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ETUDES ET ESSAIS > LES BASIQUES > LA LITTERATURE NUMERIQUE > QU'EST-CE QUE LA LITTERATURE NUMERIQUE ?
   
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Qu'est-ce que la littérature numérique ?







  1. Une littérature scandaleuse.
  2. Définitions. 2.1 Littérature numérique, médium et médias.
    2.2 Les propriétés spécifiques. 2.2.1 Algorithmique, générativité, calculabilité.
    2.2.2 Le codage numérique.
    2.2.3 L’interactivité.
    2.2.4 L’ubiquité et le feed back.
    2.2.5 La compatibilité.
    2.2.6 Un médium complexe.
    2.3 Un dispositif de communication. 2.3.1 Le dispositif de l’œuvre.
    2.3.2 L’écran y tient une place prépondérante.
  3. Existe-t-il d'autres termes pour parler de la littérature numérique ?
  4. Quels sont les genres de la littérature numérique ?
  5. La littérature numérique constitue-t-elle une rupture littéraire ?

    Références


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1. UNE LITTERATURE SCANDALEUSE

La littérature numérique a longtemps fait scandale et a suscité méfiance, rejet et incompréhension, réactions qu’on peut encore rencontrer. Née dans le sillage de la cybernétique, elle a donné lieu à bien des a priori issus, pour certains, de l’imaginaire technofuturiste pessimiste que la science fiction a forgé et, pour d’autres, à une interprétation démiurge donnée aux modifications profondes qu’elle apporte à l’écriture, à la lecture et au texte Ö. Ainsi, dès 1953, avant que la littérature n’utilise l’informatique Ö, Boris Vian crée le mythe du « robot-poète » [1], un robot capable de concevoir de la poésie. Cette figure hantera longtemps l’imaginaire collectif et symbolise une méfiance extrême à l’égard de la littérature numérique.

Ces réactions peuvent être d’autant plus épidermiques que la littérature joue de la langue, activité qui possède encore souvent une aura sacrée. En un mot, « faire faire » de la littérature à une machine, et plus encore de la poésie, est parfois ressenti comme sacrilège car assimilé à un abandon de notre part la plus humaine, celle qui exprime le vrai, le juste et, surtout, tous nos sentiments. Voilà qui serait falsifier le vrai, dénigrer le juste et rabaisser nos sentiments au rang de mécanismes calculables. Inacceptable. La littérature numérique, alors, n’est pas vécue comme une injure mais comme une blessure.

Et pourtant, pratiquer un tant soit peu cette activité, en tant qu’auteur ou en tant que lecteur, montre vite qu’il n’en est rien. La littérature numérique transforme la question littéraire, pour ainsi dire « déplace » la littérature sur des problématiques qui lui étaient traditionnellement extérieures ou marginales. C’est dans ce déplacement que réside l’activité créatrice, la vraie, et non dans le résultat affiché comme texte à l’écran, quelles que soient les qualités intrinsèques de celui-ci.

Aucune machine n’est capable d’opérer seule ce déplacement. Il reste la prérogative de l’humain. On ne considère plus aujourd’hui la machine comme l’auteur, quelles que soient les connaissances implémentées dans le logiciel, mais comme un simulateur. Le véritable auteur n’est pas le robot-poète mais le concepteur du robot-poète Ö.




2. DEFINITIONS



2.1 Littérature numérique, médium et médias

|||||||||| LITTERATURE NUMERIQUE : Nous désignerons par « littérature numérique » toute forme narrative ou poétique qui utilise le dispositif informatique comme médium et met en œuvre une ou plusieurs propriétés spécifiques à ce médium.

|||||||||| MEDIUM ET MEDIA : Le terme médium est ici utilisé dans le sens défini dans le Basiques « l’art "multimédia" ». Ö : le médium est le moyen de communication utilisé. Le médium informatique est proche d’un milieu dans lequel l’œuvre existe car il autorise tout à la fois la transmission et la visualisation d’une information (rôles classiques du médium) mais également sa genèse et sa transformation (rôles traditionnels de l’outil). Ce terme est préféré à « média » qui est ici utilisé dans un des sens qu’il possède en théorie de la communication : un média est un document construit avec un système sémiotique spécifique. Par exemple un texte, un son, une image sont des médias dans ce sens. Un fichier de données purement numériques, codées selon certaines règles, constitue également un média bien qu’il ne soit pas destiné au lecteur mais au programme. Nous le nommerons « datas » pour le différencier des médias destinés à la lecture. Dans la littérature numérique, les médias sont travaillés de concert dans le même médium. Afin de distinguer clairement les deux notions, nous ne considérerons pas que média est le pluriel de médium.

|||||||||| MULTIMEDIA : nous réserverons le terme multimédia au seul résultat observable par le lecteur, généralement sur écran pour le visuel assorti d’un environnement sonore. Le terme multimédia désignera un résultat observable par le lecteur et qui ne comprend que des médias compréhensibles par l’homme tels que son, image, texte. Le multimédia est donc de nature audiovisuelle.

Un produit multimédia peut contenir du code numérique mais celui-ci est alors interprété comme du texte Ö.




2.2 Les propriétés spécifiques.

Les propriétés spécifiques du médium informatique sont : l’algorithmique, la générativité, la calculabilité, le codage numérique, l’interactivité, l’ubiquité et la compatibilité. Certaines de ces propriétés sont connues et répertoriées depuis le milieu des années 1980 [2] .




2.2.1 Algorithmique, générativité, calculabilité.

|||||||||| ALGORITHME : Un algorithme est un ensemble de règles logiques codées dans un langage de programmation en vue de produire un résultat. Tout programme met en œuvre des algorithmes. Nous considérerons que cette propriété fait partie de l’œuvre que si elle est effectivement utilisée de façon consciente par l’auteur et qu’elle joue un rôle dans la structure de l’œuvre. Ainsi, une œuvre peut utiliser la logique mathématique dans sa forme artistique. De nombreuses œuvres numériques utilisent une algorithmique spécifique.

La générativité et la calculabilité sont des cas particuliers d’algorithmes.

|||||||||| GENERATEUR : On dit que le programme est un générateur lorsqu’il construit en temps réel, lors de son exécution, un ou plusieurs médias (texte, son, image…) proposés à la lecture. Un générateur est donc un ensemble particulier d’algorithmes.

La calculabilité : Le programme peut également utiliser des algorithmes de calcul mathématique, par exemple pour calculer des trajectoires à l’écran ou des effets sonores ou visuels Ö.




2.2.2 Le codage numérique.

Tous les médias sont codés de façon binaire dans l’ordinateur. Le programme ne connaît pas les images, les sons…, il ne manipule que des 0 et des 1 et il les manipule toujours avec les mêmes règles. Les différents médias y perdent leur identité et peuvent ainsi être plus facilement transformés selon des modalités parfois impossibles à réaliser autrement. On peut donc dire que l’ordinateur ne connaît qu’un seul média : les datas constituées de nombres. Ce n’est que pour l’humain que ce média se différencie dans le résultat multimédia produit par le programme en d’autres médias perceptibles et compréhensibles (textes, sons…). Grâce à l’universalité du codage binaire, les algorithmes informatiques peuvent manipuler les médias compréhensibles par l’homme car ils ne manipulent en fait que des nombres. L’existence de ce codage a de multiples implications en littérature numérique Ö.




2.2.3 L’interactivité.

L’interactivité est certainement considérée comme la propriété la plus caractéristique des œuvres numériques mais sa définition est encore sujette à controverses.

|||||||||| INTERACTIVITE : Pour nombre d’auteurs, tels Jean-Louis Weisberg [3] , l’interactivité est une propriété de l’œuvre inscrite dans le programme, elle correspond à la capacité du programme de provoquer et répondre à une activité physique du lecteur. Pour Jean-Louis Boissier Ö , elle est élargie à la propriété que possèdent les divers composants de l’œuvre de réagir et communiquer entre eux. Ces définitions de l’interactivité procèdent d’une vision techno-centrée, c’est-à-dire qui considère l’œuvre comme un système technologique en fonctionnement. Elles en arrivent logiquement à considérer que le lecteur est un élément interne à l’œuvre, une composante du système technique de l’œuvre Ö. Une telle vision est incapable, à mon avis, d’appréhender la différence fondamentale entre un système technique et une activité humaine : le programme ne sait manipuler que des informations numériques purement techniques, des datas, alors que l’humain, dans l’interaction avec l’œuvre, ne manipule que des symboles, des signes. Or un signe n’est pas un donné, contrairement, justement, à « une donnée informatique» mais un construit Ö. La différence est fondamentale : le caractère psychologique du signe ne peut pas être ignoré.

Ainsi, une définition de l’interactivité réduite à sa simple dimension technique est insuffisante pour traiter les aspects sémiotiques issus de l’interaction physique entre le lecteur et le programme. Or nombre d’œuvres reposent essentiellement sur ce niveau de l’interaction qui est avant tout une confrontation de deux intentionnalités, celle de l’auteur qui est activée par procuration dans le programme et les résultats qu’il produit, et celle du lecteur qui se manifeste dans son action.

|||||||||| C’est pourquoi nous définirons l’interactivité comme une propriété de la relation qui s’instaure entre le lecteur et le programme. Il s’agit d’une capacité donnée au lecteur et d’une obligation pour le programme. Elle consiste en la capacité que l’œuvre donne au lecteur de pouvoir influencer la composition des signes proposés à sa lecture et en l’obligation que l’œuvre impose au programme de devoir tenir compte de certaines informations fournies par le lecteur.

Selon cette définition, l’interactivité est une propriété de l’œuvre et non plus du seul programme. L’œuvre n’est plus, du point de vue du lecteur, un système dans lequel il s’insère mais bel et bien un outil qu’il utilise dans une construction du sens par la lecture. Cette conception s’insère dans une vision anthropo-centrée (c’est-à-dire centrée sur l’humain et non le système technologique) de l’activité humaine développée par la psychologie instrumentale, notamment par Pierre Rabardel [4] et constitue une rupture radicale avec la vision technocentrique que la science et la technique ont construite.

L’interactivité peut apporter des caractéristiques tout à fait remarquables à une œuvre littéraire numérique Ö.




2.2.4 L’ubiquité et le feed back.

Le résultat produit par le programme peut être matérialisé simultanément sur plusieurs ordinateurs. C’est le cas des œuvres situées sur Internet. Il devient alors possible, si l’interactivité le permet, d’établir des communications entre lecteurs à travers l’œuvre, l’action de l’un modifiant le système de signes lu par les autres Ö. Il y a alors retour (feed back) de l’activité de lecture sur l’œuvre, la lecture d’une personne modifiant l’œuvre pour les lecteurs suivants.




2.2.5 La compatibilité.

La compatibilité est une propriété qui est à la base de l’expansion du PC. Deux ordinateurs sont dits compatibles s’ils sont capables d’exécuter les mêmes programmes. Réciproquement, un programme est dit « portable » lorsqu’il est capable de s’exécuter sur des machines différentes ou sous des systèmes d’exploitation différents comme Windows, OS X, linux, DOS… Cette propriété, purement technique, prend toute son importance esthétique dès lors qu’on remarque que, même si l’exécution du programme est possible dans des environnements informatiques compatibles, cela ne signifie pas que le résultat produit sera rigoureusement identique sur les deux machines. Ce résultat n’est pas standardisé. Or toute différence esthétique est susceptible d’entraîner une différence d’interprétation de la part du lecteur. En clair, deux lecteurs lisant le même programme sur deux machines différentes ne verront pas nécessairement la même chose et même, dans certaines situations, n’auront pas la sensation de lire la même œuvre. Cette propriété n’a pas d’équivalent dans les autres médiums tels que le livre, la vidéo ou le cinéma. Ainsi, une bande vidéo défilera toujours à la même vitesse quelle que soit le caméscope. Cela n’est pas vrai d’une animation informatique. Certaines œuvres gèrent cette propriété de façon spécifique Ö.




2.2.6 Un médium complexe.

En littérature numérique, le dispositif informatique ne se limite pas à pouvoir simuler des appareils d’enregistrement (tels que : machine à écrire, caméra, appareil photo…) ou des appareils de restitution (livre, projecteur, radio…), ni même un médium traditionnel comme la télévision ou la radio. Il offre des possibilités nouvelles. C’est pourquoi nous considérons que le dispositif informatique constitue davantage un médium qu’un appareil. Il est tout à la fois seul médium du média numérique (les datas) travaillé par le programme, mais également support du résultat multimédia produit par le programme à destination du lecteur, milieu dans lequel s’effectue l’écriture, et siège de processus physiques comme l’exécution du programme ou la transmission des informations entre machines ou entre programmes. Il s’agit d’un médium complexe.

Dire qu’un dispositif informatique est utilisé comme médium signifie en tout premier lieu que l’ordinateur est utilisé par l’auteur pour créer l’œuvre littéraire et par le lecteur pour la lire. Autrement dit, l’œuvre littéraire ne quitte jamais totalement le dispositif informatique. C’est en cela qu’il en constitue le médium.




2.3 Un dispositif de communication.



2.3.1 Le dispositif de l’œuvre.

Une œuvre littéraire numérique constitue un dispositif de communication entre l’auteur et le lecteur.

|||||||||| DISPOSITIF DE L’ŒUVRE : Le dispositif de l’œuvre comprend l’ensemble des composants matériels et logiciels qui interviennent dans la communication que l’œuvre instaure entre l’auteur et le lecteur ainsi que les acteurs qui y participent.

Les acteurs (lecteur et auteur) n’y sont pas considérés comme des machines mais comme des sujets agissants de manière réfléchie et autonome.




2.3.2 L’écran y tient une place prépondérante

L’utilisation de l’ordinateur dans le dispositif de lecture implique par ailleurs que cette littérature est essentiellement une littérature de l’écran.

|||||||||| TRANSITOIRE OBSERVABLE : Nous nommerons « transitoire observable » la partie de l’œuvre produite par le programme et accessible à la lecture. Le transitoire observable est l’événement multimédia produit par l'exécution du programme et proposé à la lecture.

L’ordinateur peut ne pas être apparent, la partie visuelle du transitoire observable peut être projetée sur un support, comme dans un spectacle, mais en règle générale elle est vue sur un écran. C’est la partie de l’œuvre qui ressemble le plus au texte imprimé Ö.

La terminologie « transitoire observable » tient à son mode de production. Ce qui apparaît à l’écran est produit en temps réel par le programme, contrairement à une image filmique. Il s’agit donc d’un événement éphémère et transitoire qui n’est jamais fixé de façon définitive sur un support. C’est un état visuel et non un objet. Deux lecteurs de l’œuvre peuvent voir et lire des transitoires observables différents, alors qu’une image filmique est vue par tous à l’identique. Par ailleurs cet événement multimédia est bien observable par le lecteur.

Nous verrons tout au long de ce Basiques comment les diverses approches de la littérature numérique utilisent le transitoire observable et notamment le fait qu’il ne s’agit en aucun cas d’une image reproductible, contrairement à l’image de cinéma. L’absence de reproductibilité est liée à plusieurs facteurs :

  • le programme peut utiliser l’aléatoire et créer des variations ou des résultats très différents d’une exécution à l’autre.

  • Si l’œuvre est interactive, le transitoire observable dépendra naturellement des actions du lecteur.

  • Même en l’absence d’interactivité ou de génération aléatoire, rappelons que la non reproductibilité du transitoire observable est déjà une conséquence de la compatibilité.
L’écran engendre des contraintes particulières de lecture qui influencent la structuration des œuvres. Les textes destinés à être lus sur écran sont généralement formatés en blocs plus petits que ceux destinés à être lus sur papier. La disposition spatiale de la page est difficilement reproductible à l’écran (l’écran est plus large que haut, contrairement à la page). Tout le monde a pu constater sur les fichiers pdf (fichiers textes lisibles par le programme Acrobat Reader™) que des mises en page adaptées au livre et reproduites sur écran donnent des résultats peu lisibles lorsqu’on veut avoir la page complète sur un écran de 15 pouces.

Toutes ces contraintes vont jouer sur l’organisation spatiale des informations et favorisent la formation de courts blocs de texte et de structures narratives constituées de paragraphes courts et faiblement liés entre eux.




3. EXISTE-T-IL D'AUTRES TERMES POUR PARLER DE LA LITTERATURE NUMERIQUE ?

Notons que c’est sur une propriété structurelle qu’insiste l’utilisation du terme « numérique » dans la terminologie « littérature numérique ». Ce champ littéraire est ainsi repéré à partir d’un terme relatif à la technique utilisée, comme c’est souvent le cas dans les dénominations artistiques (peinture, photographie…). Cela ne signifie pas que cette expression résume à elle seule les propriétés et les conceptions de cette littérature. Aucune expression ne serait capable de le faire et les discussions relatives à la terminologie sont sans grand fondement dans cette optique. En fait, la terminologie « à la mode » évolue dans le temps en fonction du contexte d’usage des mots, souvent imposé par des visées marketing.

D’autres dénominations existent pour parler de ces œuvres. Le terme le plus courant aux États-Unis est celui d’hypertexte. L’approche américaine est centrée sur ce concept Ö , ce qui n’est pas le cas en Europe. Les américains assimilent ainsi à de l’hypertexte des œuvres dont le caractère fondamental n’est pas la structure hypertextuelle.

En Europe, le terme «littérature numérique » ou littérature « digitale » (terme anglais ou allemand – digital- qui se traduit par numérique) est actuellement le terme le plus usité. Mais on peut également en utiliser d’autres si on veut insister sur certaines particularités des œuvres.

Ainsi, l’expression « cyberlittérature » fait-elle plus explicitement référence aux œuvres Internet et à la notion de réseau Ö. Malheureusement, ce terme exclut totalement les œuvres actuelles off-line (les cédéroms) ainsi que nombre d’installations. De plus cette dénomination a tendance à exclure toutes les œuvres antérieures à l’Internet, ce qui en élimine beaucoup d’importantes car le Web n’est investi par les auteurs que depuis peu (1996 environ en France).

Lorsqu’on veut insister sur le fonctionnement spécifique de la lecture interactive, on parle de « littérature ergodique » Ö , terme, inventé par Espen Aarseth qui en développe la théorie dans son ouvrage Cybertext: Perspectives on Ergodic Literature [5] .

Enfin, on trouve également le qualificatif de « littérature électronique », par exemple dans l’expression e-poetry ou poésie électronique, dénomination souvent utilisée pour qualifier la poésie numérique. Ce terme est le plus ancien en France. Il était couramment utilisé dans les années 1980-1990. Il insiste davantage sur le caractère technologique du fonctionnement du médium que le terme numérique. Aujourd’hui les expressions « littérature électronique » ou « livre numérique » désignent plutôt des e-books, c’est-à-dire des livres imprimés numérisés, œuvres qui n’appartiennent pas à la catégorie des œuvres littéraires numériques. On trouve également le terme, que j’utilise pour ma part, de « littérature informatique » lorsqu’on veut insister sur la spécificité du médium.

Finalement, chaque dénomination insiste sur un aspect particulier des œuvres. En France, les auteurs n’accordent guère d’importance au terme utilisé, il importe simplement de savoir de quoi on parle. Nous nous en tiendrons donc ici à la dénomination de « littérature numérique ».




4. QUELS SONT LES GENRES DE LA LITTERATURE NUMERIQUE ?

On peut classer les œuvres en deux grands ensembles. Le premier comprend celles qui mettent en exergue la lecture du texte à l’écran, le second insiste davantage sur le rôle de l’ensemble du dispositif de communication. Ces deux ensembles peuvent s’interpénétrer, aussi nous n’utiliserons cette classification que pour la commodité de structuration du plan qu’elle permet.

Le premier groupe peut être subdivisé en fonction des genres textuels dominants que les différentes cultures ont construits, même si, aujourd’hui, les œuvres relèvent souvent de plusieurs genres. On distinguera ainsi l’hypertexte Ö, la littérature générative Ö et la poésie animée Ö.

Le second groupe Ö comprend les installations, les œuvres collectives ou collaboratives Ö et les œuvres centrées sur le rôle du programme Ö.




5. LA LITTERATURE NUMERIQUE CONSTITUE-T-ELLE UNE RUPTURE LITTERAIRE ?

Il est important de rappeler qu’il n’y a pas rupture brutale entre une œuvre littéraire numérique et les œuvres non numériques mais une continuité qui a établi, progressivement, un lent déplacement de la question littéraire. Depuis le début du XXe siècle, en effet, les diverses avant-gardes ont fait quitter le texte de la page imprimée en l’insérant dans des tableaux et des objets, ont modifié de façon significative les relations auteur/texte/lecteur, par exemple à travers le happening, et se sont penchés sur la production de sens elle-même, en travaillant la relation des lettres entre elles, des mots entre eux et, plus généralement, la relation entre le mot et d’autres systèmes de signes Ö. C’est ce qui a fait dire à Philippe Castellin, l’éditeur d’une des revues les plus importantes en littérature numérique, la revue DOC(K)S, que la littérature numérique serait un « achèvement » des formes travaillées par ces avant-gardes. L’idée d’achèvement suppose une amélioration et un point limite infranchissable, or les propositions des avant-gardes sont parfaitement achevées et aucune question littéraire ne saurait rencontrer de limite infranchissable. Par ailleurs une telle conception ne saurait prendre en compte la spécificité du médium car elle considère implicitement que le médium informatique se réduit à un changement de support. Aussi vaut-il mieux considérer que la littérature numérique réalise à la fois une continuité avec les mouvements antérieurs et un déplacement qui met en œuvre les spécificités du médium pour de nouvelles propositions artistiques qui relativisent le concept de texte Ö.





Références :

  • AARSETH, Espen, Cybertext: Perspectives on Ergodic Literature. Baltimore : Johns Hopkins University Press, 1997.
  • HAYLES, Katherine N., Writing Machines. Cambridge & London : The MIT Press, 2002.
  • VUILLEMIN, Alain et LENOBLE, Michel (Dir.), Littérature et informatique : la littérature générée par ordinateur. ARRAS : Artois Presses Université, (ÉTUDES LITTÉRAIRES), 1995.
  • VUILLEMIN, Alain et LENOBLE, Michel (Dir.), Littérature Informatique Lecture : de la lecture assistée par ordinateur à la lecture interactive. Limoge : Presses Universitaires de Limoges, 1999.
  • Encyclopédie de la recherche littéraire assistée par ordinateur
    http://www.uottawa.ca/academic/arts/astrolabe/index.html
  • PANO, Ana (Dir.), "Littératures numériques en Europe : état de l'art", Revue des littératures de l'Union Européenne, Numéro monographique 5, juillet 2006,
    http://www.rilune.org/mono5/litnumerique.htm




Sommaire

  • Introduction

  • Qu'est-ce que la littérature numérique ?

  • Quel rôle joue le programme en littérature numérique ?

  • Comment les propriétés du médium informatique se manifestent-elles en littérature numérique ?

  • Qu'apporte l'interactivité à la littérature numérique ?

  • En quoi les avant-gardes poétiques du XXe siècle anticipent-elles la littérature numérique ?

  • Comment les nouvelles technologies ont-elles été introduites en littérature ?

  • Quel rôle jouent les réseaux en littérature numérique ?

  • Que sont les hypertextes et les hypermédias de fiction ?

  • Qui sont les auteurs d'hypertextes et d'hypermédias littéraires ?

  • Qu'est-ce que la littérature générative combinatoire ?

  • Qu'est-ce que la génération automatique de texte littéraire ?

  • Qu'est-ce que la poésie numérique animée ?

  • Quelles sont les formes de la poésie numérique animée ?

  • Conclusion : Qu'est-ce que le texte en littérature numérique ?

  • Références




    Notes :


    1 VIAN Boris, “Un robot-poète ne nous fait pas peur”, ARTS 10-16, avril 1953 : 219-226.

    2 BALPE Jean-Pierre, « Présentation », L’imagination informatique de la littérature. St Denis : PUV, 1991.

    3 WEISSBERG Jean-Louis, Présence à distance, déplacement virtuel et réseaux numériques : pourquoi nous ne croyons plus la télévision. Paris : L’Harmattan, 1999.

    4 RABARDEL Pierre, Les hommes et les technologies : approche cognitive des instruments contemporains. Paris : Armand Colin, 1995.

    5 AARSETH Espen, Cybertext: Perspectives on Ergodic Literature. Baltimore : Johns Hopkins University Press, 1997.



    © Leonardo/Olats & Philippe Bootz, décembre 2006
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