Quelques figures de la deuxième vague électronique des années 200013.1. Introduction : Surproduction et suractivité
13.2. Les enfants des Daft Punk
13.3. Robert Henke
13.4. Autour de Kompakt
13.5. Marc Leclair
13.6. Vladislav Delay
13.7. Carsten Nicolaï et Ryoji Ikeda
13.8. Matthew Dear
13.9. Murcof et Francesco Tristano
13.10. Tiga et l'électro-pop des années 2000
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Entre 1985 et 2012, la musique électronique prend un nouveau tournant. Délaissant les expérimentations des avant-gardes des années 1950 et 1960, les mélodies planantes et psychédéliques des années 1970 ou les motifs de la musique pop des années 1980, elle va conquérir un nouveau public sous la forme de la house et de la techno, deux formes de dance-music aux rythmes syncopés, inspirées par le courant disco, jouées par une nouvelle génération de DJ dans les discothèques et lors de grands rassemblements festifs appelés rave-parties.
Au cours des années 1990, une décennie particulièrement fertile en matière de création musicale électronique, la house et la techno s’hybrident avec de nombreux genres musicaux, créant une multitude de courants et d’esthétiques singulières.
Au terme de la décennie 2010, après une brève période de récession, tant économique que créative, cette musique que l’on désigne alors plus communément sous le terme d’électro, devient l’un des courants majeurs de la musique populaire au même titre que le rock ou le rap.
1. L'héritage afro-américain
Les genres électroniques de la techno et de la house naissent et se développent aux États-Unis à partir du milieu des années 1980, sous l’impulsion d’artistes noirs américains. Perçues comme des formes musicales froides, rigoristes et purement technologiques, la techno et la house puisent toutefois leur essence dans l’histoire de la musique noire, notamment le jazz, le funk et le gospel.
Les thématiques spirituelles et la puissance vocale du gospel [1]
Selon Wikipédia, Le gospel est un chant religieux chrétien, protestant d'origine, qui prend la suite des negro spirituals. Il s'est développé en même temps que le blues primitif. Le mot Gospel signifie « évangile » : littéralement god spell, c'est-à-dire « la parole de Dieu ».
irriguent l’ensemble des musiques de danse, à commencer par la musique disco au cours des années 1970, la musique garage [2]
Le garage est une forme de dance-music portée par de puissantes vocalises inspirées du gospel.
au cours des années 1980, puis la house à partir de la fin des années 1980 et au cours des années 1990, pour finir par toucher une grande partie des musiques festives actuelles.
Les rythmes syncopés et le son tranchant des accords et des percussions du funk, se retrouvent naturellement dans les scansions électroniques de la house et de la techno.
L’aspect instrumental du jazz, ainsi que son sens de l’abstraction, influencent directement les musiciens de la techno de Detroit. Ces mêmes artistes revendiquent enfin l’héritage de la soul music, en désignant parfois leur pratique sous le terme de techno-soul, afin de démontrer la synthèse entre l’inspiration humaniste de ce genre musical né dans les années 1960 et l’usage de machines modernes.
2. La naissance de la house music à Chicago et à New York
À New York, au début des années 1980, la musique disco ne bénéficie plus du succès médiatique et populaire dont elle jouissait à la fin de la décennie précédente. La culture de la discothèque reste néanmoins très forte, grâce à des DJ comme Larry Levan ou Tony Humphries qui, dans des clubs comme le Paradise Garage, le Better Days ou le Zanzibar, prolongent les expériences pionnières de la disco tout en s’inspirant parfois du rock, de la musique noire mais plus encore du hip hop naissant et des rythmes syncopés de la pop électronique européenne. Au cours de cette époque, la scène nocturne de la métropole new-yorkaise et, dans une moindre mesure, celle de l’état proche du New Jersey, constituent un vaste vivier créatif dans lequel s’élaborent des styles musicaux parfois éphémères comme l’électro-funk Ö et le freestyle (version latine de l’électro-funk), ou plus fertiles comme le garage, témoignant de l’évolution de la musique de danse vers une forme électronique plus percussive, énergique et minimaliste. Le garage, dont le nom est inspiré du club, le Paradise Garage, est à ce titre considéré comme un genre musical à mi-chemin entre le disco des années 1970 et la house des années 1980 et 1990, grâce à ses titres énergiques, portés par de puissantes vocalises inspirées du gospel.
Cette dynamique est toutefois plus poussée à Chicago chez des DJ comme Frankie Knuckles, Ron Hardy ou Farley Jackmaster Funk. Ces DJ apportent une nouvelle dimension à leur pratique en rajoutant aux disques qu’ils jouent sur leurs platines, des percussions et des sons électroniques tirés de boites à rythmes et de synthétiseurs, des machines dont l’accès se popularise au début des années 1980. La musique que ces DJ pionniers jouent dans des clubs comme le Music Box, le Warehouse, le Powerplant ou sur une radio comme WBMX, influencent une jeune génération de musiciens issus des quartiers pauvres qui, à partir de 1983, composent de nombreux maxis au son frénétique et percutant, que l’on nomme house music, en référence au club Warehouse.
Parmi les titres et les maxis 45 tours historiques de la house, citons « On & On » (1983) de Jesse Saunders, considéré comme le morceau pionnier du genre ; « Your Love » (1983) de Jamie Principle et « Move Your Body » (1985) de Marshall Jefferson.
« Move Your Body » (1985) de Marshall Jefferson
Le genre connaît sa première apogée en 1986 avec des singles comme « Love Can’t Turn Around » de Farley Jackmaster Funk, « Jack Your Body » de Steve Silk Hurley ou « No Way Back » d’Adonis.
« No Way Back » (1986) d’Adonis
Considéré par les amateurs de musique garage et disco comme une forme de musique pauvre, la house est effectivement un genre dénué de toutes fioritures mélodiques, à l’opposé des riches arrangements de la disco. Réalisé à l’économie, au sein de home-studios [3]
Studio personnel installé dans un lieu privé, comme le garage, la chambre à coucher ou le salon d’un musicien.
équipés de quelques maigres instruments électroniques, la house met l’accent sur la puissance des percussions et l’aspect hypnotique de ses motifs rythmiques, dynamisés par de courts accords mélodiques et des paroles en forme de slogans.
À partir de 1986, la house music s’enrichit de nouvelles tonalités. On parle alors de deep-house pour désigner des productions qui font preuve d’une certaine ornementation mélodique, rappelant de façon plus évidente les origines noires américaines de cette musique, à l’image des compositions de Larry Heard. On évoque la hip-house pour décrire l’alliage du phrasé rap aux rythmes de la house, chez des artistes comme Tyree ou Fast Eddie. Et on assiste à l’émergence de l’acid-house, un sous-genre qui met l’accent sur les tonalités de la TB 303, un générateur synthétique de basses qui, détourné de son usage, délivre des motifs synthétiques d’une grande puissance hypnotique.
Parmi les classiques de l’acid-house, citons « I’ve Lost Control » (1986) de Sleezy D., « Acid Tracks » (1987) de Phuture ou « This Is Acid » (1988) de Maurice.
« I’ve Lost Control » (1986) de Sleezy D.
À Chicago, la house connaît un héritage particulièrement fertile jusqu’à la fin des années 1990, grâce au talent de musiciens comme DJ Pierre, Lil’Louis, Paul Johnson, Derrick Carter, DJ Sneak, Chez Damier ou Cajmere, dont les singles sont édités sur des labels comme Cajual/Relief, Guidance ou Prescription, qui ont une influence considérable en Europe.
La house music connaît aussi à New York une période d’intense créativité à partir de la fin des années 1980 et pendant la décennie suivante. Comparée au son puissant, minimaliste et rugueux des productions musicales de Chicago, la house de New York se caractérise par des arrangements mélodiques plus élaborés, hérités de la disco, du gospel et des musiques latines. Cette musique est majoritairement éditée sur des labels indépendants comme Strictly Rhythm, Nu Groove, Nervous, King Street et Nite Grooves, qui assurent une renommée à leurs artistes à travers le réseau international des discothèques et des DJ. Citons parmi les musiciens de référence de cette période :
- Roger Sanchez, Todd Terry, DJ Pierre ou Masters At Work, édités chez Strictly Rhythm.
- Bobby Konders, Kenny Dope Gonzales ou Frankie Bones, que l’on retrouve à leurs débuts sur le label Nu Groove.
- Oscar Gaetan, Byron Stingily, Joey Beltram, Frankie Feliciano ou Johnny Dangerous, chez Nervous Records.
- Kerri Chandler, Urban Soul ou Mood II Swing chez King Street Sounds.
- Benji Candelario, Blaze ou Mateo & Matos chez Nite Grooves.
« I Can’t Get No Sleep » (1993) de Masters at Work avec India
Contrairement aux artistes de l’univers du rock et de la pop, les musiciens de la house music et de sa variante vocale, le garage, ont rarement composé des albums. Dédiée au marché des DJ et aux danseurs qui viennent l’apprécier dans l’espace des clubs, la house music est depuis ses débuts majoritairement publiée sous la forme de maxi 45 tours.
Il existe toutefois des disques de référence, qu’il s’agisse d’albums d’artistes, de compilations ou de CD mixées par des DJ.
Citons parmi ces références de la house music des années 1980 et 1990 :
- La compilation historique Can You Jack? (Chicago Acid And Experimental House 1985-95) (2005)
- L’album Ammnesia de Mr Fingers (1988)
- L’album Beyond The Mix de Frankie Knuckles (1991)
- L’album Journey with the Lonely de Lil Louis & the World (1992)
- La compilation de la maison de disques de Chicago, Prescription, The Collected Sounds Of Prescription (1995)
- La compilation de la maison de disques de New York, Strictly Rhythm, Strictly Rhythm House Classics 1990-1996 (1996)
- L’album Romanworld de Romanthony (1996)
- La compilation Kaoz On King Street: Mix The Vibe, mixée par Kerri Chandler (1997)
- L’album Basic Blaze de Blaze (1997)
- L’album Silentintroduction de Moodyman (1997)
- La compilation historique dédiée au genre garage, Paradise Garage (1997)
- La compilation historique The Tenth Anniversary Collection de Masters At Work (2000)
« Club Lonely (Lonely People) » (1992) de Lil Louis
3. La techno de Detroit
La techno, proche de la house conçue à Chicago, se développe dans la ville de Detroit à partir de la fin des années 1980.
Cette musique émerge dans un contexte social particulier qui mérite d’être signalé. Depuis les années 1960, cette ville phare de l’industrie automobile a vécu de plein fouet le phénomène du white flight (l’émigration de sa population blanche vers les banlieues) et de violentes émeutes raciales, suivis au cours des années 1970 de la crise de son secteur industriel. C’est dans les ghettos noirs du centre ville de Detroit, dont de nombreux bâtiments ont été détruits et de nombreuses maisons abandonnées, que la techno a trouvé un terreau fertile. Selon de nombreux musiciens, c’est cette atmosphère de crise, cet état de délabrement urbain et de déclin industriel qui les ont poussé à imaginer cette musique aux tonalités futuristes inspirée par les grands thèmes de la science-fiction.
Juan Atkins (né en 1962), le pionnier du genre, débute sa carrière au sein du duo Cybotron dès 1981, s’illustrant dans un registre proche de l’électro-funk Ö et de la pop synthétique européenne Ö. Il fonde son label Metroplex en 1985, sur lequel il signe les titres fondateurs de la techno comme « No UFO’s » et « Night Drive » (1985) ainsi que le bien nommé « Techno Music » (1988).
« Techno Music » (1988) de Juan Atkins
Aux côtés de deux autres musiciens, Kevin Saunderson (né en 1964) et Derrick May (né en 1963), qui débutent respectivement leur carrière en 1986 et 1987, ces trois artistes, à la fois musiciens et DJ, constituent ce que les amateurs de musique électronique appellent la « Sainte Trinité » de la techno de Detroit. Ensemble, ils posent les bases de ce genre musical, caractérisé par un alliage de mélopées synthétiques et de percussions aux timbres métalliques, des motifs hypnotiques et obsédants poussés à l’extrême, associés à une imagerie futuriste inspirée par la science-fiction.
« Nude Photo » (1987) de Rhythim Is Rhythim (Derrick May)
Dès le début des années 1990, ces pionniers sont rejoints par de nombreux autres jeunes musiciens comme Mike Banks, Carl Craig, Kenny Dixon, Theo Parrish et Robert Hood, tous afro-américains, dont les compositions connaissent un plus grand succès en Europe que dans leur ville natale. L’influence de ces artistes est déterminante sur l’ensemble de la production électronique des années 1990 et 2000.
- Le collectif Underground Resistance, réuni autour de la personnalité charismatique de Mike Banks, est l’auteur de nombreux maxis, explorant une techno tour-à-tour énergique, mélodieuse ou épique, inspirée parfois par les sonorités tranchantes de l’électro Ö ou les accords du jazz.
- Carl Craig puise aussi largement dans l’héritage du jazz, dont il transcrit avec invention les accords caractéristiques de cordes, de claviers et de cuivre. Sa musique explore toutefois d’autres tonalités. Selon son inspiration, sa techno se montre parfois énergique, mélodieuse ou atmosphérique. La variété de son inspiration, la finesse de ses arrangements et la grande créativité dont il fait preuve en matière de percussions, font de ce musicien l’un des plus importants de cette période.
« A Wonderful Life » (1994) de Carl Craig
- Kenny Dixon Junior (parfois plus connu sous son pseudonyme de Moodyman) et Theo Parrish s’illustrent dans le registre de la house music. Ils puisent dans le vaste registre des musiques noires américaines comme le jazz, le funk et la soul music, qu’ils traduisent sous une forme subtilement hypnotique et répétitive.
- Robert Hood se distingue par une forme de techno essentiellement percussive, à la forme minimaliste. Il est à ce titre considéré comme l’un des pionniers de la techno minimale Ö qui connaît un grand succès en Europe au cours des années 2000.
Parmi les œuvres historiques de la techno de Detroit créées entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990, citons les singles « Nude Photo » et « Strings of Life » (1987) de Derrick May ; « Big Fun » (1987) et « Rock To The Beat » (1989) de Kevin Saunderson ; « The Final Frontier » (1991), « World 2 World » (1992) et « Stardancer » (1993) d’Underground Resistance.
« Amazon » (1992), un titre signé World 2 World, pseudonyme du collectif Underground Resistance
Parmi les albums : Dimension Intrusion (1993) et Consumed (1998) de Plastikman (Richie Hawtin), Landcrusing (1995) de Carl Craig, Purpose Maker de Jeff Mills (1996), Silentintroduction de Moodyman (1997)
« Consumed » de Plastikman (1998)
Parmi les compilations rassemblant les titres historiques des musiciens de Detroit : Faces & Phases de Kevin Saunderson (1996) ; Innovator de Derrick May (1996) ; A Hi-Tech Jazz Compilation du collectif Underground Resistance (2005) et 20 Years Metroplex: 1985 – 2005 de Juan Atkins (2005).
4. Ibiza, la caisse de résonance du son house et techno
Les discothèques de l’île d’Ibiza, en Espagne, comme le Pacha et l’Amnesia, figurent parmi les premiers lieux en Europe à diffuser la house et la techno, grâce à des DJ comme l’Italien Giuseppe Nuzzo (DJ Pippi), l’Espagnol Cesar de Mellero et l’Argentin Alfredo Fiorito (Alfredo),
Au cours des années 1980, cette île des Baléares est devenu un haut-lieu de la culture des discothèques ainsi qu’une destination de vacances privilégiée pour les classes moyennes britanniques. Au cours de l’été 1987, c’est à Ibiza que de futures DJ stars de la scène musicale britannique comme Paul Oakenfold, Danny Rampling, Johnny Walker et Nicky Holloway, découvrent l’ambiance particulière de ses discothèques ainsi que la musique électronique américaine. De retour au pays, ces jeunes DJ et promoteurs de soirées vont organiser de nombreuses fêtes, notamment dans des discothèques de Londres, qui connaissent un grand succès auprès du jeune public britannique. L’année suivante, la popularité de ces fêtes dépasse rapidement le cadre des clubs, initiant le phénomène des rave-parties.
Depuis, Ibiza est considéré comme l’une des capitales du son électronique, grâce à ses discothèques qui accueillent chaque été de nombreux DJ professionnels et des centaines de milliers de jeunes estivants amateurs de dance-music.
5. Le phénomène rave
|||||||||| Une rave party (terme constitué du verbe anglais, to rave : délirer et du mot party : fête) est une fête parfois clandestine, organisée dans un lieu inhabituel (site naturel, champs, plage, plaine, terrain vague, squat, site industriel ou urbain désaffecté) au son de la musique électronique (techno, house ou ses multiples dérivés comme la trance ou le hardcore).
Le phénomène des raves parties se développe en Europe à partir de la fin des années 1980 et connaît son apogée au milieu des années 1990. Ces grandes fêtes clandestines popularisent les musiques house et techno venues des États-Unis.
Les rave parties connaissent un premier succès populaire en Angleterre à partir du printemps 1988 pour trois raisons principales : l’attrait du public britannique pour les nouvelles tendances de la culture populaire, le son résolument novateur de la musique électronique américaine et la propagation rapide et massive de l’ecstasy, une drogue chimique dont les effets empathiques et euphoriques se marient parfaitement avec l’atmosphère de ces fêtes et la puissance rythmique de la house ou de la techno.
À partir de l’été 1988, les soirées consacrées à la house et à sa variante acid-house (on parle de façon générale d’un phénomène acid-house) se développent sur l’ensemble de la Grande-Bretagne, dans les discothèques comme dans des lieux plus inattendus. Au cours de l’été 1988 et de l’année 1989, la frénésie des fêtes britanniques est telle que cette période a été baptisée le second summer of love (le second été de l’amour) en référence à la période du summer of love[4]
Selon Wikipédia l'expression Summer of Love (Été de l'amour) désigne l'été 1967 et plus particulièrement les événements qui se déroulèrent d'abord dans le quartier de Haight-Ashbury, à San Francisco, où des milliers de jeunes du monde entier se réunirent librement pour une nouvelle expérience sociale, faisant ainsi découvrir au public la contre-culture hippie.
de l’été 1967 qui a vu la consécration du mouvement hippie.
Ce phénomène d’une importance capitale dans la culture populaire britannique connaît son apogée entre 1988 et 1994, jusqu’à l’adoption par le gouvernement du criminal justice & public order act, une réforme du système juridique permettant d’interdire et de réprimer plus sévèrement ce type de rassemblement public.
À partir du début des années 1990, le phénomène des raves s’exporte dans de nombreux autres pays comme la France, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Scandinavie et les États-Unis, dont une partie de la jeunesse apprécie, tout comme les britanniques, cette sensation de liberté et de nouveauté offerte par ces vastes rassemblements festifs. Dans des pays comme la France ou les États-Unis, les raves parties connaissent des problèmes semblables à ceux de l’Angleterre. Elles subissent de vives réactions de la part des forces politiques, une pression policière régulière ainsi que l’adoption de législations répressives.
Le phénomène des raves joue dans l’ensemble de ces pays un rôle de déclencheur. Il représente pour la jeunesse enthousiaste qui le découvre, l’avènement d’une nouvelle culture venant remplacer l’ordre ancien symbolisé par le rock. Il créé plus encore de nouvelles vocations chez certains jeunes artistes qui dans chacun de ces pays, débutent une carrière de musicien électronique ou de DJ.
Les raves parties clandestines disparaissent vers la fin des années 1990 en Europe au fur et à mesure de la professionnalisation des acteurs de la scène électronique. Néanmoins, à partir du milieu des années 1990, un nouveau type de rave parties fait son apparition, que l’on appelle free parties. Il connaît un succès exceptionnel en France au tournant des années 2000 sous la forme de petites fêtes clandestines ou de plus vastes rassemblements organisés en plein air, nommés Teknival, qui peuvent rassembler parfois plus de 50 000 participants. Le phénomène s’étend vers les Pays-Bas, l’Italie, mais plus encore vers les anciens pays du bloc de l’est, en particulier la Tchéquie.
Importée depuis l’Angleterre par un collectif nommé Spiral Tribe, la free party, dont l’entrée est gratuite ou soumise aux dons des ravers, se veut politiquement plus revendicatrice. La techno jouée par les DJ et les musiciens de cette scène se veut aussi plus radicale, énergique, rapide et bruyante que la musique jouée habituellement dans les clubs ou dans les anciennes rave parties. En 2012, les free-parties existent toujours, mais le phénomène s’est considérablement essoufflé, notamment depuis l’adoption d’un amendement mis en place par les autorités françaises en 2002, permettant la saisie immédiate du matériel de sonorisation des organisateurs.
6. L’expansion européenne de la house et de la techno
Au cours des années 1990, la techno et la house, ainsi que le phénomène des rave parties, touchent progressivement l’ensemble du continent européen, entraînant dans leur sillage la création de scènes musicales propres à chaque pays, ou à chaque ville. Parmi les métropoles qui se distinguent sur la carte de la musique électronique pendant cette décennie, citons Londres, Manchester, Brighton et Glasgow au Royaume-Uni ; Gand et Anvers en Belgique ; Amsterdam et Rotterdam en Hollande ; Berlin, Francfort et Cologne en Allemagne ; Vienne en Autriche et Paris, en France.
Dans les années 1990, la scène électronique s’organise de manière indépendante à travers un réseau parallèle de maisons de disques indépendantes, de clubs et de professionnels (agents, disquaires, managers, tourneurs, distributeurs de disques, promoteurs de soirées). Elle met en place un réseau économique alternatif à celui des majors compagnies qui contrôlent la plus grande partie du marché de la musique. En effet, malgré sa popularité en Angleterre, au Benelux et en Allemagne et malgré quelques succès ponctuels au sein des hit-parades, la musique électronique ne peut alors rivaliser en termes économiques avec les genres plus populaires du rock, de la pop ou de la chanson et n’intéresse donc que très rarement les multinationales du disque.
7. L’implosion des genres musicaux
À partir de 1993, la scène électronique connaît un phénomène de multiplication des genres et des sous-genres musicaux. L’impact culturel du phénomène rave, allié à une nouvelle démocratisation des instruments électroniques, entraîne l’émergence d’une multitude de styles et de tendances, parfois éphémères. Dès 1994, le spectre des musiques électroniques s’élargit. D’un côté, l’ambient, dans la droite lignée des expériences de Brian Eno Ö et de la musique planante Ö des années 1970, propose une musique aux atmosphères éthérées, portées par des tempos mesurés. De l’autre, le style hardcore, volontiers tempétueux, accélère le rythme à l’extrême, explorant des tonalités bruitistes et des sonorités héritées de la musique industrielle Ö . Entre les deux, une multitude de sous-genres atteste de la nature foncièrement hétérogène de l’électronique des années 1990, qui puise son essence dans l’ensemble des musiques populaires du 20e siècle.
Le trip-hop s’inspire par exemple des rythmes nonchalants du hip hop, des basses du dub et parfois même des timbres de la musique de film des années 1960 et 1970.
Le garage et la deep-house puisent leur inspiration dans la musique noire américaine, comme la soul music, le jazz, le funk et le gospel.
La jungle, aussi appelé drum & bass, décuple les percussions du funk et du hip hop, explorant de complexes architectures de rythmes.
La trance enfin, mêle au tempo puissant de la techno, des arpèges mélodiques de synthétiseurs rappelant l’électronique ou le rock psychédélique des années 1970.
Cette ségrégation des styles, dans laquelle les non-initiés se perdent, régimente la majeure partie de la scène électronique des années 1990. Les labels et les DJ possèdent ainsi leur propre style, tout comme les soirées et les raves. Ce phénomène subsiste au cours des années 2000 mais d’une manière beaucoup moins marquée. Le public, la presse, les DJ comme les professionnels de la musique électronique, privilégient désormais l’originalité de la démarche d’un musicien, plutôt que son affiliation à telle école ou telle chapelle.
8. Quelques figures de la première vague électronique des années 1990
8.1. Aphex Twin
Aphex Twin, de son vrai nom Richard David James, est un compositeur britannique né en 1971, considéré parmi les plus brillants de la décennie 1990. Sur ses premiers albums comme Selected Ambient Works 85-92 (1992) et Selected Ambient Works Vol.II (1994), il contribue à la renaissance du genre ambient Ö, auquel il apporte des tonalités inédites, grâce à des mélodies plaintives, des motifs sonores hypnotiques et des climats tour-à-tour inquiétants ou apaisés.
À l’opposé de ces atmosphères éthérées, Aphex Twin excelle par ailleurs dans une musique où l’énergie le dispute à la violence. Ses singles rassemblés sur la compilation Classics (1995) sont marqués par des architectures rythmiques élaborées aux sons saturés, qui rappellent la musique industrielle Ö ainsi que la techno la plus extrême diffusée à la même époque dans les rave parties.
Les albums, les singles et les compilations qui leur succèdent au cours des années 1990 et 2000, comme I Care Because You Do (1995), Richard D. James Album (1996) ou Chosen Lords (2006), se distinguent à plusieurs niveaux :
- Ils sont marquées par une recherche de timbres inédits, renouant avec les innovations des studios et centres de recherches Ö de la musique électronique des années 1950 à 1970.
- Ils se distinguent dans le domaine des percussions et des motifs rythmiques, auquel Richard David James apporte une grande invention, et se caractérisent par leur richesse et leur qualité mélodique.
- ils se caractérisent par l’alliage de motifs divergents, une technique que l’on pourrait rapprocher du contrepoint qui, en musique classique, désigne la superposition organisée de lignes mélodiques distinctes. Certains de ses titres opposent en effet des mélodies aériennes ou chaleureuses à des structures rythmiques complexes et à de riches et denses univers sonores aux tonalités agressives. Ce jeu de contraste qui flirte parfois avec la dissonance, constitue l’une des clés de la singularité de l’œuvre d’Aphex Twin au sein de la scène électronique.
« Windowlicker » (1999) d’Aphex Twin
8.2. Uwe Schmidt
Uwe Schmidt est un compositeur allemand, né en 1968. Il se distingue par son exceptionnelle productivité, puisqu’il est l’auteur depuis 1985 de plus de quatre-vingt albums composés sous une cinquantaine de pseudonymes. Loin d’être anecdotique, cette productivité témoigne d’un singulier projet esthétique mis en place par l’artiste au cours des années 1990. Il imagine chacun de ses albums comme une fiction musicale, qui peut être construite autour d’un personnage de musicien imaginaire ou d’un genre esthétique inventé de toute pièce. Ces multiples albums ne constituent toutefois pas de simples exercices de styles. Au lieu de se conformer à la loi des genres musicaux, cette discipline esthétique permet à Uwe Schmidt d’inventer ses propres règles et de renouveler constamment sa musique. À titre d’exemple :
- L’album Stoffwechsel (2000),signé Bund Deutscher Programmierer (la fédération des programmeurs allemands), est censé avoir été composé par un collectif d’ingénieurs en informatique ;
- L’album Plays Just Notes (2002)de The Roger Tubesound Ensemble, met en scène un orchestre fictif de jazz électronique ;
- Standards (2003) de Lisa Carbon, est imaginé autour de motifs appartenant à la musique latine et au genre easy-listening [6]
Aux États-Unis, le terme d’Electronica désigne plutôt l’ensemble de la musique électronique née dans le sillage de la révolution house et techno.
des années 1960.
Au-delà de ces disques de groupes ou de musiciens fictifs, Uwe Schmidt est aussi l’auteur de nombreuses compositions électroniques empruntant au genre de l’ambient, de l’électronica, de l’acid-house ou au registre de la musique latine, qu’il a largement contribué à moderniser. Il se consacre aussi à une forme expérimentale de jazz et de dub électronique au sein de Flanger, le duo qu’il compose aux côtés de son compatriote Bernd Friedmann et avec qui il a composé les albums Outer Space/Inner Space (2001) et Spirituals (2005).
Au fil de son œuvre, il est possible de dégager quelques grands traits esthétiques :
- Sa musique se distingue tout d’abord par une grande invention en terme de timbre et de texture électroniques, comme en attestent les albums CMYK (2005) et Liedgut (2009), l’une de ses plus grandes réussites ;
« Wellen Und Felder » (2009) d'Atom TM
- Il excelle dans un jeu de percussions aux timbres inédits, qu’il compose à partir de fragments de sons, de fréquences et de textures, comme sur l’album 14 Footballers In Milkchocolate (2001) ;
- Il revisite avec humour, ironie et distance les formes populaires de la musique, qu’il s’agisse de succès pop ou des mélodies désuètes du courant easy-listening, sur des albums comme Polyester (1994) ou Pop Artificielle (1998).
« Ashes To Ashes » (1998) de LB (Uwe Schmidt)
8.3. Moritz Von Oswald
Moritz Von Oswald est un musicien allemand né en 1962, considéré comme l’une des grandes figures de la scène électronique des années 1990 et 2000. Formé aux percussions classiques, il participe à la scène new wave allemande des années 1980, au sein du groupe Palais Schaumburg, avant de s’investir dans la scène électronique dès le début des années 1990.
Au sein de Basic Channel et Maurizio, deux duos qu’il compose avec Mark Ernestus, il impose dès 1993 son style caractéristique, une techno minimaliste, influencée par le dub jamaïcain Ö. Parfois énergique, mais plus souvent marquée par des sonorités atmosphériques, sa musique se distingue par l’attention extrême que Von Oswald porte aux effets de réverbération et aux timbres chaleureux de ses percussions. Les œuvres majeures de cette période sont rassemblées sur les compilations BCD (1995) de Basic Channel et Maurizio (1997) de Maurizio.
Au cours de la seconde moitié des années 1990, il forme toujours avec Mark Ernestus le duo Rhythm & Sound, qui délaisse l’énergie de la techno au profit des rythmes alanguis du dub et du reggae, comme en témoignent les albums Showcase (1998) et Rhythm & Sound (2001). Dans la même logique, ils revisitent la deep-house américaine sur une série de cinq maxis au son chaleureux et mélodieux, rassemblés sur le CD Round One To Round Five (1999).
« Never Tell You » (1996) de Rhythm & Sound et Tikiman
Au cours de la seconde moitié des années 2000, il fonde enfin le Moritz Von Oswald Trio, qui mêle les sons de l’électronique aux percussions acoustiques, au croisement de la techno, du jazz et du dub. Deux albums témoignent de cette nouvelle direction esthétique, Vertical Ascent (2009) et Live In New York (2010).
8.4. Autechre
Autechre est un duo britannique, composé de Rob Brown (né en 1971) et Sean Booth (né en 1973), considéré parmi les groupes les plus audacieux de la scène électronique des années 1990 et 2000, et comme un groupe fondateur du genre électronica.
Depuis 1993, ils explorent différentes couleurs musicales : titres atmosphériques, sonorités vaporeuses, expérimentations bruitistes, recherches percussives ou nappes mélodieuses. À travers ces différentes orientations, une même esthétique demeure toutefois. Chacun de leurs titres et de leurs albums se distingue par une grande recherche en terme de timbre, de texture sonore et de structure rythmique, évitant soigneusement de se conformer aux motifs mélodiques et aux figures rythmiques récurrentes qui constituent l’esthétique commune de nombreux genres et sous-genres électroniques.
Parmi les albums de références du duo britannique, citons Incunabula (1993), Amber (1994), Chiastic Slide (1995), Tri Repetae (1997) ou les plus récents Quaristice (2008) et Oversteps (2010).
« Rsdio » (1997) d'Autechre
8.5. Richie Hawtin
Richard Michael Hawtin est un musicien et DJ canadien, né en 1970. Il est à la fois réputé pour sa techno minimaliste, ainsi que pour ses qualités de DJ. Depuis vingt ans, il figure parmi les stars mondiales du deejaying.
Né en Angleterre, il grandit toutefois à Windsor, ville située dans la banlieue canadienne de la ville américaine de Detroit. Débutant sa carrière au début des années 1990, il est considéré comme l’un des membres importants de la seconde vague techno de Detroit, qui succède aux pionniers de la décennie précédente.
Il doit sa notoriété musicale aux six albums qu’il compose entre 1993 et 2003 sous le pseudonyme de Plastikman, qui se distinguent grâce à leur forme minimaliste, voire ascétique. Richie Hawtin utilise en effet un minimum d’éléments rythmiques et sonores qu’il assemble afin de composer une musique aux motifs répétitifs particulièrement obsédants. Cette rigueur se double d’une esthétique que l’on peut qualifier d’introspective, qu’il obtient grâce à l’usage de sa voix transformée, de tonalités graves et de puissants sons de basse.
Parmi ses albums de référence, citons Musik (1994), Consumed (1998) ou Closer (2003).
« Spastik » (1993) de Plastikman
8.6. Kruder & Dorfmeister
Kruder & Dorfmeister est un duo de musiciens et de DJ autrichiens, composé de Peter Kruder et Richard Dorfmeister. Entre 1993 et 1998, ils ne composent que six titres originaux, dont les tempos chaloupés empruntent leurs atmosphères chaleureuses au dub jamaïcain et au jazz. À ces titres, il faut ajouter deux mixes de DJ édités sur CD, DJ Kicks (1996) et Conversions (1996), ainsi qu’une double compilation rassemblant leurs principaux remixes, K&D Sessions (1998).
Malgré cette discographie limitée, leur influence sur la musique des années 1990 est fondamentale, notamment grâce à leurs nombreux remixes. Les deux Viennois sont en effet considérés comme les artisans les plus inventifs du trip-hop, un genre musical électronique principalement instrumental, bâti autour d’une rythmique hip hop et de mélodies empruntées au jazz, à la musique de film ou plus souvent aux musiques noires américaines et jamaïcaines. Les titres qu’ils composent ou remixent se distinguent par leurs mélodies flottantes, leurs sons réverbérés et leurs percussions légères.
« Rollin' On Chrome (Wild Motherfucker Dub) » (1998) d'Aphrodelics (remix de Kruder & Dorfmeister)
8.7. Daft Punk
Daft Punk est un duo français, composé de Guy-Manuel de Homem Christo (né en 1974) et Thomas Bangalter (né en 1975). Leurs deux premiers albums, Homework (1997) et Discovery (2001), sont considérés comme des albums-clés et des étapes importantes dans la popularisation de la musique électronique auprès du grand public.
Leurs nombreux tubes comme « Da Funk » (1995), « Around The World » (1997), « One More Time » (2000) ou « Harder Better Faster Stronger » (2001), sont bâtis autour de motifs répétitifs et de puissantes rythmiques, caractéristiques des productions des pionniers de la house de Chicago qui constituent la principale influence du groupe. Cette base rythmique et répétitive est dynamisée par l’usage de mélodies simples, la plupart du temps obtenues à partir de samples puisés dans les musiques noires américaines des années 1970 et 1980, alliées à de courts refrains répétés ad libitum.
« Around The World » (1997) de Daft Punk
9. Rock contre techno
Au cours des années 1990, l’avènement de la techno est vécu par ses artistes et son public comme une rupture avec les codes esthétiques associés au rock. Les plus fervents adeptes de la musique électronique s’imaginent comme les ambassadeurs d’un nouvel ordre esthétique et culturel, tandis que le public et les artistes rock dénoncent une forme de déshumanisation à l’œuvre dans la musique et les fêtes techno. La première moitié des années 1990 instaure de cette manière un schisme entre les deux parties adverses. Il est par exemple inconcevable pour un DJ de jouer des disques de rock. Quant aux médias d’obédience rock, radios comme presse écrite, ils n’abordent que très rarement le sujet de la musique électronique.
Cette opposition est battue en brèche à partir du milieu des années 1990 grâce à l’apparition et le succès parmi les deux publics, de styles musicaux comme le trip-hop, caractérisé par son tempo nonchalant, et le big beat, dans lequel fusionne les programmations rythmiques de la techno et de nombreux motifs empruntés au rock.
Des formations britanniques comme The Chemical Brothers, Fatboy Slim, Underworld ou The Prodigy contribuent à réunir les publics rock et techno, jugés autrefois inconciliables :
- Le trio Underworld, avec des albums comme Dubnobasswithmyheadman (1993) et Second Toughest In The Infants (1996), mêle la voix et les textes de Karl Hyde, à des mélodies typiques de la pop music et aux rythmes métronomiques de la techno.
« Born Slippy » (1995) d'Underworld
- Le duo des Chemical Brothers fusionne les rythmiques énergiques de la techno ou du hip hop aux mélodies du rock, sur des albums comme Exit Planet Dust (1995) ou Surrender (1999) qui connaissent un grand succès.
- Norman Cook, après une carrière débutée dans la pop music à la fin des années 1980 avec le groupe The Housemartins, renaît à partir de 1993 sous le pseudonyme de Fatboy Slim. Sa musique dynamique, qui conjugue alors l’énergie du rock, les refrains de la pop music et la puissance des rythmes électroniques connaît un immense succès international, dont témoignent les albums You’ve Come A Long Way, Baby (1998) et Halfway Between The Gutter And The Stars (2000). À partir de cette même époque, Norman Cook devient l’une des stars du circuit international des DJ.
- Au sein de ce courant électro-rock, la formation britannique The Prodigy reste sans conteste la plus populaire de la décennie 1990, grâce à son album The Fat of the Land (1997) qui touche un très large public dans le monde entier et dépasse les deux millions de disques vendus aux États-Unis.
Au cours des années 2000, l’apparition d’une nouvelle génération de musiciens et d’auditeurs, née à la fois avec le hip hop, le rock et l’électronique, enterre définitivement l’ancien antagonisme entre rock et techno. Deux groupes incarnent cette réconciliation : Radiohead et LCD Soundsystem.
- Radiohead, formation britannique typique de ce que l’on nomme le rock indépendant, entame une nouvelle étape de sa carrière à partir de la fin des années 1990, en délaissant les orchestrations typiques du genre au profit d’une musique électronique inventive, inspirée par la vague électronica et des compositeurs comme Aphex Twin ou des groupes comme Autechre. Ce mouvement, timidement initié sur l’album OK Computer (1997), se confirme sur les deux disques suivants, Kid A (2000) et Amnesiac (2001).
- Sous le pseudonyme de LCD Soundsystem, l’Américain James Murphy renouvelle l’esthétique du punk-rock et de la new wave qu’il dynamise et synthétise à l’aide de structures rythmiques et de motifs répétitifs hérités de la techno. Au cours des années 2000, il signe ainsi trois albums : LCD Soundsystem (2005), Sound Of Silver (2007) et This Is Happening (2010).
« All My Friends » (2007) de LCD Soundsystem
10. Electronica, ambient et intelligent dance music
Au début des années 1990, à l’heure où la house et la techno connaissent un succès croissant dans les raves et les discothèques, une nouvelle vague de compositeurs décide de s’en écarter pour explorer une voie à mi-chemin entre la dance-music, l’ambient et les expérimentations passées des avant-gardes. La presse et les professionnels utilisent le terme quelque peu prétentieux d’IDM (pour Intelligent Dance Music) afin de décrire l’esthétique de ces artistes en majorité britanniques.
- Des musiciens comme The Orb, KLF ou The Future Sound Of London choisissent par exemple de renouer avec le psychédélisme et les atmosphères vaporeuses de la musique ambient, à laquelle ils apportent une nouvelle dimension esthétique grâce à l’apport du sampling et de sons concrets.
- Autechre, Aphex Twin, Squarepusher ou Michael Paradinas se distinguent quant à eux par leurs recherches en termes de percussions, d’atmosphères et de timbres, inspirant dans leur sillage de très nombreuses vocations.
- Le duo Plaid propose une alternative ludique aux rythmes tapageurs de la techno, teintant son électronique de mélodies et d’accords inspirés par les musiques du monde.
- Enfin, The Black Dog et B12 s’inscrivent dans la lignée mélodique des pionniers de la techno de Detroit à laquelle ils apportent une dimension plus rêveuse et éthérée.
Itsu (2003) de Plaid, Clip réalisé par Pleix
Ctions parmi les albums de référence de ce courant :
The Orb's Adventures Beyond The Ultraworld (1991) de The Orb ; Tango N’Vectif (1993) de µ-Ziq (Michael Paradinas) ; Lifeforms et ISDN (1994) de The Future Sound of London ; Incunabula (1993) et Tri Repetae (1995) d’Autechre ; Temple of Transparent Balls (1993) et Parallel (1995) de The Black Dog ; Selected Ambient Works Volume II (1994) et Richard D. James Album (1996) d’Aphex Twin et Hard Normal Daddy (1997) de Squarepusher.
Au tournant des années 2000, cette musique électronique volontiers expérimentale connaît une mutation grâce à l’arrivée d’une nouvelle génération d’artistes et l’apparition de logiciels de traitement numérique du son. La presse et les professionnels européens préfèrent alors le terme d’électronica [6]
Aux États-Unis, le terme d’Electronica désigne plutôt l’ensemble de la musique électronique née dans le sillage de la révolution house et techno.
pour qualifier ce nouveau genre musical caractérisé par sa forme minimaliste et ses recherches sonores poussées en matière de timbre et de texture. L’apport de logiciels comme Max/MSP, permettant notamment la réalisation de formes sonores complexes grâce à la technique de la synthèse granulaire [7]
Selon Wikipédia : la synthèse granulaire est une technique de synthèse sonore consistant en la création d'une onde sonore complexe à partir de différents fragments sonores de l'ordre de la milliseconde (10 à 50-100 ms) joués successivement. On contrôle globalement la densité des grains, leur hauteur, leur longueur, leur enveloppe, leur répartition dans l'espace (en multiphonie), leur phase, le plus souvent sous la forme d'intervalles dans lesquels le programme de synthèse choisit des valeurs de manière aléatoire. Le son obtenu est une sorte de nuage, composé de l'ensemble des grains.
, encourage les artistes à explorer une esthétique mettant à l’épreuve les perceptions de l’auditeur.
Sous son rigorisme et son formalisme glacé, l’électronica regorge de détails et de subtiles manipulations sonores, dont les timbres évoquent notre environnement numérique, l’univers de l’informatique et les thèmes de la communication.
Ses artistes détournent parfois avec invention les fonctions des logiciels, explorant la forme sonore du bug, ou du « glitch ». Le glitch, qui désigne une défaillance électronique due à une fluctuation dans les circuits ou à une coupure de courant, constitue rapidement une figure sonore récurrente au sein de l’électronica. Le terme de clicks & cuts (littéralement, clics et coupures) désigne aussi cette esthétique privilégiant les effets de rupture et de défaillance du médium électronique.
Citons parmi les œuvres pionnières de l’électronica et de cette esthétique du glitch : 94Diskont. (1995), du trio allemand Oval.
Citons parmi les artistes et les œuvres de référence de l’électronica :
CD 1 (1998) de Pole, Objects For An Ideal Home (1999) d’Opiate, Aaltopiiri (2001) de Pan Sonic, Matrix de Ryoji Ikeda (2001), Endless Summer (2001) de Fennesz, Tenderlove (2002) de Snd, Fell (2002) de Sutekh, Looping I - VI (And Other Assorted Love Songs) (2004) de Frank Bretschneider ou encore For (2006) d’Alva Noto.
« Unitxt » (2009) d'Alva Noto et Anne-James Chaton
Clip réalisé par Carsten Nicolai et Simon Mayer
11. 2001-2005: La crise du courant électronique
Entre 1986, date des premiers succès de la house music américaine, et 2001, date à laquelle apparaissent les premiers signes de la crise du disque, la musique électronique connaît son âge d’or, autant en termes de créativité que de ventes de disques.
À partir du début des années 2000, la tendance s’inverse, pour de nombreuses raisons : la mutation technologique du marché du disque, un repli des maisons de disques vers leurs artistes les plus rémunérateurs, l’essoufflement créatif des musiciens électroniques et le succès médiatique et économique d’une nouvelle génération de groupes rock :
- Mutation du marché du disque : le marché du disque connaît à partir de 2001 une mutation technologique et économique aussi profonde qu’inattendue, à laquelle ni les artistes, ni les maisons de disques ne sont préparés. Cette année marque, avec l’apparition du site Napster, la naissance d’un nouveau mode de distribution et d’acquisition de la musique, basé sur l’échange et le téléchargement gratuit de musique en ligne au format MP3.
Le marché du disque connaît dès cette année un net fléchissement de ses ventes, que certains attribuent au piratage illégal de fichiers MP3, d’autres à la concurrence croissante de nouveaux loisirs culturels comme le DVD et le jeu vidéo.
- Repli des maisons de disques : cette crise du disque, qui est aussi une crise du marché de la musique, entraîne un effet néfaste sur les investissements effectués par les maisons de disques. Les labels se replient sur les valeurs sûres de leur catalogue et résilient les contrats des artistes les moins rémunérateurs. Ils se montrent par ailleurs moins enclins à engager de nouveaux artistes et à s’aventurer dans le domaine de la musique électronique, dont le potentiel leur semble encore limité, comparé au rock, au rap ou à la chanson.
- Essoufflement créatif : après quinze ans de création et d’invention, la musique électronique connaît un phénomène d’essoufflement créatif au début des années 2000. À l’image d’autres grands courants culturels, elle semble terminer un cycle d’évolution artistique, tout en se révélant incapable de renouveler son auditoire et de séduire le grand public.
- Renouveau du rock : le début des années 2000 est marqué par le regain créatif, économique et médiatique du rock, symbolisé par des groupes comme The Strokes, The White Stripes ou The Libertines. L’image de ces artistes rock, tout comme leur esthétique musicale basée sur le retour à un son réputé authentique, tranche avec l’idéal de modernité technologique véhiculé par les artistes techno, ainsi qu’avec leur volonté de retrait et d’anonymat Ö. Cette nouvelle popularité du rock entraîne un net dédain des médias, mais aussi du marché publicitaire et de l’industrie de la communication, vis-à-vis du courant électronique. Au cours de la première moitié des années 2000, la musique électronique, ses musiciens comme ses DJ, ne symbolisent en effet plus la modernité auprès du grand public. Elle est alors plutôt incarnée par les blogs et les réseaux sociaux musicaux comme Myspace, les plateformes et les logiciels de téléchargement musicaux comme iTunes Music Store, Napster ou Gnutella et les nouveaux modes de consommation de la musique comme le baladeur MP3 (en particulier l’iPod).
12. 2005-2011 : la renaissance du genre électronique
La musique électronique traverse une période de crise créative et économique au cours de la première moitié des années 2000. À partir de la seconde moitié des années 2000, l’apparition d’une nouvelle génération de musiciens et d’auditeurs change la donne. Cette génération, dont l’enfance et la préadolescence se situent dans les années 1990, a grandi à la fois avec la musique électronique, le rock et le hip hop. Contrairement aux générations précédentes, elle ne considère pas ces pratiques musicales comme antagonistes, et considère l’électronique comme un genre faisant naturellement partie de la musique populaire. Au sein de cette génération, le terme généraliste d’électro se substitue à celui de house ou de techno pour désigner l’ensemble des musiques électroniques.
Au cours de la seconde moitié des années 2000, la musique électronique parvient à toucher les grands médias et le public des adolescents, grâce à des figures comme Daft Punk, Justice, David Guetta, Bob Sinclar, Martin Solveig et Laurent Wolf (tous français). Ces artistes, issus de la scène house et techno des années 1990, parviennent à plaire à ce large public grâce à leur capacité à métisser les rythmes de l’électronique aux mélodies et aux refrains séducteurs de la pop, du rock ou du rap.
« Phantom II » (2008) de Justice
Clip extrait du documentaire Justice A Cross The Universe, réalisé par Romain Gavras, So_Me & Justice
Le succès de ces artistes influence profondément les courants dominants de la culture populaire au niveau international, comme la pop music et le hip-hop qui intègrent désormais naturellement les sons et les motifs synthétiques de la musique électronique.
La scène électronique de la fin des années 2000 ne se résume toutefois pas aux créations de ces musiciens et de ces DJ populaires. Face à leur esthétique souvent jugée complaisante et mercantile par de nombreux amateurs, il existe toujours un réseau underground et alternatif, drainant un public et des musiciens passionnés.
13. Quelques figures de la deuxième vague électronique des années 2000
13.1. Introduction : Surproduction et suractivité
Depuis la fin des années 1990, la scène électronique est marquée par un phénomène d’accroissement du nombre des productions musicales et des labels, malgré la crise économique qui touche le secteur. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène :
- Le développement d’un marché numérique, qui remplace peu à peu les éditions physiques de disques, rend l’investissement nécessaire pour la sortie d’une nouvelle production musicale, beaucoup moins onéreux ;
- Les capacités techniques des logiciels et des ordinateurs permettent de plus en plus aux musiciens et aux labels de se passer des services coûteux des professionnels du son ;
- La facilité d’accès aux logiciels de composition encourage de nombreux musiciens peu expérimentés à se lancer dans une carrière musicale.
Ce phénomène de surabondance, allié à une atomisation du marché de la musique, rend particulièrement difficile le travail d’analyse de la scène électronique. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous attarder dans cette section sur quelques artistes, dont la qualité de la musique, ou le registre musical, nous semblent représentatifs de la décennie 2000.
13.2. Les enfants des Daft Punk
L’influence du duo français Daft Punk est capitale sur la musique électronique des années 2000. Avec leur premier album, Homework (1997) et plus encore avec le disque suivant, Discovery (2001), Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter ont suscité de nombreuses vocations. Au cours de la décennie 2000, une nouvelle génération de musiciens électroniques s’inspire de leur musique, rompant avec les codes esthétiques et la musique des années 1990, jugés trop clivant. Les enfants des Daft Punk marient la puissance percussive des rythmes électroniques aux mélodies séductrices de la pop music, s’ouvrent naturellement au rock et au hip hop et refusent le cloisonnement des genres.
En 2007, la sortie de †, le premier album du duo français Justice rencontre un grand succès international. Il entraîne dans son sillage l’émergence d’une nouvelle vague électronique que la presse dénomme « French Touch 2.0 », en référence à la French Touch originelle de la fin des années 1990, qui avait vu la naissance et le succès de nombreux musiciens électroniques français, parmi lesquels les Daft Punk. Cette vague ne se limite toutefois pas à la France et touche de nombreux autres pays. Parmi les artistes représentatifs de cette tendance, citons les Français Para One, Yuksek, Sebastian et Minitel Rose ; le Canadien Deadmau5 ; les Allemands Digitalism, Shadow Dancer et Boys Noize ou les Italiens Bloody Beetroots et Crookers.
Toutefois, il est important de signaler que l’influence des Daft Punk dépasse de loin la seule école électronique et se retrouve chez de nombreux artistes pop, rock et rap, qui louent leurs inventions sonores et leur volonté de décloisonnement des genres.
« Extraball » (2009) de Yuksek et Amanda Blank
13.3. Robert Henke
Robert Henke est un musicien allemand, né en 1969. Il est à la fois compositeur, sound designer[8]
Le terme de sound designer désigne différentes professions dont le métier consiste à créer des sons spécifiques destinés à l’audiovisuel, au cinéma ou à l’industrie.
, développeur de logiciels et plasticien multimédia. Sa musique se situe au croisement de la techno et des expérimentations des avant-gardes électroniques.
Après avoir étudié la musique électronique au sein du Elektronische Studio der Technischen Universität Berlin (studio électronique de l’université de technologie de Berlin), ses premiers travaux sont édités à partir de 1996 sur le label berlinois Chain Reaction, dirigé par Moritz Von Oswald. Ces premiers disques marqués par l’ambient et le dub, s’inscrivent dans la lignée des travaux de son compatriote. À partir de 1997, Robert Henke signe de nombreux albums plus personnels sous le pseudonyme de Monolake. Ses albums comme Interstate (1997), Gravity (2001), Momentum (2003) ou le plus récent Silence (2009) se distinguent dans le registre de la musique techno par leur originalité en terme de structures rythmiques, de textures et d’atmosphères sonores. Bien que percussive, sa musique échappe aux canons de la dance-music et privilégie chez l’auditeur une écoute volontiers méditative.
Il signe par ailleurs sous son propre nom une série d’albums que l’on pourrait qualifier d’ambient comme Signal To Noise (2004) et Layering Buddha (2006) qui privilégient à nouveau un patient travail sur les textures sonores, ainsi que sur la notion de paysage et d’immersion sonores.
Robert Henke est impliqué dans la création de ses propres outils et instruments. En 2000, il rejoint le fondateur de la société Ableton, Gerhard Behles, un informaticien et un ingénieur du son qui a participé à la composition des premiers albums de Monolake. Auprès de Behles, Robert Henke participe activement à la création de Live, un logiciel qui devient au cours de la décennie l’un des outils les plus utilisés par les musiciens électroniques. Au sein d’Ableton, il développe par ailleurs le Monodeck, à la fois instrument et interface Ö qui lui permet d’interpréter sa musique sur scène, plus librement qu’avec un simple ordinateur.
« Avalanche » (2009) de Monolake
13.4. Autour de Kompakt
Kompakt est un label indépendant allemand de musique électronique basé à Cologne, créé en 1998 par trois musiciens, Michael Mayer, Jürgen Paape et Wolfgang Voigt. Au cours des années 2000, le label se distingue grâce à de nombreux albums, ainsi que la série des onze compilations Total, qui réunissent des musiciens comme Jörg Burger, Reinhard Voigt, Superpitcher, Justus Köhncke, Thomas Fehlmann, Sascha Funke, Dettinger, Heiko Voss, Jonas Bering ou Gui Boratto.
Le son des productions Kompakt se démarque du minimalisme percussif en vogue au sein de la techno des années 2000, à laquelle ses artistes apportent une grande sensibilité mélodique, ainsi qu’une dose d’humour, de romantisme et d’insolite. Les artistes du label mêlent en effet aux rythmes métronomiques du genre électronique, les chants et les refrains de la pop, les guitares du folk et de la new wave, des mélodies synthétiques aériennes ainsi que des timbres puisés dans les musiques populaires et traditionnelles européennes. De nombreux musiciens du label se distinguent enfin grâce à l’usage d’un type de percussions caractéristique, nommé en anglais shuffle beat, et qu’ils rebaptisent schaffel beat. Cette pratique du schaffel apporte un swing particulier aux productions techno du label, dont le pied (le rythme basique) acquiert une certaine instabilité, une qualité flottante.
« Happiness » (2004) de Superpitcher
13.5. Marc Leclair
Marc Leclair est un DJ, compositeur et artiste multimédia canadien, originaire de Montréal. Il est l’auteur de deux albums, My Way (2002, sous le pseudonyme d’Akufen) et Musique pour 3 femmes enceintes (2005). Il inaugure sur le premier une technique qu’il nomme micro-sampling. Cette approche se caractérise par l’utilisation d’une multitude de fragments sonores d’une très courte durée (moins d’une seconde), tirés d’enregistrements réalisés sur les ondes radio, qu’il greffe sur une base rythmique techno. À l’aide de minuscules fragments de mélodies populaires, de percussions, de voix d’animateur radio ou d’interférences, il crée de la sorte une musique syncopée, composite et heurtée.
Son second album s’inscrit dans l’univers de l’électronica et de l’ambient et s’inspire des techniques répétitives de delay Ö expérimentées par Steve Reich Ö. Musique pour 3 femmes enceintes se distingue par ailleurs par de longs développements mélodiques réalisés à partir de nappes synthétiques, un patient travail sur les timbres et les textures sonores et par son approche originale des percussions ; les rythmiques qu’il compose sont en effet fabriquées à partir de fragments de textures sonores échantillonnées qui rappellent sa technique du micro-sampling.
« Deck The House » (2002) d'Akufen
13.6. Vladislav Delay
Vladislav Delay, de son vrai nom Sasu Ripatti, est un compositeur et percussionniste finlandais, né en 1976. Il est remarqué en 2000 grâce à l’album ambient Multila, publié par le label Chain Reaction, dirigé par le très influent musicien allemand Moritz Von Oswald.
Il compose plus de vingt albums au cours des années 2000, qu’il s’agisse de disques solo réalisés sous des pseudonymes comme Luomo et Uusitalo, ou de collaborations aux côtés de Moritz Von Oswald, AGF Ö ou du compositeur classique Craig Armstrong.
Percussionniste formé au jazz, ses albums techno d’une grande originalité formelle se distinguent d’abord par leurs percussions retraitées à l’aide de logiciels et d’effets sonores. Ce travail d’une rare précision est dynamisé par l’usage d’échantillons sonores de courte durée aux timbres novateurs et de mélodies synthétiques aux tonalités amples et chaleureuses.
« Lipite» (2011) de Vladislav Delay
13.7. Carsten Nicolai et Ryoji Ikeda
Carsten Nicolai et Ryoji Ikeda sont à la fois compositeurs, plasticiens et artistes multimédias. Le premier est allemand, né en 1965, et le second japonais, né en 1966.
Ils incarnent deux des figures emblématiques de la scène électronica des années 2000.
Toutefois, comparé à d’autres artistes de leur génération, leur travail ne se limite pas à la seule musique. Nicolai et Ikeda ne se sont jamais résolus à s'exprimer dans le cadre festif et parfois restrictif de la musique techno. Refusant de se plier aux figures imposées du concert ou du DJ, ils ont inventé une nouvelle forme d'expression musicale, déployant leurs recherches sonores sous la forme de projections et d’installations mettant à l'épreuve les perceptions du spectateur, ou de spectacles audiovisuels explorant les relations entre l'abstraction du son électronique et la création graphique.
Citons parmi leurs albums de références :
- Pour Carsten Nicolai, For (2006) et Unitxt (2008), composés sous le pseudonyme d’Alva Noto ; 2nd (2004), composé avec Thomas Knak sous le pseudonyme d’Opto ou Vrioon (2002), conçu avec Ryuichi Sakamoto.
- Pour Ryoji Ikeda, citons +/- (1996), Matrix (2001), Test Pattern (2008) et Dataphonics (2010).
- Ensemble, ils ont composé l’album Cyclo (2001).
« C2 » (2001) de Ryoji Ikeda et Carsten Nicolai
13.8. Matthew Dear
Matthew Dear est un musicien, chanteur et DJ américain né en 1979. Sa musique s’inscrit à la fois dans le registre de la techno et de la pop, auxquelles il apporte une tonalité expérimentale.
Sous le pseudonyme d’Audion, il est l’auteur depuis 2004 de nombreux singles et d’un album, Suckfish (2005), qui connaissent un grand succès chez les DJ et dans les clubs techno. Sa musique se caractérise par une forme minimaliste portée par des mélodies obsessionnelles et des climats oppressants.
Sous son propre nom et sur des albums comme Asa Breed (2007) et Black City (2010), il investit l’univers de la pop music dont il soumet les règles, les structures, le chant, les accords et les mélodies à des traitements électroniques. Voix décuplée, collages de mot et traitements des fréquences vocales composent de la sorte une forme de pop particulièrement inventive.
« Little People » (2010) de Matthew Dear
13.9. Francesco Tristano et Murcof
Francesco Tristano Schlimé est un compositeur et pianiste luxembourgeois, né en 1981. Fernando Corona, alias Murcof, est un compositeur mexicain né en 1970. Ces deux artistes, qui collaborent parfois sur scène, incarnent chacun à leur manière la rencontre possible entre l’univers de la musique classique et contemporaine et celui de l’électronique.
- Murcof, venu de la scène électronique, puise dans le registre des sonorités acoustiques de la musique contemporaine (dissonances, accords épars de piano, résonances d’orchestre), qu’il soumet à une série de traitements numériques caractéristiques du style électronica. Il compose de la sorte une musique électronique volontiers ambient, évoquant parfois la musique de film, qui mêle le timbre naturaliste d’instruments acoustiques à des sonorités et traitements numériques modernistes. Parmi ses meilleurs albums, citons Martes (2002), Utopia (2004) et Cosmos (2007).
« Memoria » (2004) de Murcof Réalisation : Fernando Corona ; Photographies : Karina Villalobos
- Francesco Tristano est à l’origine un pianiste spécialisé dans le registre classique et contemporain. Depuis 2007, il délaisse toutefois ce répertoire pour s’intéresser à l’univers de la techno, de l’électronica et de l’expérimentation électronique. Sa musique, unique sur la scène actuelle, mêle ainsi des accords de piano inspirés par le jazz, la musique classique du 20e siècle et la musique répétitive, à des traitements électroniques et des rythmiques synthétiques. Deux albums témoignent de cette orientation : Auricle/Bio/On (2008) et Idiosynkrasia (2010).
« Idiosynkrasia » (2010) de Francesco Tristano
13.10. Tiga et l’électro-pop des années 2000
Tiga James Sontag est un DJ, chanteur et musicien électronique canadien, né en 1974, dont la musique s’illustre dans le registre de la pop électronique et renoue avec l’esthétique de la synth-pop du début des années 1980. Ses deux albums, Sexor (2006) et Ciao (2009) rassemblent une série de chansons aux refrains accrocheurs, portés par les mélodies synthétiques et les rythmiques de la techno. Le succès international qu’il rencontre en tant que musicien, chanteur et DJ, atteste de la popularité, de la richesse et du renouveau du courant techno-pop au cours de la décennie 2000.
Parmi les artistes techno-pop de cette décennie, citons aussi Calvin Harris, Hot Chip, Junior Boys ou Seelenluft.
« Far From Home » (2006) de Tiga
14. Au-delà de l’Occident, le métissage des rythmes électroniques
Au cours de la seconde moitié des années 2000, la globalisation des échanges culturels, alliée à la formidable croissance de l’Internet et à la popularité de la culture DJ, entraînent au-delà de l’Occident l’émergence de nouvelles tendances mariant l’esthétique de la dance-music aux cultures traditionnelles.
Cette appropriation de la musique électronique occidentale est rendue possible par une nouvelle démocratisation des technologies. Certains logiciels comme FruityLoops permettent un accès simple et rapide à la production musicale et le piratage permet l’accès gratuit à un grand nombre d’outils numériques destinés aux musiciens.
Les motifs de la musique électronique et la pratique des DJ s’implantent durablement en Afrique (notamment en Angola, en Afrique du Sud et en Côte d’Ivoire), en Inde, aux Antilles, en Amérique du sud (particulièrement au Brésil, en Argentine, au Mexique, au Chili et au Venezuela), ainsi que dans les pays de l’Europe balkanique comme la Roumanie et la Turquie.
Dans ces pays qui subissent l’influence croisée de la techno et de la house, ainsi que du hip-hop américain et du style ragga venu de Jamaïque, on assiste à l’émergence d’une musique électronique hybride, dédiée à la danse et à la fête, qui connaît un succès considérable dans les ghettos et les quartiers populaires des métropoles.
Ces différentes mouvances, que je décrirais sous la forme d’une culture internationale des ghettos, métissant musique traditionnelle et modernité technologique, influencent en retour de nombreux musiciens et DJ occidentaux qui se font l’écho de la création musicale africaine, sud-américaine ou asiatique. Parmi ces artistes volontiers passeurs, citons Shantel, M.I.A., Diplo, Buraka Som Sistema, Sinden, Switch ou en France, Étienne Tron, Frédéric Galliano, DJ Gregory, Radioclit et Chocomix.
Parmi ces styles, citons le funk carioca, originaire de Rio de Janeiro ; la tecno brega de Belém ; le banghra, popularisé par les immigrés indiens et pakistanais installés en Angleterre ; l’électro reggaeton, implanté aux Antilles et dans de nombreux pays d’Amérique du sud ; la cumbia digitale ou nueva cumbia argentine ; le kwaito sud-africain ; le kuduro d’Angola et des îles du Cap-Vert ou le coupé-décalé ivoirien.
Parmi les artistes de référence de cette culture mondiale émergente, citons les Argentins du collectif et label Zizek comme El Remolón, Chancha Via Circuito et Mati Zundel ; les Angolais DJ Znobia, Bruno M et Puto Prata ; les Brésiliens DJ Marlboro et Edu K ou les Ivoiriens DJ Arafat et DJ Lewis.
Différents extraits de l’album Pibe Cosmo (2011) du musicien argentin El Remolón, du collectif Zizek.
1 Selon Wikipédia, Le gospel est un chant religieux chrétien, protestant d'origine, qui prend la suite des negro spirituals. Il s'est développé en même temps que le blues primitif. Le mot Gospel signifie « évangile » : littéralement god spell, c'est-à-dire « la parole de Dieu ».
2 Le garage est une forme de dance-music portée par de puissantes vocalises inspirées du gospel.
3 Studio personnel installé dans un lieu privé, comme le garage, la chambre à coucher ou le salon d’un musicien.
4 Selon Wikipédia l'expression Summer of Love (Été de l'amour) désigne l'été 1967 et plus particulièrement les événements qui se déroulèrent d'abord dans le quartier de Haight-Ashbury, à San Francisco, où des milliers de jeunes du monde entier se réunirent librement pour une nouvelle expérience sociale, faisant ainsi découvrir au public la contre-culture hippie.
5 Selon Wikipédia : Le terme easy listening est un terme général qui désigne un style de musique populaire américaine et anglaise, composé à partir du milieu des années 1950. L'easy listening regroupe des mélodies simples et accrocheuses, des chansons douces et élégantes, des rythmes de danses de salon. À ce titre, c'est plus un qualificatif, ou un état d'esprit, qu'un genre musical particulier.
6 Aux États-Unis, le terme d’Electronica désigne plutôt l’ensemble de la musique électronique née dans le sillage de la révolution house et techno.
7 Selon Wikipédia : la synthèse granulaire est une technique de synthèse sonore consistant en la création d'une onde sonore complexe à partir de différents fragments sonores de l'ordre de la milliseconde (10 à 50-100 ms) joués successivement. On contrôle globalement la densité des grains, leur hauteur, leur longueur, leur enveloppe, leur répartition dans l'espace (en multiphonie), leur phase, le plus souvent sous la forme d'intervalles dans lesquels le programme de synthèse choisit des valeurs de manière aléatoire. Le son obtenu est une sorte de nuage, composé de l'ensemble des grains.
8 Le terme de sound designer désigne différentes professions dont le métier consiste à créer des sons spécifiques destinés à l’audiovisuel, au cinéma ou à l’industrie.