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1. Deux figures emblématiques
Le domaine de la composition musicale est longtemps resté fermé aux femmes. Jusqu’à la deuxième moitié du 20e siècle, peu ont eu accès à un enseignement ainsi qu’à des moyens financiers ou techniques leur permettant d’envisager une carrière de compositrice. La musique électronique n’a pas échappé à cette règle. Cet univers, dans lequel la technique et la technologie, considérées comme des attributs masculins, jouent un rôle capital, a rarement fait de place aux musiciennes ou reconnu leur apport créatif.
Deux personnalités, Ada Lovelace et Johanna Beyer, constituent selon nous des figures emblématiques pour la génération de compositrices qui apparaît à partir des années 1960 (comme Daphne Oram, Delia Derbyshire, Pauline Oliveros, Laurie Spiegel ou Eliane Radigue) puis celle des années 1990 et 2000 (avec Antye Greie, Leila Arab ou Ellen Allien).
Augusta ‘Ada’ King (1815-1852), comtesse de Lovelace, passionnée de mathématique et fille du célèbre poète romantique Lord Byron, est en effet considérée comme l’auteure du premier programme informatique (le langage Ada a d’ailleurs été baptisé en son honneur). Cette « analyste et métaphysicienne », comme elle aimait à se décrire, poursuivit, au cours des années 1842 et 1843, les recherches du scientifique anglais disparu, Charles Babbage (avec qui elle avait travaillé), consacrées à une machine (The Analytical Engine), première ébauche des calculateurs qui verront le jour plus d’un siècle plus tard. Saisissant le plein potentiel de l’ordinateur, Lady Byron avait alors imaginé dans son mémoire que sa machine soit « capable de composer des pièces musicales d’une valeur et d’une complexité sans limite »[1]
In Women In Science, Revue Research*eu, Office for Official Publications of the European Communities, Luxembourg, 2009
, annonçant ainsi, avec plus d’un siècle d’avance, l’avènement des logiciels de musique assistée par ordinateur.
Mais, s’il est une réelle pionnière de la musique moderne et synthétique, c’est indéniablement Johanna Magdalena Beyer (1888-1944). Sa pièce de 1938, Music Of The Spheres, jamais enregistrée de son vivant, est la première composition connue, signée par une femme, pour instruments acoustiques et électroniques. Cette artiste née allemande, émigrée aux États-Unis, fût une disciple de Charles Seeger et Henry Cowell, compositeurs avant-gardistes des années, 1920 issus du mouvement Ultramoderne. Elle pris notamment une part active à leur cercle du Composer’s Forum, malgré la difficulté pour une femme de faire face au sexisme de l’époque, celui des artistes comme du public, pour qui la modernité était considérée comme inconciliable avec la féminité, synonyme de sensibilité rétrograde et romantique. C’est la raison pour laquelle, elle choisit parfois de signer ses œuvres de ses seules initiales J.M. Beyer. Malgré ces difficultés, elle fût tout de même soutenue par John Cage Ö, père spirituel d’une grande partie des avant-gardes musicales du 20e siècle, qui interpréta par exemple certaines de ses pièces en concert. Grâce à sa science aigüe de la percussion, du contrepoint et de la dissonance, Johanna Beyer est aujourd’hui considérée par certains critiques américains comme une marraine du mouvement minimaliste américain Ö qui prendra son essor dans les années 1960 puis se développera dans les années 1970.
C’est à partir de 1977, à une époque où le féminisme influence profondément les arts et les avant-gardes, que l’on commence à découvrir son travail, largement ignoré de son vivant. Music Of The Spheres paraît pour la première fois sur une compilation titrée, New Music for Electronic & Recorded Media : Women in Electronic Music. Interprétée par l’Electric Weasel Ensemble, auquel participe Donald Buchla (inventeur de l’un des premiers synthétiseurs), l’œuvre de Beyer prend toute son ampleur, débutant par une forme de rugissement, suivi de variations électroniques aux timbres éthérés, dissonants ou planants, dont la puissance évocatrice impose Beyer parmi les artistes précurseurs de l’électronique du 20e siècle.
Music of the Spheres (composé en 1938, enregistré en 1977) de Johanna Magdalena Beyer
2. Les compositrices des studios et centres de recherches
Hormis les premières recherches menées par Bebe Barron à partir de 1948 à New York, ce n’est qu’à partir des années 1960 que de jeunes compositrices intègrent les studios et centres de recherches Ö en musique électronique. Tout d’abord aux États-Unis et en Angleterre, et dans une moindre mesure en France ou au Danemark.
- Bebe Barron (1925-2008). Elle fonde aux côtés de son mari Louis Barron le premier studio électronique indépendant américain. En 1948, ils s’équipent dans leur appartement de Greenwich Village de deux magnétophones, parmi les premiers importés outre-Atlantique, concevant par la suite leur propres haut-parleurs, oscillateurs Ö, filtres et « reverb » Ö, qu’ils mettent au service de leurs confrères musiciens et cinéastes expérimentaux comme John Cage Ö, Morton Feldman, David Tudor et Maya Deren, mais aussi à destination du cinéma et de la publicité. Auteurs en 1950 de Heavenly Menagerie, considérée comme la première composition électronique américaine réalisée sur bande magnétique, le couple utilise alors un système complexe de circuits électroniques afin de créer et générer ses propres sons. En 1956, ils signent la bande originale dePlanète Interdite (The Forbidden Planet) Ö, le premier long-métrage de l’histoire du cinéma dont la bande-son, les effets sonores comme la musique, sont intégralement composée à l’aide de l’électronique.
- Pauline Oliveros (née en 1932). Elle fonde en 1961 le studio expérimental du San Francisco Tape Music Center. C’est une artiste radicale et une femme engagée, qui mène de front une recherche esthétique et technologique doublée d’une réflexion féministe [2]
Elle est par exemple l’auteure du manifeste And Don't Call Them 'Lady' Composers (Ne les appelez plus femmes compositeurs), publié en 1970 dans le New York Times.
. En 1965, avec la pièce musicale Bye Bye Butterfly, elle détourne un fragment de l’aria de l’opéra Madame Butterfly, annonçant avec deux décennies d’avance, l’esthétique du sampling et de l’emprunt Ö, aujourd’hui si courante. En 1966, sa pièce A Little Noise In The System annonce les expérimentations sonores de formations rock comme le Velvet Underground et Sonic Youth ainsi que les recherches de la musique industrielle Ö.
À partir des années 1970, elle privilégie une musique à l’esthétique immersive, composée à partir de masses sonores aux timbres denses et puissants, nécessitant une écoute particulièrement concentrée de la part du public.
À partir des années 1980, elle mène ses recherches autour de la notion d’écoute et de son apprentissage, développant dans ses disques et ses écrits, les concepts de sonic awareness (conscience sonore), de sonic meditation (méditation sonore) et de deep listening (écoute profonde).
Elle mène par ailleurs des recherches dans le domaine de la lutherie. Dans les années 80, elle travaille avec des ingénieurs du son afin de développer The Expanded Instrument System, un ordinateur permettant à l’improvisateur de jouer en temps réel sur les delay et les modulations de hauteur de son à l’aide d’une série de pédales et de commutateurs.
Alien Bog (1967) de Pauline Oliveros
- Alice Shields (née en 1943). Elle débute sa carrière à la fin des années 1960 à New York, au sein du studio électronique de l’université de Columbia-Princeton. Elle s’illustre grâce à sa maîtrise technique et à son talent de soprano comme en atteste l’une de ses premières pièces, « Study For Voice And Tape » (1968), dans laquelle elle mêle sa voix aux sons du synthétiseur analogique Buchla, ainsi qu’à une série de boucles, d’effets de feedbacks et de spatialisation, qui confèrent à ce titre une tonalité unique, annonçant ses futures recherches au confluent de l’opéra et de la musique électronique.
Alice Shield en 1973, studio 317 de de l’université de Columbia-Princeton (Courtesy Alice Shield)
- Laurie Spiegel (née en 1945). L’œuvre de Laurie Spiegel reste l’une des plus méconnues, mais aussi l’une des plus remarquables. Elle débute sa carrière en 1970 au sein du laboratoire et studio de la compagnie de télécommunications Bell, avec une série de pièces regroupées sous le titre de Short Visits To Different Worlds (1970-75), aux tonalités rêveuses et mystérieuses, composées à l’aide des premiers synthétiseurs analogiques. À partir de 1973, avec Appalachian Grove, une pièce dont les timbres synthétiques épurés exhalent une singulière sensation de fluidité et de sérénité, elle délaisse les synthétiseurs pour expérimenter à l’aide des premiers ordinateurs et des premiers programmes informatiques dédiés à la composition musicale.
Laurie Spiegel témoigne de cette époque et de ces nouvelles technologies musicales dans le livret de la compilation OHM : The Early Gurus of Electronic Music, publié en 2000 par Ellipsis Art.
« J’étais alors très frustrée par les technologies un peu primaires que nous utilisions dans les studios. D’un côté, l’écriture classique de la musique me semblait totalement déconnectée de la réalité des sons de l’époque, et de l’autre, les synthétiseurs analogiques me semblaient manquer de mémoire, de précision et de contrôle. La musique savante, sérielle et atonale, d’inspiration européenne, dominait encore la musique contemporaine, mais beaucoup d’entre nous, musiciens new-yorkais, tentions de nous en extraire pour explorer ou redécouvrir le rythme, la répétition, les harmonies ». (…)
« Les ordinateurs de l’époque nous poussaient à faire beaucoup de compromis avec nos exigences. En passant des synthétiseurs aux ordinateurs, j’avais dû abandonner toute la richesse et l’expressivité des timbres, toute la subtilité offerte par les machines analogiques. Mais il était à l’époque tellement neuf et excitant d’utiliser ces technologies, que l’on finissait par oublier ce type de problèmes. Le fait de coder une composition, un processus logique en langage informatique Fortran, et par la suite d’écouter et de contrôler la forme de cette musique à l’aide de l’ordinateur possédait un aspect fascinant » [3]
Traduction de l’auteur.
.
Laurie Spiegel improvisant sur le synthétiseur Alles au Bell Labs en 1977
Au cours des années 1980, Laurie Spiegel poursuit ses recherches dans le domaine de l’informatique, développant de nombreux outils destinés aux musiciens, comme le logiciel de création musicale, Music Mouse (1985). Ses compositions de la fin des années 1980 et du début des années 1990, dont les atmosphères éthérées rappellent les tonalités de la musique ambient Ö sont rassemblées sur l’album Unseen World (1991, réédition 1994).
Le BBC Radiophonic Workshop, l’atelier de création sonore et musical de la station de radio britannique, abrite dès ses premières années d’exercice deux compositrices, Delia Derbyshire et Daphne Oram.
Fondé en 1958, inspiré par le Groupe de Recherche Musicale (GRM) Ö de la radiodiffusion française, ce studio se concentre sur l’illustration sonore de dramatiques radiophoniques, de reportages ou de séries télévisées. Il n’affiche toutefois pas la même ambition, ni la même rigueur formelle que les studios américains, français ou allemands qui ont fait la grande histoire de la musique expérimentale de l’après-guerre.
- Daphne Oram (1925-2003). Elle en est la représentante la plus talentueuse, et paradoxalement la moins connue, sans doute parce qu’elle a rapidement quitté l’antenne de la BBC pour fonder son propre studio de recherche. Là, échappant aux règlements bureaucratiques de la BBC et décidée à ne pas se borner à illustrer le travail des autres, Oram travaille à l’élaboration de sa propre machine, nommée Oramics, qui lui permet grâce à un ingénieux système photo-électrique de dessiner et produire des sons électroniques, qu’elle retravaille par la suite sur bande magnétique. Ses compositions ne sont réellement découvertes qu’en 2007, à l’occasion de la parution de la compilation Oramics. Ce CD démontre le talent de l’artiste britannique pour composer de courtes pièces électroniques, volontiers rêveuses, poétiques et ludiques qu’elle signe à la fin des années 1950 pour le compte de la BBC, ainsi que des pièces plus étranges et audacieuses des années 1960, marquées par une recherche formelle et timbrale s’inscrivant dans les recherches de la musique électronique et concrète de l’époque.
Daphne Oram sur sa machine, Oramics (courtesy Paradigm Discs)
- Delia Derbyshire (1937-2001). Elle travaille au sein du BBC Radiophonic Workshop entre 1962 et 1973 et crée pendant cette période des centaines de jingles, bruitages, collages et bandes sonores réalisés sur bande magnétique, destinés à la radio et à la télévision britanniques, parmi lesquels les célèbres génériques des séries Doctor Who (1963) et Tomorrow People (1969) et des œuvres de création radiophonique plus ambitieuses comme The Dreams (1964). Derbyshire, redécouverte et célébrée depuis la fin des années 2000, est aussi réputée pour l’album An Electric Storm (1969), qu’elle a composé avec David Vorhaus sous le nom de White Noise, dans lequel le duo fusionne les recherches de la musique concrète et une inspiration pop.
En Europe continentale, deux compositrices, Beatriz Ferreyra et Éliane Radigue, réussissent à imposer leur marque au sein de la musique expérimentale et électroacoustique française.
- Beatriz Ferreyra (née en 1937). Arrivée d’Argentine en 1961 à l’âge de seize ans, elle intègre le GRM Ö deux ans plus tard pour travailler auprès de son fondateur, Pierre Schaeffer, notamment dans le cadre de la rédaction de son ouvrage, le Solfège de l’objet sonore. Ses œuvres électroacoustiques à la beauté contemplative, comme Demeures Aquatiques (1967), Siesta Blanca (1972) ou plus tard La rivières des oiseaux (1998), développent de singuliers climats évoquant la richesse timbrale de paysages sonores naturels.
- Éliane Radigue (née en 1932). Elle passe plus brièvement par le GRM, assiste Pierre Henry, avant de rejoindre Laurie Spiegel à l’université de New York, où elles s’exercent toutes deux sur le synthétiseur Buchla. Comparée à Ferreyra, Radigue se veut plus radicale, privilégiant à l’aide de son synthétiseur fétiche le système modulaire Arp 2005, un minimalisme exacerbé, lorgnant vers le mysticisme et la métaphysique, notamment inspiré par sa pratique du bouddhisme. Citons parmi ses œuvres les plus remarquées, Songs of Milarepa (1984), Elemental II (2004) ou le plus récent, L’île Ré-sonante (2005).
Adnos I (1975) d'Éliane Radigue
- Else Marie Pade (née en 1924). Cette pionnière danoise dans le domaine de la musique concrète et électronique, côtoie après-guerre les compositeurs Pierre Henry et Karlheinz Stockhausen Ö. Sa pièce Symphonie Magnétophonique (1958-1959) s’inscrit dans la tradition concrète de l’école française et Etude I (1962) rappelle, quant à elle, les premières recherches timbrales pratiquées par le compositeur allemand.
Etude 1 (1962) d'Else Marie Pade
3. Laurie Anderson
Née en 1947, cette artiste américaine venue de la performance, à la fois musicienne, chanteuse, violoniste, plasticienne et auteure d’œuvres multimédia, occupe une place à part dans l’histoire de la musique électronique. Elle bénéficie dès 1981 d’un succès mondial grâce à son single « O, Superman », qui mélange les recherches formelles des avant-gardes à une esthétique pop. Parmi les artistes issus de la scène expérimentale américaine, c’est ainsi l’une des premières à toucher un plus large public.
Ses deux premiers albums, Big Science (1982) et Mister Heartbreak (1983) doivent leur réussite à leur capacité de s’affranchir des règles en vigueur au sein des avant-gardes, et ne se bornent donc pas à l’exploration des seules innovations timbrales de tel ou tel instrument. Ces albums se situent au croisement de nombreuses pratiques et esthétiques : la performance, la poésie sonore ou le spoken word[4]
Poésie orale inspirée par les artistes de la beat generation des années 1960 comme William S. Burroughs ou John Giorno.
, les motifs répétitifs caractéristiques de la musique minimaliste Ö, les recherches électroniques menées au cours des décennies précédentes et la pop électronique des années 1980. Son travail se distingue par une nette dimension autobiographique, que l’on perçoit dans ses textes, parfois parlés, parfois chantés, qui témoignent de son quotidien, de ses rencontres et de ses voyages. Cette esthétique constitue l’un des traits communs à d’autres musiciennes électroniques qui se distinguent au cours des décennies suivantes comme Antye Greie ou Ellen Allien.
« Big Science » (1981) de Laurie Anderson
4. Les années 1980 : Anne Dudley, Anne Clarke et Cosey Fanny Tutti
Au cours des années 1980, les rares femmes présentes dans l’univers de la pop électronique restent souvent cantonnées au rôle de chanteuse. Toutefois, quelques-unes d’entre elles parviennent à se faire une place en tant que compositrice, parmi lesquelles trois artistes britanniques, Anne Dudley, Anne Clarke et Cosey Fanny Tutti.
- Anne Dudley (née en 1956). Au sein du groupe Art of Noise Ö, elle figure parmi les pionnières du sampling Ö et d’une pop inventive qui puise son essence dans les recherches des avant-gardes.
- Anne Clark (née en 1960). Musicienne et poétesse, elle s’illustre au cours des années 1980 au sein de la scène new wave ou synth-pop britannique, avec des albums comme The Sitting Room (1982), Changing Places (1983) ou Joined Up Writing (1984) (sur lequel figure son tube, « Our Darkness »), dont elle compose la musique en solo, ou aux côtés de David Harrow. Loin des refrains séducteurs et légers de la pop de l’époque, elle préfère accompagner sa musique synthétique de textes parlés ou déclamés, à la forme poétique et volontiers autobiographique.
- Cosey Fanni Tutti (né en 1951). Venue de la performance, elle est en 1976 l’un des membres fondateurs du groupe Throbbing Gristle Ö. Elle participe activement aux expérimentations bruitistes de la formation britannique, réalisées à base de collages de bandes magnétiques, de sons industriels, de voix trafiquées et d’instruments électroniques. À la dissolution du groupe en 1981, elle entame une nouvelle carrière auprès de son compagnon Chris Carter, sous le nom de Chris & Cosey, explorant l’univers d’une pop synthétique minimaliste, dans laquelle sa voix feutrée et ses textes teintés d’érotisme, se marient avec subtilité aux timbres tranchants de leurs instruments électroniques et de leurs collages sonores. Dans ce registre pop, ils composent plus d’une quinzaine d’albums parmi lesquels : Heartbeat (1981), Trance (1982), Songs of Love & Lust (1984) ou Trust (1989), sans oublier des projets ambient parmi lesquels le plus méconnu Allotropy (1990).
« October Love Song » (1984) de Chris & Cosey
5. La génération techno et électronica
Entre 1986 et 2001, période pendant laquelle la house, la techno et leurs multiples sous-genres connaissent une expansion phénoménale, seules quelques femmes, DJ ou compositrices, participent à ce mouvement. Parmi elles, citons Laura Grabb et Kellli Hand aux États-Unis ; Sonique et Princess Julia en Angleterre ; Miss Djax et 100% Isis aux Pays-Bas ; Liza N’Eliaz, Roussia, Sextoy et Jennifer Cardini en France ; Acid Maria en Allemagne ou Electric Indigo en Autriche.
Il faut attendre le tournant des années 2000 pour que de jeunes musiciennes bénéficient de la même reconnaissance que leurs confrères et voient leur musique éditée sur CD. Parmi les musiciennes marquantes de cette génération, citons l’Iranienne et résidente britannique, Leila Arab (née en 1971), auteure de trois albums remarqués, Like Weather (1998), Courtesy of Choice (2000) et Blood, Looms & Blooms (2008) ainsi que la Japonaise Tujiko Noriko, auteure de plus de huit albums au cours des années 2000, parmi lesquels Shojo Toshi (2001), From Tokyo To Naiagara (2003) ou Blurred In My Mirror (2005). Toutes deux explorent la voie d’une pop électronique à l’esthétique baroque, dynamisée par d’ingénieux collages sonores.
« Lush Dolphins » (2008) de Leila
La dimension autobiographique, ainsi que la pratique du parlé-chanté, trait commun à des musiciennes électroniques des années 1980 comme Laurie Anderson, Anne Clark ou Cosey Fanni Tutti, se retrouvent chez de nombreuses artistes de la génération des années 2000, comme Ellen Allien, AGF ou Miss Kittin.
Ellen Allien, de son vrai nom Ellen Fraatz, est une musicienne et DJ allemande, née en 1969. Elle est révélée par un premier album, Stadtkind (2001), où elle mêle sa voix à des rythmiques heurtées et à des collages complexes de sons électroniques. Parmi ses autres albums de référence, citons Berlinette (2003), Orchestra Of Bubbles (2006, composé avec Apparat) et Sool (2008) qui se distinguent dans le traitement des timbres, volontiers rêches, et celui de la voix, soumise à des manipulations numériques.
« Trash Scapes » (2003) de Ellen Allien
À la même époque, sa compatriote AGF (de son vrai nom Antye Greie, née en 1969) est remarquée grâce à ses deux premiers albums, Head Slash Bauch (2002) et Westernization Completed (2003), dans lesquels elle mêle la musique électronique à de savants collages sonores réalisés à partir de sa propre voix et de field recordings[5]
Littéralement : des enregistrements de terrain. Les field recordings désignent des enregistrements réalisés en milieu naturel ou urbain.
réalisés au fil de ses voyages.
« Refail » (2003) d'AGF
Dans un registre tout aussi intimiste, la Française Miss Kittin a souvent recours au mode du parlé-chanté. Elle se distingue grâce à deux disques, First Album (2001) et I Com (2004), dans lesquels elle explore une musique électronique aux tonalités pop et techno. Avec Ellen Allien, elle figure ainsi parmi les premières DJ qui réussissent grâce à leur succès public à imposer leur personnalité et leur créativité au sein d’un univers électronique largement dominé par les hommes.
Dans un domaine plus expérimental, proche de l’électronica Ö, de l’ambient Ö et de la musique concrète Ö, citons aussi les albums de la Québécoise Myléna Bergeron, Chronopée 1 (2002) et Chronopée 2 (2006) ; ceux de la Française Colleen, Everyone Alive Wants Answers (2003) et The Golden Morning Breaks (2005) ; ainsi que ceux de la Sud-Africaine Mira Calix (née en 1970), One On One (1999) et Eyes Against The Sun (2006).
À partir de la seconde moitié des années 2000, les compositrices de house et de techno, bien que minoritaires, s’imposent de façon croissante au sein de la scène électronique grâce à la sortie de nombreux albums. Parmi ces disques, citons Schwarzweiß (2004) et Bittersüss (2007) de MIA ; Blondie (2004) composé par Ada ; The Waiting Room (2007) et One In Other (2010) de Chloé ; 7 Years (2008) d’Akiko Kiyama ; From the Fallen Page (2010) de Magda ; Yours & Mine (2011) de Steffi ; Oh Ah ! de Nakion (2011) et Technocolor de Masomenos (2011). Dans un registre plus pop, citons Luna Parc Hotel (2006) et Doll Divider (2010) d’Olivia Louvel, ainsi que TBA (2003) et Pending (2009) de Natalie Beridze.
1 In Women In Science, Revue Research*eu, Office for Official Publications of the European Communities, Luxembourg, 2009
2 Elle est par exemple l’auteure du manifeste And Don't Call Them 'Lady' Composers (Ne les appelez plus femmes compositeurs), publié en 1970 dans le New York Times.
3 Traduction de l’auteur.
4 Poésie orale inspirée par les artistes de la beat generation des années 1960 comme William S. Burroughs ou John Giorno.
5 Littéralement : des enregistrements de terrain. Les field recordings désignent des enregistrements réalisés en milieu naturel ou urbain.