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ETUDES ET ESSAIS > LES BASIQUES > LA LITTERATURE NUMERIQUE > QU'EST-CE QUE LA POESIE NUMERIQUE ANIMEE ?
   
< - Sommaire - >   

  
 

Qu'est-ce que la poésie numérique animée ?







  1. Définition et caractéristiques. 1.1 Définitions.
    1.2 Une littérature qui travaille sur la lecture. 1.2.1 Le texte animé constitue un nouveau média.
    1.2.2 La lecture est un engagement.
  2. La poésie numérique animée n'est pas de la vidéopoésie.
  3. Les différentes approches esthétiques et théoriques de la poésie animée. 3.1 Une littérature dans la mouvance des poésies d'avant-garde du XXe siècle.
    3.2 L'approche française de L.A.I.R.E. et de la revue alire. 3.2.1 L'affirmation de la spécificité du médium numérique.
    3.2.2 La perception d'un nouveau statut esthétique de l'œuvre.
    3.2.3 L'apport de Tibor Papp.
    3.3 L'approche brésilienne de l'intermédia. 3.3.1 L'intersigne de Philadelpho Menezes.
    3.3.2 L'interpoésie de Wilton Azevedo.
    3.4 La poésie virtuelle de Ladislao Pablo Györi.
  4. Conclusion : au-delà de la poésie animée. 4.1 La poésie animée ouvre sur deux axes esthétiques.
    4.2 Vers un hypermedia a-média.
    4.3 Le collectif international Transitoire Observable.

    Références


Le symbole Ö avant ou après un mot indique un lien vers une autre fiche du module.




La poésie animée constitue le troisième genre fondamental de la littérature numérique, à côté de l’hypertexte Ö et de la génération Ö. Comme ces derniers, elle se décline selon plusieurs modalités Ö. Le terme « animé » fait référence au mouvement, bien sûr, mais il ne faudrait pas croire que ce genre ne se définit que par son caractère technique. Il contient, en sonorités, le mot « anima » qui signifie air, souffle, principe de vie, âme, individu en latin. La poésie animée est ainsi nommée par un terme qui fait référence à son caractère expressif et sensible. Les trois genres (génération, hypertexte et poésie animée) sont complémentaires et insistent chacun sur un des aspects de l’œuvre littéraire numérique : elle est programmée et algorithmique (générateur), expressive et sensible (animée) et s’inscrit dans un dispositif structurel et technique (hypertexte) numérique. Toute œuvre littéraire numérique, aujourd’hui, a donc tendance à être hypertextuelle, génératrice et animée.

L’hypertexte et la génération se sont construits sur la modification de la relation entre l’auteur et son texte (fragmentation Ö pour l’un, méta-écriture Ö pour l’autre), l’animation se construit sur la modification de la relation entre le lecteur et l’œuvre. Bien sûr, toute modification de la relation d’un acteur au texte s’accompagne, en ricochet, d’une modification de la relation du texte à l’autre acteur (pour le lecteur : déambulation dans le cas de l’hypertexte, réorganisation dans celui de la génération ; pour l’auteur : adaptation et relativisation dans le cas de l’animation). Le trio œuvre/auteur/lecteur constitue un « triumvir » dont on ne peut séparer les trois pôles que de façon relative et uniquement à des fins d’analyse partielle.




1. DEFINITION ET CARACTERISTIQUES



1.1 Définitions.

|||||||||| LITTERATURE ANIMEE : On parle de littérature animée lorsque les mots, les lettres, les phrases, c’est-à-dire les constituants linguistiques du texte, subissent des transformations temporelles à l’écran : déplacements, modifications, morphings…

|||||||||| POESIE ANIMEE : La poésie animée est une généralisation de la littérature animée : les signes utilisés peuvent provenir de différents codes (linguistique, musical, graphique, photographique, vidéo…) et le récit n’y tient qu’une place négligeable.

Il peut sembler paradoxal de parler de « généralisation » alors que la poésie apparaît classiquement comme un genre littéraire, donc un cas particulier de la littérature. Il faut se rappeler que cela est moins vrai à partir du XX° siècle où elle se définit plus exactement comme un « art sémiotique général » Ö.

Certains auteurs utilisent la dénomination de « poésie cinétique » pour parler de toute poésie animée. Nous réserverons ce terme pour désigner un type spécifique de poésie animée Ö. En effet, la caractéristique principale de cette littérature n’est pas le mouvement, qui n’en est qu’un moyen technique, mais la nature même du texte. Un paragraphe qui se déplace en demeurant identique à lui-même demeure imprimable et lisible selon les modalités classiques de l’écrit ; ses structures linguistiques sont celles du texte imprimé. Le « poème animé » n’est pas imprimable, ne peut pas se lire comme un texte imprimé, possède des caractéristiques linguistiques impossibles à réaliser sur un écrit papier. La poésie cinétique, comprise comme constituée de textes achevés en mouvement, ne constitue alors qu’une des formes de la poésie animée.

On remarque que la définition de la poésie animée ne fait allusion qu’à des médias observables Ö. Elle peut, de ce fait, exister sur des supports divers. La poésie numérique animée, en plus d’être animée, utilise les spécificités du médium numérique. Tout comme pour la génération de texte, certaines de ces formes Ö sont plus proches d’une poésie « assistée par ordinateur » alors que d’autres s’inscrivent complètement dans le cadre de la littérature numérique.




1.2 Une littérature qui travaille sur la lecture.



1.2.1 Le texte animé constitue un nouveau média.

On pourrait utiliser une citation d’Ernesto Manuel de Melo e Castro, l’inventeur de la vidéopoésie Ö, pour qualifier de façon générique la poésie animée. Il disait :

« La page n’existe plus, pas même en tant que métaphore. L’espace est maintenant équivalent au temps et l’écriture n’est plus une partition mais une réalité de dimension virtuelle » [1]

Le texte animé n’a pas les mêmes propriétés linguistiques que le texte statique. Celles-ci diffèrent d’une forme animée à l’autre, mais on peut dire que, dans tous les cas, le texte animé constitue un nouveau média. Il s’oppose en cela à l’hypertexte et au générateur de texte. Dans ces derniers, le texte ne subit pas de transformation linguistique par rapport à un texte imprimé. C’est pourquoi le médium de référence de ceux-ci demeure le livre. Dans l’animation, le texte n’est pas imprimable car, alors, on perd la dimension temporelle et l’unicité du poème. On verra même que l’impression tronque les animations syntaxiques, les transforme en recueils de textes Ö. Le média de référence de l’animation de texte n’est donc plus le livre mais l’image animée, l’animation de texte ne peut se concevoir que pour une lecture sur écran.

Ce qui caractérise ce nouveau média est l’incompatibilité relative entre la visibilité de l’information et sa lisibilité. Sur papier, l’information est visible, ce qui la rend mémorisable, et lisible, ce qui la rend interprétable et porteuse de signification. L’introduction de comportements temporels riches au sein de l’information textuelle bouleverse l’équilibre entre ces deux attributs et le lecteur est souvent placé devant le dilemme de choisir entre « voir » et « lire ». Un lecteur de cette littérature, Bernard Grelle, conservateur de la bibliothèque de Roubaix, m’a même déclaré dans les années 1980 « j’ai tout vu mais je n’ai rien lu », attestant par là que les modalités de lecture diffèrent de celles mises en œuvre dans la lecture de l’écrit papier dès lors que le temps constitue une dimension fondamentale du texte.




1.2.2 La lecture est un engagement.

Le lecteur doit s’engager dans sa lecture comme il s’engage dans la vie. Il est souvent obligé d’accepter de ne pas « tout » lire pour construire une signification. Ainsi, la lecture détruit le texte autant qu’elle le construit. En acceptant de laisser passer une information qu’il décèle, de ne pas la mémoriser pour ensuite pouvoir la traiter de façon cognitive, le lecteur crée des trous d’information mais utilise ce temps de non-lecture pour construire la signification de ce qu’il décide de garder. Ce phénomène de perte perturbait fortement les lecteurs des années 1980, moins ceux d’aujourd’hui car ils ont acquis une certaine habitude des animations sur écran.

Une telle lecture, qui ne recueille qu’une fraction de l’information pour construire une signification, est typiquement une lecture en zapping. Le zapping a mauvaise presse car il est particulièrement destructeur lorsqu’il est appliqué à des énoncés linéaires qui ne lui sont pas adaptés. La structure des textes imprimés possède souvent des unités longues que le zapping tronque, rendant le zappeur « infirme du texte». Mais ce mode de lecture devient le seul possible en littérature animée lorsque l’information, fortement multi-linéaire et labyrinthique, se modifie trop vite pour qu’un lecteur puisse y appréhender toutes les structures. Le lecteur ne cesse de quitter une information pour « sauter » à une autre comme dans la navigation hypertextuelle, à la différence de taille près, que dans l’animation le lecteur subit cette navigation sans pouvoir la contrôler.

Les structures à long terme enchevêtrées ne peuvent alors être toutes retrouvées que moyennant des relectures. Ces dernières accroissent la mémorisation et permettent d’explorer cette information dense et changeante. La relecture est un moment naturel de la lecture d’une œuvre littéraire numérique, elle crée du différent. Au final, retrouvant par la relecture les structures à long terme et ayant, à chaque lecture, construit de nouvelles structures et exploré des structures à court terme, la lecture enrichit ce qui est produit par la machine. D’un point de vue plus théorique, on dirait que le texte-lu Ö est plus grand que le texte-à-voir Ö.

La grande différence entre la littérature animée et l’hypertexte ou la génération est que les réorganisations textuelles sont ici effectuées par le lecteur et non par le programme. Ce n’est pas le programme qui gère la navigation, c’est la lecture qui explore. Ce n’est pas le programme qui génère, c’est la lecture qui organise. La lecture est donc un acte d’énonciation, elle « fait paraître » le texte qu’elle interprète, contrairement à un livre dans lequel le texte est déjà là, tel qu’il sera lu. Comme il n’y a pas ici de lien qui lui indique à quel endroit on peut tronquer le texte en cours de lecture pour sauter au suivant, l’énonciation et l’interprétation sont, plus que dans l’hypertexte, de la responsabilité du seul lecteur. Comme il n’y a pas de programme qui génère et énonce le texte, l’énonciation et l’interprétation sont, plus que dans la génération, de la responsabilité du seul lecteur. Ainsi donc, plus que dans tout autre texte numérique, le lecteur est engagé dans sa lecture : lire n’a rien d’anodin.

Ces caractéristiques sont plus ou moins marquées dans les divers formes de poésie animée.




2. LA POESIE NUMERIQUE ANIMEE N'EST PAS DE LA VIDEOPOESIE

La poésie numérique animée n’est pas seulement une littérature de l’écran. Elle utilise pleinement les spécificités du médium informatique et ne saurait donc être transférée sans perte sur bande vidéo.

De nombreuses œuvres animées sont interactives. Il est évident qu’elles ne peuvent être transférées sur bande vidéo.

D’autres, non interactives, utilisent une programmation spécifique et ne peuvent pas non plus être transférées sur bande. C’est le cas des œuvres qui gèrent le rythme visuel à l’aide d’algorithmes qui génèrent, non pas un matériau, mais les répétitions et variations rythmiques d’une séquence. Tibor Papp travaille de la sorte dans nombre de ses œuvres depuis ses premiers poèmes animés. C’est lui qui, le premier, a perçu la différence entre cette littérature numérique animée et la vidéopoésie : la littérature animée n’est pas seulement une littérature de l’écran, c’est également une littérature programmée qui insiste sur le caractère physique et sensible de l’exécution du programme plus que sur ses particularités algorithmiques, ce en quoi elle s’oppose à la conception générative.

D’autres, comme moi, programment les animations de façon particulière en tenant compte de l’influence esthétique de la machine de lecture. On ne saurait alors réduire de telles œuvres à de simples animations à l’écran car, lors de l’exécution, elles font des mesures dont le résultat oriente leur scénario.

Dans tous les cas, le lecteur sur ordinateur d’une œuvre animée programmée n’est pas dans la même situation de lecture que devant une œuvre vidéo. Il ne peut la mettre en pause ni commencer la lecture en cours d’animation. Il ne peut pas non plus revenir en arrière, ni modifier la vitesse de l’animation. Par ailleurs, l’événement observable à l’écran à un moment donné n’est pas une image. Il se construit en temps réel et dépend du contexte d’exécution du programme qui le génère. Il est donc partiellement non reproductible. Ces particularités sont des propriétés intrinsèques des œuvres numériques. Une œuvre numérique travaille fondamentalement avec la mémoire du lecteur, ce n’est pas un objet figé une fois pour toutes. Ce qui apparaît à l’écran n’est qu’une face de l’œuvre : celle accessible à la lecture à un moment, en un lieu et dans un contexte technique donnés.

Les auteurs d’œuvres numériques n’utilisent souvent le transfert vidéo que pour palier une insuffisance matérielle. C’est ainsi que des œuvres qui nécessitent des temps de calcul importants et ne pouvaient pas être diffusées sur les ordinateurs à l’époque où elles sont créées le sont souvent sous forme de fichiers vidéo. C’est le cas pour les œuvres de Ladislao Györi. Ces transferts vidéos sont alors des documents sur l’œuvre et non l’œuvre elle-même.

Lorsque l’intention de l’auteur ne porte que sur le comportement observé à l’écran et qu’il désire que ce comportement soit reproductible en tout temps et tout lieu, alors il n’utilise l’ordinateur que comme simulateur au service d’un projet qui relève en fait de la vidéopoésie. C’est le cas des versions multimédia des œuvres d’Augusto de Campos. L'auteur court alors le risque de voir l’ordinateur trahir son propos esthétique car le dispositif informatique n’assure ni la stabilité ni la reproductibilité du dispositif vidéo. Ces œuvres sont assistées par l’ordinateur, elles se situent à la frontière des œuvres numériques.




3. LES DIFFERENTES APPROCHES ESTHETIQUES ET THEORIQUES DE LA POESIE ANIMEE



3.1 Une littérature dans la mouvance des poésies d’avant-garde du XX° siècle.

Les poésies concrètes, visuelles et sonores Ö ont fortement développé la spatialité du texte et son traitement graphique. La poésie animée s’inscrit directement dans cette ligne. Nombre d’auteurs viennent d’ailleurs de ces courants. C’est notamment le cas des membres du collectif L.A.I.R.E Ö en France ou de Ladislao Györi en Argentine.

Le temps est déjà présent dans les productions de poésie concrète Öet du process/poem brésilien Ö, que ce soit à travers la notion de série dans laquelle une évolution spatiale est développée sur plusieurs pages, ou à travers l’utilisation d’un axe spatial comme axe des temps. Ce processus sera repris dans l’animation syntaxique Ö L’où [2] (Philippe Bootz, 1990), dans lequel des mots se détachent les uns des autres, se forment et se modifient, faisant évoluer le thème du poème.


L'où
1ère capture-écran
BOOTZ Philippe, 1990

L'où
2ème capture-écran
BOOTZ Philippe, 1990

Il le sera également dans une très belle œuvre de 1990 de Claude Faure, La Dérive des Continents [3] , dans laquelle l’animation construit ou déforme des mots en mimant le comportement de l’objet nommé ou forme des constellations sous-tendues par la forme graphique de la lettre. Voici ce qu’en dit Claude Faure :


La Dérive des Continents
Capture-écran
FAURE Claude, reprogrammation 2002
 

« La Dérive des Continents tire parti du fait que, dans certains cas, la forme des mots (et leurs assemblages en expressions, en phrases) ressemble à ce qu’ils désignent, à leur signification. L’exemple le plus banal est celui du mot « bref » qui est lui-même bref : c’est comme s’il exprimait deux fois la notion de brièveté […] Mais la forme des mots n’est pas seule en cause : leur position dans une phrase, sur la page d’un livre… et sur un écran d’ordinateur joue son rôle. Plus précisément, la capacité de l’ordinateur à mettre en mouvement les mots et les expressions ou à les afficher selon des modes très variés multiplie les occasions de rencontres savoureuses. »[4]

Quelques poèmes animés sont réalisés au début des années 1980, notamment au Canada par bpNichol. Mais c'est en France, dans la continuité des œuvres numériques que la poésie animée connaîtra son véritable essor au sein du groupe L.A.I.R.E. Créé en 1988, ce collectif s'opposera à la conception des générateurs de textes et se focalise sur l'incidence de l'animation sur la lecture.

La poésie animée se développera également au Brésil dans la continuité des traditions concrète et néo-concrète, en actualisant le concept d’intermédia.




3.2 L’approche française de L.A.I.R.E. et de la revue alire.



3.2.1 L’affirmation de la spécificité du médium numérique.

Le collectif L.A.I.R.E (Lecture, Art, Innovation, Recherche, Écriture) a été créé suite à ma rencontre avec Tibor Papp. Il a aussitôt lancé la revue alire, considérée comme la plus ancienne revue de littérature numérique. alire diffuse depuis l’origine les œuvres sur disquettes puis sur cédéroms. Les disquettes étaient accompagnées d’un livret qui comportait des textes théoriques mais pas d’œuvre. Elle s’est ainsi tout de suite positionnée pour une littérature programmée à lire sur écran, levant l’ambiguïté que la génération combinatoire entretenait sur la nature du support de lecture. Ne permettant pas l’impression de parties de l’œuvre (par exemple de textes générés) et n’autorisant pas une diffusion sur bande vidéo, alire démarque la littérature informatique des deux médias de référence que sont le livre et la vidéo en affirmant la spécificité du nouveau médium informatique.

Si alire était conçue par Tibor Papp comme une revue d’avant-garde, je la considérai pour ma part comme un outil privilégié permettant de développer une littérature consultable chez soi et non seulement en installation. Ces deux types d’environnements ne sont pas équivalents. Une œuvre destinée à une consultation privée peut travailler sur la relecture et la mémoire, ce que ne peut pas faire une œuvre destinée à une installation. Inversement, une œuvre destinée à une lecture privée doit tenir compte des ressources limitées de la majorité des machines du parc informatique grand public et ne peut utiliser des machines ou des logiciels aussi sophistiqués qu’une œuvre destinée à une installation. Elle est donc moins spectaculaire. C’est effectivement ce qui s’est passé, une esthétique centrée sur le rôle du lecteur s’est développé au sein d’alire et a conduit à produire des œuvres spécifiquement destinées à une lecture privée. Une œuvre comme passage (Philippe Bootz, 1996), dans sa version publiée dans alire10, ne peut techniquement pas être présentée en installation Ö.




3.2.2 La perception d’un nouveau statut esthétique de l’œuvre.

Les œuvres, ainsi que les livrets des tous premiers numéros, sont encore édités aujourd’hui dans le cédérom Le salon de lecture Électronique [5] . Or ces œuvres ont été réalisées dans un contexte informatique (programmes, machines, systèmes d’exploitation) aujourd’hui disparu. La revue a donc été confrontée à l’impact de l’évolution technique sur le rendu des œuvres, ce qui l’a conduit à prendre une position esthétique forte qui a fait l’objet de discussions internes dont on trouve trace dans le livret du numéro 3 d’alire[6] .

Le versant administratif de la revue reflète cette discussion. L.A.I.R.E a été l’éditeur de la collection originale des numéros 1 (janvier 1989) à 6 (décembre 1992). À partir du numéro 7 (avril 1994), je développe la génération adaptative Ö et deviens l’éditeur de la revue au sein de l’association MOTS-VOIR. Ce changement d’éditeur est la conséquence de ce débat sur la nature de l’œuvre numérique qui a parcouru L.AI.R.E. entre 1990 et 1994.

Il s’est avéré, à partir de 1993, que le rendu esthétique et sémantique à l’écran des œuvres programmées dans les années antérieures s’était peu à peu modifié au fur et à mesure de l’augmentation des performances des machines. L’œuvre qui a connu la plus grande dérive esthétique a été Le mange-texte [7] Ö (1989), une des premières œuvres de Jean-Marie Dutey.

Trois solutions s’offraient à L.A.I.R.E.

  • - La première consistait à stopper purement et simplement l’édition, en affirmant que l’œuvre littéraire numérique n’est appréhendable qu’à un moment précis et ne peut constituer une littérature transmissible. C’était la position défendue par Frédéric Develay. Elle inscrivait cette littérature dans l’ordre du happening, une rencontre entre l’art et l’irréversibilité de la vie.
  • - La seconde position était défendue par Tibor Papp. Elle consistait à continuer à diffuser les œuvres en l’état, en partant du principe que le problème était purement technique et que le développement de l’informatique permettrait, dans un futur plus ou moins proche, d’enregistrer efficacement ces œuvres.
  • - Ma position, partagée par Jean-Marie Dutey, partait du principe que, d’une part, l’œuvre est transmissible puisque le programme l’est et peut être exécuté, et que, d’autre part, quel que soit l’état technique, le lecteur lit ce qu’il voit et non ce qu’il devrait voir ni ce qu’il verra dans un futur indéfini. Par ailleurs, quel que soit le devenir de l’informatique, l’impact technique sur le rendu des œuvres constitue dans le présent un contexte technique spécifique à cet art dont l’auteur doit tenir compte dans sa façon même de programmer.

C’est finalement cette dernière position qui l’a emporté. Il s’agit d’un nouveau statut de l’œuvre littéraire : celle-ci n’est ni une performance d’auteur, ni une œuvre stable, elle se définit par un contexte spécifique, mouvant et nouveau à l’époque. Cette position a permis de mieux comprendre le rôle du lecteur et de l’interface dans les œuvres littéraires à lecture privée, ce qui conduira peu à peu les auteurs d’alire à élaborer une nouvelle esthétique, toujours actuelle, l’esthétique de la frustration Ö.

Cette position modifie également la conception de l’auteur. Comme la technique perturbe le rendu de sa production esthétique de façon constante, incontrôlable et irréversible, il n’est plus que co-auteur de ce que lit le lecteur. L’auteur est alors perçu comme « gestionnaire de la brisure de son projet » et non seulement comme créateur, une conception qui s’oppose à la visée « méta » de la génération automatique Ö. Créer dans un incessant combat contre la machine est sa condition. L’écriture est une lutte contre l’échec de l’écriture, contre son impossibilité. L’objet de son travail est l’Écriture elle-même et non l’écrit, ici entendu dans le sens métaphorique de production littéraire. Pour ce faire, il doit hiérarchiser ses intentions de façon à préserver celles qu’il considère comme fondamentales et accepter de moduler et relativiser les autres. L’auteur perd une partie fondamentale de son libre-arbitre.




3.2.3 L’apport de Tibor Papp.

Tibor Papp est un poète très important de l’avant-garde hongroise. Il a créé en 1962 avec Paul Nagy la revue Magyar Mühely (Atelier Hongrois) qui publiera toute l’avant-garde littéraire hongroise. Il programme en assembleur sur un ordinateur Amstrad le tout premier poème numérique animé, Les très riches heures de l’ordinateur n° 1 et le projette sur 10 écrans lors du festival Polyphonix 9 à Paris les 12 et 13 juin 1985.

Il introduira plusieurs éléments en poésie numérique. On lui doit notamment les premières performances littéraires avec ordinateur. Son interprétation sonore d’un de ses premiers poèmes animés sur PC, Les très riches heures de l’ordinateur n° 4 [8] , en janvier 1989 au Centre Pompidou lors de l’inauguration de la revue alire est mémorable. Le PC à l’époque ne comportait pas de carte son. Il a ajouté la dimension sonore lors de la projection par un travail vocal qui mettait en valeur le rythme et le caractère mélodique de l’animation. Tibor Papp interprétait une mélodie par des claquements de langue, et notamment une valse viennoise sur une danse de la lettre E à l’écran, accentuant et interprétant l’expression de cette danse. Ce poème comporte plusieurs autres séquences visuelles remarquables. Notamment un moment burlesque, lorsque l’expression « de mots » se déplace comme une chenille qui se contracte pour avancer. Cet effet est obtenu en supprimant la lettre finale « e » du mot « de » un pas sur deux lors du déplacement.



Les très heures riches de l'ordinateur n°4
Capture-écran du 1er pas du chenillard
PAPP Tibor, 1989

Les très heures riches de l'ordinateur n°4
Capture-écran du 2ème pas du chenillard
PAPP Tibor, 1989


Certaines parties comportent également un travail typographique remarquable : chaque lettre était dessinée à l’écran (Fig.1). Tibor Papp utilisera cet alphabet personnel dans toutes les œuvres qu’il programmera ensuite sous le système d’exploitation DOS. Il ne l’abandonnera que dans les œuvres sur Macintosh et lorsque la programmation sous Windows s’imposera.


Les très heures riches de l'ordinateur n°4
Fig.1 Capture-écran montrant la typographie inventée par Tibor Papp sous le système d'exploitation DOS du PC.
PAPP Tibor
 

Tibor Papp a toujours refusé de transférer sur vidéo ses œuvres programmées, estimant que le programme est une composante fondamentale de l’œuvre, celle-ci ne pouvant se réduire à la composante multimédia accessible au lecteur. Cette impossibilité se marque plus spécialement dans ses œuvres récentes dans lesquelles il utilise une gestion rythmique combinatoire difficile à déceler à la relecture. Celle-ci est réalisée en répétant des séquences selon un algorithme qui utilise en partie l’aléatoire. La variabilité constituant une caractéristique de l’œuvre, on ne saurait la figer sur support vidéo.




3.3 L’approche brésilienne de l’intermédia.



3.3.1 L’intersigne de Philadelpho Menezes.

Le poète et chercheur brésilien Philadelpho Menezes organise en 1998 à Saõ Paulo l’exposition Intersignos : do impresso ao sonoro e ao digital (Poésie intersigne : de l’imprimé au son et au numérique) à laquelle ont participé nombre d’auteurs concrets de renom (Fabio Doctorovitch, Enzo Minarelli, Clemente Padin …) passés à la littérature animée. Il fait alors la constatation suivante qui définit son concept « d’intermédia » :

« La poésie intersigne présente plusieurs poèmes sur cédérom, dans un genre que l’on qualifie de « multimédia ». […] Il s’agit de processus intersignes de mots, images, sons, mouvements, diverses façons de lire où l’image, le son et le mouvement ne sont pas de simples caractéristiques du mot. Face à une nouvelle configuration spatiale qui n’est plus la forme codex [9] du livre, la poésie, inévitablement, outrepasse les limites de la forme verbale elle-même. L’hypertexte devient naturellement hypermédia de par la tendance des technologies numériques à intégrer des langages. Ainsi, le poème numérique devient également une circulation entre signes de différents langages. Quand c’est bien fait, il pourrait être dénommé « intermédia » (retenant l’usage du terme « multimédia » lorsqu’il y a accumulation et superposition de nombreux signes plutôt qu’une intégration fonctionnelle entre eux). Ce qui importe alors, dans l’usage de ces nouvelles technologies, est la facilité et l’encouragement à développer des réalisations d’intégration entre langages dans lesquelles les signes non verbaux ne sont pas réduits au rôle de simples éléments de renforcement des signes verbaux. La fusion intersigne mène, après tout, l’exercice créatif vers la fusion des genres textuels. » [10]

Philadelpho Menezes propose, en littérature animée, de concevoir le texte comme une circulation entre signes textuels, visuels… et non plus comme une intégration de médias. Le poème intermédia de Menezes peut être considéré comme un cas particulier d’œuvre intermédia au sens de Dick Higgins Ö. Il est curieux de constater que Menezes se réapproprie le terme l’année même de la mort de Higgins.

Philadelpho Menezes et Wilton Azevedo publieront en 1998 le cédérom, Interpoesia [11] , qui comporte des poèmes programmés en 1997/1998. Un poème comme Rever [12] (Philadelpho Menezes, 1998, Fig. 2, 3 et 4) montre le fonctionnement du traitement intermédiatique lorsqu’un signe fluctue entre le statut de mot et celui de figure graphique. Une telle fluctuation est analogue au statut de la graphie dans les animations syntaxiques françaises développées par L.A.I.R.E.



Rever
Fig.2 - 1ère capture-écran
Menezes Philadelpho, 1998

Rever
Fig.3 - 2ème capture-écran
Menezes Philadelpho, 1998

Rever
Fig.4 - 3ème capture-écran
Menezes Philadelpho, 1998




3.3.2 L’interpoésie de Wilton Azevedo.

Wilton Azevedo, également brésilien et élève de Philadelpho Menezes, poursuivant la réflexion de celui-ci, constate que cet intersigne modifie complètement la perception et la lecture, place le lecteur au centre de la création sémiotique, lui permet de créer une signification non directement inscrite dans les symboles qui apparaissent à l’écran mais qui se construit par la circulation ambiguë entre systèmes sémiotiques (texte, image, son) gérée par le programme. La poésie brésilienne retrouve ainsi les mêmes conclusions que l’animation syntaxique en France. Voilà comment Wilton Azevedo présente son concept d’interpoésie :

« Le monde numérique et ses programmes ont offert toute sorte de langages au service de la non-linéarité […] déterminant une nouvelle frontière entre les codes. De cette praxis, émerge un poème qui positionne le public en tant qu’agent le plus important dans le processus de création et d’intervention et dans la façon de lire et d’obtenir de nouveaux signes à chaque instant. Ainsi était née l’interpoésie, un exercice intersignique qui rend évident la signification du transit de signes dans le média numérique, donnant naissance à ce qu’on pourrait dénommer une nouvelle ère pour la lecture. » [13]




3.4 La poésie virtuelle de Ladislao Pablo Györi.


Vpoem 14
Fig.5 - Capture-écran
GYÖRI Ladislao Pablo, 1997

À partir du milieu des années 1990, l’argentin Ladislao Pablo Györi développe une conception de « poésie virtuelle » (virtual poetry ») qu’il développe dans sa proposition « criteria for a virtual poetry » dans laquelle il préconise la construction de nouveaux langages en relation avec la réalité virtuelle. Ces poèmes, à l’instar de Vpoem 14[14] (1997, Fig.5), se présentent comme des assemblages agencés selon une grammaire graphique spécifique de mots et codes divers, qui se forment et se déforment de façon interactive sous forme de chaînes spatiales semblables à des molécules complexes. Le poème est en perpétuelle mouvance, les mots se déplacent et les liaisons se font et se défont au grès de leurs attirances. C’est cette animation structurelle qui énonce le texte, ce terme étant ici entendu dans son sens sémiotique général comme « tissu de signes ». On trouve sur le Web ses poèmes sous forme de fichiers vidéos ou de fichiers VRML (langage de réalité virtuelle) qui permettent de se déplacer dans le poème. On trouve également des captures-écrans de ses poèmes sur le site de Györi. Voici comment il définit le projet esthétique de la poésie virtuelle :

« les poèmes virtuels ou Vpoèmes sont des entités numériques interactives capables de :

  • prendre part à - ou être générés par – un monde virtuel (dénommé ici VPD ou « domaine de poésie virtuelle ») à travers un programme ou des procédures informatiques (pour le développement d’applications de réalité virtuelle et d’explorations temps réel) qui confèrent diverses formes à la manipulation, la navigation, le comportement et les propriétés alternatives (en présence de contraintes environnementales et d’interactions), l’évolution, l’émission sonore, le morphing animé,etc… ;
  • être « expérimentés » au moyen d’interfaces partiellement ou totalement immersives ;
  • supposer une dimension esthétique (en accord avec le concept sémiotique et entropique d’information), non réduite à un simple phénomène de communication (tel un simple flux de données) et
  • être définie par une structure hypertextuelle (circulation d’une information numérique ouverte et multiple) productrice principalement d’hyperdiscours (avec une forte non-linéarité sémantique)." [15]

Ladislao Pablo Györi crée ainsi un monde virtuel tridimensionnel qui n’obéit qu’à des lois grammaticales et pas du tout à un modèle comportemental physique qui ressemblerait à notre monde : pas de gravité, ni de bas, ni de haut. C’est pourtant, magie du virtuel, un monde que nous pouvons habiter et manipuler, tout comme, dans notre monde physique, nous « habitons le langage » (pour reprendre une expression de Heidegger) et le manipulons.

Le programme esthétique de Ladislao Pablo Györi, qui vise à créer un nouveau langage virtuel habité par son auteur et ses lecteurs, résume toute entreprise de littérature numérique. Les moyens qu’il emploie pour y répondre lui sont propres et constituent une démarche spécifique.




4. CONCLUSION : AU-DELA DE LA POESIE ANIMEE



4.1 La poésie animée ouvre sur deux axes esthétiques.

La poésie animée a intégré sa nature intermédiatique et programmée. Ces deux caractéristiques sont au cœur des recherches esthétiques actuelles en ce domaine. Elles relativisent le rôle de l’écran et donc le caractère « animé » de cette poésie. Ce caractère est de plus en plus considéré comme une caractéristique de surface qui s’avère insuffisante pour comprendre la démarche esthétique des auteurs. L’extension du concept d’intermédia conduit au concept d’œuvre a-média et le rôle du programme sur les formes esthétiques du poème est l’objet des recherches du collectif international Transitoire Observable.




4.2 Vers un hypermedia a-média.

Le multimédia a-média généralise le comportement sémiotique ambigu de l’animation syntaxique.

La conception brésilienne de la poésie numérique comme circulation entre signes rejoint une idée que j’ai développée en 2000 suite à des recherches réalisées au MIM (Laboratoire de Musique Informatique de Marseille). Les compositeurs de ce laboratoire effectuent depuis le début des années 1990 des recherches sur une nouvelle compréhension du temps en musique. Ils ont montré que des structures sémiotiques liées à des notions de mouvements se retrouvent dans les musiques de toutes les époques et de toutes les cultures. Les psychologues ont démontré que ces structures correspondent à des représentations mentales construites vraisemblablement lors de l’apprentissage du mouvement par le petit enfant. Or les créations multimédia que je réalise avec Marcel Frémiot, compositeurs du MIM, laissent apparaître des structures similaires au niveau du visuel. J’ai également, en collaboration avec Xavier Hautbois, pu repérer ces structures dans le cinéma expérimental des années 1920 et 1930 (par exemple dans Rythm 21 de Hans Richter, 1921) ainsi que dans des œuvres multimédia actuelles comme celles d’Antoine Schmitt ou d’Alexandre Gherban. J’ai alors émis l’idée en 2003 [16]

que ces structures pourraient être universelles, indépendantes du média sur lequel elles s’appliquent. Des productions artistiques multimédia fondées sur la temporalité pourraient alors être scénarisés en privilégiant les comportements temporels et non plus les médias. Il s’agit bien d’une circulation entre médias, d’un interpoème, géré de façon unitaire au niveau de la programmation et de la logique temporelle. Même si, à chaque instant, les médias sont parfaitement identifiés à l’écran, leur nature se métamorphose au cours du temps tout comme dans l’animation syntaxique. Ils constituent une même entité au niveau du scénario, non pas à cause de leur codage numérique identique comme dans le cas de l’ASCII-Art ensemble Ö, mais parce qu’ils participent à un même comportement temporel.


Passage 2
Capture-écran
BOOTZ Philippe, 2000
 

L’œuvre actuellement en cours passage2 [17] ébauche une telle approche. Le comportement temporel des lettres obéit à des lois rythmiques qui produisent des types de mouvements spécifiques. Ces lois, qui n’existent qu’au sein du programme, constituent une composante de l’œuvre. Il s’agit de modèles comme on en trouve dans la génération de textes, à part que ceux-ci sont ici temporels (ils produisent des rythmes et des mouvements), et non des phrases à trous ou une grammaire productrices de texte et qu’ils s’appliquent sur le comportement et non la création de matériaux. Il s’agit d’algorithmes de réalisation et non d’algorithmes de synthèse Ö comme dans le cas de la génération.




4.3 Le collectif international Transitoire Observable.

Au fil de leurs productions, les auteurs d’alire ont acquis la conviction que la programmation est l’âme de la littérature numérique et qu’il convient de regarder de plus près les nouvelles formes spécifiquement programmées qu’elle peut forger. Cette conviction a rencontré celle de Jean-Pierre Balpe et celles d’autres créateurs, qu’ils soient poètes ou artistes numériques. Il y a en effet bien plus d’affinité entre un poète numérique qui programme ses œuvres et un artiste plasticien également programmeur de ses œuvres, qu’entre ce poète et un poète imprimant ses recueils de facture classique.

Sous l’impulsion d’Alexandre Gherban, poète numérique et plasticien, le collectif Transitoire Observable s’est créé dans l’affirmation que l’ensemble des composants du dispositif (écran, machine et programme) sont solidaires dans l’œuvre. L’acte fondateur est le manifeste cosigné en février 2003 par Alexandre Gherban, Tibor Papp et moi-même et qui proclame :

« Nous distinguons une voie, la mieux adaptée à notre avis pour approcher ce qui peut être nommé sans ambages une œuvre numérique. Cette voie est la production des formes procédurales transitoires observables, formes informatiques indépendantes, ancrées dans la programmation et dotées d'une grande autonomie. La matière première utilisée pour produire ces formes n'est ni le son, ni l'image, ni le texte ni un quelconque mixage de ces trois médias, mais un ensemble de processus codés, supports immédiats, qui viennent et s’imposent en tout premier lieu dans la mise en forme de nos projets créateurs. » [18]

Nous ont depuis rejoints Jim Andrews, Wilton Azevedo, Jean-Pierre Balpe, b-l-u-e-s-c-r-e-e-n, Patrick-Henri Burgaud, Philippe Castellin, Frédéric Drouillon, Gérard Giachi, Loss Pequeño Glazier, Xavier Leton, Éric Sérandour, Reiner Strasser et Antoine Schmitt.

Ainsi, s’opposant à la vidéopoésie qui considère la programmation comme un simple outil de réalisation d’un objet multimédia figé, totalement observable et considéré comme l’œuvre ; s’opposant au software art qui affirme que le code du programme est l’œuvre ; pour les créateurs du collectif Transitoire Observable, l’événement multimédia accessible à la lecture, la seule partie lisible de l’œuvre, le transitoire observable, n’est qu’un événement transitoire et observable d’un processus programmé actif, ses formes étant produites par des formes programmées plus profondes, éventuellement invisibles au lecteur et pourtant constitutives de l’œuvre.

Le numéro 12 d’alire est spécifiquement consacré à ce collectif.


Les tisserands
Fig.6 - Capture-écran
GHERBAN Alexandre, 2004
 

Outre l’affirmation d’une tendance qui se dessinait depuis une vingtaine d’années, notamment à travers le développement de l’esthétique de la frustration Ö, le collectif a déjà contribué à montrer la réalité de ces formes programmées. C’est ainsi qu’Alexandre Gherban dans La colonie (2000-2004, Fig.6), crée des animations qui utilisent un langage artificiel verbovisuel capable de dialoguer avec le lecteur. Des éléments graphiques et alphabétiques sont générés, voire même « dé-générés », ce processus consistant en une perte. Ces éléments peuvent s’échanger des propriétés visuelles selon des lois construites à l’aide d’algorithmes cellulaires [19] . Le tout construit des moments sonores et visuel interactifs étonnants. La circulation sémiotique à l’écran entre le visuel, le sonore et le textuel et, plus généralement, entre les diverses catégories de signes, est gérée par une logique programmée cohérente.




Références :

alire10/DOC(K). série 3 n° 13/14/15/16, 1997.

BOOTZ, Philippe (Dir.), Le Salon de Lecture Électronique. Villeneuve d’Ascq : MOTS-VOIR, 1995.

alire12, 2004.

Site de l’Electronic Poetry Center : http://wings.buffalo.edu/epc/

Site de DOC(K)S et DOC(K)S on line : http://www.sitec.fr/users/akenatondocks/

Site du collectif Transitoire Observable : http://transitoireobs.free.fr

Site de la revue alire : http://motsvoir.free.fr

Site d’Alexandre Gherban : http://gherban.free.fr/

Site d’Interpoésie : http://www.mackenzie.com.br/interacao/www2003/




Sommaire

  • Introduction

  • Qu'est-ce que la littérature numérique ?

  • Quel rôle joue le programme en littérature numérique ?

  • Comment les propriétés du médium informatique se manifestent-elles en littérature numérique ?

  • Qu'apporte l'interactivité à la littérature numérique ?

  • En quoi les avant-gardes poétiques du XXe siècle anticipent-elles la littérature numérique ?

  • Comment les nouvelles technologies ont-elles été introduites en littérature ?

  • Quel rôle jouent les réseaux en littérature numérique ?

  • Que sont les hypertextes et les hypermédias de fiction ?

  • Qui sont les auteurs d'hypertextes et d'hypermédias littéraires ?

  • Qu'est-ce que la littérature générative combinatoire ?

  • Qu'est-ce que la génération automatique de texte littéraire ?

  • Qu'est-ce que la poésie numérique animée ?

  • Quelles sont les formes de la poésie numérique animée ?

  • Conclusion : Qu'est-ce que le texte en littérature numérique ?

  • Références




    Notes :


    1 de MELO e CASTRO Ernesto Manuel, « Videopoetry », Visible Language 30.2 ; New Media Poetry : Poetic Innovation and New Technologies, Eduardo Kac (Ed.), Providence : Rhode Island School of Design, 1996 : 141. Trad. Ph. Bootz

    2 BOOTZ Philippe, L’où, alire3, juin 1990 ; réed. in BOOTZ Philippe (Dir.), Le Salon de Lecture Électronique. Villeneuve d’Ascq : MOTS-VOIR, 1995, cédérom PC ; réed. in Créations poétiques au XX° siècle, visuelles, sonores, actions…, Grenoble : CRDP de Grenoble, 2004.

    3 FAURE Claude, La dérive des continents, 1990, reprogrammée en 2002.

    4 FAURE Claude, « La Dérive des Continents », Terminal Zone ; poésie et nouvelles technologies. Paris : Al Dante, 2002 : 32

    5 BOOTZ Philippe (Dir.), Le Salon de Lecture Électronique. Villeneuve d’Ascq : MOTS-VOIR, 1995.

    6 À travers deux articles : PAPP Tibor, « Littérature sur ordinateur – enregistrement, restitution », alire3, 1990 : 5-10 et BOOTZ Philippe, « Notes », alire3, 1990 : 11-13.

    7 DUTEY Jean-Marie, Le mange-texte, alire1, 1989.

    8 PAPP Tibor, Les Très Riches Heures de l’Ordinateur n°4, alire1, janvier 1989 ; réed. in BOOTZ Philippe (Dir.), Le Salon de Lecture Électronique. Villeneuve d’Ascq : MOTS-VOIR, 1995 ; réed. in Créations poétiques au XX° siècle, visuelles, sonores, actions… Grenoble : CRDP de Grenoble, 2004.

    9 Le codex est le livre tel que nous le connaissons.

    10 MENEZES Philadelpho, « Intersign Poetry : From Printed to Sound and Digital Poems”, http://www.pucsp.br/pos/cos/epe/mostra/catalogi.htm . Trad. Philippe Bootz

    11 MENEZES Philadelpho et AZEVEDO Wilton, Interpoesia ; Poesia Hipermídia Interativa. Saõ Paulo : Universidade Presbiteriana Mackenzie, Estúdio de Poesia Experimental da PUC-SP, Fapesp, 1998.

    12 MENEZES Philadelpho, Rever, in Interpoesia ; Poesia Hipermídia Interativa. Saõ Paulo : Universidade Presbiteriana Mackenzie, Estúdio de Poesia Experimental da PUC-SP, Fapesp, 1998.

    13 AZEVEDO Wilton, “Interpoetic: The Digital Manifesto”. Saõ Paulo, 1998, http://transitoireobs.free.fr/to/article.php3?id_article=31#nb1. Trad. Philippe Bootz

    14 GYÖRI Ladislao Pablo, Vpoem 14, alire10/DOC(K)S série3 n° 13/14/15/16, 1997.

    15 GYÖRI, Ladislao Pablo, “Criteria for a Virtual Poetry”, Experimental, Sound & Visual Poetry. Buenos Aires, 1995, http://www.poesiavisual.com.ar/escritos/criteria_for_a_virtual_poetry.html. Trad. Philippe Bootz

    16 BOOTZ Philippe, « Adaptive Generators and Temporal Semiotics », colloque e-poetry’03, Morgantown, 2003.

    17 BOOTZ Philippe, passage2, work in progress, inédit. Cette partie de l’œuvre a été présentée dans plusieurs concerts à Marseille, Paris et Londres.

    18 BOOTZ Philippe, GHERBAN Alexandre, PAPP Tibor, « Transitoire Observable : Seuil de Recherches et de Création sur les Formes Procédurales Transitoires Observables », 1° février 2003, http://transitoireobs.free.fr/to/article.php3?id_article=1

    19 Un algorithme cellulaire calcule une propriété d’un objet en fonction de l’état des objets qui lui sont voisins.



    © Leonardo/Olats & Philippe Bootz, décembre 2006
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