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ETUDES ET ESSAIS > LES BASIQUES > LA MUSIQUE ELECTRONIQUE > OU ET COMMENT S'ECOUTE LA MUSIQUE ELECTRONIQUE ?
   
< - Sommaire - >   

  
 

Où et comment s'écoute la musique électronique ?







  1. Introduction
  2. Une nouvelle scénographie 2.1. Les inventions des avant-gardes (1951-1973)
    2.2. La mutation du concert au sein de la scène électronique des années 1970 et 1980
    2.3. House, techno et électronica à l'épreuve du live
    2.4. Discothèques, raves et carnavals
    2.5. Concerts audiovisuels et performances multimédias
  3. De nouveaux gestes instrumentaux encore limités
  4. La musique électronique dans le cinéma et la danse contemporaine
  5. Installations et dispositifs d'écoute


Le symbole Ö avant ou après un mot indique un lien vers une autre fiche des " Les Basiques : La musique électronique ? ".





1. INTRODUCTION

La musique électronique possède ses instruments spécifiques : magnétophones, platines disques, synthétiseurs, boîtes à rythmes, ordinateurs et logiciels.

Conscients de l’absence d’un réel geste instrumental associé au maniement de ces instruments et du manque d’une forme spectaculaire associée à la production de sons synthétiques, les musiciens électroniques ont imaginé dès les années 1950 de nouvelles scénographies ainsi que de nouveaux dispositifs de diffusion sur haut-parleurs, afin de jouer leur musique en public.

À partir des années 1970, la démocratisation des discothèques permet le développement de nouveaux modes de médiation et de diffusion de la musique, loin du concert traditionnel.

À partir de la fin des années 1990, l’apparition du phénomène des raves puis des free-parties Ö agit de la même manière sur le développement et la médiatisation de la techno, de la house et de leurs nombreux dérivés Ö.




2. Une nouvelle scénographie


2.1. Les inventions des avant-gardes (1951-1973)

Entre les années 1950 et 1970, les différentes avant-gardes occidentales comme la musique concrète, la musique électronique et la musique minimaliste, innovent dans le domaine d’une diffusion spatialisée de leurs créations sonores et musicales, visant à immerger le spectateur.

La musique concrète ou électroacoustique se distingue dès son origine par un mode original de diffusion sonore, réalisée par le biais de systèmes de haut-parleurs permettant une spatialisation du son et une immersion du spectateur. Une première « projection sonore en relief spatial » est ainsi organisée en 1951 au sein du GRM Ö, à partir d’œuvres composées par Pierre Schaeffer et Pierre Henry, diffusées sur quatre voies. L’année suivante, la pièce, Timbre Durées d’Olivier Messiaen est spatialisée sur un dispositif à trois voies, conçu par Pierre Henry.

En 1956, les architectes Le Corbusier et Iannis Xenakis conçoivent pour la compagnie Philips, un pavillon équipé de trois cent cinquante haut-parleurs, à l'occasion de l'exposition universelle de Bruxelles. Les pièces, Concret PH de Iannis Xenakis et Poème électronique d’Edgard Varèse, sont spécifiquement conçues à cette occasion et diffusées à l’intérieur du pavillon. Par la suite, Iannis Xenakis, à la fois compositeur et architecte, poursuit ce type d’expériences sous la forme de nombreux spectacles organisés au cours des années 1970 qui mêlent musique, scénographie, projections lumineuses et procédés de spatialisation sonore.

En Allemagne, Karlheinz Stockhausen mène le même type de recherches afin de spatialiser la diffusion de ses œuvres tout au long de sa carrière. En 1956, Gesang der Jünglinge est diffusée à partir de cinq groupes de haut-parleurs répartis au-dessus et parmi le public. En 1958, Gruppen est conçu pour trois orchestres situés sur trois estrades, placées à gauche, à droite et face au public. Parmi les plus ambitieux projets de Stockhausen, citons aussi l’auditorium sphérique de vingt-huit mètres de diamètre, équipé de cinquante groupes de haut-parleurs, que le compositeur conçoit en 1970 avec l’architecte Fritz Bornemann pour l’exposition universelle d’Osaka.

Osaka Stockhausen

L’auditorium sphérique, conçu par Fritz Bornemann pour Karlheinz Stockhausen, à l’Exposition Universelle d’Osaka en 1970.
© Stockhausen Foundation for Music, Kettenberg 15, 51515 Kuerten, Germany


À partir de 1958, le compositeur américain Stan Shaff, dont les œuvres se rapprochent de la musique électroacoustique, crée avec l’ingénieur Doug McEachern l’Audium, un système de diffusion spatialisée dédié à la diffusion de ses compositions. En 1964, Alfred Frankenstein, le critique musical du San Francisco Chronicle, décrit ainsi le dispositif :

« Grâce à certains haut-parleurs placés à des points stratégiques de la pièce, et d’autres montés sur des bras encerclant la tête des auditeurs, McEarchern permet à la musique de Shaff de se déplacer dans toutes les directions. Le compositeur possède un talent remarquable pour manier des sons délicats et éthérés, de différentes formes et de différents timbres, dont il parvient à gérer les mouvements dans l’espace d’une façon tout à fait pertinente, et en aucun cas artificielle ».[1]

En 1979, les créateurs de l’Audium décrivent ainsi la version VII de leur système de diffusion :

« Chaque concert est conçu comme un environnement sonore total, depuis l’entrée du public jusqu’à sa sortie. Si le compositeur travaille à partir d’une pièce finie et fixée sur bande magnétique, l’œuvre est jouée à chaque fois à partir d’une console spécifiquement conçue pour son interprétation. Le musicien se livre alors à un travail de sculpture des images sonores, diffusées à partir de cent trente-six haut-parleurs, contrôlés indépendamment. Il détermine la localisation des sons, leur direction, leur mouvement, leur vitesse et leur intensité. Le public, immergé dans ce continuum sonore et spatial, expérimente alors le son sous une forme énergétique et cinétique. Les haut-parleurs, tout comme l’ensemble de l’environnement, se transforment alors en un véritable orchestre électronique spatialisé ». [2]

À partir de 1957, et jusqu’en 1964, toujours aux États-Unis, les compositeurs Gordon Mumma et Robert Ashley donnent leurs premiers concerts au sein du Space Theater conçu par l’architecte Harold Borkin. Il s’agit d’un loft, dans lequel le public (une quarantaine de personnes) s’assoit ou se couche sur le sol, et se retrouve immergé dans un univers de projections lumineuses décuplés par une série de miroirs.

À partir de 1963, le compositeur minimaliste américain LaMonte Young conçoit aux côtés de sa compagne et artiste, Marian Zazeela, une série d’environnements à la fois lumineux et sonores nommés Dream House, dans lesquels sont diffusées des œuvres spécifiquement composées pour ce type de spatialisation et de scénographie.



L’atmosphère visuelle et sonore de la Dream House de LaMonte Young et Marian Zazeela à New York, en 2009


Au cours des années 1960, le compositeur John Cage Ö mêle musique, danse (avec le chorégraphe Merce Cunningham), théâtre, vidéo et cinéma, à l’image de Rozart Mix (1965), Variations V (1965) ou HPSCHD (1967-69). Cette dernière pièce, considérée comme une œuvre pionnière de l’art multimédia, consiste en la diffusion de cinquante et une compositions électroniques enregistrées sur bande magnétique, dont les sons se mêlent au jeu de sept joueurs de clavecin. À cela s’ajoutent une batterie de cinquante-deux projecteurs diapos, dont les images sont diffusées sur deux écrans, l’un de grande dimension, l’autre de forme semi-circulaire, ainsi qu’une série de cinquante-et-un haut-parleurs, fixés au plafond, qui permettent d’immerger totalement le public du spectacle.



Variations V (1965), spectacle de John Cage et Merce Cunningham


En 1973, le compositeur François Bayle, alors directeur du GRM, donne une forme théorique à la pratique de la spatialisation d’œuvres sonores dans le champs de la musique électroacoustique, en la désignant sous le terme de musique ou d’art acousmatique, une expression qui désigne le fait d’ « écouter sans voir ». Ce terme fait référence à Pythagore et « à sa manière d’enseigner la philosophie à ses disciples, derrière un rideau et dans le noir, de façon à ce que ceux-ci se concentrent plus facilement sur son discours. » [3]

Tout en insistant sur la nécessité « de développer le sens de l’écoute, l’imagination et la perception mentale des sons », Bayle conçoit un système original de diffusion sonore composé de nombreux haut-parleurs de taille et de tonalité différentes, qu’il baptise, « Acousmonium », afin de permettre une diffusion optimale des œuvres.

Au cours de ces concerts, « la musique est spatialisée par un interprète sur un dispositif d’une multitude de haut-parleurs installés dans une salle ou à l’extérieur ». Sur scène, est disposée « une console ou table de mixage à partir de laquelle l’interprète joue l’œuvre en distribuant les sons qui la composent sur un orchestre d’une quarantaine de haut-parleurs. Ce dispositif est chaque fois différent selon les lieux. Chaque concert est un événement unique beaucoup plus riche qu’une simple écoute sur CD. Paradoxalement, la musique acousmatique, fixée sur un support, redonne sens à la présence physique d’un public en concert, puisque chaque événement est différent selon l’interprète, l’architecture du lieu (qui n’est pas nécessairement une salle à l’italienne) et le dispositif des haut-parleurs. L’art acousmatique se définit donc par le mode de composition et le mode d’écoute qu’il propose : composée en studio, fixée sur un support, la musique acousmatique est enfin projetée comme un film sur des écrans démultipliés de haut-parleurs » [3]



« Morceaux de ciel » (1997) de François Bayle



2.2. La mutation du concert au sein de la scène électronique des années 1970 et 1980

Au sein de la musique populaire, les musiciens des années 1970 qui connaissent un grand succès public comme Jean-Michel Jarre Ö ou Tangerine Dream Ö mettent en place des concerts organisés dans des lieux prestigieux (cathédrales, places et lieux publics) qui font une large place aux scénographies lumineuses.

À la même époque, le groupe Kraftwerk Ö se distingue par une scénographie et une esthétique d’une rare précision, à l’opposé de l’ambiance chaotique des concerts rock. Désignés par leur prénom dessiné au néon, les membres de Kraftwerk adoptent une attitude figée face à leurs instruments, illustrant le thème de la convergence entre l’homme et la machine qui parcourt une grande partie de leur œuvre. Au cours des années 1980 et 1990, ils ont recours aux projections de films et de vidéos, inspirés par l’imagerie moderniste des années 1950.



Une mise en scène sophistiquée pour le titre Die Roboter (1978) de Krafwerk, diffusé à la télévision allemande


Cette attitude figée, illustrant avec ironie la figure de la déshumanisation de l’homme par la machine, et s’opposant aux artifices et au décorum du concert rock, se retrouve dans les concerts de nombreuses formations issues du courant synth-pop Ö du début des années 1980.

Au cours de la même décennie, la musicienne et performeuse Laurie Anderson Ö met en scène ses concerts sous la forme de spectacles multimédias, mêlant musique, théâtre, décors et projections vidéos, dont témoignent par exemple l’album et le long-métrage Home Of The Brave (1984).



« Zero And One », interprété sur scène par Laurie Anderson, extraits de la tournée et du film Home of the Brave


Chez de nombreux artistes issus du courant de la musique industrielle ou de la frange la plus expérimentale de la pop électronique, comme Cabaret Voltaire ou Throbbing Gristle, les musiciens ont souvent recours à des projections pendant leur concerts, dont les images évoquent les recherches du cinéma expérimental ou de l’art vidéo.



2.3. House, techno et électronica à l’épreuve du live

Dans les années 1980, l’univers de la dance-music se prête peu à l’exercice du concert. Les DJ américains de la house music Ö ont parfois recours pendant leur DJ set [4] à des instruments électroniques comme la boîte à rythmes, dont ils mêlent les percussions aux disques qu’ils diffusent.

Pendant la décennie suivante, des percussionnistes, des joueurs de cuivres ou des MC (ou rappeurs) se joignent parfois aux DJ qui œuvrent dans le domaine de la house ou de la drum & bass Ö.

Au cours des années 1990, le concert techno (ou live techno) fait son apparition dans les discothèques et les rave parties. Intervenant au fil de la soirée entre deux DJ, les musiciens qui se prêtent à l’exercice du live ne recourent à aucun dispositif scénographique ou spectaculaire. Equipé de leur ordinateur, de quelques machines et d’une console de mixage, ils se contentent la plupart du temps de jouer en direct leurs compositions réalisées en studio. Ils ne disposent pas alors de logiciels permettant l’improvisation.

À la fin des années 1990, l’apparition d’ordinateurs portables, dotés d’une nouvelle puissance en terme de calcul et équipés de cartes sons offrant un meilleur rendu sonore, permettent aux musiciens de se produire en concert de manière plus simple et légère. Le « live électronique », qui se résume alors à un artiste juché sur scène et équipé d’un simple ordinateur portable (ou laptop), perd ainsi toute dimension spectaculaire. Au tournant des années 2000, des musiciens, issus du courant électronica Ö ou de la frange la plus expérimentale de la scène électronique, cultivent même ce dépouillement scénique qui symbolise à leurs yeux la modernité des technologies numériques et nomades. La presse et les professionnels de la musique parlent alors volontiers de laptop music pour désigner des artistes comme Robert Henke Ö (Monolake), Peter Rehberg (Pita) ou Felix Hoefler (F.X. Randomiz) qui, pilotant des logiciels comme MAX/MSP ou Ableton Live permettant l’improvisation, se produisent simplement assis face à une table sur laquelle est posé l’ordinateur, ou parfois même assis par terre, la machine négligemment posée sur les genoux. Toutefois, la multiplication de ce type de concerts dans les soirées techno tout comme dans les festivals dédiés à l’expérimentation électronique, rencontre parfois une forte opposition de la part du public pour qui cette absence de spectacle est synonyme d’ennui.



2.4. Discothèques, raves et carnavals

Dans les années 1970, le phénomène des discothèques, apparu dans la décennie précédente, se répand en Occident. À mi-chemin entre loisir et spectacle, la discothèque impose une nouvelle esthétique, une nouvelle scénographie et une nouvelle forme de socialisation autour de la musique. Jouée par un DJ, la musique est diffusée sur une multitude de haut-parleurs permettant une immersion sonore du public. Cette musique est scénographiée à l’aide de jeux de lumières. Enfin, la scène, le musicien et l’orchestre disparaissent au profit du DJ, placé dans une cabine dominant la piste de danse.

À New York, au sein de la scène disco Ö, ce phénomène socioculturel s’accompagne d’innovations techniques en matière de diffusion sonore. Le DJ et organisateur de soirée David Mancuso et l’ingénieur du son Alex Rosner développent ensemble de nouveaux modèles de haut-parleurs permettant une immersion accrue du public et une meilleure spatialisation de la musique. Ils mettent par ailleurs au point un modèle technique dédié à la sonorisation des discothèques, qui constitue encore aujourd’hui une référence pour de nombreux établissements dans le monde.

Les prestations des DJ de cette époque, comme David Mancuso ou Larry Levan, viennent renforcer cette volonté de scénographie, en associant par exemple à la musique, des sons naturels, des jeux de lumière ainsi que des dispositifs comme des ventilateurs ou des machines à fumée.

À partir de la fin des années 1980, la musique électronique quitte l’enceinte fermée des discothèques ou des salles de concerts pour conquérir de nouveaux espaces.

Les rave parties, qui connaissent leur apogée au milieu des années 1990, sont organisées dans des lieux insolites comme des usines désaffectées, des sites naturels ou des terrains vagues. La manière dont ces fêtes mettent en scène la confrontation du public et des artistes vient renforcer cette esthétique de l’immersion Ö initiée dans les discothèques au cours des décennies précédentes.

Au milieu des années 1990, la musique électronique descend dans la rue, à travers le phénomène des carnavals techno Ö. La Love Parade de Berlin envahit les allées du parc du Tiergarten et la Techno Parade, les avenues de Paris.



2.5. Concerts audiovisuels et performances multimédias

Au début des années 2000, des artistes comme Ryoji Ikeda, Carsten Nicolaï Ö puis Ryoichi Kurokawa, issus à la fois de la scène électronique, de l’univers du spectacle vivant et des arts visuels et plastiques, mettent en place un nouveau type de concerts sous la forme de spectacles audiovisuels qu’ils dénomment très simplement « concerts audiovisuels ».



Test Pattern de Ryoji Ikeda au festival Sonar 2010 de Barcelone

Ces spectacles musicaux, qui font une large place à l’image, à l’abstraction graphique et aux correspondances entre formes visuelles et sonores dépassent toutefois peu à peu le cadre des institutions et des festivals d’art numérique qui les accueillent régulièrement. À la fin des années 2000, et particulièrement en France, des artistes de la scène techno, ou aux confins de la pop et de l’électronique, comme Etienne de Crécy, les Daft Punk, dAtA, Vitalic ou Rinocérose, développent ce type de concerts audiovisuels dans lesquels des dispositifs multi-écrans, des structures de Led [5] et la synchronicité entre le son et l’image jouent un rôle prépondérant. Ces spectacles sont conçus par des artistes visuels comme 1024 Architecture, AntiVJ et Electronic Shadow, issus du domaine des arts numériques, de l’architecture, du graphisme ou de la vidéo.

Certains de ces artistes comme Simon Geilfus, Yannik Jacquet, Joanie Lemercier, Olivier Ratsi ou Romain Tardy, regroupés au sein du « label visuel » AntiVJ, sont originaires de la scène du VJing, une pratique visuelle qui s’est développée au cours des années 2000 au sein de la scène musicale électronique. Le terme de VJing, qui fait référence à la figure du Video-Jockey, équivalent visuel du Disc-Jockey, désigne de manière générale la diffusion et la manipulation d’images vidéo, en temps réel et en synchronisation avec la musique, lors de concerts ou de DJ sets.

À l’étranger, citons les concerts de Plastikman (Richie Hawtin) Ö, Amon Tobin ou Monolake (Robert Henke) Ö qui mettent eux aussi en place ce type de dispositif.



La première mondiale, au festival Mutek 2011 de Montréal, du spectacle audiovisuel Isan d’Amon Tobin


L’accueil enthousiaste du public et des professionnels du secteur de la musique et des concerts incite désormais de plus en plus de musiciens électroniques à développer ce type de spectacles.




3. De nouveaux gestes instrumentaux encore limités

Au cours des années 1990, des musiciens, issus des franges les plus avant-gardistes de la musique électronique, affirment leur volonté de renouer avec le geste instrumental traditionnellement associé aux instruments acoustiques ou électriques. Il s’agit pour ces musiciens et les ingénieurs qui travaillent à leurs côtés de concevoir des prototypes d’interfaces Ö manuelles ou des instruments inédits, leur permettant de contrôler à distance des logiciels afin de libérer le corps de l’interprète.

Au cours des années 2000, les fabricants de matériel grand public et de lutherie informatique prennent le relais de ces rares innovateurs et développent une nouvelle génération de contrôleurs et de logiciels destinés aux musiciens ainsi qu’aux DJ. Ces outils permettent aux artistes de nouvelles possibilités d’improvisation ainsi qu’une liberté de geste accrue, mais peinent à leur offrir la même précision instrumentale que la lutherie traditionnelle.




4. La musique électronique dans le cinéma et la danse contemporaine

Grâce à sa nature instrumentale, la musique électronique trouve de nombreuses applications sous la forme de bande-sons composées pour l’univers de la danse contemporaine et du cinéma.

Depuis les années 1950, de nombreux compositeurs électroniques travaillent régulièrement pour le cinéma Ö. Certains films majeurs comme Planète Interdite (Fred McLeod Wilcox, 1956), Orange Mécanique (Stanley Kubrick, 1971) ou Blade Runner (Ridley Scott, 1982) ont à ce titre beaucoup fait pour la popularisation du genre électronique.

Citons parmi les exemples notables ou réussis de collaborations entre musiciens électroniques et cinéastes, les bande-sons suivantes :

Le convoi de la peur (William Friedkin, 1977) ; Le solitaire (Michael Mann, 1981) ; Risky Business (Paul Brickman, 1984), toutes trois composées par Tangerine Dream.



La bande-son du film Le convoi de la peur (William Friedkin, 1977) par Tangerine Dream


Les granges brûlées (Jean Chapot, 1973), composée par Jean-Michel Jarre.
Midnight Express (Alan Parker 1978), composée par Giorgio Moroder.
The Thing (John Carpenter, 1982), composée par Ennio Morricone.
Tron (Steven Lisberger, 1982) de Wendy Carlos.
Assaut (John Carpenter, 1976), Fog (John Carpenter, 1980) et New York 1997 (John Carpenter, 1981), toutes trois composées par leur propre réalisateur, John Carpenter.
Ténèbres (Dario Argento,1982) par le groupe des Goblins.
Fight Club (David Fincher, 1999), composée par les Dust Brothers.
Irréversible (Gaspar Noé, 2002) par Thomas Bangalter.
La vie nouvelle (Philippe Grandrieux, 2002) par le duo Etant Donnés.
Traffic (Steven Soderbergh, 2000), Solaris (Steven Soderbergh, 2002) et Drive (Nicolas Winding Refn, 2011) composées par Cliff Martinez.



« First Sleep » de Cliff Martinez, bande originale du film Solaris (Steven Soderbergh, 2002)


Les sons et les traitements caractéristiques de la musique électronique sont aussi particulièrement utilisés au cinéma dans le domaine du design sonore, une discipline qui désigne la création de sons artificiels destinés à la bande-son d’un film. Le monteur et ingénieur du son, Walter Murch, figure parmi les inventeurs de cette discipline avec la bande-son du film THX 1138 (George Lucas, 1971). Depuis cette époque, la pratique du design sonore s’est particulièrement répandue dans les productions hollywoodiennes qui font un usage régulier de ce type de créations sonores pour le cinéma fantastique, la science-fiction, le thriller ou certains films d’auteurs. Parmi les cinéastes qui font parfois appel à une création sonore électronique originale, citons aux États-Unis David Lynch et Gus Van Sant et, en France, Thierry Jousse, Jean-Baptiste Léonetti et Gaspard Noe.

Des compositeurs de musique électronique collaborent régulièrement à des créations et à des spectacles de danse contemporaine.

Dès les années 1960, le chorégraphe Merce Cunningham travaille avec John Cage, et en 1968, Pierre Henry compose avec Michel Colombier la bande-son du ballet de Maurice Béjart, Messe pour le temps présent.

À partir des années 1970, ces collaborations se multiplient. On peut citer parmi elles :

- Les spectacles de William Forsythe avec Thom Willems (In the Middle, Somewhat Elevated, 1987 ; One Flat Thing Reproduced, 2000) et son installation vidéo Antipodes I/II, mise en musique par Ryoji Ikeda Ö (2006) ;

- Les compositions de Ekkehard Ehlers pour William Forsythe (Scattered Crowd, installation, 2002) ainsi que Christoph Winkler (Homo Sacer, 2003) ;

- Les nombreuses musiques de Ryoji Ikeda composées pour les spectacles du collectif Dumb Type (S/N, 1994, [OR], 1997) ;

- La création du groupe canadien Skinny Puppy pour la compagnie La La La Human Steps du chorégraphe Édouard Lock (Infant c’est destroy, 1991) ;

- Les spectacles de Gisèle Vienne mis en musique par Peter Rehberg (I Apologize ; 2004 ; Kindertotenlieder, 2007 ; This Is How Your Will Disappear, 2010 ; Last Spring, 2011) ;



This Is How Your Will Disappear (2010), spectacle de Gisèle Vienne, mis en musique par Peter Rehberg et Stephen O’Malley


- La composition de DJ Grazzhoppa pour Anna Teresa De Keersmaeker (I Said I, 1999) ;

- La musique électroacoustique de Christian Zanési Ö composée pour les chorégraphes José Montalvo (Po-de-bal, 1992) et Michel Kelemenis (Le paradoxe de la femme-poisson, 1998) ;

- Les chorégraphies d’Angelin Preljocaj utilisant des musiques composées par Karlheinz Stockhausen (Eldorado, 2007), Air (Near Life Experience, 2003) ou Laurent Garnier (Fire Sketch, 2006 ; Suivront mille ans de calme, 2010) ;



Suivront mille ans de calme (2010), chorégraphie et spectacle d’Angelin Preljocaj, mis en musique par Laurent Garnier


- Les spectacles du chorégraphe Alexandre Roccoli et Séverine Rième, mis en musique par Chloé (Playground, 2008), Ellen Allien (Drama Per Musica, 2010) et Pantha Du Prince (Last Last, 2011).




5. Installations et dispositifs d’écoute

Les champs de la musique électroacoustique Ö, de l’électronica Ö, de la musique expérimentale et de l’art sonore se distinguent depuis la fin des années 1990 par la mise en place de nouveaux modes d’écoute individuels et collectifs, sous la forme d’installations et de dispositifs techniques de diffusion :

- La ballade sonore ou soundwalk. Ce dispositif désigne une composition musicale spécifiquement destinée à être écoutée au casque, d’abord sur un walkman à cassette audio puis sur un baladeur numérique, et selon un trajet préalablement défini par l’artiste.

Cette pratique démarre dans le champs de l’art contemporain au cours des années 1990, sous l’impulsion de l’artiste canadienne Janet Cardiff. À partir de 1991, elle créé de nombreux « audio walks » (ou marches sonores), des fictions sonores, inspirées par le cinéma et souvent teintées d’autobiographie, destinées à être écoutées lors de promenades réalisées par les spectateurs de ses expositions le long de parcours menés en ville, en forêt ou dans l’espace d’un musée. Le ton intimiste de la voix de l’artiste, qui guide le flâneur le long du parcours, est mixé avec des sons enregistrés préalablement sur le même trajet, créant chez l’auditeur une étonnante confusion des sens, entre ce qu’il peut percevoir de son environnement, et ce qu’il entend à travers le casque.

Au cours de la décennie 1990, le collectif franco-américain Soundwalk développe ce type de marches sonorisées en milieu urbain sous la forme de récits et de pièces sonores inspirés par la forme du documentaire et de la fiction cinématographique.

En 2003, l’artiste allemande Christina Kubisch imagine un tout autre type de parcours qu’elle nomme « Electrical Walk » (des marches électriques). Equipé d’un casque audio, le spectateur est invité à suivre lui aussi un trajet précis à travers la ville, mais dont le tracé suit les nombreuses sources de rayonnements électromagnétiques qui parsèment notre environnement urbain. Ces ondes électromagnétiques sont transcodées sous la forme d’une musique électronique et minimaliste, lorsque l’auditeur s’approche d’une source de rayonnement.



Christina Kubisch décrit ses Promenades Électriques à l’occasion de la manifestation Mois Multi, en 2009 à Montréal


Depuis 2005, les Français du Collectif MU et l’artiste Jean-Philippe Renoult ont lancé le projet Sound Drop, tout d’abord à Paris, puis dans d’autres villes comme Anvers, Belgrade, Luxembourg et Tunis. Il s’agit de parcours urbains, sonorisés par des plasticiens sonores et des musiciens électroniques comme François-Eudes Chanfrault Ö, Goran Vejvoda, Joachim Montessuis, Philip Griffiths et OttoannA.

À partir du début des années 2000, des artistes contemporains, des musiciens ou des commissaires d’exposition imaginent de nouveaux dispositifs d’écoute collective sous la forme d’installations techniques, de mobilier ou de petites constructions architecturales, équipés de haut-parleurs.

- Le Placard ou headphone festival (festival sur casque audio). À partir de 1998, le musicien français Erik Minkkinen invente ce dispositif sous la forme d’un festival nomade, organisé dans des lieux de petite taille. Ce festival rassemble régulièrement des artistes de la scène électronique et expérimentale, donnant leurs concerts face à un public équipé de casques audio. Cette proximité entre l’artiste et les auditeurs permet d’organiser les différentes éditions du festival dans de simples appartements, sans risquer la moindre nuisance sonore. Surtout, il créé une situation d’écoute intimiste, loin des concerts traditionnels ou des lieux publics qui accueillent d’ordinaire ce type d’événements.

- Le Kiosque Électronique. Conçu en 2001 par Olivier Vadrot et Cocktail Designers, il rappelle la démarche du Placard. Il s’agit d’une réinterprétation du traditionnel kiosque à musique, qui se présente dès lors sous la forme d’une scène miniature surmontée d’une boîte de plexiglas. Le musicien est placé au centre de cette boîte, et le public, équipé de casques audio, est assis en cercle autour du kiosque. Ne générant aucune nuisance sonore, cette salle de concert portative peut s’installer aisément dans une galerie, un musée ou un jardin. Des musiciens français comme Olivier Lamm, Domotic, Laurent Dailleau, Cécile Babiole ou Mathias Delplanque se sont produits en concert au sein du Kiosque Électronique.



Quelques images du Kiosque Électronique, présenté en 2008 au centre d’art Le Plateau à Paris


- L’Audiolab (2001-2003). Les trois prototypes de l’Audiolab, réalisés par les designers Patrick Jouin, Ronan et Erwan Bouroullec, ainsi que Laurent Massaloux, se présentent sous la forme de « stations d’écoute et d’immersion sonores », conçues afin de permettre une diffusion optimale et environnementale du son. La forme de l’Audiolab 1 évoque celle d’un module lunaire, l’Audiolab 2, un triple parasol, et l’Audiolab 3, une double balancelle. Chacun de ces dispositifs est conçu afin d’accueillir l’auditeur de la manière la plus confortable possible. Des musiciens électroniques comme Vladislav Delay, Monolake Ö, AGF Ö, To Rococo Rot, Thomas Brinkmann ou David Toop ont composé à la demande des commissaires (en l’occurrence, Hervé Mikaeloff et moi-même) des œuvres spécifiques destinées à être diffusées dans l’un de ces trois modules.

Audiolab de Laurent Massaloux

L’Audiolab 3 du designer Laurent Massaloux, présenté en 2003 à la Biennale Experimenta Design de Lisbonne.
Photo © Laurent Massaloux


- Le Sonic Bed (2005). Conçu par l’artiste sonore et musicienne électronique Kaffe Matthews, le Sonic Bed est un lit équipé d’un système de diffusion sonore à douze voies, dont les haut-parleurs sont disposés sous le matelas et sur les parois latérales de la structure. Il permet de diffuser des œuvres sonores spécifiques, composées préalablement, ou jouées en direct.



Le Sonic Bed, conçu par Kaffe Matthews (2005)


- La chambre d’écoute du Musée Réattu. En 2008, le couturier Christian Lacroix conçoit pour ce musée d’Arles une pièce destinée à la diffusion d’œuvres sonores et musicales, notamment électroacoustiques. Cette chambre se présente comme un espace intime et chaleureux, équipé d’un lit et de haut-parleurs, permettant une isolation de l’auditeur vis-à-vis du monde extérieur. Située au dernier étage de ce palais Renaissance, cette chambre accueille, selon le communiqué du musée, « des œuvres qui affirment la suprématie du son comme média du réel et de l'imaginaire. On y vient pour flâner et pour rêver, loin de l'agitation vaine du dehors : là, des espaces nouveaux se mettent à exister, soutenus seulement par la vibration du son, dans lesquels chaque auditeur est invité à construire sa propre représentation à partir de ce qu'il entend ». En 2010, les œuvres de la compositrice Hanna Hartman Ö ont été diffusées dans cette chambre d’écoute.





Sommaire

  • Introduction : Qu'est-ce que la musique électronique ?

  • Quelles sont les premières expérimentations des technologies dans la musique ?

  • Comment l'électronique est-elle devenue pop (1968-1988) ?

  • Qu'est-ce que la house, la techno, quelle est leur histoire et leur descendance (1988-2011) ?

  • Quelles sont les pratiques et l'histoire des DJ ?

  • Quelle est la place des femmes dans la musique électronique ?

  • Quels sont les outils et les technologies de la musique électronique ?

  • En quoi les pratiques électroniques ont-elles transformé la musique et la culture de la fin du 20e siècle ?

  • Où et comment s'écoute la musique électronique ?

  • Quels sont les grands courants esthétiques actuels de la musique électronique ?

  • Festivals, lieux, clubs et événements

  • Bibliographie




    Notes :


    1 Traduction de l’auteur.

    2 Traduction de l’auteur.

    3 BAYLE, François, Musique acousmatique, propositions… …positions, Paris, Bibliothèque de recherches musicales, Ina-GRM-Buchet/Chastel, 1993.

    4 Le DJ set désigne la durée et la performance du DJ en discothèque ou lors d’une rave party.

    5 Selon Wikipédia, un LED est une diode électroluminescente. C’est un composant opto-électronique capable d’émettre de la lumière lorsqu’il est parcouru par un courant électrique.



    © Leonardo/Olats & Jean-Yves Leloup, décembre 2011
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