1977), Man Machine (1978) et Computer World (1981), la formation dirigée par Ralf Hütter et Florian Schneider invente une pop électronique dont l’influence est considérable sur la musique pop et hip hop des années 1980, tout comme les vagues house et techno des années 1990 et 2000. Cette musique, que Ralf Hütter qualifie de « robot pop » [3] ou d’industrielle Volksmuzik (une musique industrielle et populaire), composée de mélodies entêtantes, de « rythmes funky » et de sons mécaniques, parvient avec une rare économie de moyens à exprimer la relation intime entre l’individu, la technologie et le monde moderne. Leurs chansons comme « Computer Love », « Neon Lights », « The Telephone Call » ou « Pocket Calculator » évoquent des émotions universelles, nées avec la civilisation postindustrielle et informatique, à travers les thèmes des technologies domestiques, des moyens modernes de communication, du voyage ferroviaire ou automobile. Enfin, à travers les figures récurrentes du robot, du cyborg, de l’automate et du sportif moderne, en particulier le cycliste, ils explorent la notion d’homme-machine, centrale dans leur esthétique, qu’ils définissent comme une « camaraderie », voire une fusion entre l’homme et la technique.



« Radioactivity » (1975) de Kraftwerk, à la télévision française en 1978





7. Le mariage du jazz et de l’électronique

Vers la fin des années 1960, l’univers du jazz connaît une révolution technique comparable à celle du rock. Les techniques de mixage multipistes, les collages sur bande magnétique, l’usage des effets sonores et plus largement l’utilisation des fonctionnalités du studio à des fins créatives, sont peu à peu domestiquées par les plus audacieux des musiciens jazz qui jusque-là privilégiaient la scène, l’improvisation et l’enregistrement direct.

Miles Davis et son producteur Teo Macero figurent parmi les pionniers de cette révolution technologique avec leurs deux albums de légende, In A Silent Way (1969) et Bitches Brew (1970). Grâce à son art du mixage, du collage et des effets, inspiré des techniques de l’électroacoustique, Teo Macero transfigure la musique de Miles Davis, lui apportant une grande richesse en terme de texture et de spatialisation.

Ce type d’expériences mariant le jazz et la technologie, que certains nomment jazz-fusion ou electric-jazz, est poursuivi au cours des années 1970 par des artistes comme John McLaughlin avec son Mahavishnu Orchestra, Joe Zawinul au sein de Weather Report ou Herbie Hancock, chez qui le synthétiseur apporte de nouvelles couleurs timbrales.

D’autres musiciens comme George Russel ou Sun Ra, qui utilisent l’électronique de manière plus approfondie, apportent au jazz une dimension plus expérimentale. Entre 1960 et 1968, au cours de sa période dite new-yorkaise, Sun Ra explore les techniques du tape delay Ö et intègre le synthétiseur Moog à son art de la polyrythmie. En 1970, le critique Daniel Caux [4] décrit ainsi les premiers concerts que le musicien donne au sein de son Intergalactic Research Arkestra à la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence :

« Sun Ra détruit la notion d’avant-garde en jouant tout aussi bien des morceaux relativement traditionnels auxquels il insuffle, par des accentuations et des décalages insolites, un esprit d’une piquante modernité, que des pièces « futuristes » de la plus grande audace. Si, dans ces dernières, certaines sonorités peuvent rappeler la musique contemporaine expérimentale, on aurait tort d’y voir une quelconque synthèse. Il s’agit plutôt de l’exploitation des possibilités insoupçonnées de la musique négro-américaine ou, à la limite, d’une forme spontanée de subversion de notre art moderne occidental par le génie nègre. (…) Sun Ra joue lui-même du piano simple, du piano électrique, de l’orgue, du célesta, marimba, tympani et d’autres instruments baptisés « Sun harp », « Cosmic side drums », etc. Il utilise également depuis peu un synthétiseur Moog. Chef d’orchestre incomparable, Sun Ra est aussi un improvisateur de premier plan et sa manière originale d’employer les instruments électroniques ouvre au jazz de demain des voies insoupçonnées » [4] .

George Russel témoigne d’un même esprit d’ouverture. À partir des années 1960, il intègre dans son travail l'atonalité, la musique concrète et la musique électronique dans des pièces radiophoniques ou des pièces pour orchestre et bandes magnétiques comme The Electronic Sonata For Souls Loved By Nature (1968), l’une de ses œuvres maîtresses.

Selon le critique Kodwo Eshun [5] , il existe une filiation directe entre ces innovateurs du jazz et la scène électronique actuelle. Dans son livre More Brilliant Than The Sun [6] , il souligne l’esprit mêlé d’utopie et d’expérimentation technique qui rassemble les grands inventeurs du jazz des années 1960 et 1970 (comme George Russel, Sun Ra, Pharoah Sanders et Alice Coltrane), les albums de jazz électronique composés par Herbie Hancock au cours des années 1980 (Future Shock, Sound-System et Perfect Machine), les artistes de la techno noire américaine des années 1990 (comme Juan Atkins ou Underground Resistance) et enfin les producteurs de la musique drum & bass Ö (comme Goldie et 4 Hero).





8. Brian Eno et l’ambient music

L’ambient, une musique électronique aux timbres éthérés et aux tonalités atmosphériques, imaginée en 1975 par le compositeur et producteur britannique Brian Eno, illustre les multiples innovations sonores qui surviennent au sein de l’univers de la pop music au cours des années 1970.

Chanteur, compositeur, ancien membre du groupe Roxy Music, producteur pour de nombreuses formations pop et enfin plasticien, Brian Eno est un artiste dont le travail se situe à la croisée des musiques populaires et des avant-gardes du 20e siècle.

Après deux albums édités en 1975, Discreet Music et Another Green World, marqués par une recherche en terme de spatialisation et d’atmosphères, Brian Eno compose en 1978 l’album Ambient 1, Music for Airports, qui se distingue par ses mélodies synthétiques planantes et ses accords étrangement doucereux. Cet album constitue le premier volume d’une collection de disques dédiés à l’exploration d’une conception ambiante de la musique, que l’artiste définit ainsi :

« On peut définir une ambiance comme une atmosphère, une influence qui vous entoure, une sorte de couleur ou de nuance. Mon intention est de produire des œuvres originales ostensiblement (mais pas exclusivement) destinées à des situations et des moments particuliers, dans l’intention de créer un catalogue réduit, mais diversifié, de musique environnementale adaptée à une grande variété d’humeurs et d’atmosphères. […] L’ambient music entend susciter le calme, un espace pour penser. Elle doit être capable de s’adapter à de nombreux niveaux d’attention d’écoute sans en privilégier un en particulier. Elle doit être aussi intéressante que facile à ignorer » [7] .

Plusieurs facteurs expliquent l’émergence de ce concept chez Brian Eno.

En 1975, les compositeurs avec qui il travaille au sein de son label Obscure, comme Gavin Bryars, David Toop, Jan Steele ou John Cage, lui font part de leur désir de trouver de nouveaux modes d’écoute, au-delà de la radio et du disque.

D’autre part, Eno est le témoin de l’apparition de nouvelles techniques de productions et d’enregistrement, permettant selon lui « le développement de la texture sonore elle-même comme centre du travail de composition, et la capacité de créer électroniquement des espaces acoustiques virtuels (n’existant pas dans la nature) » [8] .

Enfin, ce sont deux expériences personnelles qui permettent à Brian Eno d’imaginer sa musique ambient. Début 1975, alité suite à un accident, il se retrouve immobilisé dans une chambre et passe parfois son temps à écouter de la musique, sans toutefois pouvoir manipuler le tourne-disque placé à quelques mètres de lui. Il fait un jour l’expérience de la diffusion d’un disque de harpe du 18e siècle, à très faible niveau, sur un seul haut-parleur, et dont le volume est largement couvert par le bruit de la pluie. « Peu à peu » se souvient-il, « je fus séduit par cette expérience d’écoute. Je compris que c’était ce que je demandais à la musique – être un lieu, un sentiment, une coloration globale de mon environnement sonore » [9] .

Deux ans plus tard, dans l’enceinte de l’aéroport de Cologne, alors qu’il patiente avant son embarquement, il imagine une musique qui puisse emplir ce type d’espace si spécifique, s’adapter aux bruits environnants du lieu (discussions, annonces, signaux sonores et brouhaha de la foule) et, plus important encore, qui soit « liée à l’endroit où l’on se trouve, à ce pourquoi on est là – voler, flotter et, secrètement, flirter avec la mort » [10] . Cette dernière expérience donne naissance à l’album Ambient 1 : Music For Airports. Parmi ses autres disques ambient de référence, citons Ambient 4 : On Land (1982) ou The Pearl (1984) qu’il cosigne avec Harold Budd et Daniel Lanois.



« Lizard Point » de Brian Eno, extrait de l’album Ambient 4 : On Land (1982)


Dans les années 1980, on retrouve cette approche ambient de la musique chez de nombreux autres compositeurs que Brian Eno côtoie au sein de son label EG, comme son frère Roger Eno, Harold Budd, Jon Hassell, Michael Brook ou David Toop.

Dans les années 1990 et 2000, cette notion d’ambient influence une nouvelle génération de musiciens électroniques venus de la house Ö et de la techno Ö, qui trouvent dans la pensée et les albums d’Eno, une profonde source d’inspiration. Parmi les artistes et les albums de référence de la seconde génération ambient, citons Chill Out (1990) de KLF, 76 :14 (1994) de Global Communication, Substrata (1997) de Biosphere ou Nah Und Fern (2008) de Gas.




« 8:07 » et « 5:23 », deux titres de Global Communication, extraits de l’album 76 :14 (1994)





9. Les innovations du dub jamaïcain

À partir de 1968, sur l’île de la Jamaïque, des musiciens, des DJ et des ingénieurs du son inventifs créent le dub, un genre musical basé sur l’utilisation des ressources techniques des studios d’enregistrement. Dès son origine, le dub est une musique entièrement générée en studio, dans laquelle des ingénieurs du son devenus artistes, utilisent la console de mixage (un outil destiné à la reproduction et à l’enregistrement), comme un instrument à part entière.

Le dub, terme qui signifie copie, désigne au départ la version instrumentale d’un disque de reggae, joué par les DJ jamaïcains (que l’on appelle selectors) lors de fêtes populaires. Grâce à la possibilité, en studio, de séparer et de manipuler les morceaux de reggae piste par piste (une piste étant consacré à la basse, l’autre aux rythmiques ou aux cuivres) et de leur adjoindre des effets sonores, des musiciens comme King Tubby (1941-1989) et Lee Scratch Perry (né en 1936) posent les bases de l’esthétique du dub. Leur album Blackboard Jungle Dub (1975) est à ce titre considéré comme le premier disque du genre.



« Blackboard Jungle Dub »(1975) de Lee Scratch Perry et King Tubby


Au cours des années 1970 et 1980, les progrès techniques des outils et des machines utilisées en studio permettent aux artistes dub de puiser plus profond encore dans la matière du son. Après avoir réduit la chanson qu’ils remixent à son squelette de basse et de batterie, ils la nourrissent d’effets de spatialisation, de suspension ou d’emprunts à d’autres genres musicaux (notamment des bandes originales de films) qui apportent à ce genre musical un timbre particulier, mariant la dynamique de ses percussions à des sensations volontiers éthérées.

Au sein de la culture populaire jamaïcaine, volontiers religieuse et mystique, fort éloignée des avant-gardes européennes et américaines, des artistes comme King Tubby, Lee Perry ou plus tard, U-Roy, ont ainsi inventé de nouvelles pratiques musicales, dont l’influence est fondamentale sur le rock, la pop music ou la musique électronique. Cette influence est si profonde que des critiques musicaux comme David Toop comparent l’expansion du dub à un virus esthétique, afin d’expliquer la manière dont le genre se greffe à de nombreux autres styles musicaux et se renouvelle à leur contact.

À partir de la fin des années 1970, le dub influence ainsi profondément des musiciens issus de l’univers du rock et du punk anglais, comme PIL, The Clash, XTC, The Police ou UB40, ainsi qu’une grande partie de la dance-music, que l’on évoque la disco Ö des années 1970, la house Ö ou la techno Ö qui lui succèderont au cours des trois décennies suivantes. L’influence du dub est aussi capitale chez des artistes d’inspiration plus expérimentale, que l’on évoque des groupes de la vague dite kraut-rock Ö allemande des années 1970 comme Can ou les expériences de la musique ambient et électronica Ö des années 1990 et 2000, avec des artistes comme The Orb, Pole ou Vladislav Delay Ö. Enfin, de façon plus générale, les différentes techniques inventées et développées par les musiciens dub, posent les bases de l’esthétique du sampling Ö, du remix Ö, du recyclage, de la citation et de la réappropriation qui s’imposeront dans les années 1980 et 1990 au sein de l’ensemble de la musique populaire.



Le musicien britannique Mad Professor (de son vrai nom Neil Fraser, né en 1957) remixe et effectue en direct une version dub du titre « Lively Up Yourself » de Bob Marley. Cette vidéo montre le maniement caractéristique de la console de mixage, au sein du courant dub.





10. La musique disco

Le courant disco constitue avec le hip hop Ö le premier genre musical dont l’esthétique puise son essence dans la pratique des DJ Ö. Il naît à partir de la fin des années 1960 et se développe au cours de la première partie des années 1970 dans les discothèques gay new-yorkaises (d’où le terme de disco), avant de conquérir un plus large public, aux États-Unis comme en Europe, pendant la seconde moitié de la décennie.

Le genre musical puise ses racines et ses timbres dans l’esthétique et la richesse de la musique noire américaine des années 1960 et 1970 : le rhythm & blues, la soul music et le funk.

Les premiers DJ disco comme Terry Noel, Francis Grasso, Steve D’Acquisto, Michael Cappello ou Nicky Siano, développent des techniques de mixage Ö inédites, qui permettent de développer l’aspect percussif et répétitif des titres de musique afro-américaine (mais aussi parfois de rock ou de musique latine) qu’ils jouent dans les discothèques.

Cette esthétique influence en retour les compositeurs et les musiciens qui développent une musique de danse puissamment percussive, la disco, qui se caractérise par un pied [11] massif, dynamisé par un jeu de cymbales appelées charleston. Différents types d’instrumentations viennent enrichir ce tempo métronomique : riches arrangements de cordes, variations hypnotiques d’arpèges de synthétiseurs ou jeux de basses et de guitares funk.

Les voix, souvent féminines, empruntent leur registre à celui de la soul music et du gospel, tant dans les tessitures, puissantes et haut perchées, que dans les thématiques spirituelles et humanistes de chansons qui évoquent l’amour, la rédemption ou les notions de communion et de célébration. Cependant les couplets sont souvent délaissés aux profits de vers simples en forme de slogan, dont la répétition vient renforcer la puissance rythmique et hypnotique des compositions.

Contrairement au rock des années 1970, publié sous forme d’albums, la majeure partie de la production disco est gravée sous la forme de singles (notamment des maxi 45 tours destinés aux DJ).

Parmi les singles historiques du début de la décennie 1970, citons : « Law of the Lands » (1973) des Temptations, « Love Is the Message » (1973) de MFSB, « The Love I Lost » (1974) de Harold Melvin & The Blues Notes, « Love’s Theme » (1974) de Love Unlimited Orchestra, « Disco Stomp » (1975) de Hamilton Bohannon, « Fly Robin Fly » (1975) de Silver Convention, « That’s the Way (I Like It) » (1975) de KC & The Sunshine Band ou « Love to Love You Baby » (1975) de Donna Summer et Giorgio Moroder.



« Love Is The Message » (1973) de MFSB avec The Three Degrees


À partir de 1975, le phénomène de la discothèque dépasse largement le cadre de la communauté gay et touche un plus large public. Ce nouveau type de loisir est popularisé par le film phénomène La fièvre du samedi soir (John Badham, 1976) avec John Travolta, et par de très nombreux tubes comme : « You’re Just the Right Size » (1976) de Salsoul Orchestra, « Love In C Minor » (1977) de Cerrone, « I Feel Love » (1977) de Donna Summer et Giorgio Moroder, « Dance, Dance, Dance » (1977) de Chic, « I Will Survive » (1978) de Gloria Gaynor, « Let’s All Chant » (1978) de Michael Zager Band, « We Are Family » (1979) de Sister Sledge ou « Knock on Wood » (1979) d’Amii Stewart.



« You’re Just the Right Size » (1976) de Salsoul Orchestra


Parmi les auteurs de ces tubes, certains délaissent à partir de 1977 les orchestrations classiques et les instruments électriques, privilégiant les rythmes synthétiques, les sons électroniques et les manipulations sonores réalisées en studio. Citons parmi eux le musicien français Cerrone (« Supernature », 1977), le compositeur allemand Giorgio Moroder (sur « I Feel Love » chanté par Donna Summer, ou sur ses albums solo comme From Here to Eternity, 1977 et E :MC2, 1979) sans oublier le producteur américain Patrick Cowley (« Megatron Man », « Menergy », 1981). Le son synthétique et percussif de leurs productions préfigurent l’avènement de la pop électronique des années 1980 et plus encore celui de la house et de la techno qui prendront leur essor au terme de cette décennie.



« From Here to Eternity » (1977) de Giorgio Moroder


À partir du début des années 1980, le genre disco va toutefois connaître aux États-Unis, son pays natal, un net et rapide déclin économique et médiatique, inversement proportionnel à son succès de la fin des années 1970. Au sein des multinationales du disque, des radios et des télévisions, les directeurs artistiques et les programmateurs vont peu à peu privilégier des artistes plus traditionnels, s’inscrivant dans la lignée du rock et de la pop music. De nombreux critiques musicaux, à l’image de Peter Shapiro [12], analysent ce phénomène comme un mouvement réactionnaire issu de la majorité blanche et hétérosexuelle, face à l’invasion d’un genre musical, le disco, associé aux minorités noires, latines et gay.

Le genre disco va toutefois connaître une descendance fertile en Europe, où il renaît sous d’autres formes et d’autres appellations au cours des années 1980. En Italie, l’Italo-disco naît et se développe entre 1983 et 1988, désignant une version électronique et parfois appauvrie du genre (d’un point de vue économique et artistique), à la forme minimaliste et aux mélodies entêtantes. Le genre compte tout de même quelques réussites comme les albums Remember de Gino Soccio (1984) et Ce n’est qu’un début d’Alexander Robotnick (1984), ainsi que les singles de Kano (« I’m Ready », 1980), Salvatore Cusato (« Cybernetic Love », 1983 ), Gino De Stefani et Maurice Cavalieri (« Spacer Woman », 1983), Stefano Zito et Carlo Flavilli (« Stop », 1983) ou Celso Valli (« Exalt », 1984).



« Problèmes d’amour » d’Alexander Robotnick (1984)


Le phénomène s’étend par ailleurs en France, en Belgique ou en Allemagne, où, pendant la même période, de nombreux artistes composent une dance-music populaire aux sons synthétiques, principalement publiée sous la forme de singles destinés aux marchés des discothèques et des hit-parades. Au sein de cette disco européenne, l’esthétique afro-américaine de la musique funk, du gospel et de la soul s’érode au profit d’une tonalité plus pop qui rappelle les sonorités de la new wave et du postpunk Ö produites à la même époque.

À partir de la fin des années 1980 et jusqu’au milieu des années 1990, cette forme européenne et populaire de dance music est plus communément désignée sous le terme d’eurodance. Elle rassemble alors une grande variété de styles et d’inspirations, dont les traits communs sont l’usage de l’électronique, de percussions puissantes et de paroles simplistes et répétées.





11. Années 1980 : postpunk, synth-pop, musique industrielle et electro body music

Entre 1978 et 1984, une nouvelle vague musicale apparaît en Angleterre et aux États-Unis, que l’on désigne sous le terme générique de postpunk. Ce mouvement, qui s’inspire de l’énergie rebelle des groupes punks apparus en 1976 et 1977, réunit une multitude de formations musicales qui renouvellent, sinon révolutionnent, le format du rock et de la musique pop, comme les Talking Heads, PIL, Gang of Four, Devo ou Joy Division [13] . Ces groupes, qui s’opposent à la simplicité du genre punk rock, s’ouvrent aux musiques noires, particulièrement le funk et le dub jamaïcain, explorent le domaine de l’électronique et inventent une nouvelle forme de musique cultivée et moderniste, inspirée par la littérature, le cinéma et certaines avant-gardes du 20e siècle comme le dadaïsme, le futurisme, le constructivisme ou le Bauhaus.

Les groupes qui choisissent la voie de l’électronique profitent d’une nouvelle démocratisation des technologies musicales. Les années 1980 voient l’arrivée sur le marché d’une génération de synthétiseurs bon marché comme le DX7 de Yamaha, le CZ 10 de Casio, le Prophet 5 de Sequential Circuits ou le Jupiter 8 de Roland, ainsi que des magnétophones portables, multipistes et à cassette permettant aux artistes d’acquérir une indépendance vis-à-vis des studios équipés de technologies plus onéreuses.

À la fin des années 1970, la ville de Sheffield, dans le nord de l’Angleterre, fait figure de capitale pour les groupes postpunk ayant choisi la voie de l’électronique et de l’innovation sonore. Loin du format pop, des disques comme Being Boiled (1978) et Dignity Of Labour (1979) de Human League, Mix-Up et Silent Command (1979) de Cabaret Voltaire ou White Souls In Black Suits (1980) de Clock DVA, se caractérisent par des climats oppressants, des timbres froids et des consonances mécaniques, exhalant une violence sourde, fort éloignée des musiques électroniques planantes composées quelques années plus tôt.



« Being Boiled » (1978) de Human League


Cette noirceur exacerbée est encore plus évidente chez d’autres formations britanniques qui mêlent l’électronique aux techniques de collages et de manipulations sonores héritées de la musique électroacoustique Ö. D.o.A. The Third And Final Report (1978) de Throbbing Gristle ou Chance Meeting On A Dissecting Table Of A Sewing Machine And An Umbrella (1979) de Nurse With Wound inaugurent l’émergence d’une musique que l’on qualifie alors d’industrielle. Ces formations explorent l’univers du bruit, poussant vers le chaos et les limites de la perception, les expérimentations timbrales de la musique concrète, du kraut-rock ou du psychédélisme. Jusqu’à la fin des années 1980, la musique industrielle connaît un héritage fertile, grâce à des formations comme Merzbow, Current 93, Whitehouse, Test Dept, SPK ou Esplendor Geometrico, leurs expérimentations variant entre le bruit pur et de plus singulières compositions atmosphériques. L’influence de ce mouvement se retrouve plus tard au sein de la vague électronique des années 1990 et 2000, chez les avant-gardistes de l’électronica Ö comme chez les plus bruyants représentants du courant techno hardcore Ö.



« Internal Bleeding »(1981) de SPK


Parmi les artistes issus de la période postpunk qui explorent le domaine de l’électronique, d’autres musiciens, moins provocateurs et subversifs que leurs collègues du courant industriel, connaissent un grand succès public. A partir de 1980, une mouvance que l’on qualifie de synth-pop contribue plus largement à populariser le son des synthétiseurs au sein de la jeunesse occidentale. Des artistes comme Gary Numan, Ultravox, John Foxx, Soft Cell, Human League (dans une nouvelle formation) et parmi les plus connus, Depeche Mode et New Order, s’orientent vers des sphères moins austères, plus mélodieuses et surtout plus dansantes.



« Enola Gay » (1980), d’Orchestral Manœuvres In The Dark, version live enregistrée dans les studios de la BBC


La période 1980-1984 marque ainsi le premier triomphe public d’une musique pop entièrement électronique. Des tubes comme « I Just Can’t Get Enough » (1981) de Depeche Mode, « Don’t You Want Me » (1981) de Human League ou « Enola Gay » (1980) d’Orchestral Manœuvres In The Dark, se caractérisent par une forme musicale minimaliste, aux arrangements discrets et aux percussions synthétiques soutenues, portées par des mélodies entêtantes. Si la forme adoptée, associant la plupart du temps couplets et refrains, respecte les canons de la tradition pop, ces groupes font tout de même preuve d’innovation en terme de timbre et de recherche sonore. Sous l’influence de Kraftwerk et des avant-gardes qui les ont précédées, ces formations utilisent de nombreux sons mécaniques et industriels reflétant leur environnement et réalisent des montages à partir de voix et de sons issus de l’univers médiatique, préfigurant la révolution du sampling à venir. Parmi les disques associant l’écriture de la pop et l’esprit de recherche de la musique électronique, citons les albums Dazzle Ships (1983) d’Orchestral Manœuvres In The Dark et Some Great Reward (1984) de Depeche Mode, ainsi que les singles « Confusion » et « Blue Monday » (1983) de New Order.



Un mégamix de l’album Some Great Reward (1984) de Depeche Mode


Le groupe qui se montre le plus novateur est sans conteste The Art Of Noise, un quintet dont le nom est inspiré du manifeste, L’art des Bruits (1913), du futuriste Luigi Russolo Ö. Composé du producteur Trevor Horn, de trois musiciens d’exception, Anne Dudley, J.J. Jeczalik et Gary Langan, ainsi que d’un critique musical visionnaire, Paul Morley, Art of Noise est l’un des rares groupes à disposer à l’époque d’un des premiers modèles de sampler Ö, le Fairlight CMI, leur permettant de puiser dans un vaste registre de sons encore peu usités par les formations plus traditionnelles. Leur musique, basée sur un jeu de percussions et d’échantillons sonores d’une grande invention (sons urbains, voix trafiquées, bruits de la vie domestique), a peu de choses à voir avec les tubes de leurs compatriotes britanniques. Délaissant le format de la chanson, leur pop électronique instrumentale, volontiers abstraite et ludique, intègre les innovations des avant-gardes des années 1960 et les recherches de la musique électroacoustique, dans une forme accessible, mélodique et rythmique, en un mot commerciale, qui connaît un grand succès grâce à la réussite de titres comme « Beat Box », « Moments In Love » (1983) ou « Legs » (1985).



« Legs » (1985) d’Art Of Noise


Au terme des années 1980, de nouveaux groupes belges, anglais et nord-américains, que la critique rassemble parfois sous le terme d’Electro Body Music (ou EBM), marrient les percussions et les mélodies synthétiques de la pop électronique aux sonorités abrasives de la musique industrielle. Inspirés par le nihilisme du punk et les provocations des artistes de la scène industrielle, des albums comme That Total Age (1987) de Nitzer Ebb, VIVISectVI (1988) de Skinny Puppy, Front By Front (1988) de Front 242 ou Corrosion (1988) de Front Line Assembly, explorent le domaine d’une musique électronique aux percussions martiales, dont l’influence est manifeste sur les courant house et techno de la fin des années 1980 et 1990.



« Until Death (Us Do Part) » (1988) de Front 242





12. Postpunk européen et japonais

Les phénomènes du punk et du postpunk ne se limitent pas aux seuls pays anglo-saxons. En France, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Italie ou en Espagne, on observe le même type d’évolution et d’invention esthétique, même si la productivité des artistes continentaux est loin d’égaler celle des britanniques.

En Allemagne, la critique parle d’une Neue Deutsche Welle (une nouvelle vague allemande) pour évoquer cette génération postpunk, dont de nombreux groupes, à mi-chemin entre synth-pop et musique industrielle, puisent leur inspiration dans l’électronique et les techniques de collage sonore héritées des avant-gardes. Parmi eux, citons les albums Nice Mover (1979) de Gina X Performance, Alles Ist Gut (1981) ou Gold Und Liebe (1981) de Deutsch Amerikanischen Freundschaft, Volle Kraft Voraus ! (1982) de Kie Krupps ou le premier album sans titre de Sprung Aus Den Wolken (1982).



« No G.D.M. » (1979) de Gina X Performance


En Suisse, Grauzone suit la même voie avec un album éponyme, aux timbres froids et synthétiques, édité en 1981. Le duo pop Yello explore de manière plus approfondie les sonorités de l’électronique et les possibilités ludiques de l’usage du sampler sur des albums comme Solid Pleasure (1980), Claro que si (1982) ou Stella (1985).




« Bostich » (1981) de Yello

En Belgique, Polyphonic Size s’inscrit dans l’esthétique du postpunk, avec les chansons désabusées de ses albums Vivre pour chaque instant (1982) et Walking Everywhere (1983). Quant au trio Telex, il joue ironiquement sur les codes de la pop synthétique popularisée par Kraftwerk et les groupes britanniques, sur des albums comme Looking For St-Tropez (1979) et Neurovision (1980).

La France s’inscrit dans le phénomène postpunk grâce à une multitude de groupes explorant les croisements de la pop et de l’électronique, comme en attestent les albums Les visiteurs du soir (1981) de Mathématiques Modernes, Never Come Back (1982) de Kas Product ou Just Because (1984) de Martin Dupont. Au sein de cette vague, les formations que la critique rassemble sous le terme de « jeunes gens modernes » connaissent un grand succès public et influencent même durablement la chanson française. Citons ainsi les albums Tout va sauter (1980) et Boomerang (1982) d’Elli & Jacno, Seppuku (1981) de Taxi Girl ou La notte la notte (1984) d’Etienne Daho.



« Cherchez le garçon » (1981) de Taxi Girl


À l’écart de cette scène, signalons que Jean-Michel Jarre sort en 1984 son album le plus ambitieux avec Zoolook, explorant de manière inédite les possibilités créatives des percussions électroniques et du sampler, notamment sous la forme de collages de voix.

Au Japon, le trio Yellow Magic Orchestra explore la voie d’une pop synthétique et mélodique à l’humour et à la légèreté revendiqués, qui puise son inspiration dans la fascination du peuple japonais pour les technologies, les premières sonorités des jeux vidéos ou le thème de l’exotisme. Avec des albums comme Yellow Magic Orchestra (1978), Public Pressure (1980) et Technodelic (1981), le groupe initie le grand public japonais aux sonorités de l’électronique, à l’égal de Kraftwerk ou Jean-Michel Jarre en Europe.





13. Du hip-hop à l’Electro

Avec le disco, le hip hop est l’autre genre musical qui puise son esthétique et sa dynamique dans la pratique des DJ.

De 1973 jusqu’au début des années 1980, le hip hop est une pratique festive, dominée par les disc-jockeys Ö qui se produisent lors de fêtes organisées dans les quartiers new-yorkais du Bronx et de Harlem.

Lors de ces premières années d’innovation et d’apprentissage, la musique hip hop n’existe pas à proprement parler, puisque le travail de ses DJ se limite à une programmation et à une manipulation d’enregistrements préexistants, puisés dans le registre du funk, du rhythm and blues, du rock et du disco, sur lesquels interviennent les rappeurs (ou MC’s pour Master of Ceremony), afin de vanter les mérites du DJ et de communiquer avec le public.

Les premiers enregistrements historiques du genre hip hop apparaissent à la fin des années 1970 et au début des années 1980 avec « Rapper’s Delight » (1979) de The Sugar Hill Gang, « Superrappin’ » (1979) et « The Message », (1982) de Grandmaster Flash & The Furious Five, Kurtis Blow (1980) de Kurtis Blow ou « Planet Rock » (1982) d’Afrika Bambaataa & the Soulsonic Force.

Ces compositions marient au phrasé rap et aux techniques de scratch, une base percussive et mélodique inspirée par le funk, dynamisée par une boîte à rythme saccadée et de brefs et dynamiques accords de guitares, de synthétiseur ou de claviers.



« Planet Rock » (1982) d’Afrika Bambaataa & the Soulsonic Force


Avant que le rap ne prenne une dimension sociale, revendicatrice et politique plus affirmée, notamment pendant les années 1990, avec des formations comme Public Enemy ou NWA, le mouvement hip hop connaît une période d’intense créativité musicale au cours de laquelle les artistes explorent de façon approfondie les possibilités nouvelles des instruments électroniques. Entre 1982 et 1985, plutôt que de parler de rap (qui désigne le phrasé des MC’s) ou de hip hop (qui désigne une culture dans son ensemble, mariant graffiti, danse et musique), artistes et critiques utilisent le terme d’électro ou d’électro-funk afin de nommer toute une frange de la production musicale noire américaine, née à la fois de la révolution du hip-hop et de l’avènement de la technologie électronique.

L’électro se caractérise par son art du collage et de la réappropriation sonore, des accords minimalistes de synthétiseur, la pratique du scratch, l’usage du vocoder (transformant la voix humaine en timbre robotique), mais plus encore par le son tranchant de ses percussions synthétiques et ses rythmes syncopés réalisés à l’aide de boîtes à rythmes Ö, sur lesquels viennent parfois se greffer des rimes de rappeurs. Le genre puise à la fois son essence dans les rythmes acérés du funk, dont il représente une version radicale et futuriste, mais aussi dans les innovations sonores de la formation allemande Kraftwerk Ö, dont de nombreuses programmations rythmiques et de nombreuses mélodies tirées par exemple de « Trans Europe Express », « Numbers » ou « Tour de France », sont reprises par les musiciens noirs américains.

Parmi les titres de référence du style électro, citons « Hip-Hop Be Bop » (1982) de Man Parrish ; « Rock It » (1983) du jazzman Herbie Hancock ; « Buffalo Gals » (1983) de Malcom McLaren ; « Wildstyle » (1983) de Time Zone ; « Jam On It » (1984) de Newcleus ; « Egypt, Egypt » (1984) d’Egyptian Lover ou enfin « Clear » (1983) de Cybotron, un classique méconnu, composé à Detroit par Richard Davis et Juan Atkins, ce dernier étant considéré comme le pionnier de la future Techno de Detroit.



« Hip-Hop Be Bop (Don’t Stop) » (1982) de Man Parrish


Si le genre électro disparaît des hit-parades vers le milieu des années 1980, il continue toutefois son évolution à Detroit puis en Europe au cours des années 1990, au sein de la scène techno qui reconnaît dans ce style éphémère l’une de ses expressions pionnières.





Sommaire

  • Introduction : Qu'est-ce que la musique électronique ?

  • Quelles sont les premières expérimentations des technologies dans la musique ?

  • Comment l'électronique est-elle devenue pop (1968-1988) ?

  • Qu'est-ce que la house, la techno, quelle est leur histoire et leur descendance (1988-2011) ?

  • Quelles sont les pratiques et l'histoire des DJ ?

  • Quelle est la place des femmes dans la musique électronique ?

  • Quels sont les outils et les technologies de la musique électronique ?

  • En quoi les pratiques électroniques ont-elles transformé la musique et la culture de la fin du 20e siècle ?

  • Où et comment s'écoute la musique électronique ?

  • Quels sont les grands courants esthétiques actuels de la musique électronique ?

  • Festivals, lieux, clubs et événements

  • Bibliographie




    Notes :


    1 Précisons que le nom du groupe n’a aucun rapport direct avec le disque de Morton Subotnick, Silver Apples Of The Moon

    2 KYROU, Ariel, Techno Rebelle, Denoël, Paris, 2002.

    3 Interview de Ralf Hütter, réalisée par l’auteur en 2003, publiée en ligne sur le blog Global Techno.

    4 CAUX, Daniel, Le silence, les couleurs du prisme & la mécanique du temps qui passe, Editions de l’éclat, Paris, 2009.

    5 ESHUN, Kodwo, More Brilliant Than The Sun, Adventures In Sonic Fiction, Quartet Books, Londres, 1998.

    6 ESHUN, Kodwo, More Brilliant Than The Sun, Adventures In Sonic Fiction, Quartet Books, Londres, 1998.

    7 Dans ENO, Brian, Journal, une année aux appendices gonflés, Le Serpent À Plumes, Paris, 1998.

    8 Dans ENO, Brian, Journal, une année aux appendices gonflés, Le Serpent À Plumes, Paris, 1998.

    9 Dans ENO, Brian, Journal, une année aux appendices gonflés, Le Serpent À Plumes, Paris, 1998.

    10 Dans ENO, Brian, Journal, une année aux appendices gonflés, Le Serpent À Plumes, Paris, 1998.

    11 Le pied constitue le son de percussion de base du jeu de batterie.

    12 Auteur de Turn the Beat Around, histoire secrète de la disco, Allia, Paris, 2008.

    13 Ce mouvement est brillamment décrit par le journaliste Simon Reynolds dans son ouvrage Rip It Up & Start Again, postpunk 1978-1984, Allia, Paris, 2007.



    © Leonardo/Olats & Jean-Yves Leloup, décembre 2011
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